vendredi 31 juillet 2009

COLETTE GAUTHIER-VILLARS





Avant de signer "Colette Willy", puis plus simplement "Colette", Sidonie Gabrielle Colette signa quelques chroniques "Colette Gauthier-Villars", ou "Colette G.-V.", associant ainsi son nom de famille au véritable nom de son mari, qui à l'époque signait presque indifféremment "Henri Gauthier-Villars" ou "Willy". Ceci avant que ce pseudo de "Willy", devenu marque de fabrique et gage de ventes assurée pour les éditeurs, ne s'impose de lui-même à l'un et à l'autre. Il faudra encore quelques années avant que le nom de Colette se suffise à lui-même. Henri Gauthier-Villars, lui gardera son véritable patronyme pour signer des ouvrages historiques, (Le Mariage de Louis XV, Fervaal), des livres pour enfant (L'Odyssée d'un petit Cévenole, Le Petit roi de la forêt), un ouvrage sur Bizet ou des ouvrages en collaboration comme La Bayadère avec de Lucenay, ou L'Automobile enchantée avec Georges Trémisot.

Dans La Critique, N° 43, du 5 décembre 1896, Colette G.-V. signe une chronique sur la pièce de M. de Saussine (1), Omphale, jouée au Théâtre des Escholiers. Une visite de la page « bibliographie » du site du Centre d'études Colette, permettra de voir que durant l'année 1895, Collette Gauthier-Villars avait signé six chroniques musicales et dramatiques dans le journal La Cocarde, l'article de La Critique n'est pas référencé dans cette bibliographie.


(1) Comte Henri de Saussine (1859-1940). Musicien, il fait exécuter des oeuvres oubliées à l'hôtel de Créqui à Paris où fréquentent les compositeurs de l'époque, il organise des soirées littéraires où se retrouvent entre autres le ménage Gauthier-Villars, Marcel Proust ou Montesquiou. Il est l'auteur d'un opéra-bouffe, une féerie musicale, une Fantaisie sur les Chauves-Souris de Robert de Montesquiou, un « opéra de poche » provençal, de romans, de dialogues philosophiques. Voir « Les curiosités esthétiques de Robert de Montesquiou » par Antoine Bertrand.


OMPHALE (1)


Si j'en crois M. de Saussine, le désir de toute femme, unie à un être supérieur, serait d'omphaliser son Hercule. C'est le désir aussi de Josette d'Ormenont, riche autant qu'américaine. Jolie autant que riche, enviable proie que guignent les fils les plus blasonnés de France. (Faut-il croire donc que ces âmes héraldiques n'ont pas d'autre objectif que l'or adhésif américain « pour redorer eux-mêmes » leurs armoiries ?) Josette rêve pour celui qu'elle élira la gloire s'il se peut, la célébrité tout au moins. Elle veut apprivoiser un aigle – ses moyens le lui permettent – et a cru le dénicher dans l'atelier du sculpteur Westigny, riche de talent et d'avenir. Elle épouse l'Illustre de demain.Et, tout de suite, la lutte commence. Jalouse de l'Art qu'elle accuse d'accaparer tout l'amour de son mari. Josette veut mesurer sa puissance ; elle exige que Westigny lui céde son atelier pour y donner un bal. Navré, il consent. Le sanctuaire violé, la victoire obtenue semble minime à la jeune femme, son besoin de domination grandit, sa nervosité s'exacerbe, dans un accès de fureur jalouse elle s'attaque à la sculpture même, sa rivale, et, brandie contre l'oeuvre ultime de Westigny, - une Renommée – d'un maillet rageur elle la brise.Au milieu de la crise conjugale survient un soupirant évincé, Fitzgerald, qui jugeant l'instant décisif, brûle ses vaisseaux et fait lire à Josette un article où l'on éreinte bassement son époux. L'effet est inattendu : l'orgueil, l'amour, ressuscitent au coeur de la jeune femme, qui court se jeter dans les bras de Westigny et le conjure de recommencer sa statue, avec ce cri délicieusement féminin : « Je poserai pour celle-là, car il faut qu'elle soit plus belle que l'autre ! »Sans être jouée aussi bien qu'elle le méritait, la comédie de M. de Saussine, - d'un art discret et sûr, d'une écriture élégante sans mièvrerie, avec des touches mondaines dont la précision n'étonnera personne – n'a pas laissé que de trouver de bons interprètes. Westigny, c'est M. Burguet, intelligent, mais un peu rabougri tout de même, dont les déclamations ardentes ont secoué le public. Mme Marthold a composé avec une adroite bonhomie son personnage de marquise bien disante. J'aurais voulu que l'artiste chargée du rôle de Josette fût plus jolie.



Colette G.-V.



(1) Théâtre des Escholiers.


Lire : Billets de théâtre (Ballets russes, Guitry, Mistinguett…), de Colette. Édition établie par Alain et Odette Virmaux, avec Élisabeth Gilet, Le Félin éditeur, collection « Les marches du temps », 255 pages.

mercredi 29 juillet 2009

Ernest LA JEUNESSE pastiché



Dans le N° 34 du 20 juillet 1896, de La Critique, Victor Charbonnel, déguisé en La Verdure, se lance dans un pastiche d'Ernest La Jeunesse dont le livre Les Nuits, les Ennuis, et les Âmes de nos plus notoires contemporains, provoque l'émoi dans la gendelettrie et propulse son auteur parmi les gloires éphémères du journal et du boulevard.


Une nuit, un ennui et la jeune âme du brusquement notoire Ernest La Jeunesse.


