mardi 30 octobre 2007

MARIE KRYSINSKA CABARETS ARTISTIQUES

Aujourd’hui une dame, il y en eu peu dans ce blog, il fallait rectifier le tir.

Poète, musicienne, compositrice, romancière même, Marie Krysinska est surtout connue pour avoir revendiqué « l’invention » du vers libre, et pour la polémique qui l’opposa à Gustave Kahn, autre postulant à l’invention.
Nous ne trancherons pas ici cette question, d’un byzantinisme tout à fait « fin de siècle », et qui par-là même ne peut-être résolue sans une étude préalable de l’histoire de la prosodie au XIXe siècle, ce que je me garderais bien de tenter.
Marie Krysinska fréquentait le Montmartre des années 1880, elle fut de tous les cercles artistiques, seule femme à fréquenter Hirsutes, Hydropathes, Zutistes et autres Jemenfoutiste, elle récitera ses poèmes au Chat Noir, les publiant dans la revue du même nom.
J.-H. Rosny (encore lui), dans sa préface aux Rythmes Pittoresques, en 1890, rappelait : « Madame Krysinska publiait en effet, en 1882 et 1883, époque où la rupture des moules n’avait pas encore de partisans, des morceaux tels que Symphonie en gris, Balade, Les Bijoux Faux, Symphonie des Parfums, Chansons D’Automne, Berceuse Macabre, Le Hibou, morceaux qui offrent la technique des vers libres préconisés en ces derniers temps, par les détails de cadence, de modulation et même de typographie qui caractérisent les essais des groupes rénovateurs ou pseudo-rénovateurs contemporains ».


Les critiques feront de Marie Krysinska une novatrice, ses vers annonçant dès 1882 le vers-librisme symboliste, ou comme Mendès (1) et Rachilde (2) une expérimentatrice par erreur ou paresse. Marie Krysinska est l’auteur de trois recueils de poèmes, Rythmes pittoresques (Lemerre, 1890), Joies errantes : Nouveaux Rythmes pittoresques (Lemerre, 1894), Intermèdes : Nouveaux Rythmes pittoresques. (Vanier, 1904), de deux romans publiés, Folle de son corps (Victor-Havard, 1896), La Force du désir (Mercure de France, 1905), et de nombreuses collaborations à des revues et journaux, voir d’un roman-feuilleton Juliette Cordelin publié dans L'Eclair : Supplément littéraire illustré (du 22 janvier au 12 mars 1895). Depuis quelques années, grâce aux travaux de Seth Whidden (3) le nom de Marie Krysinska apparaît plus souvent dans les études littéraires. Je donne ci-dessous un extrait de La Force du désir, tiré du chapitre intitulé Dans les cabarets artistiques, Marie Krysinska qui a bien connu la grande époque des « Mac-Nab et des Jules Jouy », n’y est pas tendre pour la nouvelle génération de chansonniers et pour le public des cabarets de 1905.

(1) « la jeune Polonaise faisait-elle bien exprès, tout à fait, de s'exprimer en cette forme ? » Catulle Mendès Rapport sur le mouvement poétique français (1902)

(2) « Le vers libre est un charmant non-sens, un bégayement délicieux et baroque convenant merveilleusement aux femmes poètes dont la paresse instinctive est souvent synonyme de génie » Rachilde, Mercure de France (août 1894)

(3) "Le corps féminin comme objet en mouvement : Arthur Rimbaud et Marie Krysinska." Poétiques de l'objet en France. Ed. François Rouget and John Stout. Marie Krysinska : A Bibliography." Bulletin of Bibliography 58. 1 (March 2001) "Marie Kryinska's Prefaces and Letters : Not d'un Voyant, but d'une Défiante." Lloyd and Nelson 180-193. Subversions in Figure and Form : The Post-Parnassian Women and Versification of Arthur Rimbaud and Marie Krysinska." Diss. Brown U, 2000.


Envoi à Roger Miles auteur d'un ouvrage intitulé Le 18e Siecle. Regence-Louis XV. Voitures et chaises a porteur - Les metaux precieux - Le Bois...

La couverture d'Intermèdes est illustré par le peintre Georges Bellenger marié avec Marie Krysinska depuis 1885.

Dans les cabarets artistiques

La Force du désir,

Mercure de France, 1905

Luce, de son côté, joue et chante un peu partout.
Du bout de ses jolies quenottes rieuses, elle détailles les chansons populaires du temps jadis.
[…]
Entre ses tours de chansons, qui alternent avec des numéros de chansonniers, Mlle Luce observe ses camarades.
C’est une consternante collection.
Des faciès recrutés parmi ces jeux de massacres qui font la joie des baraques foraines, - façonnés évidemment de main de chourineurs ; des corps malingres, évadés, dirait-on, des bocaux de naturalistes, ou flatulents et boursouflés de sédentaires – s’affublent de vestons négligés.
Voilà pour le régal des yeux.
Des néants de voix, élimées et rocailleuses, des voix perforatrices comme des vilebrequins, des prononciations bafouillardes qui desservent des textes désolants de banalité, de grossièreté morne.
Voici pour la jubilation de l’esprit.
D’aucuns, auteurs compositeurs sans connaître une syllabe de musique et guère plus de littérature – s’accompagnent eux-mêmes au piano en braillant leur improvisation (la même pendant trois ans) et cela produit l’effet d’une fin de noce de province où le cousin de la mariée, complètement saoul, se serait dit :
- Il se peut que je sache jouer du piano, après tout, je n’ai jamais essayé.
Sur ce, il met ses coudes sur l’ivoire.
Voici justement M. Xavier Broiegravas, poète-musicien selon la formule ci-dessus.
Il est grand et de corpulence bien servie ; l’aspect d’un chef de cuisine, brigadier de gendarmerie à ses heures.
Aussi, le clavier battu comme plâtre, lapidé par ces mains pesantes de deux rudimentaires et invariables accords, fournit-il un fracas assourdissant, discordant et assassin d’oreilles.
De ce désagréable vacarme émerge péniblement une intention mélodique banale et amorphe, mais glapie avec un toupet d’une voix détimbrée et d’une articulation bredouillonne.
Le public ?
Oh ! Le public est d’une patience d’ange.
Empilé, comme dans un wagon les bestiaux, coudes aux côtes et genoux pressés, parmi une atmosphère empestée de fumée – il écoute, embêté mais respectueux, à sa place payée deux francs.
Or, il n’est point douteux que si, dans la maison qu’il habite, le sort ennemi lui avait donné en voisinage quelques virtuose de cette force il ne flanquât congé avec fracas.
Si même sa tante, riche et célibataire, avait la rage d’exhiber pareille attraction à ses thés du dimanche, il n’y mettrait jamais les pieds – le plumcake fût-il frais et l’héritage considérable.
C’est le tour du poète rosse, André Labarde.
Il n’est pas beau à voir, et son veston est pelliculeux.
Il psalmodie d’un air vanné des turpitudes en strophes dénuées d’esprit et de vérité, autant, pour le moins, chargées en laideur que le sont en joliesses les plus fades couplets d’opéra-comique. Art – si toutefois on ose ce blasphème – Art aussi faux et plus vilain.
Mais, une outrecuidance et un inamovible contentement de soi, luisent sur la face, plutôt patibulaire du poéte-rosse, vernissent de sueur le front déprimé, travaillent d’un sourire répugnant sa bouche de maître en vogue.
Car, il a du succès, le monstre !
Et, Luce Fauvet, en train de boire un grog américain, se demande si ce public de bourgeois et de boutiquiers ne goûte point, dans ces exhibitions devenues à la mode, le rare et mauvais plaisir de voir déshonorée, abaissée et avilie devant lui, l’effigie de l’Art, et bafoué le simulacre de la Pensée orgueilleuse et féconde – ces gêneurs de sa médiocrité. Mais, voici le benjamin des dames, le ténor-poéte Edmond Julep.
Celui-ci, tiré à quatre épingles, l’air d’une chromo ; le smoking parementé de velours – une invention a lui.
C’est d’ailleurs la seule invention
Dont il se soit avisé pendant sa carrière de ténor-poéte.
Car, ses vers sont d’une platitude à écoeurer le cochon doué du plus solide estomac.
Le petit filet de voix au glucose fait néanmoins pâmer lorsqu’il sussurre les infortunes d’un amant trompé et pas content – une trouvaille – et la fougue des amours espagnoles – qu’il distille en dormant.
Trois ou quatre fantaisistes de valeur se sont pourtant mêlés à cette cohue de nullités – alléchés par le gain facile et le succès immédiat.
Hyspa – anglo-méridional, pince-sans-rire, fait partager son attendrissement farceur sur le destin du Ver solitaire qui, élégiaque, se plaint – avec accent :

Je n’ai jamais connu mon père ni ma mère.

Dominique Bonnaud, spirituel et virtuose de la rime funambulesque, dans son Expansion coloniale, dit avec brio très personnel mille drôleries sur ce sujet plus apte à inspirer des réflexions amères.

Ferny héritier – non sans originalité – des Mac-Nab et des Jouy – désopile avec La visite présidentielle.
La blague d’actualité politique a amené dans cette arène de nombreux bureaucrates, employés de ministères, qui majorent ainsi, en cabotinant, leurs faibles honoraires ; point gênés de leur médiocrité – ni le public non plus d’ailleurs.
Ce public, par moments, est bousculé sans vergogne par le garçon porteur de bocks qu’il fait circuler quand même et en passant sur le corps des consommateurs, leur en renversant quelques-uns dans la nuque.
Pendant ce temps le débit d’un chansonnier va son train, comme il peut. Mais celui de la consommation, pensez donc !
Voilà l’important et le vraiment sérieux.


jeudi 25 octobre 2007

H.-G. IBELS et LA REVUE MERIDIONALE



H.-G. Ibels et La Revue Méridionale.

