lundi 27 juillet 2009

UBU ROI par Martine et Papyrus.






La Critique, N° 37, 5 septembre 1896, un dialogue entre Papyrus et sa servante Martine. Martine est chargée de « compterendre » de la pièce d'Alfred Jarry, Ubu Roi, dont la première aura lieu le 10 décembre 1896 au Théâtre de L'Oeuvre.
Papyrus pourrait bien être Emile Straus, si l'on en croit un article de Will Darville, Emile Couturier, dessinateur, paru dans La Critique, N° 40, 20 octobre 1896.


UBU ROI


MARTINE

Crottre !

PAPYRUS

O que voilà de joli, ma mie Martine.

MARTINE

Par ma bougie rose, je ne saisis pas !

PAPYRUS

Comment tu ne comprends pas Ubu Roi. Eh l'oie qui cosse !

MARTINE

Présente.

PAPYRUS

Vite compterendre ou passer par la casserole verte !

MARTINE

Hélas, mon bon monsieur, si je passe par la casserole verte qui ravaudera vos chausses littéraires ?

PAPYRUS

Tu ris, pendarde.

MARTINE

Ubu Roi : corne physique, nigedouille, Cotice, Pile, Bougrelas. Un point. Et cour'je en ma cuisine.

PAPYRUS

C'est abuser et je te vais débrutir.

MARTINE

Non assez chicoté, voici la chose en bref.
Vous connaissez Polichinelle. Quand j'étais petite, j'en étais férue à cause sa canaillerie. Eh donc Pére Ubu est un beau Polichinelle parturé tout rutilant de la Sorbonne à M. Alfred Jarry. C'est un sac à vices, une outre à vins, une poche à bile, un empereur romain de la décadence, idoine à toutes cacades, pillard, paillard, braillard, un goulaphre, capon, dorant ses chausses lorsqu'il s'en va-t'en-guerre sur son grand cheval à Phynances. A l'abri, vantard, glorieux comme un Panurge hors la tornade ; alors, tue, décervelle, bastonne, colle pains, figues d'oreille et vogue (sauf vot'respect) en pleine merdre.
Sa femelle Mère Ubu lui équipolle, pingre, chipie, bafreuse, chipeuse, c'est un couple formé à souhait pour le plaisir des mirettes, fripons fripés de fripouilles.
J'adore Polichinelle de quelque nom qu'il se nomme, rien de ce qui touche à Polichinelle ne m'indiffère, car il est toujours en notre tiroir quelque Polichinelle qui dort ; j'adore les triquades écaillant les faces patibulaires, les cornes du gibet où se balance le gendarme. Los au vice triomphant et vive Kasperl, Hanswurst, Punch, Judy, Kara-Keuz, Gnafron, Gringalet, Père et Mère Ubu ! C'est l'intauration du Guignol Littéraire, ce Théâtre des Phynances, point encore exégié aux côtes du divin Anatole (1), mais que d'humains pantins vont cet hyems mettre en oeuvre. Alors la galerie à rires claires se dégargouillera la rate et se lénifiera le mésentère, car en réalité, c'est à larmoyer en ses cotillons. Ah le plaisant spectacle forain que nous voilà !
Jour de Dieu, quelle fricassée en ces batailles où marionnettes saccadées par métaphysiques ficelles du dirigateur aiguisé Maître Alfred Jarry se jugulent et s'étripatouillent. Il n'est donc nul don Quixote de critique pour férir à grands coups de colichemarde ces opprimeurs d'innocence ? Mais le tagique de ce Shakespeare à la mie de pain ne fait pas se lamenter. Ces petites puppes, même agonisantes, ont yeux d'émail figés en leur tête ligneuse : c'est du son et non du sang qui fuse généreux de leurs affutiaux russes, borusses et polaques ; leurs sabres et leurs héroïsmes sont de fer-blanc et leurs canons pètent des pois secs.

PAPYRUS

Le fond Martine, le fond ?

MARTINE

Mais Père Ubu représente l'humanité moyenne. Plus tard amendé, il fera un très potable bourgeois, ira à la messe et sera réactionnaire. Il est honnêtement canaille avec une âme de porc, mais de porc bon vivant et facétieux. Du reste dans toute la pièce les sentiments délicats ne sont qu'esquissés. M. Alfred Jarry semble se plutôt délecter en les peintures du grotesque et de l'horrible. Ses personnages sont une série de gargouilles moyenâgeuses qui glougloutent des injures salées. Rarement s'y rencontre une tête d'angelot. Peut-être le conducteur a-t-il la vue courte en s'attachant plus aux vices qu'aux passions. D'un romantique exubérant dans des scènes antithétiques rigoureusement engrénées, les émotions fluentes d'un sujet tragico-hilare se produisent utilement. De même les bouffes ont le langage approprié ; il fleure, suivant les cas, la tripe ou le trône. Toute cette coction saupoudrée d'une pincée d'épices pipée au sac de l'apotheque Rabelais. Pour clore l'action cuit grand feu et arrive bouillante au dénouement d'un jet exécuté par un vigoureux effort.

PAPYRUS

C'est bien Martine. Touche là ma fille.

MARTINE

Je suis votre benoîte servante.

(1) Martine n'entend probablement pas désigner M. Anatole France (Note d. l. R.)


Alfred Jarry sur Livrenblog : L'Almanach du Père Ubu par Martine Le Surmâle d'Alfred Jarry par Martine et Papyrus. Alfred Jarry : Premières publications. Messaline : Jarry - Dumont - Casanova - Champsaur.

Théâtre des Pantins sur Livrenblog : "Vive la France !" Le Théâtre des Pantins censuré. Alfred Jarry et Le Théâtre des Pantins. Franc-Nohain et Claude Terrasse. Les Paralipomènes de Punch. E. Straus. A. Jarry.

Emile Straus, quelques documents. Emile Straus par Alcanter de Brahm.



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