Il y avait de l'ennui dans la nuit. Ernest n'avait pas ses vingt ans. Mais ils approchaient, ses vingt ans. On n'est plus jeune à vingt ans, par les années qui courent. Voir les années courir, être le jeune La Jeunesse, et n'être rien. Ernest en avait de l'ennui dans la nuit.
Mais être ou ne pas être n'importe pas. C'est de paraître qu'il importe, de paraître en volume d'abord et de paraître ensuite avoir du talent, le talent nouveau d'un écrivain nouveau. Cet imbécile, ce vieux misérable de Coppée, s'il voulait une fois encore couper dans la jeunesse, bêtement, et crier que « c'est du nanan », et le lancer parmi l'encombrement des omnibus de la place Pigalle, lui, le jeune, La Jeunesse ! Bah ! Ce François, qui est Celui-que-les-gens-n'aiment-pas, ne trouve le goût du nanan qu'à de tendres poètes qui chantent, comme lui les chanta, les bouquets de deux sous et le mystère des promenades de Chatou, ou bien à des poètes épiques qui se piquent de faire encore des vers héroïques pour les Groënlandais qu'exalta Pour la Couronne, ou enfin à de jeunes et vieux marcheurs des fêtes louysiaques qui célèbrent Aphrodite, la grande Immortelle nocturne, en un lyrisme attique, cynique et pas même aphrodisiaque. On ne saurait compter sur François Coppée.
Pourtant, bien des contemporains notoires avaient tiré la gloire de leur écritoire ? Etait-ce bien là, vraiment, qu'ils avaient trouvé, à force de chercher, la gloire ou du moins une honnête notoriété ?
Lui, Anatole France, par quelles prières perfides, si pauvre homme, il avait obtenu de la Vierge des saintetés faciles le privilège de chérir et d'enseigner la somptueuse vanité de la chair, de sentir douce l'existence, belles les femmes, heureux les épicuriens, de rapprocher de la terre et des humains un Dieu plaisantin, et de retirer d'entre les feuillets des bons vieux livres les sèches fleurs d'un mysticisme paradoxal !
Lui, Pierre Loti, outre l'horreur de ses costumes de Bédouin promenés parmi l'horreur des bals masqués, il avait eu son vague à l'âme, le vague de cette âme de son âme que sont ses travestis, et il avait eu des mers, des femmes, et il avait vêtu de voiles achetés dans les bazars de Stamboul ses rêves.
Lui, Paul Bourget, avait su emprunter à des photographies anglaises un air d'accablement biblique et de veulerie non-conformiste.
Lui, le petit Daudet, avait évacué sa verve de hargneux écolier, sa verve de pamphlets d'étude, pamphlets contre le professeur, contre le pion, contre les camarades.
Lui, le seul et l'unique, il avait inventé les hommes, tout simplement : car nul avant Lui n'avait soupçonné l'existence des hommes, leur mystère et leur force ; et il avait inventé l'ivrognerie, la bourgeoisie, les halles, la peinture, la bourse, les églises et la science ; et il avait entassé la masse des volumes, la masse des locomotives, des cabarets, des canons, des pelles et des charrues qui y sommeillent.
Lui, le poète, lui Mendès, il avait eu [mots illisibles], et ce que Courteline lui rappelait une nuit, une nuit où ils flirtèrent avaec l'agonie de la nuit et des vagissements de l'aurore : le poète s'agrippant à la manche de son ami, mira dans le miroir du firmament sa gloire, son bonheur, sa beauté, et le poète de Lidoire lui dit : « Ben ! Mon cochon ! »
Lui, Henri de Régnier, sur la route, triste et grave au long du fleuve triste, du fleuve à l'eau de passé, de penser, avait eu José-Maria qui maria son enfant à l'enfant grave qui séria, sur la route, des vers d'hysope et d'or, de fièvre et d'anémone, des vers monotones, sur la route.
Lui, Joris-Karl, avait eu sa grosse âme tourmentée et débile, l'âme massive d'un matérialiste hésitant, l'âme nuancée d'un bedeau byzantin ou d'un ermite capripède : et c'était laid, la masse de son âme, c'était glaireux, ça avait des glandes et des goitres, on aurait cru des abcès d'intestins et des tumeurs, et des varices, toutes horreurs auxquelles Joris-Karl reconnaît bien son âme.
Lui, Maeterlinck, avait peuplé la forêt de fantômes qui bégayaient les bégaiements qu'il leur inspira, et qui le remerciaient et l'admiraient d'être un petit garçon taciturne et doux, de rêve monotone et humble, d'âme lourde et d'yeux lents.
Lui, Marcel Prévost, avait habilement enveloppé, pour les vendres, des injecteurs dans des feuillets de livres d'heures.
Et Jean Lorrain, avec ses cauchemars, « chand d'cauchemars » ; et J.-H. Rosny, avec son mastodonte et ses dissertations ; et même Montesquiou, avec sa feuille de Japon impérial, son culte pour Marceline, et ses semis, et ses amis, o mes amis ! Et ses chopines de Chopin, et ses chagrins, et ses calepins : enfin tous avaient eu des qualités, des dons, des noms, ou du moins le néant.
Mais lui, lui-même La Jeunesse, quel don pouvait-il reconnaître en sa jeune âme ? N'aurait-il donc que le don de la Couesdon ? Et ce n'est pas un don, dondaine, dondon ! Qui donne dans les lettres un beau nom, mon gros blond, le don que la Couesdon d'assonnancer et d'assommer, d'allitérer et d'oblitérer et de s'alliter. Et l'ennui dans la nuit d'Ernest augmentait, tè, tè, tè ! De sentir qu'il serait Celui qui, pas Montesquieu, mais Montesquiou, allitère, allitère sans critère et altère la littérature, et que ce serait monotonement la même esthétique et la même éthique – étiques.
Pourtant, si tous les jeunes sont désormais de la littérature, pourquoi de sa nature n'en serait-il pas, étant La Jeunesse ? Il songea dans la nuit, dans l'ennui, à quel sage et pédant conseiller, en pédalant, loin du Sâr Péladan, il pourrait aller demander conseil. Oh ! À celui-là Ernest dédierait sans se dédire deux chefs-d'oeuvre plutôt qu'un.
Et Ernest La Jeunesse s'approcha de sa fenêtre pour voir si une auréole d'aurore ne flamboyait pas à l'horizon et ,'annonçait pas la fin de la nuit et des ennuis pour son âme. Or, un fantôme passa sur les toîts. Ce fantôme ressemblait à l' « homme aux poupées » de Jean Veber. Il avait un air d'enfant de choeur lugubre, funéraire, et paraissait n'avoir jamais conduit que des funérailles. Un jeu de massacre le suivait, cortège farouche dans lequel on reconnaissait précisément tout la jeunesse écrivassière d'aujourd'hui. Ils étaient bien cent quarante-et-un, sans compter les J.-H. Rosny et leur mastodonte, à le maudire et le poursuivre, ce fantôme. Et le fantôme était content. Enfin, se disait-il, j'aurai été aussi hué que M. Brunetière, mon maître, le Maître. Quel beau sabbat, dont s'occupera, par force et pour ma gloire, la ville endormie. Ah ! La gloire par la haine !
Ernest de sa fenêtre appela le fantôme qui se détourna vers le regard d'un jeune, d'un jeune qui ne le maudissait pas et l'admirait peut-être, de sa fenêtre.
- Fantôme, fantôme, c'est donc toute la littérature qui vous poursuit ainsi farouche, louche, au cent quarante-et-une bouches farouches ? Car je vois Rémy de Gourmont, un Rémy, my, my, qui n'est pas votre ami.
Le fantôme regarda dans le vague, s'allongea comme un chat maigre et pègre du toit voisin jusqu'au rebord de la fenêtre, plia du geste de René Doumic le haut de son être en deux, enfonça les épaules entre ses bras tendus en longues pattes qui griffent, et dit :
Comment vous appelez-vous, mon garçon ?
Je m'appelle Ernest La Jeunesse.
Encore la jeunesse !... Je ne suis pas pour l'interview : je laisse ça à Zola, mais on ne refuse pas de répondre à La Jeunesse, pour la questionner ensuite, et s'apercevoir de tout ce qu'elle n'a pas appris à l'Ecole normale, et le lui dire. Eh ! Bien, non, ce n'est pas la littérature qui me poursuit, mon garçon. De littérature, il n'y en a pas. Nous sommes en bas, dans les fourrés de rédaction, quelques-uns dont M. Gaston Deschamps est le moindre, apostés avec des dictionnaores, des grammaires, des pavés de revues et des lacets ou collets de journaux, pour empêcher qu'elle passe et faire qu'elle trépasse. Je sais bien un chemin creux qui mêne tout droit à l'Académie, et par où passe un peu de littérature habile et médiocre. Mais ce chemin est encombré, et bien gardé par les médiocres. Non, mon garçon, il n'y a plus de littérature. Tout ceux-là qui crient là, derrière moi, j'ignore s'ils sont Belges ou Français, Wallons ou Provençaux, s'ils s'occupent d'industrie ou de commerce, d'agronomie ou de sériciculture ; en tout cas, jamais les personnes lettrées ne les citent dans les salons, pas même dans nos salons académiques, pour gens de la littérature. Ils sont la fatuité dans l'impuissance ;
: je leur ai crié, et ils ont hurlé, et ils m'ont abominé. C'est tout ce que je voulais. Ah ! Mon garçon, la littérature ! Au nom de votre mère, au nom de vos futurs enfants, n'allez pas vous en mettre : ce serait trop maltourner. On y gagne une si vilaine âme !
Vous croyez, chat-fantôme ?
Je le sais.
Mais mon âme, je ne l'ai point déjà si belle, reprit Ernest. Si je faisait de la critique ? Car enfin je ne puis être La Jeunesse et ne pas être, comme toute la jeunesse entre vingt et soixante ans, malade de littérature ainsi qu'on l'est de pituite et d'arthrite.
Ah ! Bon, miaula le chat-fantôme qui minauda et grippeminauda : bon, si vous devez faire de la critique, et en faire sérieusement ! Vous m'en dirait tant ! Je craignais que vous n'alliez encore vous abandonner aux vains enthousiasmes de la jeunesse, aux projets romantiques et romanesques, aux hardiesses pas classiques, aux tentatives pas moyennes et pas normaliennes. Voyez-vous, il n'y a plus qu'une littérature possible, c'est de nier la littérature, de nier tout en tous, et le style, et l'inspiration, et la composition, et l'imagination, et la grammaire, dans Zola, dans Rosny, dans les jeunes, dans les vieux, dans Maeterlinck, dans tous. Soyons négatifs, faisons de la littérature négative. Nions, nions, et il ne restera que nous d'écrivains. Nous laisserons une petite place à Brunetière, à Rodenbach du Figaro, et à quelques autres qui peuvent arriver.
Ça me va, dit Ernest.
Il ne faut pas nous dissimuler, dit le chat, - et je vous parle comme à un fin compère, - que notre critique sera pire encore que la critique subjective ou objective, impressionniste ou dogmatique, blaguologique ou autoritaire : je laisse de côté la critique qui n'est rien du tout, d'un Faguet et de tels autres sous-Linthilhac. Elle sera pire que la critique apocalyptique.
Oui, dit Ernest, je comprends : ce sera la critique rosse.
Oui, dit le chat, mais la rosserie est le commencement de la gloire.
Oui, dit Ernest, j'aurai une âme rosse, je ferai de la critique rosse, et je susciterai pour d'autres dont la gloire me gêne, dans leurs nuits, des ennuis en leurs âmes.

La Verdure

N. B. Mon ami La Verdure m'a demandé de faire accepter par nos camarades de La Critique cette plaisante charge d'une manière fort piquante que j'ai, en toute sincérité, beaucoup admirée dans le livre récent de M. La Jeunesse, Les Nuits, les Ennuis et les Ames de nos plus notoires contemporains, se trouve être d'une si incontestable valeur (pénétration profonde, ironie avisée et légère, sentiment très juste des ridicules vanités ; il y a tout cela et plus), et l'auteur s'y montre d'une si vraie intelligence, qu'il m'a semblé que mon ami La Verdure pouvait, - hélas ! Avec combien moins de talents ! - en agir à l'égard de M. La Jeunesse, comme M. La Jeunesse lui-même en a agi à l'égard de son maître Anatole France.


Victor Charbonnel.


La Jeunesse sur Livrenblog : Faut-il lire Ernest La Jeunesse ? Ernest La Jeunesse préface au Forçat honoraire, roman immoral. Ernest La Jeunesse : Le Roi Bombance de Marinetti. Ernest La Jeunesse célèbre Fanny Zaessinger. Ernest La Jeunesse par Léon Blum. Bibliographie. Ernest La Jeunesse - Oscar Wilde à Paris. Les "Tu m'as lu !" Ernest La Jeunesse dessinateur 1ère partie. Les "Tu m'as lu !" (suite) Ernest La Jeunesse dessinateur. Ernest La Jeunesse - La Foire aux croutes 1ère partie. Ernest La Jeunesse - La Foire aux croutes suite. L'Omnibus de Corinthe. Jossot. André Ibels. Ernest La Jeunesse : 22 dessins originaux.

Une nouvelle liste d'Autographes de William Théry





Pas de vacances pour les libraires ?


Quelques-uns des documents en vente dans la liste d'autographes d'août 2009 de William Théry :


1 carte postale de Blaise Cendrars à l'éditeur Henri Jonquières à propos de la revue Dialogue

1 portrait au crayon de Gabriele d'Annunzio par Tabor.

1 lettre de Georges Auriol, il y est question d'Albert Tinchant, Henri Rivière, Alphonse Allais

1 lettre de Jean Cassou à Maurice Sachs

1 lettre d'Edmond de Goncourt à propos d'art japonais.

1 lettre d'Henri Guilbeaux, à en-tête de l'Assiette au Beurre dont il est le rédacteur en chef depuis 1912, il propose un livre à un éditeur, avec des gravures par "un jeune artiste", Franz Mazereel.

1 carte postale (1896) de Gustave Kahn à Léo d'Orfer.

1 lettre de Lamennais au jeune Victor Hugo (1824)

1 lettre de Pierre Loti

1 lettre de Montherlant à Edouard Champion sur ses relations avec François Mauriac.

1 lettre de Francis Poictevin, il demande à son correspondant, "rare poète", de lui donner son avis sur Songes, s'inquiète de ce que Mallarmé pense de son livre.