En 1905 de passage à Carcassonne pour une conférence, le peintre et dessinateur Ibels, fait la connaissance de Achille Rouquet (1) et de la revue qu’il dirigeait. Achille Rouquet, clerc de notaire, puis commerçant (2), est aussi auteur de recueils de poèmes. Après avoir créé une bibliothèque, il fonde en 1886 La Revue de L’Aude, qui deviendra en 1889 La Revue Méridionale, qui perdurera jusqu’en 1916. Achille Rouquet et ses enfants pratiquent la gravure sur bois, c’est après l’avoir vu travailler qu’Ibels aurait réalisé ses premières gravures. Dans le N° 2-3 Achille Astre (3), collectionneur, secrétaire de Gustave Geffroy, présente H.-G. Ibels aux lecteurs de la revue, l’article est illustré de gravures et dessins. Dans le N° 5-6 de mai – juin 1905, Ibels donne un article sur le Salon des Indépendant et en profite pour y défendre ses idées sur la caricature, séparant les caricaturistes des caractéristes. Je reproduis le tout ci-dessous.

(1) Pour un aperçu de la vie et de la carrière d’Achille Rouquet voir le Site officielle de la ville de Carcassonne
(2) Une publicité pour la Maison Ramondenq Rouquet, appareils, plaques, papiers, et autres fournitures photographiques […] Leçons gratuites à tous les acheteurs, figure au quatrième de couverture de la revue.
(3) Achille Astre est l’auteur, entre autres de Souvenirs d’art et de littérature. Gustave Geffroy, Louis Legrand, George de Feure, Achille Laugé. Paris, Éditions du Cygne, 1930. Dessins et bois par Achille Rouquet, George de Feure, Félix Vallotton, Achille Laugé et Auguste Rouquet. Et d’un Toulouse-Lautrec aux éditions Nilsson.

H. G. IBELS par A. ASTRE Revue Meridionale,
Février-Mars 1905, 20e année.


Parmi les peintres qui exposaient au salon des Indépendants en 1891, 1892, un des plus jeunes et non moins personnels, était H. G. Ibels dont le numéro précédent reproduisait la première gravure sur bois.
En décembre dernier, de passage à Carcassonne, l’Artiste qui donna un une conférence si intéressante à la Mairie sur les origines du Théâtre moderne, fut très amusé en voyant Achille Rouquet graver le bois ; il résolut à son tour de tailler la dure substance et assura la primeur de son essai à la Revue Méridionale. Nous avons éprouvé une joie intense en recevant cette planche suivie aussitôt de deux contenues dans ce numéro, parce que ce sont des débuts dans un art de la gravure, d’un Artiste, que j’estimai depuis longtemps alors qu’il se faisait remarquer par des œuvres vraiment originales, en peinture, dessin, lithographie, eau-forte, montrant l’ouvrier, la fille, les forains sous leurs aspects miséreux et si vrais.


J’ai encore présents à mon souvenir, parmi ses premières lithographies, la belle affiche de Mévisto, ayant au premier plan le chanteur qui observe sous un ciel gris qu’enfument des cheminées d’usine, un travailleur de terre dans un champ, courbé par le labeur, un militaire endimanché promenant sur la route qui borde le champ, un ouvrier fumant sa pipe, assis dans l’herbe des fortifs; ensuite ce dessin du Messager français représentant une grosse fille en chemise dans sa chambre aidant un troubade à ceinturer sa capote « j’ai un fils comme toi soldat ! » dit-elle avec amour; enfin ce pastel où une femme du peuple pressant son enfant contre le sein veut lui donner tout ce qu’il peut contenir.

Ces œuvres d’une belle simplicité, prises au hasard parmi les plus anciennes, témoignaient d’un ami de l’humanité et d’un grand artiste : Je désirais le connaître dans son intimité, tout en recherchant avec un intérêt croissant ce qu’il produisait. J’appris que son père était hollandais, sa mère de Toulouse, qu’il avait adopté Paris pour se livrer aux Beaux-Arts, suivant les cours de l’Académie Julian d’où il était parti après un stage de quelques mois, travailler dans un atelier privé avec quelques camarades qu’il adorait : Daumier, Guys, Degas ; en observation continuelle devant la vie des rues, celles des champs, très rapide à en saisir les manifestations synthétiques.
Banni comme la plupart des artistes créateurs des salons officiels, il envoya au Salon des Indépendants, chez le regretté Le Barc de Boutteville, à des expositions particulières, des pages fort expressives.


Une de ses peintures eut un succès colossal parmi les amateurs délicats et les ânes qui braient de joie lorsqu’ils passent devant une œuvre (1) ; elle faisait voir un gros hercule soulevant une énorme haltère dans une baraque en toile, avec pour admirateurs, les habituels spectateurs des deux sexes y compris les militaires ahuris, un pitre sec au maillot trop large donnant le signal des bravos, une femme à la poitrine débordante, en tutu jaune, tapant le tambour.
Cette interprétation du monde forain, la plus étonnante qu’il m’ait été donné de contempler, réunissant des types aux aspects brute et sentimental, animés par un dessin chercheur d’une audace et d’une énergie rares, au coloris brillant des notes plus vives, justes et harmonieuses, consacrait la renommée de l’artiste.

Suivirent plusieurs études de bateleurs en pastel ou peinture ; j’en acquis quelques uns que des amis trouvèrent comme moi d’une vérité criante, à tel point que lorsqu’il nous arrivait d’apercevoir au champ de foire une parade de ces nomades, nous étions d’accord pour dire, voilà des Ibels ! et cela ne s’est point perdu dans mon entourage.
Avec autant de maîtrise, Ibels fit défiler sous nos yeux les vedettes des cafés-concerts ; c’était Yvette Guilbert, c’était Jeanne Bloch dans les postures, avec les gestes que leurs nombreuses imitatrices ont fini par rendre si agaçants ; puis Kamhill, Irène Henry, la plantureuse Anna Thibaud, Camille Stéfani, Paulus, etc ; tous d’une parfaite ressemblance.
Le Théâtre Libre fut quelques temps l’objet de toute l’attention d’Ibels ; nous y avons gagné des silhouettes fort intéressantes de Gémier et Antoine dans leurs principaux rôles ; les programmes qu’il a illustrés pour certaines pièces datent de cette époque.


Par la façon dont il est campé dans ses poses familières, l’ouvrier a une importance considérable dans l’œuvre d’Ibels ; peu l’ont construit aussi solidement, et si n’a imité personne en le faisant vivre dans ses divers milieux, beaucoup l’ont pastiché dans sa forme, essayant vainement de le faire tenir debout avec du vide.
Des bouges où il a pénétré pour se documenter sont sortis des tableaux remarquables par la composition, une science exacte de coloris qui le classent parmi les meilleurs peintres, la trouvaille de cette atmosphère où se meut la fille qui fait profession d’amour : L’Invitation à Cythère ou une Vénus aux formes croulantes, mûre pour la retraite, déploie toute l’artillerie de ses séductions devant le Saint-Antoine, qui n’est autre qu’un jeune soldat résistant sans s’appuyer sur la vertu, est, entre tous, un drame triste.


Plusieurs hebdomadaires contiennent des dessins d’Ibels ; le Messager français, l’Echo de Paris illustré, l’Escarmouche dont il annonça la parution avec une affiche curieuse, l’Echo de la semaine, le Père Peinard insolent, mais libre, aux dessins pleins d’envergures.
Le Sifflet, réponse au Pstt, l’Assiette au Beurre, Le Cri de Paris, un livre, Les Demi-cabots tous les dessins de lui, une édition de La Terre de Zola en contenant des plus remarquables. Si vous feuilletez ce qu’il a produit jusqu’ici vous reconnaîtrez aisément que ce qui intéresse, préoccupe surtout ce maître du geste, c’est le vaincu.
Sa frappe d’apparence quelquefois grossière, ne l’empêche pas de se faire ressortir en d’exquises délicatesses et les colombines et certaines modernes, telles Jane Debary, Irène Henry, etc.


Je laisse cette étude incomplète, forcément, puisque Ibels, plein de santé à 36 ans, est en pleine possession de son art ; ses brillantes facultés d’observation devaient réveiller en lui de précieux dons d’auteur dramatique ; le Vaudeville a joué il y a deux ans avec un certain succès la Neige, et l’année dernière la Gaieté attira dans son immense salle, un public avide de connaître la Montansier, aussi intéressante à la lecture, qu’à la représentation.


Enfin Ibels s’est préoccupé du sort de l’artiste qui méconnu à ses débuts cède pour peu de chose, ses premières œuvres, alors que plus tard ou après sa mort des marchands ou amateurs se les disputent à de très gros prix ; ainsi Millet dont la Bergère, l’Angélus trouvèrent péniblement preneurs à quelques centaines de francs et qui ont atteint plus tard la première 1.200.000 francs, la deuxième 800.000. Il a fait présenter un projet qui a été adopté par le Conseil municipal de Paris ; et qui, codifié par le Parlement, réparera, pour les artistes et dans unecertaine mesure, les injustices de la destinée [I].


Achille Astre.



(1) Je les regardai au dernier salon d’automne, accompagnés de leurs dames, en extase devant ces Lautrec qui, dix ans auparavant, les faisaient rire aux larmes ; maintenant c’était les Cézanne qu’ils ne connaissaient pas encore, provoquant chez eux des manifestations hilares comme des pétarades de jument.

[I] Ce projet se trouve dans Une enquête sur le droit de l'artiste, publiée par Jean Ajalbert, Stock, 1905.


LE SALON DES INDEPENDANTS par H. G. IBELS
dans la Revue Méridionale de mai – juin 1905, N° 5-6, vingtième année.


