dimanche 9 novembre 2008

Mécislas GOLBERG contre Remy de GOURMONT : ORTHODOXIE SYMBOLISTE.

Mécislas GOLBERG

contre

Remy de GOURMONT



ORTHODOXIE SYMBOLISTE


« De mon temps, les choses allaient mieux... »
Vieux dicton


La nouvelle littérature d'aujourd'hui est dans un état de « mort apparente, léthargique » dit M. de Gourmont, et il ajoute qu'on ne fait qu'imiter Samain, Francis Jammes, Maeterlinck.
M. de Gourmont est quelque chose comme le Sarcey du symbolisme. Comme le bon oncle régnait dans les journaux du « bon sens » depuis le Temps jusqu'au Petit Journal, M. de Gourmont, le « frère ainé » (1) inspire le Mercure de France, fait partie de l'Ermitage, rédige la Revue des Idées. Tant de fonctions feraient supposer sinon de la compétence, du moins de la prudence et de l'originalité dans les appréciations sur la littérature symboliste.
Or, nous voyons se réaliser chez M. de Gourmont la fatale et très vulgaire loi de vieillesse : « De notre temps... »
Fouquier disait qu'Ibsen n'était qu'un piètre imitateur d'Alexandre Dumas fils et Catulle Mendès annonçait que le Solness était du pastiche d'Axel.
Les « jeunes » - et on comptait parmi eux des hommes grisonnants, comme Mallarmé, Verlaine, - selon la docte critique parnassienne, réaliste et romantique, imitaient Vigny, Chénier, volaient Lafontaine, dépouillaient Ronsard, pillaient Villon... Mais au fond « tout cela ne valait pas les nobles combats de Hugo et la fameuse représentation à la Comédie avec le gilet rouge de Gautier »
Aujourd'hui M. de Gourmont recopie ses auteurs ; il remplace les noms par d'autres noms et s'afflige à son tour que la « génération » n'endosse pas le fameux gilet !... Ainsi il n'y a rien de nouveau sous le soleil et le vénérable représentant de l'Arche Sainte du symbolisme répète des mots dits autrefois par ses adversaires et peut-être à... son propos.
Comme l'orthodoxie symboliste est plus restreinte que l'orthodoxie romantique, dès le début M. de Gourmont commet des injustices et en parlant des imitations ne cite que les noms chers à sa belle âme.
Ma foi ! Les productions nouvelles se ressentent de diverses influences. Les jeunes sont, en réalité peu charmés par l'oeuvre de Jammes ; pour des raisons spéciales ils ignorent souvent Maeterlinck. Cependant Samain, Signoret, Viélé-Griffin, le Moréas des Stances, le Régnier des Médailles attirent les jeunes esprits... La parenté entre les productions des jeunes et les oeuvres des poètes cités plus haut indique déjà une sélection, et prouve que la génération nouvelle cherche dans le symbolisme de son côté le plus littéraire et le moins orthodoxe. On n'imite ni l'admirable Veilleur de Régnier ni les Cantilènes de Moréas. Mais on lira et on relira Médailles et Stances.
Deux poètes, peu connus de leur temps, et qui ont eu à souffrir dans diverses mesures, du silence de leurs « confrères », Signoret et Samain captivent de plus en plus la génération qui aime le verbe lumineux et sonore de Daphné, la phrase cendrée et enveloppée du Jardin de l'Infante. Ceci M. de Gourmont ne le pourra guère remarquer, parce qu'il y a des noms et surtout celui de Signoret, qui ne viendraient jamais au bout de sa docte plume.
Il tient à passer dans la vieille garde avec toute l'obstination et toute l'injustice d'un vieux gradé. Grand bien lui en fasse ! Aujourd'hui, il ne fait qu'exprimer par écrit le sentiment général du symbolisme orthodoxe. Il n'y a pas bien longtemps, L. Dumur, qui pourtant n'est pas bien méchant, dans une conversation avec Stuart Merrill et Paul Fort, devant moi, Salmon et Raynal, a déclaré qu'il n'y a rien, absolument rien depuis le symbolisme !... sauf... peut-être... encore en... province !... - ou pensai-je, à Madagascar.
Et cela fut dit durement, sans ménagement pour nos peines et nos travaux d'ouvriers sinon déjà de créateurs. Ce n'est donc rien tout notre effort ! Rien, cette vie vouée à la poursuite obstinée d'une forme, d'une pensée ?... Ah ! MM. Les orthodoxes, vous manquez de gants !
Heureusement, dans une phrase suivante, M. Dumur a livré le secret de ce jugement : « Nous ne voulons plus être appelés des... jeunes ». Enfin, même lugné Poë, dans des notes-circulaires aux journaux déclare que le théâtre de l'Oeuvre n'est plus le théâtre de quelques-uns (on disait d'une élite), mais qu'il ouvre ses portes largement pour faire admirer à la foule (hier appelée canaille et stupide) le chef-d'oeuvre de d'Annunzio...
Le symbolisme actuel, tel qu'il se présente dans quelques revues, finira bien par créer... « une école ».
Ces messieurs paraissent oublier leur propre et fort récente aventure.
Le symbolisme, comme le romantisme d'autrefois, a mis le gilet rouge quand ceux qui l'ont précédé ont manifesté leur mépris silencieux à l'aurore du mouvement, le mensonge, la calomnie et la mauvaise foi plus tard.
Les revues fermées, tous les moyens de parler avec le public gardés par le mufflisme romantique, les éditeurs strictement soumis aux grands princes du réalisme et du Parnasse, tout cela mêlé de plaintes hypocrites sur la dégénérescence des jeunes, sur leur peu d'invention, telle fut la première période du symbolisme. Mais, hier comme aujourd'hui, les jeunes gens savaient qu'ils travaillaient sincèrement, qu'ils avaient à dire des choses nouvelles et qu'ils cherchaient leur expression avec l'ardeur de l'âge. Aussi furent-ils froissés par l'injustice. Plus tard on a commencé à les invectiver, à les calomnier. Les Sarcey, les Lepelletier, les Fouquier, les Mendès, les ont obligés à se serrer les coudes, a créer un mouvement unitaire, à blasphémer... enfin.