1 lettre, émouvante, de Rachilde (1948). Elle est "prisonnière" du Mercure de France, "j'ai 88 ans et suis devenue si faible physiquement que je ne peux plus descendre mes trois étages"

1 carte de Jules Renard (1894), à Ernest Raynaud à propos de son mariage.

1 minute autographe signée d'une lettre de Laurent Tailhade à Maurice Maeterlinck. "Vingt ans et plus se sont écoulés sans que m’ayez jamais favorisé d’un ouvrage de votre main. Théâtre, philosophie, essais de toute sorte depuis l'article de Mirbeau ne m'ont été donnés par vous. Il n'est pas de petites économies".


LIBRAIRIE WILLIAM THÉRY
1 bis, place du Donjon
28800 - Alluyes
Tél. 02 37 47 35 63 (répondeur)
e.mail : williamthery@wanadoo.fr

lundi 27 juillet 2009

L'OEIL BLEU, réveille les morts



L'Oeil Bleu, revue de littérature XIXe - XXe
Juillet 2009


L'Oeil bleu, continue avec passion son exploration des littératures et littérateurs oubliés, voici le menu de ce mois de juillet :

Gustave Lerouge, les revues et journaux auquels il collabora, les réunions qu'il fréquenta, les amis qu'on lui connait, rien de ce qui concerne Lerouge n'est indifférent aux rédacteurs de la revue L'Oeil Bleu. Henri Bordillon à pour ce numéro, retrouvé un passage manquant dans les différentes éditions de L'Espionne du Grand Lama. Adolphe Gensse, fut un ami de Lerouge, il fréquenta le Procope, écrivit des pièces en collaboration avec... Lerouge, et dirigea la Revue d'un Passant, où il donna des poèmes (on trouve un choix de ces poèmes à la suite de l'article ainsi qu'une nouvelle, L'Expiation), Nicolas Leroux établi les grandes lignes de sa biographie et recense ses diverses collaborations.

Ses recherches sur Gustave Lerouge ne font pas oublier à Henri Bordillon sa passion pour Alfred Jarry. Il redonne, une lettre de 1906 à Rachilde, jusque là inédite, publiée dans le catalogue Jarry, autour d'un testament, des Archives départementale de la Mayenne. Cette lettre permet de connaitre un peu mieux le sentiment de Jarry sur l'affaire Dreyfus, on y découvre un Jarry, dans ses derniers mois, antisémite et antirépublicain. Henri Bordillon termine son article en écrivant que l' "on doit redouter de nouvelles découvertes" sur l'évolution de Jarry dans les mois précédant sa mort. A n'en pas douter, cet article suscitera des réactions.

Des Soirées de La Plume, à celles du Procope, de ses collaborations à La Presse, au Courrier Français, à Plaisance-Montparnasse ou au Rire, c'est une grande partie de l'oeuvre de Jean Dayros que recense Paul Schneebeli, nous y retiendrons pour notre part le poème de L'Huitre (Etre une huitre ! / N'avoir pour régler sa conduite / Que le souci léger du flux et du reflux ! / Ah ! Parmi les varechs où foisonnent les huitres, / Etre une huite de plus), ainsi que quelques titres de poèmes que n'aurait pas reniés Laurent Tailhade, notamment la Ballade équipollente pour exalter l'intime clysothérapie.

Nicolas Leroux nous révèle une conférence faite par Alfred Caubel à Montréal. Caubel dont on connait l'éxistence de bohème par... Gustave Lerouge (décidemment) et Lucien Aressy qui en trace tout deux un portrait l'un dans le Quartier latin, l'autre dans La Dernière Bohème. Ce Caubel "de la Ville Ingant" simple préparateur au Muséum d'Histoire naturelle, se fit passer au Canada pour un éminent physicien et chimiste, ayant travaillé avec Becquerel sur la radio-activité et devant un parterre de professeurs et de personnalités il donna à l'université Laval une conférence sur le radium.... Lemice-Terrieux n'aurait pas fait mieux.

La revue Le Procope (1893-1898) fait l'objet de la bibliographie de ce numéro.

Pour s'abonner : L'Oeil Bleu, 59, rue de la Chine, 75020 Paris. associationoeilbleu@yahoo.fr

Bon de commande

L'Oeil Bleu N° 8.
L'Oeil Bleu N° 7. Tellier Retté Jarry Le Rouge
L'Oeil Bleu N° 6 - L'Abbaye de Créteil - Gustave Le Rouge - Verlaine...
L'Oeil Bleu N° 5



UBU ROI par Martine et Papyrus.






La Critique, N° 37, 5 septembre 1896, un dialogue entre Papyrus et sa servante Martine. Martine est chargée de « compterendre » de la pièce d'Alfred Jarry, Ubu Roi, dont la première aura lieu le 10 décembre 1896 au Théâtre de L'Oeuvre.
Papyrus pourrait bien être Emile Straus, si l'on en croit un article de Will Darville, Emile Couturier, dessinateur, paru dans La Critique, N° 40, 20 octobre 1896.


UBU ROI


MARTINE

Crottre !

PAPYRUS

O que voilà de joli, ma mie Martine.

MARTINE

Par ma bougie rose, je ne saisis pas !

PAPYRUS

Comment tu ne comprends pas Ubu Roi. Eh l'oie qui cosse !

MARTINE

Présente.

PAPYRUS

Vite compterendre ou passer par la casserole verte !

MARTINE

Hélas, mon bon monsieur, si je passe par la casserole verte qui ravaudera vos chausses littéraires ?

PAPYRUS

Tu ris, pendarde.

MARTINE

Ubu Roi : corne physique, nigedouille, Cotice, Pile, Bougrelas. Un point. Et cour'je en ma cuisine.

PAPYRUS

C'est abuser et je te vais débrutir.

MARTINE

Non assez chicoté, voici la chose en bref.
Vous connaissez Polichinelle. Quand j'étais petite, j'en étais férue à cause sa canaillerie. Eh donc Pére Ubu est un beau Polichinelle parturé tout rutilant de la Sorbonne à M. Alfred Jarry. C'est un sac à vices, une outre à vins, une poche à bile, un empereur romain de la décadence, idoine à toutes cacades, pillard, paillard, braillard, un goulaphre, capon, dorant ses chausses lorsqu'il s'en va-t'en-guerre sur son grand cheval à Phynances. A l'abri, vantard, glorieux comme un Panurge hors la tornade ; alors, tue, décervelle, bastonne, colle pains, figues d'oreille et vogue (sauf vot'respect) en pleine merdre.
Sa femelle Mère Ubu lui équipolle, pingre, chipie, bafreuse, chipeuse, c'est un couple formé à souhait pour le plaisir des mirettes, fripons fripés de fripouilles.
J'adore Polichinelle de quelque nom qu'il se nomme, rien de ce qui touche à Polichinelle ne m'indiffère, car il est toujours en notre tiroir quelque Polichinelle qui dort ; j'adore les triquades écaillant les faces patibulaires, les cornes du gibet où se balance le gendarme. Los au vice triomphant et vive Kasperl, Hanswurst, Punch, Judy, Kara-Keuz, Gnafron, Gringalet, Père et Mère Ubu ! C'est l'intauration du Guignol Littéraire, ce Théâtre des Phynances, point encore exégié aux côtes du divin Anatole (1), mais que d'humains pantins vont cet hyems mettre en oeuvre. Alors la galerie à rires claires se dégargouillera la rate et se lénifiera le mésentère, car en réalité, c'est à larmoyer en ses cotillons. Ah le plaisant spectacle forain que nous voilà !
Jour de Dieu, quelle fricassée en ces batailles où marionnettes saccadées par métaphysiques ficelles du dirigateur aiguisé Maître Alfred Jarry se jugulent et s'étripatouillent. Il n'est donc nul don Quixote de critique pour férir à grands coups de colichemarde ces opprimeurs d'innocence ? Mais le tagique de ce Shakespeare à la mie de pain ne fait pas se lamenter. Ces petites puppes, même agonisantes, ont yeux d'émail figés en leur tête ligneuse : c'est du son et non du sang qui fuse généreux de leurs affutiaux russes, borusses et polaques ; leurs sabres et leurs héroïsmes sont de fer-blanc et leurs canons pètent des pois secs.

PAPYRUS

Le fond Martine, le fond ?

MARTINE

Mais Père Ubu représente l'humanité moyenne. Plus tard amendé, il fera un très potable bourgeois, ira à la messe et sera réactionnaire. Il est honnêtement canaille avec une âme de porc, mais de porc bon vivant et facétieux. Du reste dans toute la pièce les sentiments délicats ne sont qu'esquissés. M. Alfred Jarry semble se plutôt délecter en les peintures du grotesque et de l'horrible. Ses personnages sont une série de gargouilles moyenâgeuses qui glougloutent des injures salées. Rarement s'y rencontre une tête d'angelot. Peut-être le conducteur a-t-il la vue courte en s'attachant plus aux vices qu'aux passions. D'un romantique exubérant dans des scènes antithétiques rigoureusement engrénées, les émotions fluentes d'un sujet tragico-hilare se produisent utilement. De même les bouffes ont le langage approprié ; il fleure, suivant les cas, la tripe ou le trône. Toute cette coction saupoudrée d'une pincée d'épices pipée au sac de l'apotheque Rabelais. Pour clore l'action cuit grand feu et arrive bouillante au dénouement d'un jet exécuté par un vigoureux effort.

PAPYRUS

C'est bien Martine. Touche là ma fille.

MARTINE

Je suis votre benoîte servante.

(1) Martine n'entend probablement pas désigner M. Anatole France (Note d. l. R.)


Alfred Jarry sur Livrenblog : L'Almanach du Père Ubu par Martine Le Surmâle d'Alfred Jarry par Martine et Papyrus. Alfred Jarry : Premières publications. Messaline : Jarry - Dumont - Casanova - Champsaur.

Théâtre des Pantins sur Livrenblog : "Vive la France !" Le Théâtre des Pantins censuré. Alfred Jarry et Le Théâtre des Pantins. Franc-Nohain et Claude Terrasse. Les Paralipomènes de Punch. E. Straus. A. Jarry.