Chaque année, cette manifestation artistique est une des plus importantes. Quelle jeunesse, quel enthousiasme, quel beau mépris des conventions dans la ruée vers tous les idéaux ! Sauf de très rare exceptions, toutes les œuvres exposées sont intéressantes, toutes témoignent d’un effort réel, et le succès des Artistes Indépendants est définitif. Trop définitif même, puisque nous voyons s’étaler, au bas de certaines œuvres, la mention : Acquis par l’Etat, donnant à ce salon une note officielle en désaccord avec sa belle devise : Pas de jury ! Pas de récompense ! Que l’on vende à l’Etats ou aux particuliers, c’est fort bien, et j’en suis heureux pour les artistes et pour la Société ; mais qu’on n’essaie pas de raccrocher les regards du public, en plaçant sur les cadres un écriteau quelconque, Acquis par l’Etat ou Vendu, semblant établir des distinctions entre les œuvres exposées.
Ceci dit, je manifeste librement ma joie d’avoir visité plusieurs fois cet intéressant salon.
L’exposition rétrospective des œuvres de Vincent Van Gogh était nécessaire, je ne la trouve pas assez complète.
Cet artiste extraordinaire, dont le génie confine souvent à la folie, restera un merveilleux dessinateur de paysages ; on peut citer son nom avec ceux de Claude Gelée et de Rembrandt. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les dessins faits à Avernes-sur-Oise (sic) en 1889, les Glaneurs, les Moissonneurs.
Une autre exposition rétrospective ; celle des œuvres de Georges Seurat est d’un enseignement salutaire, et prouve qu’une large conception ne peut pas être asservie à un petit procédé, que les mathématiques et les théories physiques n’ont rien à faire avec l’Art, et que peindre la lumière, en décomposant les tons, est une erreur quand on obtient comme résultat une décoloration de la nature ainsi exprimée.
M. Marquet ébauche heureusement des paysages parisiens. M. Stephanicz nous transporte dans de beaux décors de parcs et de jardins.
Quelques dessinateurs, et principalement des caricaturistes étrangers triomphent en ce Salon.
Je ne connais pas d’art plus méconnus, plus incompris que celui de la caricature, que l’on confond toujours avec l’art caractériste, justement défini par Raffaelli.
Je tâcherais d’être bref et concis.
Nous n’avons pas de caricaturistes en France : Forain, Steinlen, Hermann Paul, Louis Legrand sont des caractéristes.
Willette est un délicieux poète de la palette et du crayon.
Léandre réussit superbement la charge, son art est peuple, celui de Sem est bourgeois, et celui de Cappiello est aristocrate. Caran d’Ache est un merveilleux journaliste et dessine des chroniques fort amusantes.
Mais cherchez un caricaturiste pur, c'est-à-dire un artiste dont le dessin, sans légende, par la seule valeur comique du trait, et non du sujet, provoque le rire spontanément, tel Hokousaï au Japon, Busch en Allemagne ?
J’en ai trouvé au Salon des Indépendants, ce sont des étrangers : M. Blix, suédois d’origine et de nationalité, descend directement de Busch par le talent. Je salue en lui un caricaturiste pur dont les œuvres pleines d’esprit sont exprimées nettement, définitivement. Son compatriote, M. Arosénius, est aussi très amusant en ses œuvres, moins personnelles cependant que celle de M. Blix. M. Matthes, allemand, joint à une observation comique très puissante, une exécution très finie, très soignée, qui fera rechercher ses œuvres.
A côté de ces trois caricaturistes, il y a quelques caractéristes dont le talent s’impose.
Le lecteur a droit à deux définitions, par comparaison, je vais les lui donner :
Le caricaruriste réalise complètement son art par la valeur comique du trait, je ne trouve pas d’autre expression, avec ou sans déformation.
Le caractériste est un observateur de la vie, dont il saisit le côté caractéristique, qu’il accentue, déforme, par le dessin et explique par la légende.
Le dessin d’un caractériste peut être gai, triste, suivant le sujet, il n’est jamais comique par lui-même, et se passe difficilement de légende.
Le dessin du caricaturiste est comique par lui-même, se passe souvent de sujet et toujours de légende explicative.
Le caricaturiste s’exprime drôlement. Le caractériste exprime des choses drôles… ou tristes le plus souvent, puisqu’il est observateur né des mœurs de son époque, et que je ne connais pas d’époque gaie !
Je termine cette comparaison en me servant d’une formule souvent employée, pour permettre de saisir les nuances qui différencient deux choses semblables extérieurement :
« on nait caricaturiste… on devient caractériste »
Je signale maintenant les caractéristes dont les œuvres m’ont particulièrement attiré dans ce Salon.
M. Naudin est un admirateur de Callot, et son admiration ne l’empêche pas d’avoir une vision et une exécution très personnelle dans ses eaux fortes les Affligés.
Mlle Kollurtz est digne d’illustrer les œuvres de son compatriote Gérard-Hauptmann – l’auteur des Tisserands – La danse autour de la guillotine est une des plus fortes œuvres que je sache.
Le hollandais Van Dongen est loin d’être un inconnu. Ses dessins dans L’Assiette au Beurre l’ont de suite placé, de plus un chercheur, sa Descente aux enfers de la déesse Istar est une composition des plus curieuses, ses tableaux décèlent un effort incessant.
M. Dufresne, dans ses dessins et ses pastels, exprime heureusement des Paradis et des Chanteuses.
M. Noblet expose des croquis qui promettent un dessinateur puissant : et M. Schutzemberger enlève des silhouettes à la pointe du pinceau, avec une rare maëstria.
Je me suis efforcé d’écrire mes impressions, spécialement pour tenir les lecteurs de la Revue Méridionale au courant du mouvement artistique qu’on peut enregistrer, surtout au Salon des Indépendants. Qu’ils me pardonnent les répétitions de mots, tels que valeur, coloris, dessin, vision, harmonie, composition, ils constituent notre répertoire d’artiste, ils résument toutes nos recherches et l’on est encore un bel artiste quand on a satisfait aux exigences d’un seul d’entre eux.

H.–G. IBELS.



Le Dîner du PIERROT (bis)



UN DOCUMENT

Je citais dans un billet précédant deux articles extraits du journal de Willette Le Pierrot, articles consacrés au premier dîner du Pierrot, l'auteur signant "Echo" y décrivait le menu imprimé par G. Poirel et Cie, aujourd'hui, surprise en fouillant dans une pile de Pierrot, je tombe sur ce menu, l'exemplaire au nom de Gabriel Randon, futur Jehan-Rictus, poète-collaborateur du journal. Je ne pouvais faire moins que de le reproduire ici.

"L'encadrement du menu, formé de la collection du Pierrot déployé en éventail, était dû à l'imagination de MM. Poirel et Cie. Il était tiré d'une façon soignée. Ce n'est pas le moindre souvenir durable de ce banquet."


mercredi 24 octobre 2007

PONCHON GOURMONT

Un blog à visiter : Celui consacré à Raoul Ponchon (1848 - 1937), on y retrouve des centaines de gazettes rimées du prolixe chroniqueur en vers du Courrier Français.

Une parution : Rémy (sic) de Gourmont : L'Idéalisme. Précédé de Celui qui ne comprend pas. Stalker éditeur, Collection Dumping, 64 pages. (5 euros). Réunion de textes sur l'idéalisme et le Symbolisme.
Sous une très belle couverture, dans une collection à bon marché, un choix judicieux de textes, même si je persiste à regretter le "saucissonnage" de l'oeuvre gourmontienne, ces textes essentiels et peu connu sur le Symbolisme méritaient cette réédition. Maintenat venons en aux critiques : il est dommage, qu'aujourd'hui encore - malgré les efforts d'une cohorte "d'amateurs" fervents et sérieux (1) pour faire connaître la vie et l'oeuvre de Gourmont - l'on soit encore obligé de rappeler que Rémy de Gourmont à pour nom de plume Remy de Gourmont, cet accent n'est peut-être qu'un détail, mais l'auteur l'a voulu ainsi, et les tous les éditeurs, du Mercure de France aux plus récents, ont respecté cette orthographe.

Extrait du site de l'éditeur : "Car, ainsi que l’explique Rémy de Gourmont, les deux s’étaient mariés… pour le meilleur de l’Art et de la Littérature et pour le pire… de la tranquilté de la populace d’alors." Curieux hommage à l'auteur de l'Esthétique de la langue française.

(1) Voir : Le titanesque travail de Christian Buat, sur le site remydegourmont.org, l'étude de Charles Dantzig, les publications de Thierry Gillyboeuf, celles de Henri Bordillon, le colloque de Cerisy, les articles et préfaces d'Hubert Juin, l'excellente thèse de Karl D. Uitti, d'autres que j'oublie.

mardi 23 octobre 2007

LES PETITS RIENS DE LIVRENBLOG

Continuant son exploration de la littérature des à cotés, de la note de bas de page au compte-rendus de lectures des revues, des légendes d'illustrations aux prière d'insérer, le blogueur dilettante, toujours aussi fâché avec le tri plonge dans son fouillis pour en pêcher quelques infos infimes et détails indispensables le tout illustrés d' images.

Relévé sur la page de dédicace de Les Plaisirs de l'enfer de Sylvain Bonmariage, roman précédé d'un essai sur l'Erotisme dans l'art, aux éditions Raoul Sailland :

A / Madeleine de Swarte / Subtil et courageux auteur / de / Les Caprices d'Odette / Mady Ecolière / Les Fourberies de Papa / Les Mignons / qui excusera ce livre / parce qu'elle a écrit / aussi / à l'école de Willy.

Madeleine de Swarte (1887-1952) fut la secrétaire-maîtresse de Willy à partir de 1906, et restera près de lui jusqu'à sa mort. En plus de la liste ci-dessus elle est aussi l'auteur de La Femme sans regard ou L'Enterrement d'une vie de jeune fille. Mady écolière, était présenté comme "écrit en collaboration avec Willy", plus intéressant que ce "Claudine à Genève", ses Fouberies de Papa nous font mieux connaitre le personnage de Willy, celui qu'il voulait bien laisser transparaître. Après la mort de Willy, Madeleine de Swarte épousera Sylvain Bonmariage (auteur d'un Willy, Colette et moi, et d'un volume de souvenirs Mémoires fermés) qui fut lui aussi un secrétaire-collaborateur de Willy.