Que se passe-t-il aujourd'hui ? Grâce au caractère plus limité du symbolisme, le silence et l'abandon sont moins absolus et par conséquent moins cruels.
Le symbolisme n'a pas conquis universellement l'opinion publique.
Quoiqu'il voulût ne pas être « jeune » sauf de rares exceptions, son influence ne dépasse guère un cercle très limité. Il n'a conquis – et ce n'est pas le désir qui lui manque – ni les grandes revues, ni la grande presse, ni les théâtres, ni les grandes institutions littéraires. Tout au plus garde-t-il quelques-unes de ses propres positions et conserve-t-il une petite place... chez les autres qu'il n'a pas su... détruire. Au moment où les grands prêtres du symbolisme commencent à jeter l'anathème contre une génération plus jeune, c'est Mendès qui règne sur les théâtres, c'est G. Deschamps qui psalmodie dans la grrrande critique. Grâce à cette limitation, le symbolisme ne peut restreindre et étrangler complètement une forme littéraire naissante qui n'a pas à glisser entre ses mailles ayant des sentiers fort commodes pour circuler.
Je dirai même qu'au point de vue pratique, immédiat, elle pourrait même ignorer le Grand Juge du symbolisme et tout son sacerdoce. Le blocus symboliste se limite en effet à une place forte et à quelques camps retranchés... très retranchés. On arrive à être connu, à publier, à être écouté quoiqu'on soit honni dans l'honorable chapelle. Cela rend la lutte moins ardente et permet de ne pas endosser tout de suite le fameux gilet rouge qui excite le coeur mattador de M. Remy de Gourmont.
Cependant ce calme n'est qu'apparent. Le jeune mouvement, le mouvement naissant n'est pas seulement « une spécialité » littéraire.
Il est aussi profond que le romantisme d'hier et on peut lui appliquer le mot de Thiers écrit à propos de ce dernier : « Il n'est pas seulement une forme littéraire, mais une forme nouvelle de vivre, de créer, de penser. »
Ce mouvement lent dans son éclosion parce que son champ est immense, a forcément des contacts très importants avec le symbolisme. Il en procède, il faut qu'il en procède ; il veut en procéder, en l'élargissant, en l'approfondissant. Aussi le silence têtu devant certaines productions, la cécité de mauvaise foi, les exclusions et déjà même des calomnies que débitent sans réticence les orthodoxes symbolistes finiront par créer une « école ».
Et puisque la vieille garde du symbolisme (et ses représentants n'atteignent pas la cinquantaine) (2) ne peut comprendre l'existence d'une forme littéraire qu'à la façon de Sganarelle appréciant la médecine, espérons que ses injustices, son mauvais goût, son manque de compétence qui ne sont que des résultats inévitables de l'injustice finiront par faire employer largement des coups... en littérature ; injures, anathèmes, mots creux d'école, avec indications des chefs de file, avec des sommations, des articles de foi...
Or, si à l'exemple de quelques-uns, comme de Régnier, Stuart Merrill, Paul Fort, Pierre Quillard, les orthodoxes symbolistes avaient voulu garder un jugement sain et bienveillant, ils auraient fait éviter à toute une génération l'erreur de « l'école » et auraient permis à une forme de se créer sans l'intervention des jugements déviés et restrictifs, que fait naître la lutte basée sur l'injustice des uns et l'exaspération des autres. Nous ne leur demandons pas pourtant ce qu'ils ne sauraient accorder.
Leurs critiques sont volontairement faussées. Ils savent aussi peu que Gaston Deschamps et jugent avec l'esprit de Doumic, en basant meurs idées moins sur les ordres du patron Hebrard ou sur des croyances religieuses de Brunetière que sur une camaraderie de mauvais aloi.
Nous n'avons qu'à travailler. Il y a des choses plus graves à dire et plus profondes que ne le firent MM Maeterlinck et Francis Jammes. Il y a à chercher l'eurythmie autrement éblouissante que la mélopée symboliste ou le caquet de Francis de Croisset. Il y a aussi à dompter pour l'art la vie qui passe, la phrase qu'on a déchaussée sans grâce, à soumettre enfin à la loi les déformations créées par un siècle de littérature sentimentale, barbare, échevelée.
M. de Gourmont et d'autres sacrificateurs ne voient que choses dites et choses faites. Nous apercevons d'immenses problèmes envahir la pensée et imposer des tâches d'Hercule à la génération qui vient. La poésie, la prose, la peinture, la sculpture, la politique même attendent une loi plus propice à leur existence. C'est cette loi qu'on cherche à travers des confusions et que l'orthodoxie symboliste nie, superbement enveloppée d'oripeaux princiers empruntés à ceux qui autrefois ont combattu groupe Boileau, groupe Hugo, groupe Leconte de Lisle, groupe Mallarmé. L'histoire ne recommence que dans les vices. Quant aux vertus, heureusement pour la vie elles se renouvellent et évoluent, éternellement jeunes.