Emile Straus, quelques documents. Emile Straus par Alcanter de Brahm.



dimanche 26 juillet 2009

Jean de TINAN : La Princesse des Ténèbres par Jean de CHILRA / RACHILDE



Dans sa réponse au docteur Chabaneix sur les rêves (voir Leurs Rêves : Remy de Gourmont, Rachilde.), Rachilde disait avoir parlé dans La Princesse des Ténèbres d'un loup qui hantait ses songes de petite fille de sept ans, un loup à trois pattes, plein de sang... La Princesse des Ténèbres, l'un des deux romans signés du pseudonyme de Jean de Chilra, un roman où Rachilde, qui chroniqua son propre ouvrage dans le Mercure de France, reprochait à l'auteur de laisser le rêve « empiéter sur la réalité», le cerveau « dévorer la chair ».

Christian Soulignac (encore un pseudo) dans les Curiosités rachildiennes de son blog Fornax, nous présente les différentes éditions de La Princesse des Ténèbres et de l'Heure Sexuelle, l'autre roman signé Jean de Chilra, il y donne la courte chronique que Rachilde consacra à l'oeuvre de son double (ou triple, Rachilde étant le pseudonyme de Marguerite Eymery), on lira avec profit cet article érudit, prélude à une complète bibliographie.

Pour compléter le billet « Chabaneix » et le billet de Christian Soulignac, je donne aujourd'hui la chronique que Jean de Tinan consacra à La Princesse des Ténèbres dans L'Ermitage, n° 7 de juillet 1896. On verra que Jean de Chilra ne devait être un mystère pour personne, Tinan n'hésitant pas à révéler dès les premières lignes le nom de Rachilde caché derrière ce pseudonyme à renversement. On regrettera que l'étude sur les écrivains « à imagination morbide », promise par Tinan, ne soit pas parue...

La Princesse des Ténèbres, par Jean de Chilra (Calmann-Lévy)


C'est sous le pseudonyme de Jean de Chilra – pseudonyme à renversement – que Mme Rachilde vient de publier son dernier roman.
Je ne crois pas que, depuis des années, ont ait aussi nettement, aussi passionnément posé cette question du Rêve et de la Réalité à laquelle on ne saurait, vraiment contester une suffisante actualité.
Madeleine, entre ce bon docteur Sellier et le beau cauchemar du Chasseur au chien muet... c'est l'éternelle lutte. La seule – en somme – puisque les autres nous importent si peu !... Et ce n'est pas en quelques lignes de bibliographie que j'entreprendrai de traiter un sujet aussi... compliqué.
Je voudrais, cet été, dans l'Ermitage, examiner un peu de quelle façon les écrivains que j'appellerai – (si je ne trouve pas un mot plus juste d'ici là) - « à imagination morbide » ont essayé, selon des tempéraments qui sont, pour rééditer un mot de Hamerton sur Baudelaire, «the poetical organization with all its worst inconvenience», de créer une image poignante de la vie.
Parmi les écrivains d'aujourd'hui, auprès de M. Marcel Schwob et de M. Jean Lorrain, Mme Rachilde est certainement au tout premier rang de ces écrivains-là, et j'aurais l'occasion de dire de son talent tout le bien et tout le mal que j'en pense. Ce que je puis déjà dire aujourd'hui, c'est combien, dans la Princesse des Ténèbres, j'ai trouvé, en leur belle plénitude, les qualités d'expression, de lyrisme et de style, les qualités mêlées de probe écrivain naturaliste et de souple écrivain symboliste – (il faut réunir les deux décidément !) - qui me font tant aimer l'écriture de l'auteur de l'un des plus beaux poèmes de ces dernières années : Les vendanges de Sodome.


Jean de Tinan

Jean de Tinan sur Livrenblog : Une photo de Mina Schrader, esthéte et anarchiste. Jean de Tinan, Willy, petite revue de presse. Willy, Tinan, Rosny. L'Exemple de Ninon de Lenclos Amoureuse par Paul-Louis Garnier. Jean de Tinan par Paul-Louis Garnier.

Rachilde sur Livrenblog : Rachilde et le vin de coca. Visite aérienne à Rachilde. Camille Lemonnier, Lautréamont, Rachilde. Leurs Rêves : Remy de Gourmont, Rachilde.

vendredi 24 juillet 2009

WILLY, TINAN, ROSNY



WILLY fait son miel de tout



Dans La Critique (1) N° 38, 20 septembre 1896, Willy est prit d'une flemme estivale lors de la rédaction du compte-rendu des Profondeurs de Kyamo de J.-H. Rosny, heureusement son ami Jean de Tinan (dont il ne cite pas le nom), en villégiature à Jumiège, vient de lire le livre et de lui en faire le compte-rendu dans sa correspondance. Willy, fidèle à sa réputation, n'hésite pas à emprunter quelques lignes de Tinan, pour étoffer son article. Les « petites revues » devaient avoir un lectorat très au courant des nouveautés littéraires pour s'y retrouver dans les allusions de Willy : La lettre longue à la Bien-Aimée... n'était connue que des quelques lecteurs de la revue Le Centaure, Tinan lui-même n'est encore que l'auteur de Document sur l'impuissance d'aimer (L'Art Indépendant, 1894) et Erythrée (Mercure de France, 1896), deux ouvrages qui ne connurent pas une grande diffusion et de quelques articles dans l'Idée Libre, Pan ou le Mercure de France. La silhouette de dandy de Jean-aux-impeccables-redingotes-1830 n'était alors connue que d'un cercle d'amis, c'est à ceux-là que s'adresse l'article de Willy, comme la plupart des articles publiés dans La Critique.

(1) Voir : La Critique. Une enquête sur le droit à la critique. 1896.


(1) Les Profondeurs de Kyamo (2)


Hier, comme je relisais, pour la dixième fois, l'humoristique nouvelle végétarienne que l'auteur des Profondeurs de Kyamo daigna – pourquoi ? - dédier à l'Ouvreuse du Cirque d'Eté, quelque amertume s'éleva des voluptés qui m'inondaient, et, dans les fleurs même... (Lucrèce, que me veux-tu ?... Bref, je regrettais âcrement d'avoir à torcher pour La Critique un articulet où dire tout le bien que je pensais de l'oeuvre des Rosny [I] en général, et de leur dernier livre en particulier. C'est si embêtant de faire de la copie, en vacances (3) ; ainsi, tenez, je n'ai point encore parlé des Maîtres chanteurs [II], absolument remarquables, de Brinn'Gaubast ! Ah ! La flemme, l'invincible flemme !...
Par fortune l'humoriste si jeune encore, si talentueux déjà, à qui nous devons la fameuse Lettre longue à la bien-aimée [III] et qui nous doit Penses-tu réussir ? [IV] m'envoie de Jumièges [V], quelques feuillets d'une grâce désinvolte; me renseignant sur la fréquence des orages dans la Seine-Inférieure, sur l'Eros-série de quelques ruminantes du pâturage d'Harcourt [VI] avec lesquelles il daigne correspondre, sur ses dernières lectures ; parmi celles-ci, les Profondeurs de Kyamo. Mince de veine ! Donc, je copie ce passage de sa lettre :
« Ni l'Art d'aimer où la gracieuse insolence de Catulle Mendès conseille tous les précieux mensonges, ni la grave Erotique traditionnelle de Joséphin Péladan, ni les sages réflexions de Démétrios de Sais devant l'Aphrodite fleurie des vraies perles de l'Anadyomène... ne ressemblent au « Livre d'Amour » que l'on pourrait conclure de l'oeuvre de MM. Rosny, et aujourd'hui de ce livre Les Profondeurs de Kyamo, qui résume fort bien les autres.
Dans la préface de Daniel Valgraive, MM. Rosny écrivaient à peu près ceci : « ... une morale non pas nouvelle, mais portée à une nouvelle puissance... », il me semble qu'ils ont assez bien réalisé ce programme. La morale du sacrifice, dégagée des mesquineries catholiques qui en font un ridicule marchandage, s'est élargie en le souci d'une universelle justice – ils ont fait agir une « vertu » qui ne serait ni hypocrite ni ennuyeuse, et si, pour ma part, je conçois plus facilement l'évolution de l'humanité par une élite appuyée sur l'instinct, je suis cependant séduit par la noblesse de cette solidarité de bonté dont MM. Rosny se plaisent, - avec quelle poésie puissante ! - à vouloir trouver déjà le germe dans les crânes de nos aïeux chasseurs... » [VII]
Dommage, n'est-ce-pas, que Jean-aux-impeccables-redingotes-1830 ne m'écrive pas plus souvent !


Willy


(1) Réflexions sans profondeurs sur...
(2) Plon, éditeur.
(3) Quand on n'est pas en vacances, ca n'est pas bien amusant non plus.



[I] J.-H. Rosny sur Livrenblog : J.-H. Rosny Revue Otrante. Vamireh, roman des temps préhistoriques de J. H. Rosny par Jules Renard. Biribi de Georges Darien par G. Albert Aurier et Rosny. Le Termite, roman de moeurs littéraire. Léon Bloy « catholique à la grosse tête » par J.-H. Rosny, "Catholique à la grosse tête" suite. A. France : Rosny/Myron vu par Rosny/Servaise. Des Pommes, des poires ? Alphonse Daudet psychologue. Rosny (J.-H.) : Les Ames perdues : Anarchie Fin de siècle.


[II] Wagner (Richard) : La Tétralogie de l'Anneau de Nibelung. Publiée par Louis-Pilate de Brinn'Gaubast et Edmond Barthélemy. E. Dentu, 1894. Long avant-propos, traduction et annotation philologique par Louis-Pilate de Brinn'Gaubast. Etude critique et commentaire musicographique d'Edmond Barthélemy. Ce livre a fait l'objet d'un article, par Georges Bans, dans le numéro précédent (N° 37 5 septembre 1896) de La Critique.


[III] Jean de Tinan : Lettre longue à la Bien-Aimée pour lui expliquer que cela n'a pas d'importance. Le Centaure, volume 1, mai 1896.