Lu dans Le Pierrot de Willette :
Le Dîner de Pierrot
Le titre dit dîner, l'écho répond baptême

C'est en effet le baptême du Pierrot qui a eu lieu samedi dernier à l'auberge du Clou. Pierrot a atteint son sixième mois, ses dents le font bien encore un peu souffrir, cependant il commence à mordre.
Willette l'a tenu sur les fonts baptismaux, assisté de la société suivante :
La Rédaction et ses amis :
Mélandri, Pimpinelli, Fernand Mazade, Louis Gaillard, Gabriel Randon, Rodolphe Darzens, Henri Papin, Auguste Roedel, Desca, Charles Chincholle, Decaux, de Bliou, le directeur Willette, Léopold Dauphin, Henri Derville, Ribeyrol, Dupérelle, Delarue, Ogier, Poirel, Georges Roch, Fernand Pelez, Eugène Bessin.
L'encadrement du menu, formé de la collection du Pierrot déployé en éventail, était dû à l'imagination de MM. Poirel et Cie. Il était tiré d'une façon soignée. Ce n'est pas le moindre souvenir durable de ce banquet.
Quant au menu lui-même, l'éloge du patron de l'auberge du Clou n'est plus à faire ; M. Paul Tomaschet a officié d'une façon divine au baptême de Pierrot.

ECHO

Dans sa rubrique Cris de la Butte, Roedel, à propos de ce dîner précise : "j'avais à ma droite le long, l'Eiffelleux, le chevelu, le chouette poète Darzens [...] nous nous sommes tous cuités bons amis"

Rodolphe Darzens (pour en savoir plus sur le poète symboliste, futur biographe de Rimbaud, secrétaire du théâtre Antoine, marchand de bicyclettes et coureur automobile, voir Jean-Jacques Lefrère : Les saisons littéraires de Rodolphe Darzens Fayard), Gabriel Randon (futur Jehan-Rictus), Léopold Dauphin (alias Pimpinelli, musicien et poète, futur beau-père de Franc-Nohain), mais aussi Emile Goudeau (rédacteur en chef jusqu'au numéro 11), Alfred Poussin, Jules Bois, seront des collaborateurs de ce journal dont Willette écrira dans le numéro 1 "Enfin nous voici chez nous, et nos dix ans de bohème sont enterrés".
Puisqu'il est question de Pierrot, personnage récurrent dans une fin de siècle ou renaît la pantomime (voir Pierrot Fin-de-siècle par Jean de Pallacio, Séguier, 1990) à noter deux piécettes peu connues avec un Pierrot pour héros.

Revers (Henry) La Mort de Pierrot. Pantomime en un acte. Brunot & Grohmann, Londres, 1904, in-12, agrafé, 22 pp., illustré de dix croquis de l'auteur posés par le Mime Séverin.
Un Pierrot qui se refuse à jouer un Pierrot moderne et cynique.

Marthold (Jules de) : Pierrot Municipal. Comédie en un acte, en vers. Bibliothèque de La Plume, 1896, petit in-12, broché, 44 pp., édition tirée sur papier vergé.
Représenté pour la première fois au Théâtre du Gymnase le 14 février 1896.
Pierrot est ici le maire tyrannique d'un village. Profitant de son pouvoir, il tente de séduire Colombine qui amoureuse d'un Arlequin-poète se refuse à lui.

Et quelques Pierrots de plus :

dimanche 21 octobre 2007

LA MOISSON CONTINUE P. FORT P. IRIBE BOUHELIER

Trouvé cette semaine

"On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans", Paul Fort ne le fut sans doute ni plus ni moins que d'autres, mais une flamme l'animait, l'amour de la poésie et du théâtre, entendant Alfred Vallette déclarer à Samain et Dumur " Ce qui manque à cette école, c'est un théâtre", il décide de créer ce théâtre et d'en être le directeur. Nous sommes en 1888, ce théâtre sera le Théâtre d'Art, Paul Fort "sèche" les cours de Louis-le-Grand, et monte les pièces de Pierre Quillard, Charles Van Lerberghe, Remy de Gourmont, Rachilde, Villiers de l'Isle-Adam, Charles Morice, Maurice Maeterlinck, des Chansons de Geste, un poème de Mallarmé et Le Corbeau d'Edgar Poe, le tout dans des décors peints par Gauguin, Vuillard, Bonnard, Bernard, Sérusier... Avec son Théâtre d'Art il ouvrira la voie à Lugné-Poe et au Théâtre de l'Oeuvre. Dans ses Mémoires il montre la fascination exercé sur lui et quelques uns de ses camarades, la nouvelle génération de poètes et écrivains et narre sa première visite au Café-Voltaire, afin d'y rencontrer les poètes nouveaux, on constatera que le jeune homme, à peine dix-sept ans, fut surtout marquer par l'allure et la mise des gendelettres.

"Il existait à cette époque - en 1888 : j'avais dix-sept ans à peine - une école littéraire audacieuse et tout idéaliste, le Symbolisme, fourmillante de beaux esprits et de poétes que nous admirions sans les connaitre : de Stéphane Mallarmé à Paul Verlaine, ceux-là des dieux, de Verhaeren et Henri de Régnier à Stuart Merrill, de Saint-Pol-Roux-le-Magnifique au tout modeste Albert Samain voir du grand mage de la Rose-Croix, Joséphin Péladan, que nous imaginions chapeauté d'un haut bonnet étoilé, à Téodore de Wyzewa [...]

Il continue par un instantané du Café Voltaire en 1888 :

"Nous apprîmes que derrière l'Odéon une grande partie de ce beau monde se réunissait chaque jour à l'apéritif ou dans la soirée, en un certain illustre Café Voltaire. timidement, nous y fûmes, et c'était, je crois, autant que pour nous initier aux mystéres de la poésie, pour admirer de près l'éclatante beauté de Madame Rachilde, le monocle hautain de Régnier, le flegme de Vielé-Griffin, la magnificence de Saint-Pol-Roux, l'impeccable veston noisette du chevalier du Plessys de Linan, le gilet à Chasse-à-courre de Dujardin, la barbe assyrienne de Fontainas, la cravache de Laurent Tailhade, l'allure de page de Merrill, le bidon rabelaisien du cher Demolder et - en outre ! - les moustaches impériales et bleu corbeau, de Jean Moréas."
Fort (Paul) : Mes Mémoires. Toute la vie d'un poète 1872-1944. Flammarion, 1944, in-12, 230 pp.

Dans L'Assiette au Beurre N° 108, 25 avril 1903

Un clin d'oeil à Saint-Georges de Bouhélier et au Naturisme

"Je suis un peu comme M. Saint-Georges de Bouhélier... J'aime la nature."

Esthétes ! numéro entiérement illustré par Paul Iribe.

MOISSON DE LA SEMAINE : MIRBEAU GODOY RACHILDE

Trouvé cette semaine :

L'Assiette au Beurre N° 61 - 31 mai 1902 Têtes de Turcs rédigé par Octave Mirbeau, illustrations de Léopold Braun. L'occasion de signaler le blog de Pierre Michel, le site des Cahiers Octave Mirbeau, et le site de Pierre Michel où l'on retrouvera la liste de ses préfaces et articles disponibles en ligne. Que de travaux publiés, de rééditions, de colloques, depuis l'excellente biographie L'Imprécateur au coeur fidèle, il est vrai qu'Octave méritait bien un tel défenseur de son oeuvre.

Têtes de Turcs - Extraits :

Henri Rochefort : "lorsqu'on le rencontre, on peut se demander, au relent qu'il laisse derrière soi, si c'est son estomac ou sa méchanceté qui font qu'il pue !"

Boni de Castellane : "Le môme Frisé."

Brieux : "le Brieux est l'ennemi du bien."

Jules Lemaitre : "il est tombé, pour longtemps, de la poudre de riz du dilletantisme, dans la boue gluante du mensonge."

Paul Bourget : "Sachant qu'elle tenterait peu d'éditeurs, dans l'avenir, a commencé la publication de ses oeuvres complètes in-octavo. Et, de ce fait, Il est entré vivant dans la mortatlité"

François Coppée : "C'était un tout petit rimeur des Batignolles..."



MEDITERRANEA, revue mensuelle, dirigée par Paul Castéla, 3e année, N° 27, Mars 1929, numéro consacré à Armand Godoy, le poète du Musicisme. En voici le sommaire, un vrai Bottin.

