mardi 7 octobre 2008

Ernest LA JEUNESSE - LA FOIRE AUX CROUTES suite


Ernest LA JEUNESSE - LA FOIRE AUX CROUTES 1ère partie.

Dans le lot de peintres académiques, choisis par Brunelleschi et La Jeunesse, on trouvera ci-dessous deux réfractaires, Eugène Carrière et Auguste Rodin, leur amitié en est-elle la cause ?


MERCIÉ

Quel beau gendarme ! L'héroïsme qu'il exprime ne fait pas broncher un poil de sa moustache, car elle est en pierre, en pierre – et c'est de l'agrément pour les autres. Allons circulez, circulez, laissez passer les lourds chariots sous les lourdes statues et les lourds groupes et les riens du tout plus lourds. Portez armes ! Présentez armes ! Les Quand même s'amènent et l'état-major des gloires nationales et des gloires obscures, du patriotisme patenté, de l'honneur officiel, de l'histoire à orphéons et à discours. O, ne vous demande pas de tâter, Messieurs, Dames et Demoiselles, admirez, admirez, nom de Dieu ! Ou, entendez [...] il vous f... dedans !



CAROLUS DURAN

Ce jeune premier s'affirme, dans son tableau de l'année, le Mathusalem de la magnificence. Il expose – à tout – sa famille. « Cha n'est pas, dit l'Auvergnat, que cha choit chale, mais cha tient de la place. » Le gendre, M. Georges Feydeau a l'air d'écoper déjà, comme à un lendemain de première ; tout le reste de ces messieurs, enfants et dames, souffre d'avance, des appréciations du public. Seul, le Maître est bien en place, bien en lumière, dans cet aveuglement pour pauvres qu'est son éclat ruisselant et sa majesté à reflets. Sa nourrisserie (ou garderie) paraît rauque, violente, molle, gnole et moche ? Il y en a a trop. Mais quand donc, je vois prie, sa tenue a-t-elle été moins truquée et plus sérieuse ? Ses portraits, en oppositions savantes, sa distinction de foire, sa réincarnation théâtrale des génies d'antan en rouge, vert et or, ça vous paraît loin, aujourd'hui ? M. Carolus-Duran nous resta. Attendons.


ROYBET

Je ne le reconnais pas dans le dessin ci-dessus. Roybet en habit, Monsieur Aroun-Al-Raschid ! Vous abusez. Khalifat ! Comment, cet homme qui a infligé un feutre mousquetaire aux plus pacifiques rentiers, une fraise à M. Vigneron, des cuirasses à des photographes et des costumes de réîtres à des curés, vous lui imposez le frac ! Quelle cruauté, quel châtiment ! Et pourquoi le priver, je vous prie, de ses nudités débraillées, de ses gorges, de ses tabliers, de ses tabagies de son atmosphère de saoulerie mercenaire et de gaïté un peu soufflée, de figuration et d'accessoires. Ce chef machiniste, cet habilleur en habit ! Je présente toutes mes excuses, moi, à Roybet, humblement. Et comme je ne suis ni en pourpoint, ni en aiguillette, comme je ne suis ni assez rouge, ni assez gris, j'attends le Salon prochain pour que Roybet m'y mette, en tenue !


HENRY GERVEX

Tout de même, non !
Qui penserait que, avec sa tête grave et si étrangement ressemblante à celle du Dr Roux, ce peintre à masque de photographe concentré se f... autant de nous ? Il a su, en un seul Salon, trahir à la fois l'Empire et la République ! « Il a bien l'air Maison de Savoie, a dit M. Loubet du portrait de Victor-Napoléon ». Eh bien ! Est-ce que le Banquet des Maires n'a pas l'air gâteau de Savoie, nougat, guimauve et pis ? Il paraît qu'on le refuse, ce Banquet. C'est la meilleure façon de rendre. Mais aussi quelle imagination, quel rendu, quel style ! M. Gervex est le Georges Ohnet de la peinture.

ZIEM

Ca n'a pas l'air d'un vrai nom. Sa peinture n'a pas l'air de vraie peinture. Ses tableaux ne ressemblent pas à Venise : c'est Venise qui tâche de leur ressembler. Si vous croyez que ce triomphe n'est plus effroyable ! Il travaille à son aise rue de Lorient, à Montmartre, envoie ses oeuvres en Italie pour avoir des preuves postales d'authenticité et continue, vend, entasse chefs-d'oeuvre sur chefs-d'oeuvre et ne vieillit pas. Il a connu Venise au temps de la domination autrichienne : son souvenir devient confus. Pas tant que ses toiles. Mouchetures, pointillés, points de lumière, tachisme, vagues en gouache, c'est de la musique. On a, aujourd'hui, exilé ce patriarche de l'à-peu-près. On lui a demandé l'article franco-russe. Il a déguisé les vaisseaux en gondoles, les souverains en doges, les amiraux en [...]. Il est vrai qu'on ne les voit pas.


RODIN

Observez-le, informe, avec sa barbe énorme, son petit corps et la superfétation d'un binocle de pierre sur de petits yeux de fièvre : ce n'est rien et c'est tout. Ca vibre, ça agit, ça crée. Barbe qui sculpte, binocle qui fouille, tout est mouvement, tout est vie, tout est résurrection. Cette taupe sourde est un Dieu terme, un Dieu plus haut. Il nous donne des blocs mal dégrossis où nous retrouvons les finesses les plus abstruses, une puissance unique, des détails mystérieux, prestigieux. Cet homme tranquille, doux, lent, myope, hésitant, n'est qu'un frisson et le coup de pouce du génie. Que d'autres y cherchent du fumisme ou de la sculpture, ce n'est pas mon affaire : moi j'y trouve, dans de l'inachevé et de l'obscur, ce que je veux : de la littérature.


CARRIERE

Il y fait noir comme dans un four. C'est, proprement (si j'ose dire) un tableau couvert de suie et où, avec les doigts, vous auriez mis à nu trois ou quatre taches. C'est une âme qui, en y mettant de la bonne volonté, sourit, salue et reste, figée. Pâle, gris, rose-jaune sur du gris-brun-noir, vous avez le droit de vous pâmer, c'est habile et très bien fait. L'art, préparé, encadré dans le texte, est sûr. Si vous considérez l'homme, en outre, il est rond, blond, blanc, bien portant, gentil, clair. Il réussirait très mal son portrait. Et quand on pense que, de par ses tableaux et ses lithos, il a forcé tant de littérateurs, infortunées victimes, à rester obscurs.


LHERMITTE

Avec un H.
Il ne s'appelle pas Tristan, comme son grand ancêtre, celui qui pendait sous Louis XI. Lui, avec son H (sa hache), il rase. La Hache est devenue une faux, une faucille. Ah ! Que de moissonneurs, sue de verdure, que de labeur et de labour ! Et qu'il est bucolique ! Si ça ne vous plait pas, vous n'aurez jamais le Mérite agricole, vous ne comprendrez jamais la poésie des champs et la gravité, la majesté de la vie simple. Sa couleur est rustique et terne ? Il l'a voulu. Son soleil est amaigri par la maladie ? Il se couche ! C'est (je ne parle pas du soleil, je parle de M. Lhermitte) un brave homme de peintre, sévère, probe, qui remplace le paysage par des figures, qui supplée aux figures et aux paysages par le sentiment, à la couleur par l'intention. Lhermitte est un bon apôtre.


Une problème d'impression empêche la lecture correcte de quelques mots dans les textes imprimés, les manques sont remplacés par des crochets.

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