[IV] Penses-tu réussir ! de Jean de Tinan, paraîtra fin avril 1897, le texte en était connu par un cercle d'amis, voir l'article de Rachilde dans le Mercure de France daté de janvier 1897 (Jean de Tinan, Willy, petite revue de presse.). Toutefois à la date de l'article de Willy, Penses-tu réussir ! n'est pas encore fini, en effet en novembre 1896, Pierre Louÿs et Jean de Tinan signent un contrat où Tinan s'engage à terminer son roman dans les 60 jours (Cf. Jean-Paul Goujon : Jean de Tinan. Plon, 1990. pages 258/259).

[V] Jean de Tinan séjourne régulièrement à Jumiège, chez sa tante, où il retrouve sa famille et le grand parc de l'ancienne abbaye.

[VI] Le café d'Harcourt, qui avec la Taverne du Panthéon est un des quartiers généraux de Tinan et de ses amis, Lebey, Louÿs et Henri Albert. Il y donne ses rendez-vous littéraires et féminins.

[VII] « Dans une Afrique qui fait encore figure de "continent mystérieux" et dans une forêt inexplorée, Alglave, courageux savant et découvreur solitaire, fait la rencontre d'un peuple d'anthropoïdes connu jusqu'alors uniquement par ouï-dire. » Philippe Clermont : Science darwiniste et fiction spéculative : L'exemple de J.-H. Rosny aîné. (voir : l'analyse des Profondeurs de Kyamo, texte en ligne sur le site de la revue Alliage)

Jean de Tinan dans Livrenblog : Le Centaure Vol. II. Une photo de Mina Schrader, esthéte et anarchiste. Jean de Tinan, Willy, petite revue de presse. Jean de Tinan : La Princesse des Ténèbres par Jean de Chilra / Rachilde. L'Exemple de Ninon de Lenclos Amoureuse par Paul-Louis Garnier. Jean de Tinan par Paul-Louis Garnier.




jeudi 23 juillet 2009

Leurs Rêves : Remy de Gourmont, Rachilde.



Le docteur Paul Chabaneix (1) pour son étude sur le subconscient a interrogé de nombreux écrivains et artistes (2), voici les réponses de Rachilde et Remy de Gourmont à son enquête sur les « phénomènes de subconscience nocturne qu'ils auraient pu présenter ». On y trouvera une Rachilde fortement imprégnée par ses rêves, n'hésitant pas à les relater et a admettre leur influence sur son oeuvre. Gourmont, se montre plus circonspect sur la part prise par le subconscient dans la création littéraire.

« tous mes livres sont d'abord vus en rêve... »

Rachilde :


« Mes rêves les plus agréables étaient de me baigner dans des eaux tièdes et transparentes, et de voler à la surface d'un lac, d'une rivière extrêmement limpide, bordée de cascades superbes et de rivages fleuris. Dans presque tous mes songes, une étonnante sensation d'orgueil règne comme dans les extensions du moi du haschich. (J'ai pris du haschich de l'opium, de l'éther et de la morphine, mais à titre d'essais simplement, je n'ai jamais eut le goût de ces différents paradis artificiels parce que mes rêves, à l'état normal, m'ont toujours paru supérieurs, comme intensité à toutes les autres surexcitations cérébrales). » (pages 43/44)

« Presque tous mes rêves persistent après mon réveil. Ma vie normale en est encombrée. Je puis même dire que ma vie est double. Etant jeune fille, ils avaient une telle intensité que je me demandais souvent si je n'existais pas sous deux formes : une personnalité vivante et ma personnalité rêvante. Parfois je me trompais. Je m'imaginais que la vie véritable était mes songes. Je rêvais toujours de choses violentes : guerres, combats entre des bêtes merveilleuses et des hommes géants. Je prenais l'habitude de les voir et je finissais par ne plus en avoir peur. Je m'y faisais peu à peu, comme on se fait à un livre de contes fantastiques que l'on relit, et souvent le rêve inachevé, je le terminais moi-même tout éveillée, ce qui m'a donné aussi l'habitude de me raconter des histoires, de composer des romans. Je me mis à écrire à l'âge de douze ans et je pris ainsi, sans presque m'en douter, le chemin de la littérature.
« A l'heure actuelle, je rêve toujours, mais depuis mon mariage, mes songes sont devenus plus confus. Ils tournent tout de suite à la littérature pure et simple et j'ai alors la sensation de feuilleter un livre sur lequel je lis ce qui arrive. Il est vrai que je lis énormément et que beaucoup de mes nuits se passent en lecture. Je finis par tout confondre. Mais si j'ai perdu en intensité une partie de ma double vie, j'y ai gagné des méthodes. Je peux rêver à ce que je veux et continuer le rêve commencé... comme un feuilleton dont on attend la suite. Pour rêver que je suis dans un très beau jardin, avec de l'eau et des fleurs, il me suffit de regarder, avant de m'endormir, le bouchon de cristal bleu taillé à facettes d'un flacon qui est sur ma table de chevet ou de toucher une étoffe de soie verte. Cela me réussit presque toujours. » (page 49)

« A part quelques-uns, tous mes livres sont d'abord vus en rêve..., et très souvent quand j'ajoute des chapitres de ma propre autorité, ce n'est pas ce qu'il y a de mieux dans l'oeuvre ! » (page 57)

« Je me souviens très distinctement d'un de mes premiers rêves d'enfant qui fut une espèce d'hallucination fiévreuses et qui dut influencer très cruellement sur mon cerveau. J'avais sept ans et une nuit je me réveillai en poussant des cris terribles parce que j'avais vu une horrible femme conduisant un loup à trois pattes. Le songe se poursuivit malgré mon réveil. Je devais voir ce loup blessé perdant une grande quantité de sang sur mes draps, et depuis, durant ma petite enfance, je revis très souvent ce loup dont une patte était coupée et pendait lamentablement toute rouge. Le vieille femme ouvrait et refermait les bras en me regardant et elle excitait le loup à se jeter sur moi. J'ai parlé de ce loup dans « La Princesse des ténèbres » et je n'ai qu'à concentrer un peu mon attention sous mes paupières closes pour le revoir très en détail. » (pages 78/79)


Un Purgatoire jaune orangé.

Remy de Gourmont :

« A dix-sept ans, j'eus un rêve : une vision du Purgatoire où je crois que la lecture de Dante était pour beaucoup ; la teinte générale était jaune orangé. J'avais la sensation d'y être moi-même pour un temps infiniment long ; j'étais consterné. » (page 48)

« Il m'est arrivé une fois ceci : écrivant un conte, qui avait pour sujet un suicide à échéance fixe, un matin, déjà habillé et m'asseyant à ma table de travail, j'eus une seconde d'angoisse et je supputai que je n'avais plus que trois ou quatre semaine à vivre. L'angoisse fut courte, mais réelle. J'avais, sans doute, rêvé à mon conte et le rêve se continuait au réveil. » (page 52)

« Il m'arrive même, dit-il, de ne pouvoir distinguer le rêve de la réalité, de confondre, par exemple, ce qu'un ami m'a dit la veille et ce que j'ai rêvé la nuit. Je suppose que mon esprit est ainsi plein de fausses notions qui, au bout d'un certain temps, sont dans ma mémoire, sur le même plan que les faits exacts. » (page 59)

« Il m'est impossible de dire si je dois au rêve ou à la veille les idées de romans, poèmes, contes, puisque la raison raisonnante n'intervient qu'après coup pour ordonner des conceptions d'abord inconscientes et qui ont surgi sur le plan de la conscience absolument comme un éclair ou un vol d'oiseau. » (page 104)


(1) Le Subconscient chez Les Artistes, les Savants et les Écrivains. Par le Docteur Paul Chabaneix médecin de la marine. Préface de M. le Docteur Régis, chargé du cours des maladies mentales à la Faculté de médecine de Bordeaux. Paris, J.-B. Baillière & Fils, Éditeurs, 1897.
(2) 43 réponse reçues, « nous avons enregistré 11 absolument négatives. Elles émanent de 6 médecins, de 2 peintres, de 1 musicien, de 1 poète et de 1 romancier. Cette observation, par elle-même, n'a évidemment aucune valeur, mais elle en acquiert une notable si l'on sait que nous avons eu en tout 8 réponses de médecins, tandis que 35 autres proviennent soit d'artistes, soit de littérateurs » (Introduction).




mercredi 22 juillet 2009

Coup de Filet par Les Veber's


Après la série d'attentats anarchistes commencée en 1892 avec Ravachol, et plus particulièrement après la bombe lancée par Auguste Vaillant à la chambre des députés qu'est soumis par Casimir-Périer la première des lois, dites « scélérates » (12 décembre 1893), d'autres suivront. Il s'agissait pour le pouvoir, dans l'urgence, de punir l'apologie des attentats, les lois suivantes, 18 décembre 1893, et 28 juillet 1894, permettent d'inculper les membres ou sympathisants des associations de malfaiteurs et d'interdire aux anarchistes toute propagande. Des arrestations en masse ont alors lieu, de nombreux militants sont arrêtés, parmi eux des écrivains, soupçonnés de sympathies avec le mouvement (voir le Procès des Trente, 6 aoùt 1894).
Ces perquisitions chez les écrivains, dans les journaux, ont inspirés aux frères Veber, Le Coup de filet, publié dans leur recueil Les Veber's en 1895. Simple pochade, ou dénonciation de la bêtise, Le Coup de filet, à lieu dans les milieux les moins soupçonnables de sympathies anarchistes : la Revue des Deux Mondes de Ferdinand Brunetière, chez l'Oncle Sarcey, Willy, Jules Simon ou Heredia. Au Moulin-Rouge, les fins limiers croqués par Pierre et Jean Veber vont même jusqu'à arrêter le Pétomane !

Les Veber's
Coup de Filet


Avec une vigilance au-dessous de tout éloge, la police parisienne continue ses perquisitions chez les anarchistes : il n'est bruit que des descentes opérées tout récemment au domicile de quelques compagnons impliqués dans les dernières affaires. Nous avons pu nous procurer les détails de cette expédition.
Donc hier, à dix heures du matin, MM. Poète, Aragon et Rolly de Balnègre, commissaires de police, assistés de M. Girard, l'intrépide Vide-Marmite, et suivis d'une escorte d'agents hambourgeois, se mettaient en marche.