Jean Royère : Lettre. Saint-Paul (sic) -Roux (1) : Lecture vivante dans ma solitude. Marcel Prévost (de l'Académie Française). Louis Barthou (de l'Académie Française) : Lettre. Ch.-M. Widor (de l'Académie des Beaux-Arts) : Armand Godoy. Paul Fort : Armand Godoy : autographe. Charles-Adolphe Cantacuzène : Lettre. Maurice-Pierre Boye : Armand Godoy et l'amour de la poésie. F. Beltrand-Masses : Portrait d'Armand Godoy (Hors-Texte). Francis Jammes : Pour Armand godoy, poème (autographe). Paul Gsell : Armand Godoy. Edmond Joly : Pour Armand Godoy. Robert de la Vaissière : Sur le poéte Armand Godoy. Georges Migot : Armand Godoy. Victorio Macho : Dessin. Camille Mauclair : Hommage à Armand Godoy (autographe). O. V. de L. Milosz : Lettre. F. Beltrand-Massé : Dessin (Hors-Texte). Francis de Miomandre : Armand Godoy. Valery Larbaud : Lettre. Charles Tillac : Lettre. Rachilde : Pour Armand Godoy. Fernand Divoire : Hommage à Armand godoy (autographe). Robert Randau : Lettre. René Lalou : Un grand souffle d'amour. Emmanuel-A. Marin : Lectures dans l'oeuvre d'Armand Godoy. Pierre Lagarde : Armand Godoy. André Sinet : Dessin (Hors-Texte). Yves Gandon : La Technique poétique d'Armand Godoy. Louis de Gonzague-Frick : Armand Godoy. Jane Catulle-Mendès : Armand Godoy. René de Brimont : Armand Godoy. Hélène Vacaresco. Claire et Yvan Goll : Hommage à Armand Godoy. Claude Farrère : Le poète curieux de tout. Emile Alder : Dessin. Henri de Régnier (de l'Académie-Française) : Armand Godoy (autographe). Charles-André Grouas : Ut musica poesis. Mariette Lydis : Eau-forte (Hors-Texte). Robert Chabrie : Les réminiscences Créoles d'Armand Godoy. André Mora : L'évasion mystique en poésie. Marcel Batilliat : armand Godoy poète de la musique. Armand Godoy : Rondo de Ph. E. Bach (Hosanna sur le Sistre). Jean Carrère : Le Drame de la Passion, par Armand Godoy. Théo Varlet : Le Sacre d'Armand Godoy (poème). René Verrier : La création rythmique de la beauté. Hrand Nazariantz : A Armand Godoy (poème). Portrait d'Armand Godoy avec son fils Jean-Charles (Hors-Texte). Emmanuel Lochac : Armand Godoy. Emile Alder : Bois gravé. Ernest Raynaud : Armand Godoy. Jean Dorsenne : Armand Godoy. José Vial : Adoption de la France. Alfred Poizat : Lettre. Renée Dunan : Armand Godoy. Phileas Lebesgue : En l'honneur d'Armand Godoy. Prince du Musicisme verbal (poème). Lugne-Poe : Lettre. Gabriela Mistral : El caso Armand Godoy. Yves-Gérard Le Dantec : Au commencement était le rythme. Portrait d'Armand Godoy à Cuba (Hors-Texte). Tristan Klingsor : A propos du Carnaval de Schumann. Manuel Ponce : Preludio Cubano (manuscrit musical). Vincent d'Indy : Lettre (autographe). Franz Toussaint : Lettre. René Dumesnil : Armand Godoy et la musique. F. Casadesus : Je suis amoureux d'une femme (manuscrit musical). Rhené-Baton : Lettre (autographe). Joaquin Nin Culmell : Et la nuit lumineuse où pleure le palmier (manuscrit musical). Léon-Marie Brest : Armand Godoy et Paul Valéry. Florent Odero : Danses cubaines (manuscrit musical). Adolphe de Falgairolle : Armand Godoy et la syncope en poésie. Paul Prist : Armand Godoy et la polyrythmie. Malcolm Mac Laren : Hommage au grand poéte Armand Godoy (poème). Jules Mayor : Armand Godoy. Nicolaï Dontchev : Armand Godoy. Edmond Spalikowski : Pour Armand Godoy. Pierre Chanlaine : Armand Godoy. Gabriel Boissy : Armand Godoy. F. Beltran-Masses : Dessins (Hors-Texte). Charles Tenroc : Armand Godoy. André Payer : Considérations sur l'art d'Armand Godoy. Victor-Emile Michelet. Paul Gaultier. Pierre Paraf : Armand Godoy. Armand Got : Armand Godoy. Frédéric Lachèvre. Giuseppe Cartella-Gelardi : Elogio della poesia di Armand Godoy. Armand Godoy : Prélude de Chopin, Hosanna sur le Sistre (autographe). Louis Thomas. U. V. Chatelain : Edgar Poe et Armand Godoy. Gabriel Brunet : Armand Godoy, poète baudelairien. René Chalupt : Hommage à Armand Godoy. Paul Jamati : L'Inspiration d'Armand Godoy. Edmond Pilon : Godoy, quand les mouettes... (poème). Maria Atherton : Armand Godoy : a brief appreciation. Eduardo Aviles Ramirez : Lettre suivie d'un poème en espagnol. Portrait d'Armand Godoy à sa table de travail (Hors-texte). Francis de Miomandre : Et sesquipedalia verba... (poème autographe). G. Govone : Hommage à Armand Godoy. Gaston Picard : Les Trésors manuscrits d'une bibliothèque. Georges Jamati : Armand Godoy. Jean Tortel : Ferveur d'un jeune. Jules Mouquet : Un poète du sentiment. André Cadou : Havane (manuscrit musical). René Richard : Les deux Méditerranées. Joseph Rivière : Armand Godoy. Armand Godoy, Mme Armand Godoy, leur fils et leur fille ainès à Cuba (Hors-texte). Paul Petiot : Armand Godoy, prince du rythme. Jacques Patin : Armand Godoy. P. R. Wolf : Armand Godoy. Pierre Mornand : Armand Godoy. Le R. P. Marcel Jousse (autographe). Léon Frapié Lettre. Ventura Garcia Calderon : Lettre. André Coeuroy : Lettre. Habib Benglia : Lettre. Léon Gosset : Armand Godoy. Joaquin de Luna : En el Homenaje a Armand Godoy. J. J. Rabearivelo : Lettre. Fac-similé du journal d'écoliers publié à Lima, contenant le premier poème imprimé d'Armand Godoy (Hors-texte). Georges Normandy : Armand Godoy intime (avec une page autographe d'Armand Godoy). Paul Castela : Estampe primitive sur bois. Armand Godoy : Le Brasier Mystique, poème inédit (fragment) 2me partie. Bibliographie. Armand Godoy et l'Opinion Universelle.

(1) Dans l'article Saint-Pol-Roux retrouve son pseudo correctement orthographié.

"En ce temps-là l'esprit de la littérature soufflait sur les bocks du cabaret de la Mère Clarisse, appelé famillèrement ainsi par ses habitués. Un cabaret dit alsacien, où la bière de Strasbourg venait de Strasbourg même ! Petit coin de la rue Jacob, un peu sombre, tranquille, n'accrochant pas le regard par des tons violents, selement orné de bons tableaux du peintre Feyen-Perrin, barques de pêche et vues du large sans trop de houle pour les promenades berceuses de la rêverie.
Se réunissant là, autour de cinq ou six tables, des hommes faits pour s'entendre à mi-voix : Van Muyden, graveur de talent, qui esquissait les têtes de ses amis sur un album, malheureusement perdu, Charles Cros, Beauclair, Montaigu, le peintre Alfred Poussin, Paul Morisse, Albert Samain, Georges Lorin, Marsolleau, Paul Arène, Metcalff, Willam Vogt, Edouard Dubus, Louis Denise, Ratez, Raoul dumon, Bonheur, l'ami et conseiller d'Albert Samain, Alfred Vallette..."

C'est ainsi que commence Portraits d'Hommes de Rachilde, ces réunions se tenaient vers 1884-1885 et rappellent celles décritent par Riotor dans ses souvenirs sur Montmartre donnés dans un billet précédent.

Rachilde : Portrait d'Hommes. Mercure de France, 1930, in-12, portrait frontispice par Nel Aroun.
Alfred Vallette. Maurice Barrès. Willy. Jules Renard. Jean Lorrain. Albert Samain. Paul Verlaine. Jean de Tinan. Laurent Tailhade. Jean Moréas. Léon Bloy. Louis Dumur. Remy de Gourmont. Paul Léautaud. Léon Delafosse.

vendredi 19 octobre 2007

Léon RIOTOR

Après la reproduction des Phalanstériens de Montmartre, il m’a semblé nécessaire d’en présenter l’auteur. Lyonnais, Léon Riotor est né en 1865 et mort à Paris en 1946. Léon Frapié dans un numéro du Sagittaire, revue de F.-A. Cazals, se charge de tracer le portrait de l’auteur des Raisons de Pascalin. Ne donnant jamais son avis sur les œuvres de son confrère, il se contente de dresser la liste de ses collaborations aux journaux et revues, de donner une liste de ses ouvrages, et un florilège de comptes-rendus piochés dans la presse. Afin de compléter un peu ce portrait, il faut signaler qu’en plus d’une carrière bien remplie dans les lettres, Riotor mena une carrière politique au Conseil Municipal de Paris. A propos de la période héroïque de Montmartre dont il est question dans le billet précédant, Riotor y reviendra en 1926 dans un roman à clef La Colle. Récit du temps de Montmartre, publié chez Fasquelle. Un roman qui se déroule entre le Chat Noir (Le Cloporte dans le roman), le Rat Mort, le Divan Japonais, etc. Les personnages y apparaissent pour beaucoup d’entres-eux sous leurs véritables noms : Emile Goudeau, Jules Jouy, Léon Bloy, Alphonse Allais, Paul Delmet, Aristide Bruant, Charles de Sivry, d'autre comme Rodolphe Salis (détesté par Riotor) ou Jehan Sarrazin, sont cachés sous des patronymes transparents. Un témoignage vivant, comme la description de La Vachalcade, inséré dans un récit assez classique sur le "collage" d'un sculpteur plein d'avenir avec une fille légère. Un témoignage sur les mœurs de la Butte et de la vie de bohème qui sera suivi d’un autre dans le même esprit (qu’il me faut encore trouver), Les Taches d’encre, publié en 1929.