Mécislas GOLBERG.


Menton, 1905
Je vois de jeunes revues éclore. J'espère que la Revue des Arts Lyriques, que la Vie, que la Plume, que notre Revue Littéraire, que le Festin d'Esope qui renaîtra amèneront des clartés qui certes ne changeront pas le jugement de M. Remy de Gourmont, mais qui permettront aux talents de se manifester, aux volontés de se raffermir, aux esprits fraternels de se reconnaître.


M. G.

Revue Littéraire de Paris et de Champagne, N° 23, Février 1905.

(1) Le « frère ainé » comme on disait « l'oncle » pour Sarcey, mais aussi, peut-être, à cause du petit frère, Jean de Gourmont.

(2) En 1905 Gourmont a 47 ans, Jean Moréas 49 ans, Louis Dumur 45 ans, Maurice Maeterlinck 43 ans, Vielé-Griffin 41 ans, Stuart Merrill 42 ans, Pierre Quillard 41 ans, Henri de Régnier 41 ans, Paul Fort 33 ans, Francis Jammes 37 ans, Albert Samain mort en 1900 aurait eu 47 ans, Emmanuel Signoret mort lui aussi en 1900 aurait eu 33 ans en 1905. Mécislas Golberg a 36 ans.


En janvier 1905, Remy de Gourmont dans le Mercure de France (1) donne son avis sur les enquêtes littéraires et constate qu'elles ne suscitent pas dans le public, l'engouement que connue 14 ans plus tôt, en pleine ébullition symboliste, celle menée par Jules Huret sur l'évolution littéraire (2). Les raisons qu'il en donne sont tout d'abord la « léthargie » de la jeune littérature, très critique, il parle même de « la plus inoffensive littératurette » pour le dernier Goncourt (3), il reproche plus loin aux « jeunes » de ne pas faire assez de bruit, de ne pas être « un spectacle public », quitte à se montrer « ridicule », il faut se faire remarquer pour « compter plus tard ». Citant Philippe (4) et « Leblond » (5), il les trouve trop « raisonnables », n'ayant pas « l'aplomb de s'affubler [...] du gilet rouge d'Hernani ». Gourmont rappelle qu'une partie de la « gloire » des symbolistes est d'avoir été traités de « malfaiteurs et de fumistes » par « les maréchaux de la chronique ». Manque de hardiesse, tiédeur, philosophie sociale qui lorsqu'elle tend vers le mysticisme s'inspire alors de Maeterlinck et de Francis Jammes, poésie féminine provenant directement d'Albert Samain, la littérature nouvelle ne serait qu'une imitation des « oeuvres originales des vingt dernières années ». Dans la suite de son article il constate que la presse, la grande presse, se désintéresse de la littérature, que les tirages des quotidiens explosent, que le public est plus nombreux et moins cultivé, et que le temps où « Taine et Renan écrivaient dans les journaux, au même moment que Goncourt, Maupassant, Villiers, Daudet » est passé, « ceux qui cultivent encore ces goût pervers [ceux des jeux de la pensés et de l'art] ne peuvent plus en demander la satisfaction à ces mêmes journaux ». Gourmont continue cet état des lieux culturels en constatant que « le moment n'est peut-être pas loin où tout ce qui dépassera le niveau primaire passera pour prétentieux ou insensé » et mène l'analyse jusqu'aux sciences n'y trouvant pas plus de raison d'espérer que ce qu'il appelle « les métiers de l'intelligence » continuent à influer sur la vie quotidienne, laissant la place libre à « l'esprit religieux », aux « messies, [aux] prophètes, [aux] guérisseurs. »