Ils arrivaient bientôt rue de l'Université, sonnaient à la porte de la Revue des Deux Mondes, le brûlot révolutionnaire, et entraient avec effraction dans le domicile du rédacteur en chef, le compagnon Brunetière, dit La Syntaxe.
Quoi qu'il fit grand jour, le compagnon Brunetière était encore au lit et travaillait rideaux tirés, à la lueur de la lampe. Il cacha vivement sous le lit un exemplaire de l'Histoire des variations et s'écria : « Encore bien même qu'une pareille intrusion semble, à juste titre et mises à part les raisons d'Etat attentatoire à l'autonomie de... » M. Aragon, qui était un peu pressé, ne le laissa pas achever sa phrase. Les agents découvrirent une correspondance importante avec une nihiliste de marque, Mme A. de N..., quelques brochures révolutionnaires, des articles contre l'armée et l'Etat signés Léon XIII (on ignore encore qui se cache derrière ce pseudonyme), et un projet de manifestation sur la tombe du compagnon Bossuet.


De là, les agents se rendirent chez notre confrère le compagnon Willy, dit l'Ouvreuse.
Willy vint ouvrir et, apercevant M. Rolly, s'écria : « C'est vous qui êtes Balnègre ? Eh bien, continuez ! On a saisi un commencement d'article : « Les violons sont infâmes... » Willy assura qu'il ne s'agissait pas des prisons, mais du concert Colonne. A ce moment, une violente explosion d'hilarité jetait tout le monde à terre ; quelques agents, ayant ouvert par mégarde un ballot de livres où se trouvait le dernier opuscule de Willy, se tordait sur le sol, en se tenant les côtes. M. Aragon dit : « Je dois vous garder à ma disposition. - A la disposition de Usted ! » réplique Willy.


Rue de Douai, chez le compagnon Sarcey, plus connu dans les bals musettes sous le sobriquet de Mon Oncle. La Terreur du Répertoire était en train de prendre son tub ; l'eau ruisselait sur ses formes robustes.
« Qu'on le fouille ! » s'écria M. Poète. Le compagnon François, dit Francisque, se laissa fouiller ; toute fois, il protesta : « Mes enfants, votre descente de Police est très mal mise en scène ; de mon temps, à l'Ambigu, c'était mieux réglé. Vous devriez entrer par le côté jardin, vous cacher dans ces armoires, où, selon les conventions, je vous aurais découverts successivement. » On saisi des brochures sur les explosifs, intitulées l'Art des préparations. Gare à vos yeux ! Des ouvrages de propagande : Comment je devins anarchiste, des étuis à lorgnette et un buste d'About, que M. Girard a transportés dans sa voiture spéciale, enfin des papiers concernant Gandillot, actuellement en fuite.

Les magistrats se rendaient ensuite chez le compagnon Jules Simon, dit Petit-Suisse. Il essaya de simuler l'irresponsabilité ; il se décida à avouer lorsque l'on eut découvert un livre intitulé Cuisinière bourgeoise, où se trouvent des maximes comme celle-ci : « Cuisez à petit feux et faites sauter les gros légumes... »
D'autres pièces à conviction saisies chez Petit-Suisse... ne laissèrent pas de doute sur l'existence d'un grand complot académicide ourdi par les partisans d'Eugène Manuel. On ne sait pas encore quand il devait être mis à exécution. Simon prétend qu'une cafetière à renversement, destinée à anéantir le parti des ducs, avait été placé sous le fauteuil de M. d'Audiffret-Pasquier ; le Taciturne n'échappa à la mort que grâce à la vigilance de M. Pingard, qui enleva l'engin à temps. A la suite de cet attentat, l'Académie décréta que M. Thureau se séparerait de son nom Dangin, qui est tout un programme.



Alors M. Poète se rendit chez l'Idem de Heredia, dit Pain-d'Epice, que Simon dénonça comme recéleur d'armes prohibées. A la porte du nouvel académicien, une pancarte avec ces mots : Sonnet liminaire. M. Poète comprit que cela signifiait : Sonnez avant d'entrer. On surprit M. de Heredia en train de ciseler le pommeau d'une dague ; furent saisies des armes disparates : glaives romains, épées gauloises, kriss malais, hallebardes, poignards et jusqu'à des casques de pompier.

Continuant leurs investigations, les agents se sont rendus au Moulin-Rouge, où, après un court examen, M. Girard a saisi le Pétomane et l'a fait transporter, avec mille précautions, jusqu'au laboratoire. Là, il sera dévissé, afin que l'on sache ce qu'il contient. Serait-ce encore une fumisterie de mauvais plaisants ?


Je ne cite que pour mémoire une petite pereloyson opérée chez le P. Quisition...
Non, je veux dire une perquisition opérée chez le P. Loyson. En même temps, des agents arrêtaient un jeune anarchiste extrêmement audacieux, que l'on trouva nanti de pois fulminants, amorces et pétards. Un bonheur n'arrive jamais seul. Aussitôt après, ils mettaient la main sur un autre compagnon qui tentait de s'enfuir en voiture. Malgré une vive résistance, il fut appréhendé et conduit au Dépôt.



Enfin, l'agent Emplumé saisissait, après une poursuite acharnée qui dura plusieurs minutes, le compagnon Tronc, cul-de-jatte des plus dangereux, qui faisait courir toute la police depuis plusieurs semaines. La facilité dont il jouissait de prendre ses jambes à son cou rendait son arrestation très difficile ; lorsqu'il court ventre à terre, il distance les meilleurs limiers.
Acculé, il dut se rendre.

Dernière heure. - On vient de perquisitionner chez les Veber's. L'attitude héroïque des intrépides compagnons a vivement surpris les agents chargés de les arrêter.
N. B. - Nous avons enfreint la loi sur la divulgation des opérations policières. N éanmmoins, nous espérons que M. Pourquery, qui n'est pas du bois dont on fait les serins, nous pardonnera pour cette fois-ci.


Les Veber's par Henri Gauthier-Villars [Willy], La Critique, N° 12, 20 août 1895. Repris en volume dans Henry Gauthier-Villars (Willy) : Quelques Livres, année 1895. Bibliothèque de La Critique. 1896.

Presqu'à chaque page de ce livre se silhouettent deux têtes dont un crayon à la fois railleur et tendre a traduit harmonieusement toute l'élégance impertinente, toute la mélancolie corrosive. Le lecteur se penche sur ces icônes et, à mesure que les pages se suivent – (sans se ressembler autrement que par leur incessante variété et leur excellence obstinée) – le bon lecteur qui contemple, éperdu, les yeux candides de Pierre, les doux yeux alanguis de Jean, se demande : « qui sont ces hommes (ou ces Dieux) qui m'apparaissent sous le masque des sourires les plus criminels, sous le leurre des vêtements les plus bizarres depuis la tunique de forçat jusqu'à la casaque de ministre ? Ici, ils saluent avec une grâce qu'eût enviée M. de Coislin, là, ils estourbissent avec la plus saine volupté, ils s'épandent, ils s'épanchent, ils se multiplient, partout présents, partout insaississables, promenant leur majesté double et une parmi eux les deux cents pages de cette épopée, suivis et précédés, détestés et aimés de la horde lourde, de la théorie éplorée de leurs sujets, de leurs victimes ? Qui sont-ils ? que croire ! que croire ! » Et le pauvre lecteur considère encore une fois les deux figures fatidiques, cependant que tout autour d'elles l'Empereur Guillaume savoure perfidement un calumet de paix, que M. Jules Lemaître s'éplore en une redingote navrée et que des agents écoutent, non sans une sollicitude familière, les confidences d'un anarchisme imprévu susurrées par les compagnons Brunetière, Willy, Jules Simon et José Maria de Héredia. Puis les images sont si délicieusement adéquates au texte que le lecteur renonce à ses soupirs, à sa curiosité, et se laisse charmer – tout simplement.
Répondons : Lecteur, ces hommes habiles à essaimer ainsi leur sourire et leurs grimaces sont des poètes et des philosophes qui savent voir la vie en sa nudité la plus pitoyable, l'étudier en ses tares les plus touchantes et la revêtir ensuite des fictions les plus charmeuses. Ce Pierre Veber est toujours le Pierre Veber qui dans le déjà légendaire Chasseur de chevelures, avait assumé le sacerdoce de « Déformateur du réel » au risque d'être poursuivi pour usurpation de fonctions publiques. Ce Jean Veber est toujours le poète des Contes de fées, le poète qui rêva la couverture des Mimes de Schwob, le poète qui prêta des traits définitifs à la fuyance ascétique et méditative du Paphnuce de Thaïs, et c'est aussi le symboliste qui nous offrit cette année, en des teintes horrifiques, l'horrifique cauchemar des culs de jatte dont la poursuite monstrueuse s'acharne sur un or éclaboussé de sang. Du jour où Pierre se pencha sur la vie du haut de sa fantaisie, du jour où Jean se pencha sur la vie de haut de ses rêves doucement étoffés, du jour où ils unirent contre la laideur de la vie leur plume et leur crayon, ils n'eurent pas besoin de s'engager par serment à écrire, à dessiner les pages les plus profondes et les plus jolies, les plus sagaces et les plus légères ; ce n'était pas la peine : le livre était fait. Ils n'eurent qu'à attendre nonchalamment le jour où devait paraître le feuilleton. Puis le jour où assez de feuilletons avaient paru pour que le volume fut un volume...
Mais pourquoi alourdir d'un commentaire ces portraits d'une si cruelle fidélité, ces exégèses si subtiles, ces paradoxes si aigus ? Laissons le lecteur goûter à son aise l'irrévérence du Conte de Noël qui termine le volume, laissons-le revenir à la narquoise et savoureuse préface qui l'ouvre...




mardi 21 juillet 2009

Hommage à Remy de GOURMONT



Un hommage à Remy de Gourmont de Charles-Théophile Féret, dans Les Couronnes. Editions des Belles-Lettres, 1922, in-12 carré, 90 pp. Tirage limité à 300 exemplaires numérotés. (page 25)

A Jean de Gourmont

« Par les ombres myrteux, je prendray mon repos. »
Ronsard

La mort nous entend vivre, et crois-tu que Rémy,
« Par les ombres myrteux » captif de Perséphone,
Oublie un clos pommeux où le menait Simone,
Et ne soit plus sensible à la voix d'un ami ?