Nos Collaborateurs

Léon RIOTOR

Par Léon Frapié

Le Sagittaire N° 4, septembre 1900

Je suis heureux de saluer Léon Riotor : il y a tant de gens qui s’affublent effrontément du titre d’homme de lettres pour avoir produit cinquante lignes de réclame ou de niaiserie sentimentale !
« Depuis qu’âgé de quatorze ans, il donnait ses premiers vers au supplément littéraire du Petit Lyonnais, Léon Riotor n’a jamais cessé de produire. »
Voici, en effet (d’après la Revue biographique contemporaine) la liste des publications auxquelles il a succintement (sic) collaboré : a la Réforme dernier journal de Gambetta ; le Réveil, le Mot d’Ordre, l’Evénement, l’Echo de Paris (1884-1886), le Figaro (1890-1892), le Journal (1892), la Nation et le Courrier du Soir (1890-1893), et toutes nos revues, parmi les quelles la Plume, le Mercure de France, la France Scolaire, la Revue Encyclopédique, etc. Il a publié divers Salons et étudié les artistes de ce temps dans l’Artiste, la Plume, la Revue populaire des Beaux-Arts, l’Album des Musées. Il a donné des nouvelles à la Revue Critique, à la Vie Populaire, à la Revue Illustrée, au Supplément de la Lanterne, au Soleil du Dimanche, au Gil blas illustré, au Bon Journal, à la Revue de l’Evolution, à la Revue des Journaux et des Livres, au Musée des Familles, à la Revue de France, etc., des romans à la Cocarde, au Petit National, à la Nation, à la France Nouvelle, à l’Ecolier Illustré, à la Lanterne.
Certes, dira-t-on, voici des références notables, et quelqu’un peut, avec elles, s’honorer du titre d’homme de lettres…
Et bien tout cela ne compte pas et ne vaut pas la peine qu’on en parle, vous dira modestement Riotor. Il y a une énumération plus sérieuse à faire, celle des ouvrages en librairie. Je la trouve sur la couverture d’une étude consacrée à Auguste Rodin, statuaire,publiée en quatre langues et mise en vente à l’occasion de son Exposition, et la voici :

OUVRAGES
de Léon RIOTOR

Poèmes légendaires

Le Pécheur d’anguilles.

Le Sage Empereur.

Fidelia.

Jeanne de Beauvais

ROMANS

Agnès.

L’Ami inconnu.

Le Pressentiment.

Le Pays de la Fortune.

La Vocation merveilleuse du célèbre cacique Piédouche.

Les Raisons de Pascalin.

THEATRE


L’Excuse, 1 acte (avec Felice Cavalotti).

Noce bourgeoise, 1 acte (avec Ernest Raynaud).

ESSAIS

Les Enfers bouddhiques.


Le Parabolain. – Le Sceptique loyal.

Sur deux Nomarques de Lettres.

Des Bases classiques allemandes.

Essai sur Puvis de Chavannes.

La Mode et le Mannequin.

Les Arts et les Lettres.

Il conviendrait d’ajouter un mot sur cette œuvre considérable, si je craignais qu’on attribue trop de complaisance à mon amitié pour Riotor. Je me bornerais donc à cueillir, dans un monceau de publications diverses, un bouquet d’appréciations sur quelques-uns des ouvrages énumérés ci-dessus.
De M. Edgar Base, dans la Fédération Artistique de Bruxelles, sur Jeanne de Beauvais :
« … Un poème théâtral, destiné au peuple, au plein air, comme les mystères de jadis et dont la portée archéologique et pittoresque s’allie (sic) curieusement à une prosodie brusque et vivante qui a dû tenter certes un jeune compositeur. La mise en scène de cette œuvre lyrique et l’envolée patriotique est réglée minutieusement, et l’œuvre serait certes vouée à un succès populaire. Elle se compose de quatre épisodes scéniques mouvementés et d’un caractère frappant. La coupe des vers rappelle parfois la sonore énergie du Sage Empereur, et le sentiment du drame y est élevé à une expression intense… »

Sur le Sage Empereur, ces quelques lignes d’une étude critique publiée dans la Réforme :
« C’est là, réellement, un beau poème légendaire, conçu en des idées riches de force et de paix, poème écrit en une poétique affranchie de la métrique conventionnelle « mais sobrement affranchie » ce qui me séduit au lieu de me déplaire… Le Sage Empereur est un livre à méditer par les princes de la terre. Cette œuvre est une page énorme de l’histoire du passé et une page claire et sobre pour l’histoire de l’avenir. »
Dans le même article, il est parlé de l’Ami inconnu « doux et joli roman. C’est l’amour qui se montre frivole et qui trompe longtemps pour enfin donner à la jeune vierge qui trépasse brisée, presque son illusion seule, car le baiser premier et suprême est si court au seuil de la fin des choses et des rêves humains… »
Au sujet du Sage Empereur, de M. Paul Dupray, dans l’Indépendance Belge : « C’est là un évangile versifié à l’usage du Souverain, un manuel ironique et philosophique et qui fut encore précurseur. Comment douter en effet que le Sage Empereur soit autre que Nicolas II ? Pourtant ce livre a, de quelque temps, précédé la circulaire du comte Mourawieff. Nul soupçon entre Riotor et ce ministre, de quelque connivence… (1) De M. J. –S. Barès dans le Réformiste : « quant à la forme, l’auteur a voulu briser la règle de Malherbe et de Boileau, devenue banale dans son cadre étroit, et ne se prêtant plus guère aux vivacités de formes et d’images qu’on peut espérer d’une philosophie plus libre dans une rhétorique plus ample. Il ne répudie pas absolument la règle, mais il s’en sert sans contrainte… ».

La vocation merveilleuse du célèbre cacique Piédouche, nous dit Camille de Sainte-Croix, dans la Petite République « est un bon roman de satire littéraire, dont maint pédant allégoriste gardera les marques ». « C’est une amusante et pétulante satire des mœurs méridionales. » (Mémorial de la Librairie.)
« On sent que M. Riotor a connu beaucoup de ces encombrants personnages. Quelques-uns semblent même être reconnaissables, aussi bien que la ville de Grabidous où se déroule la jeunesse de Piédouche et la Tanflique sur laquelle il navigue, n’est-ce pas Toulousain ? » (G. de Kéromen, Revue populaire des Beaux-Arts).
« On aurait tort d’y rechercher un recueil de philosophie transcendantale, en dépit des considérations et des réflexions comitantes qui suivent chaque chapitres, auquel les relie un fil assurément bien ténu. Mais quelle fantaisie piquante et quelle verve railleuse dans ces réflexions ! » (Eug. Gilbert, Revue Générale.)
« Le célèbre cacique Piédouche a pour aïeux Don quichotte, Pantagruel et Gulliver. Il ne fait pas mauvaise figure auprès de ses illustres prédécesseurs. » (Paul Aubriot, la Revue de France.)
« Cette œuvre est l’étincelante fantaisie d’un maître ironiste, la flagellante satire des Cénacles et des Petites chapelles. La raison y revêt des oripeaux de carnaval dont elle s’accommode joliment pour railler à son aise. Je ne connais pas de prose plus amusante, plus captivante, de gaîté plus folle et plus franche. » (Charles Grolleau, le Rappel.)
La place me manque pour donner sur les autres ouvrages de Léon Riotor et sur l’homme lui-même, les appréciations jadis publiées de Francisque Sarcey, Fernand Xau, Paul Alexis, Georges Auriol, Henri de Camboulives, Henri de Braisnes, Alphonse Boubert, J.-L. Croze, Edmond Lepelletier (Echo de Paris), Philippe Gille (Figaro), Louis Lumet, Charles Fainel, Georges Dessoinville, etc., etc.
D’ailleurs, il convient de laisser les lecteurs de cette revue se faire eux-mêmes leur opinion sur l’œuvre de Léon Riotor, et si, comme je le pense, cet écrivain est un artiste consciencieux, érudit et vibrant, ils en jugeront aussi bien que moi.

Léon Frapié


(1) Peu de temps après la publication de cet article, l’Evènement annonçait que la censure venait d’interdire l’introduction en Russie du poème le Sage Empereur.


Léon Riotor sur Livrenblog : Léon Riotor par Fernand Clerget et Louis Lumet. Les Phalanstériens de Montmartre. Léon Riotor dans La Poésie Moderne.

Les Phalanstériens de Montmartre par Léon RIOTOR



Leurs Débuts


Dans un volume intitulé Les Arts et les Lettres, publié chez Lemerre, en 1901 (I), Léon Riotor, publie ce qu’il appelle des « notes » de 1883-1884 sur ses débuts littéraires à Montmartre. Ses souvenirs se présentent en sept parties, de la première intitulée Les Jeunes, sur la situation de la littérature en 1883, nous ne retiendrons que la note de bas de page qui explique ce qu’était ce cénacle.
Concurremment avec les Hydropathes, les Hirsutes, Nous Autres, il y eut un cénacle intitulé les Jeunes. Il se réunissait dans une salle au coin de la rue de Tournon et de la rue des Quatre-Vents, et disparut en 1884. Là venait Georges Montorgueil, Ernest d’Orllanges, Georges Auriol, Victor Margueritte, Georges d’Esparbès, Louis Denise, Térence Cros, Paul Morisse, Démétrius Zambacco, Argyriadès, Jean Blaize, et bien d’autres que j’oublie.
Je reproduis ci-dessous la seconde partie, A Montmartre, où l’on retrouve à leurs débuts quelques littérateurs, peintres ou musiciens, comme Willette, Samain, Vallette, Auriol, Victor Margueritte, Louis Denise, Le Cardonnel, ou Charles de Sivry et beaucoup d’autre moins connus.