Mécislas Golberg, dans la Revue de Paris et de Champagne, en réaction au début de l'article de Gourmont fait paraître ; Orthodoxie symboliste. Il se place ainsi en tant que porte parole des « jeunes », accusant Gourmont d'injustice envers la littérature nouvelle, éternelle querelle des anciens et des modernes, comme le laisse entendre le « vieux dicton » en exergue ? A voir... Les jeunes réclament leurs places et c'est normal, Gourmont constate qu'ils n'ont su s'imposer, ni par leurs oeuvres, pas assez originales, ni par leurs attitudes, trop timides, pour cela il est rejeté par Golberg parmi les critiques du « bon sens », il devient « le Sarcey du symbolisme ». Golberg ne cite pas de nom dans la génération nouvelle, seules quelques revues sont citées après coup, seul Signoret mort en 1900 est nommé. Il ne cite pas plus les « orthodoxes du symbolisme », si ce n'est sa cible du jour : Gourmont, qu'il associe à Louis Dumur, dont les oeuvres peuvent difficilement être qualifiées de symbolistes. Henri de Régnier, Albert Samain, Stuart Merrill, Paul Fort, Pierre Quillard, auraient eux, « un jugement sains et bienveillant » pour la génération nouvelle, mais alors qui donc sont les orthodoxes ? De même, qui sont les jeunes ? Seule quelques informations disséminées dans le texte nous renseignent, on y trouve André Salmon et Maurice Raynal, témoins d'une conversation avec Dumur, et qui indubitablement sont a classer parmis « les jeunes » (6). La liste des collaborateurs des revues citées après l'article permettrait sans doute de mieux cerner les littérateurs dont Golberg se veut le porte-parole (7).

(1) Les Enquêtes littéraires, Mercure de France, janvier 1905, repris dans Promenades littéraires 7 (1927) Les Enquêtes littéraires en 1905.
(2) Publiée dans l'Echo de Paris de Mars à Juillet 1891. Jules Huret : Enquête sur l' évolution littéraire. Charpentier, 1894. Rééditions : Editions Thot, 1982. José Corti, 1999, avec pour les deux, préfaces et notes de Daniel Grojnowski.
(3) Le Prix Goncourt 1904 a été décerné à Léon Frapié pour La Maternelle.
(4) Charles-Louis Philippe (1874-1909), en 1905, a déjà fait paraître six volumes, dont Bubu de Montparnasse, Le Père Perdrix et Marie Donadieu.
(5) S'agit-il de Maurice Le Blond (1877 – 1944), poète naturiste ? ou plus surement de Marius-Ary Leblond, les cousins réunionnais, Georges Athénas et Aimé Merlo, qui en 1909 recevront le prix Goncourt pour En France ?
(6) André Salmon, en 1905 il a 24 ans et vient de publier son premier recueil Poèmes aux éditions Vers et proses. Maurice Raynal, journaliste, critique d'art et écrivain, défenseur dès 1905, il a alors 21 ans, de la peinture nouvelle et notamment du Cubisme.
(7) Voyons pour l'exemple Le Festin d'Esope fondée par Guillaume Apollinaire et publiée de novembre 1903 à août 1904, on y trouve effectivement beaucoup de « jeunes » (j'indique leur âge en 1905), outre Apollinaire (25 ans), Paul Géraldy (20 ans), René Fauchois (23 ans), André Arnyvelde (24 ans), Nicolas Deniker (24 ans), André Salmon (24 ans), Emile Despax (24 ans), Toussaint-Luca (26 ans), Jean de Gourmont (28 ans), Cécile Périn (28 ans), Alphonse Séché (29 ans), Henri Hertz (30 ans). Les trentenaires et plus n'en sont pourtant pas absents : Edmond Pilon (31 ans), Alfred Jarry (32 ans), Georges Pioch (32 ans), Golberg (36 ans), Alfred Pouthier (39 ans), Alfred Mortier (40 ans), Ernest Raynaud (41 ans), Han Ryner (44 ans), John Antoine Nau (45 ans)
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