Crois qu'il nous juge encore, et qu'il range parmi
Les maîtres ouvriers le vieux front sans couronne
Qui sue au pommeaux d'or d'où jaillit la Gorgone,
Car le manteau n'est pas son esclave à demi.

Dans l'émail champlevé, pour que Rémy l'accueille,
Tel du pommier normand j'ai copié la feuille,
Que je mêle, rugueuse, à ses lisses lauriers.

Et ton frère aimera sur ses tempes orphiques
Plus l'obscur ciseleur que les doigts marbriers
Qui signe lourdement les feuillages delphiques.



Sur Charles-Théophile Féret (1859-1928) voir :

Le site des Amateurs de Remy de Gourmont, Gourmont par Charles-Théophile Féret - Charles-Théophile Féret vue par...

SCRIPSI, n° 1, « Aux 3 satyres normands, Charles-Théophile Féret, Remy & Jean de Gourmont », Port-Bail, 9 octobre 2008 (tiré à 26 exemplaires lettrés de A à Z ; 7 exemplaires lettrés (à la main) avec une lettre du mot satyre en grec ; 7 exemplaires pirates ), 42 p.

Gourmont sur Livrenblog : Réponse à l'enquête de La Critique. Scripsi : Gourmont. Nigond. W. C. Morrow. et les autres (Bulletin N°0) SCRIPSI n° 1 Bulletin du site des Amateurs de Remy de Gourmont SCRIPSI n° 2 Bulletin du site des Amateurs de Remy de Gourmont SCRIPSI N° 3 se présente SCRIPSI N° 4-5. Remy de Gourmont : Dialogues oubliés - Remy de Gourmont occultiste ? . Francis Poictevin par Félix Fénéon et Remy de Gourmont . Mécislas Golberg contre Remy de Gourmont : Orthodoxie Symboliste. . La Force des choses de Paul Margueritte par Remy de Gourmont et Jules Renard. Leurs Rêves : Remy de Gourmont, Rachilde. Etc...



lundi 20 juillet 2009

La Critique. Une enquête sur le droit à la critique. 1896.




Dans le N° 24 de février 1896, commence dans la revue La Critique (1), une enquête sur le droit à la critique, orchestrée par l'un de ses principaux collaborateurs, Alcanter de Brahm (1868-1942), l'auteur de L'Ostensoir des ironies dont la seule gloire posthume reste d'avoir inventé le fameux point d'ironie (2). Voici la question posée, et quelques réponses choisies parmi les trente-quatre reçues :

Notre référendum
Droit de critique


« Rien, écrivait La Rochefoucauld, ne doit diminuer la satisfaction que nous avons de nous-mêmes, que de voir que nous désapprouvons dans un temps, ce que nous approuvons dans un autre. »
Et plus loin.
« La vérité ne fait pas tant de bien dans le monde, que ses apparences n'y font de mal. »
Donc, partant de cette donnée, et désireuse de réunir à cet effet l'opinion des jeunes autorités littéraires, artistiques et critiques les plus incontestées, La Critique les a priées de vouloir bien lui donner leur avis sur la question ainsi posée.
Le droit de critique en art et en littérature est-il absolu ou limité ? - Raisons.
Peut-il s'étendre à l'investigation des gens, des moeurs, des habitudes : ajourer le mur de la vie privée, ou se superficialiser à l'oeuvre seule ?
Bien que nous ayons laissé toute latitude, pour le temps de réponse, à nos confrères, nous avons cru devoir publier dès maintenant les avis les plus empressés, ce dont nous les gratulons vivement. Les autres réponses suivront dans le prochain numéro.
Cette mesure s'explique aisément si l'on songe qu'une trop longue attente, motivée par l'espace de deux ou trois parutions bi-mensuelles, susciterait peut-être à des reporters indélicats l'intention d'un dol d'idées tout gratuit, et dont nulle loi ne saurait prévoir la sanction.
Alcanter de Brahm.

Exercer la critique, c'est acquérir le droit de juridiction sur les idées d'autrui. Ce droit suppose donc l'intégrité et la rectitude d'un esprit présentant des garanties aussi absolues que celles exigées des juges de droit commun, alors que ces derniers agissent cependant dans un domaine plus limité.
Sans quoi, la critique devient une source d'erreur et fausse le jugement.
Toutefois je maintiens que dans les rapports qui lient la vie privée d'un homme à son oeuvre, les deux peuvent être examinées sans contrainte, sans scrupule, à condition toutefois que le résultat de cet examen ne puisse nuire qu'au seul auteur, le cas échéant, et jamais à ses proches.
Je n'estime pas beaucoup le critique n'écrivant que pour éreinter, mais l'expérience m'a fait conclure à la nécessité d'outrer parfois dans un article de journal, des critiques qui eussent été moins acerbes dans une revue ou dans un livre où elles eussent retenu plus vivement l'attention du lecteur.
Georges Montorgueil.

Évidemment oui, le droit de critique doit être limité et même très limité. Non seulement j'estime que le critique ne doit pas fourrer son nez, de peur de le salir quelquefois, dans la vie privée de l'artiste, mais aussi qu'il ne doit formuler sur l'œuvre que des appréciations bienveillantes.
Si une œuvre le choque, qu'il s'abstienne !
Son opinion est toujours et forcément partiale : il peut donc se tromper et tromper en même temps le gros public, lequel étant incapable de penser par lui-même croit ce qui est imprimé, ce que raconte son journal.
Jossot.

Qu'un auteur soit maigre ou gras, chauve ou chevelu, amoureux de vieilles femmes ou de petits garçons, qu'importe si son œuvre rayonne en beauté !...
La critique intelligent devrait ne jamais s'occuper des personnalités. Je voudrais même que l'ont fit abstraction du côté soit-disant moral ou immoral d'une œuvre et qu'on ne la jugeât que pour les joies qu'elle procure.
Si j'étais anglais et milliardaire et que je trouvasse géniale l'œuvre d'Oscar Wilde, je n'hésiterais pas à élever à l'auteur du Portrait de Dorian Gray, au centre même de Londres, la plus colossale statue que la terre ait portée.
Armand Charpentier.

Peu, dans la presse osent formuler à haute voix, le mépris dont tous chuchotent, et en lequel s'enlisent certains écrivains.
Je n'ai pas peur, ayant affronté de plus nobles orages : prête à en affronter bien d'autres, pour ce que je sais être mon droit, et pour ce que je croit être la justice.
S'il est des hommes qui hésitent et reculent devant les ordinaires procédés de polémiques, la facilité des mensonges, la virulence des épithètes, il n'est pas mauvais pour ce temps de vouloir qu'une femme donne le spectacle d'une vaillance inaccoutumée.
Séverine.

A la suite de quelques lignes que j'ai écrites sur Verlaine, en tâchant de dire honnêtement ma surprise de voir la jeunesse littéraire actuelle choisir presque tous ses maîtres parmi les écrivains foudroyés, incompris, même inconnus, on m'a répondu galamment que ma remarque venait de la fureur jalouse où me jetait le parfait dédain de cette jeunesse à mon égard. Mon Dieu, oui, ces jeunes gens n'y vont pas par quatre chemins ; quiconque discute leur Panthéon, ne peut être qu'un bas envieux, grelottant à la porte, dans le désir irréalisable d'y entrer. Si tu attaques nos maîtres, c'est que tu te fâches de n'être pas un dieu. Et voilà un homme convaincu à la foi de laide colère ; d'envie impuissante et de talent radicalement démodé.
Emile Zola.

Le droit critique ne saurait être limité que par des frontières mobiles.
L'écrivain, l'artiste – regardé en lui-même – complète son œuvre et l'explique. Il y a dans l'homme les origines et l'on peut dire, les racines de ses manifestations de sentir et de penser. Je crois du moins que tout effort véridique et profond est marqué du sceau de la personnalité intime. Donc le vrai critique doit être un biologue, non pas un biographe. Et c'est là que l'on peut discerner l'équilibre nécessaire entre l'étude réfléchie, pénétrante, et d'inutiles indiscrétions. Retrouver le sens, le point de départ, l'intention de l'œuvre, dans les attitudes, les mœurs, , le visage même de l'écrivain ou de l'artiste, c'est agir en esprit consciencieux, c'est chercher le mystère de la genèse cérébrale jusqu'en les symboles mouvants des âmes et des corps. Mais il est aussi inutile que malséant, de fouiller dans les coffrets de la vie privée, de cambrioler les serrures secrètes ; car le but de ces exploits sans gloire, ne peut être qu'une curiosité malsaine et qu'une froide méchanceté. Le critique impartial ne verra de l'individu que ce qui lui est indispensable pour son alchimie de critique, c'est-à-dire, pour extraire des phénomènes concrets les idées générales qui en résultèrent. Ainsi une humble anecdote peur ébaucher un poème, un geste transitoire, légitimer tout un style.
Frontières mobiles, délicates à l'infini, resserrant tantôt, tantôt élargissant ce lit de Procuste ou se recroquevile et puis s'allonge le sage, qui tente d'accomplir sur les travaux humains, l'œuvre patiente d'un Darwin en face de la nature. Qu'il est vain de fixer des lois, d'imposer un catéchisme ou un code à celui qui ne doit écouter que les conseils de sa conscience et les arrêts de son intellect ! Le critique doit être un moraliste dans le sens élevé du terme et aussi un observateur impartial, et en quelque sorte obéissant devant ce petit univers qu'il doit raconter, commenter, réviser même. C'est donc en lui-même qu'il trouvera ses droits autant que ses devoirs, et les mesurer pour ne pas les outrepasser.
Jules Bois.