Les Phalanstériens de Montmartre

II. A Montmartre (1884)

L’histoire littéraire est composée de menus fait que nul ne songe à classer, formée de notes retrouvées un jour au fond de quelques tiroirs poussiéreux. On s’étonne alors du chemin parcouru ou des tombes creusées, des transformations inattendues, de la réussite de tel obscur camarade alors qu’un mieux trempé, et qui semblait promettre longue course, a disparu sans rien produire, et combien de prophéties fausses pour une véritable !...
Si on n’a pas suivi, depuis ces dix ans, ces vingt ans écoulés, l’évolution des idées et des hommes, on se retrouve dans un décor transformé, inconnu, planté d’arbres nouveaux, où fleurissent haut et ferme des pousses jadis grêles. On demande où est le petit, le malingre, le rachitique ? De l’Académie Française… Le grand, robuste, talentueux ? Mort ou épicier… Et de s’étonner.
Ces exhumations de notes surprennent par leur imprévu, elles intéressent presque toujours par les souvenirs évoqués, ou par les germes de fantaisies qui les firent naître. En 1883 nous nous étions réunis pour le vivre et le coucher en une sorte de familistère poétique, plusieurs camarades, Georges Auriol, Adolphe Willette, P. Destournel et moi. Ce fut fou et délicieux, trop rapide pour notre gaîté. Il y aurait des volumes de souvenirs à écrire là-dessus, de quelle intense vie animés ! (1) D’autres, que nous avions rencontrés aux « Jeunes » dans un entresol de la rue des Quatre-Vents, nous fréquentaient et se mêlaient à nos agapes, Jean Blaize, d’Esparbès, Le Cardonnel, Victor Margueritte, Louis Denis, Fernand Icres – nous devions nous retrouver « aux Zutistes » avec Charles Cros et Edmond Haraucourt – lorsque, en Septembre 1883, une note parue dans quelques journaux donna rendez-vous « à tous les déclassés de lettres » dans un cabaret de la rue Notre-Dame-de-Nazareth. J’y fut avec Auriol, et c’est là que nous nous liâmes avec Jules Bernard, Marius Réty, Paul Morisse, René Just, Jehan Gayant, Pierre Bujon (2), Antony Mars. Il y avait aussi quelques bas-bleus et divers que j’oublie. Quelque temps après, j’y menais un jeune employé de la Préfecture de la Seine, Albert Samain. C’est de cette soirée que résultat le clan « Nous-Autres » où nous nous assemblions pour lire nos essais et comploter de nocturnes équipées. La Presse s’occupa de notre matinée de Noël, de une heure à sept heures de la nuit. Il y eut force récitations poétiques et de multiples hors-d’œuvres : une séance d’hypnotisme de Raymond Maygrier avec Paul Morisse pour sujet, une conférence sur l’aéronautique par Paul Jovis, (3) et que sais-je encore ?
C’était la gloire pour nous, la petite gloire, celle dont on s’enorgueillit en laissant croître ses cheveux, en se croyant le grand homme de demain. Il y en aura certainement des nôtre qui figureront dans le mouvement littéraire, et c’est presqu’avec le plaisir du jardinier qui espère une fleur inconnue que j’ai jeté quelques lignes sur chacun, avec l’idée de bonne prophétie pour quelques-uns :
Voici Huyot, dit Georges Auriol, qui danse et qui rit, bon et doux, enfant aussi, fantaisiste et voluptueux, avec ses pages fleuries de rêves, de baisers, de nuits de douleur et de plaisir. Quelquefois des emportements, rares, puis il retombe dans sa placidité et sa bonhomie, allume sa pipe, et songe.
Voici Adolphe Willette, peintre mystique et caustique, ou plus simplement Pierrot, dont il a la face glabre et énigmatique et qu’il peint en habit noir. Fils du colonel Willette, chauvin, hait les Anglais. Elève de Cabanel, adorateur de Watteau, fervent de Puvis de Chavannes. Alors voir son grand tableau Parce Domine parce populo tuo, et dites-moi s’il est plus rare poème ?
Voici encore Jules Faure, poète de talent sous l’étiquette de P. Destournel. A signé Karle Munte de bien jolies choses. Sec et nerveux, ponctuel et froid, une tête de loup déchevelée et une paire de lunettes. Porte un gilet Robespierre. C’est un méridional (4).
Plus loin c’est Paul Morisse, enfant vieilli, paradoxal et têtu. Imberbe, un visage de vierge encadré de longs cheveux, les mouvements félins et souples. Adore Baudelaire, et les « divans profonds comme des tombeaux (5) ; Antony Mars, employé au chemin de fer de l’Est, poète comique, faiseur de monologues et de calembours, vif, remuant, causeur, entreprenant (6) ; Albert Samain, froid, méthodique, correct, rime de beaux vers qu’il travaille longuement avec amour, a la clarté, la concision, une richesse d’images surprenante (7).
Près d’eux voyez cette barbe rouge sur une tête de reître. C’est Rodolphe Salis, qui écrit sur un lutrin gothique des nouvelles drolatiques en vieux français à faire tressaillir Balzac et pâmer d’aise Rabelais. Armoiries : une tête de chat noir dans un soleil (8). Puis cet œil vif, sous un front monumental : Jules Jouy, aux complaintes fantaisistes, aux « scies » amusantes (9). Et Octave Lebesgue, ardent, convaincu, producteur infatigable qui signe chaque jour dans un quotidien un article en faveur des humbles, des faibles, des déshérités. Je le connus voici deux ans à Lyon, avec Auriol, alors qu’il s’escrimait au Réveil de Lyon et à la Bavarde, sous la tunique de soldat d’administration (10).
Et Paul Mariéton, ce lyonnais qui s’est fait l’historien et le grand porte parole du Félibrige provençal, et qui vient de publier une Viole d’amour vibrante de sentiment. Le meilleur cœur du monde, tout à ses amis, quand ils peuvent le saisir dans ses courses vagabondes (11).
Ici c’est Alfred Vallette, le didactique, l’érudit de nous tous, qui prétend que le bon sens doit être intimement mêlé à l’art. Aussi son style est-il toujours solidement argumenté et un de ces jours ils nous donnera Les Chutes, où la psychologie se mêle à haute dose à la logique (12). C’est Louis Denise, alias Daniel Doulx, rieur et jovial, un peu sceptique, mais artiste ! Son style, c’est l’aquarelle aux vives couleurs, savante, fine, spirituelle !
De la musique ? C’est Antoine Bonnet, dit Colophane, ou Colo (13). Compositeur sentimental, exécuteur passionné. Il saisit son violon, la tête en extase, joue de tout son cœur. Avec Charles de Sivry (14), il interprète les chefs-d’œuvre mystiques de la Hongrie, et mêle les harmonies magyares aux cantilènes provençales. Sur le clavecin du phalanstère, que de notes égrenées, lâchées comme des vols d’oiseaux, avec le gémissement grêle du violon qui pleure, pendant que nous sommes là, étendus sur les sièges et le plancher, les uns fumant béatement, les autres rêvant ! Aux fêtes de Florian, à Sceaux, et de Corot à Ville d’Avray, l’orchestre provençal conduit par de Sivry, flahutets et tambourins en tête, menait les farandoles à travers les bocages. Rodolphe Salis était en provençal, Georges Auriol en berger Camargue, très crâne, Madame Salis en Arlésienne, le fichu tour de gorge en point d’Alençon formant « chapelle ». Pour moi j’étais en berger Florian aux couleurs de la reine Jeanne, avec houlette. Et nous revînmes ainsi par les nuits claires, violonant et tambourinant, tandis que les chiens aboyaient.
Je continue : Jean Blaize, exotique, cosmopolite, hirsute, enthousiaste, lyrique. A publié un volume, Les Symptômes. Ne se vêt pas étrangement, mais est acrobate à ses heures. Disparaît : on apprend qu’il est en Normandie, pis en Provence, où à l’Ile de France, sa patrie. On ne s’étonne plus (15).
Térence Cros, musicien, tête de hongrois, hirsute, noir, bohémien (16), neveu de Charles (17), monologuiste du Hareng Saur et de l’Obsession, de Henry, ce pur artiste, fils d’Antoine, docteur et poète, grand chancelier d’Araucanie. Mélodies bruyantes, hardies, sauvages, quelque fois cependant d’une douceur adorable. Une délicieuse :