Le droit de critique est absolu, lorsqu'il va de l'œuvre au causes même intimes qui l'on fait éclore. C'est malheureusement un procédé d'investigation que l'on délaisse pour se complaire à la divulgation d'inutiles insanités. Mais on y reviendra, parce qu'il est bien prouvé qu'il est le fondement de l'histoire littéraire d'une époque.
Joseph Charrier.

La critique n'est peut-être pas un droit, mais elle est universelle, il m'arrive quelque fois de critiquer un livre et je n'en écris pas
Marc Mouclier.

Tout œuvre, tout acte quels qu'ils soient, relèvent de la critique, l'idée comme le sentiment pouvant après discussion, acquérir un intérêt qu'ils n'avaient pas primitivement.
Pourquoi le droit de critique serait-il limité, puisque le droit d'agir ne l'est pas, et n'est-il, somme toute, pas intéressant de savoir si tel chantre attitrés des étoiles, marche réellement sur une bande d'azur, si tel éreinteur d'estoc et de taille, moraliste calvinisant, a le geste aussi beau derrière les paravents.
On parle de photographier les cervelles, la besogne sera mince je crains, mais osez donc sonder l'opacité des cœurs.
Là, rien peut-être; ici, quel charnier.
E. de Solenière.

Les droits de la critique sont ceux qu'elle prend, mais il faut souhaiter qu'elle en prenne le moins possible et se borne à juger l'œuvre, l'œuvre toute seule, telle qu'elle se promène nue à travers le monde intellectuel.
Cela, s'il est question d'œuvres d'auteurs vivants.
Une critique scientifique ou totale, étudiant tout l'homme pour mieux comprendre toute l'œuvre, n'est tolérable que très tard, l'auteur mort et déjà historique.
Remy de Gourmont.

Mon avis est que ce droit est absolu. Son exercice suppose seulement de la part du critique qui s'érige en juge, une sincérité et une compétence sans lesquelles ses jugements ne sauraient avoir de portée.
Edouard Colonne.

A cette question où les avis doivent être très divers, voici le mien, en restant sur le terrain artistique, et posant comme principe qu'un artiste n'étant pas un homme public son œuvre seule doit être discutée, et du reste, qu'importent à la valeur de l'œuvre, la vie et les habitudes du créateur de cette œuvre.
Lorsque la vie de l'artiste est simple, comme tout le monde, (pour employer la formule générale), l'on trouve qu'elle n'est pas intéressante, et elle ne le devient que si l'on y découvre un petit scandale, ce qui, à mon avis, diminue et l'auteur et le critique.
A. Osbert.

Pour la critique, ça dépend.
Si le Monsieur en vue vous entretient de sa vie privée, parle de ses amours, de son enfance, de ses indigestions, en un mot s'il démolit lui-même son mur Guilloutet, rien à ménager, blaguez à fond qui s'offre aux blagues, - quitte à recevoir un coup d'épée, galamment (à condition que votre adversaire soit propre).
Mais si, soucieux de fuir ces familiarités subjectives, l'écrivain reste loin de la foule, ne lui livre que sa pensée, (ce qui est déjà bien joli), s'il se conforme au précepte hautainement sage :
« Ami, cache ta vie, et répands ton esprit ! » c'est à ses théories seules que vous devez vous en prendre, ou vous n'êtes qu'une pratique.
Willy.

Je suppose que c'est par pure ironie que vous me demandez si l'on a le droit d'ajourer le mur de la vie privée d'un écrivain, au nom de la critique littéraire ?
Non, jamais, on ne doit prendre ce droit là, même pour faire l'éloge d'un auteur.
Seule, son œuvre appartient à la publicité, et un critique n'a pas à s'occuper d'autre chose. Toutes les injures du vocabulaire des journalistes, assez complet, Dieu merci, peuvent être déversées sur le fond et la forme d'un livre, sans que l'auteur ait à se plaindre, mais il devrait être défendu, sous peine de perdre l'estime des honnêtes confrères, d'apprécier l'ongle du petit doigt de la main qui l'a écrit. Malheureusement ce sont presque toujours les écrivains qui commencent, c'est-à-dire que bien peu de nos écrivains désirent laisser leurs... mains dans l'ombre !
Rachilde.

Faire de la critique absolue, je n'y songe point un seul instant et d'autant moins, que je suis d'avis, avec Wagner, que « le critique d'art qui part de son point de vue abstrait pour juger l'artiste, ne voit au fond rien du tout ; car l'unique chose qu'il puisse apercevoir, c'est sa propre image, réfléchie dans le miroir de sa vanité.
H. Stewart-Chamberlain.

Puisque vous m'avez adressé votre circulaire, je vous dois, au moins par politesse, un accusé de réception. Quant aux questions que voulez bien me soumettre, je ne crois pas que les Congrès, ni les plébiscites n'aient jamais rien assuré ni empêché.
Pour critiquer, comme pour élever des statues chacun agit selon son tempérament, ou ses préférences ; alors à quoi bon poser des règles ?
Jean Grave.

Incontestablement légitime en tout temps, quand il s'exerce sur les oeuvres, à la seule condition formelle, pour le censeur, de ne pas les discuter qu'après les avoir lues et consciencieusement exposées sans lacune et sans parti-pris, le droit de critique, à mon avis, ne saurait impliquer celui de rechercher, du vivant des auteurs jugés, quoi que ce soit de ce que leurs écrits ou leurs paroles, et leurs actions, ne nous ont laissé voir touchant leur vie privés. Toutefois c'est à nous, je l'admets, à nous arranger de façon que, depuis le plus proche des proches jusqu'à l'indifférent le plus indifférent, nul ne puisse, nous vivants ou morts, briser les sceaux fixés par notre volonté : car pourquoi nous plaindrions-nous de ces excès de la curiosité d'autrui ? Ces excès, les commettrait-elle, si nous ne l'avions éveillée ? Sans doute, le droit de critiquer n'en demeure pas moins circonscrit par les frontières même que j'ai dites ; mais enfin, si des indiscrets violent ces frontières, notre droit à nous indigner n'en apparaît pas moins, non plus, directement proportionnel à la somme des efforts que nous avons su faire pour leur dérober notre vie.
D'ailleurs, en dépit des maniaques de la critique documentaire, est-il vraiment bien essentiel de connaître la vie privée de l'auteur, collectif ou non, de l'Iliade ou de l'Odyssée ? La critique ne sera jamais superficielle, lorsque l'œuvre sera profonde ou vaudra pour l'Humanité de tout siècle et de toute patries, et l'on peut même se demander si la critique gagne grand chose à se préoccuper des moindres contingences ; pour peu qu'on aille au fond des choses, il ne s'agit guère, en effet, de savoir en quoi l'homme et l'œuvre, sont l'expression de toute époque, mais par quoi ils sont l'expression de toute époque : or n'est-il pas très clair que l'œuvre, à elle toute seule, suffit à nous donner pareil éclaircissement ?
Poser le problème en ces termes équivaut à légitimer, logiquement, psychologiquement et moralement (ces trois adverbes joints font admirablement), un droit de critique dont le but, par son caractère même de généralité, détermine la limitation particulière.
Louis-Pilate de Brinn'Gaubast.


Conclusion


Des quelques trente réponses émanées des personnes autorisées qui voulurent bien participer à cet intéressant référendum et que nous remercions bien vivement ici, s'accusent préalablement dix-sept affirmations d'un droit absolue, ou restant dans le domaine de l'humainement possible, d'un droit subordonné à la conscience de celui qui se livre à l'examen de l'œuvre, et dont l'effort tend, par comparaison avec l'homme qui la produit, à dégager la totale ou partielle sincérité de ce dernier.
Six autres écrivains, admettant en principe ce droit, n'y apportent que des restrictions personnelles, ou basées sur la virtualité d'une critique immédiate.
Certes, la critique idéale, serait celle d'une œuvre toute de sincérité écrite par un impartial, donc un ascète, un ermite invulnérable aux passions de toute nature propices à l'avortement des plus beaux rêves d'idéalisation : et c'est peut-être la hantise de ce désillusionnant pessimisme négateur de la droite conscience qui dicta les sept réponses si nettement opposées à tout droit de critique.
Toutefois, de cette tendance très manifeste de plus de vingt artistes sur trente, à supposer sur l'œuvre un droit d'examen corrélatif à celui des circonstances personnelles qui préludèrent à son éclosion, se dégage un noble souci, celui d'affirmer la sincérité de l'objet par celle du sujet, la franchise du livre par celle de l'homme.
Or, nul d'entre les véritablement sincères, simples et grands de par l 'esprit et le cœur, n'essaya jamais de dérober une parcelle de sa vie au jugement de ceux qui l'entouraient. Les âmes droites sont réfractaires au venin de la de la médisance ou de la calomnie, et leur œuvre perdure jusqu'après eux. Conclusion proverbiale des infimes : Seul la vérité blesse.
Donc, la Critique, exercée par des esprits clairvoyants, consciencieux, prompts à reconnaître leurs humaines erreurs, à réprimer leurs propres excès, et dont le regard ne fut point celui des autres hommes, cette critique demeure fortifiée chaque jour par l'expérience, la plus belle expression du droit de justice artistique.
Examen du beau et du vrai comme la morale est le fondement du bien, elle sera relative parce que tout ce qui est né de l'homme est relatif, mais son droit d'investigation, étendu à tout ce qui est publiquement et volontairement livré à son examen, lui devient absolu.
Alcanter de Brahm.


(1) Directeur Georges Bans. Principaux collaborateurs : Alcanter de Brahm, Willy/Henry Gauthier-Villard, Eugène de Solenières, Charles Fuinel, Emile Strauss, Jacques Ballieu, André Serph... Illustrateurs : Louis Valtat, Georges d'Espagnat, Jossot, Marc Mouclier, Léon Lebègue... La fiche du catalogue de la BNF donne pour Numérotation : 1re année, n ° 1 (1895, 5 mars)-19e année, n ° 294 (1913, juil.)[?] ; 26e année, n.s., n ° 1 (1920, juin)[?]