Le Soir est d’émeraude
Et le papillon bleu rôde

Sur des vers de Louis Marsolleau, le féminin, qui récite si câlinement ses poèmes (18).
Alfred Clauzel, dit Clodion, à cause de sa chevelure mérovingienne. Fervent admirateur de Cladel, poète robuste et douloureux, témoin sa série des Crucigères (19).
Georges d’Esparbès, un Agennais, doux, surpris, enfant. Style ardent, pressé, plein d’archaïsmes, avec des retours de périodes et un abus de conjonctions qui lui donnent un caractère spécial. Termine une série de portraits bibliques intitulée Les Juges. Marius Réty, dit Claude Bretin, font découronné, longs cheveux blonds bouclés, Christ souffrant, poète sur qui la fatalité s’est apesantie (sic), prosateur secoué de larmes. Jules Bernard a dix-huit ans et fait très peu de vers. Il excelle dans l’étude des angoisses qui torturent le cœur humain, avec une richesse d’images éblouissante. La voix douce, les manières câlines, les yeux riants, blond comme une gerbe de blé, c’est Bernard (20). Louis Le Cardonnel garde la mine drôle d’un jeune curé de campagne. C’est un poète absolu, sarcastique à la manière de Villon. Que de soirs ne l’écoutai-je pas, au coin des rues, sous la lumière tremblante des réverbères ! Sa dialectique précise, ironique, prit plaisir maintes fois à m’entraîner dans le paradoxe, mais toujours il s’y glissait un rayon étincelant de vérité (21). René Just, farouche républicain aux envolées lyriques, poètes des clameurs populaires, la tête pleine de grandes choses et d’enthousiasme, dont les apostrophes cinglent comme des verges (22).
Dans ce coin, on rit. C’est Alphonse Allais qui, avec son frère Paul (23), passe le temps à berner les profanes. Il n’écrit guère, mais son petit genre récrée, et il serait impossible de narrer toutes les farces dont il s’amuse quotidiennement. Là on chante… Marcel Legay, poète musicien de l’âme et du cœur, chantre de la terre et des joies laborieuses, relève sa belle tête souffrante et nous émeut. Quelques-unes de ses chansons sont déjà fort connues. Nous lui faisons tous de petits poèmes. Il y a aussi Gérault-Richard (24), J.-B. Clément, l’auteur du Temps des cerises, parmi ses paroliers.
Victor Margueritte récite des vers de sa Chanson de la mer, qui vient de paraître (25). Un des fils du général Margueritte, poète d’une excellente école, baudelairien. Comme mise : veston de velours noué d’une cordelière, gilet de peluche verte, bolivar de feutre de soie, cheveux longs et bouclés (26).
Edouard Dubus – en journalisme Baroude – caractère caustique et ardent, nous commente son dernier article (27). Léon Vian lit une de ses nouvelles étranges où la science imagine de surprenantes choses. Avec ses Contes baroques, il promène ses auditeurs dans les siècles prochains. Et c’est vraiment une imagination sans frein (28).
Terminerais-je ici par mon propre portrait ? Si oui, je l’extrais d’une série de Georges Auriol : « Léon Riotor, fils des brouillards lyonnais, se promène flegmatique sur le grand chemin de l’Existence, laissant flâner son regard vague au dessus des bruits de la rue, loin des tumultes et des bagarres. – Observateur infatigable, il erre, à la façon des indifférents et des dédaigneux, enfouissant au fond de lui-même les montagnes de documents qui viennent tourbillonner à sa portée. – Il a gardé le souvenir du vieux Rhône, tumultueux et rêveur, et de ces impressions profondes glanées les soirs de mélancolie et de je ne sais quel souffle septentrional senti je ne sais quand, il s’est confectionné un style précis et pourtant coloré, où s’unissent à la verve gauloise, la bizarrerie des romanciers anglais et l’étrange et fantasmagorique songerie des poètes suédois. Travailleur obstiné, il forge des rimes sonores entre deux chapitres de roman et fait tomber de son enclume des chroniques légères qu’il laisse s’envoler comme des feuilles mortes !
« Grand amateur des légendes allemandes, on le voit sur le boulevard ruminer ses essais, dans le maëlstrom des chroniquailleurs ébouriffés, guidé par sa pensée bien au-delà de l’insipide grouillement des chercheurs de faits-divers.
« Élégant jusqu’à outrance, il semble être le seul survivant des jours brillants du Directoire, et personne ne peut savoir où vagabonde son esprit multiple lorsqu’il foule l’asphalte poussiéreux des Italiens, et personne ne peut le distraire des scènes qu’il contemple à cent mille lieues parfois de la terrasse de Tortoni où il a savouré sa dernière absinthe… »
Que de noms pourrais-je ajouter ! parmi ceux qui de près et de loin, en dehors des liens de camaraderie, travaillent au triomphe de l’Idée dans l’Art, maçons édifiant leur bâtisse dans leur jardinet particulier, que de noms inconnus aujourd’hui, superbes demain ! Les Jean Lorrain, les Laurent Tailhade, les Jean Moréas, les Valère Bernard, Jean Lombard, Auguste Marin, Léon Duvauchel, Edmond Haraucourt, Fernand Icres, sont de futurs chefs de bataillon, sinon de fiers et vaillants combattants (29).
Qui surgira ? Lequel de nous gravira le pinacle étincelant ? Dans vingt ans, qui sera mort, qui sera célèbre ?... Comme ces bulles monstrueuses qui se dégagent des marais, le poète monte lentement, traversant d’impures ondes en y laissant un peu de son âme. Il monte avec effort dans ces atmosphères mauvaises, plus affaibli mais plus glorieux chaque soir, jusqu’à l’aube du grand ciel qui n’est souvent que le moment de son trépas !...


(1) Un Phalanstère poétique. – Le Réveil, Avril 1884, article de Frontin, alias Fernand Xau.
« Nos jeunes littérateurs reviennent aux éclatantes originalités du romantisme, et je ne peu que les féliciter de jeter dans la platitude du jour un peu de cette allure anti-prud’hommesque de 1830 qui vit surgir Hernani, et qui devait, plus tard, voir naître Les Fleurs du Mal. Ces néo-romantiques sont disséminés un peu partout, mais j’en connais plus particulièrement quelqes-uns qui ont arboré à Montmartre l’étendard des chapeaux flambards et fait luire la rutilante aurore des gilets rouges. Chaussés de souliers vernis à la Directoire, ces Gautier de 1884 sont de vivants contrastes ; le débraillé de leur mise est l’antithèse violente de leurs escarpins à bouffettes, de leurs bas de soie de l’élégance de leur désinvolture littéraire. Ils affectent de parler en gentilshommes et s’en acquittent, ma foi, fort bien ! Ils traitent volontiers la première catin venue de « ma-quise » ou de « belle et honneste dame » comme Brantôme ; chamarure (sic) de langage, chamarure de vêtements, chamarure de têtes à caractères, on revit avec eux l’innombrable pléiade des poètes des derniers siècles et l’endiablée vie de bohême. Ont-ils du talent ? En général. D’ailleurs, en parler serait vain, le public les appréciera quelque jour. Question littéraire à part, ce sont de hardis néo-romantiques. Théo l’a dit quelque part : Ce n’est pas une mince bravoure que d’arborer un gilet rouge, et l’auteur de Mademoiselle de Maupin en savait quelque chose.
Parmi eux, j’en citerai quatre qui se sont déclarés phalanstériens, franchement, comme Pétrus Borel, comme Philoxène Boyer, et qui n’ont pas hésité un seul instant à remettre en pratique la délirante vie des bohêmes joyeux. Les héros de Murger ne sont auprès d’eux que de pâles embêteurs de pipelets. Leur phalanstère s’est logé au plus haut de Montmartre, et sous les toits de la maison la plus élevée. Entrons : un long vestibule sur lequel s’ouvrent les chambres à coucher, nous conduit au « salon de réception. » L’appartement est vaste ; huit fenêtres, ornées de balcons, y donnent l’air et la lumière à flots. Voici les seigneurs du lieu, des gaillards dont les mises excentriques feraient reculer d’horreurs nos honnêtes tailleurs ; des gaillards « qui ont fait le désespoir de leur famille. » Permettez-moi de vous les présenter : Léon Riotor, le plus élégant, qui, à vingt ans, a trouvé le moyen de répandre dans les journaux de France la matière de six à huit volumes, nouvelles, articles d’histoire et de critique, traductions, poésies. A commis une poésie dont on parle beaucoup, La Chemise sale, et prépare un roman dont on parlera : Triptolème. Georges Auriol qui se vêt de linge de femme, met des voilettes en cravates et parle comme un roué de la Régence. Comme style, un mélange de Poe et de Mendès, le plus échevelé fantaisiste que je connaisse. Willette, le peintre poète, le portrait vivant de Pierrot, dont il porte le nom dans l’intimité et dont chaque compositions est un poème génial : enfin, P. Destournel, plume alerte et joyeuse, un des fondateur du fameux Claque-dent. Tous, figures ouverts et franches, les mains tendues, vous reçoivent et vous engagent à revenir. On rencontre là des musiciens, Ch. De Sivry, Antoine Bonnet, dit Colophane, un exquis violoniste ; Marcel Legay, Weiss ; des journalistes, Deschaumes, Ducray, Paul Morisse ; des peintres, Franck Bail, Steinlen, Gandara, ; j’en passe, et des meilleurs. Puis, les amis de la maison : Rodolphe Salis, Alfred de Clauzel, dit Clodion, Paul Alexis, Jean Blaiez, Albert Samain, Antony Mars, Auguste Audy, Georges d’Esparbès, Denis Doulx, etc. Dans la pièce de réception se trouve un vieux clavecin Marie-Antoinette. Colophane ou Sivroche (de Sivry) jouent leurs compositions, on s’ingurgite un verre de quelque liquide hasardeux ; on brûle une ou deux chaises dans la cheminée, et là, devisant d’art et de littérature, on laisse s’enfuir le temps.
Les aventures de ces quatre phalanstériens sont intéressantes, au point qu’on les a fortement engagés à les écrire. Allez au « Chat-Noir » parler de leur phalanstère, on vous contera aussitôt les évènements et les histoires les plus abracadabrants, les épisodes les plus renversants, et si quelques noms féminins, comme Colibri, Léa, Gretchen ou Christiane viennent s’y méler, ne souriez pas, à tous les poètes il a fallu des Muses. »

Réponse à Trublot. – Revue Critique, (entr’autres) Avril 1884. « Dans un des derniers numéros du Cri du Peuple, Trublot (lisez Paul Alexis) consacre ses Petites Nouvelles du théâtre et de la littérature à l’article du Réveil sur le phalanstère poétique de Montmartre. Il ne se fait pas faute d’éreinter les « jeunes » cités qui, dit-il, sont « pompiers et vieux, et ramollis et caducs ».

Notre collaborateur Léon Riotor, particulièrement visé, a répondu la lettre qui suit – dont l’insertion a donné matière à Paul Alexis à un nouvel article de deux colonnes :

Monsieur Trublot,
En lisant votre article sur les Jeunes, très courtois, et plein d’amabilité pour eux, je me plais à le reconnaître, je n’ai pu me retenir d’une inextinguible envie de rire. Quoi ! le naturalisme, qui compte déjà tant d’années d’existence et une pléiade d’auteurs si puissants ! quoi ! le naturalisme (dont vous êtes maintenant le seul et unique porte-voix) a pu songer un instant à s’émouvoir de la présence à Montmartre de quelques jeunes emballés, - dont le plus grand tort est sans doute de ne pas avoir été quémander le soutient que vous promettez d’accorder à tout jeune naturaliste ! – Vous me confondez véritablement.
Jusqu’à présent, nous nous étions permis de porter des vêtements d’un autre âge, des gilets dorés Louis XV, des escarpins vernis et des bas noirs. Nous jetterons tout cela au rencart, si vous le voulez bien, Monsieur Trublot, et nous nous vêtirons en jeunes naturalistes : un binocle sur le nez, un petit paletot-sac pour nos manuscrits, un gilet beurre frais et une chaine en doublé. Et puisque Triptolème vous embête, mon Dieu ! Je ne veux pas vous défendre ce pauvre avorton, nous en ferons des papillotes pour Dédèle.
Pourtant, cher Monsieur Trublot, nous sommes frères et ne nous ressemblons point. Frates dissimiles sumus, comme eût dit Térence. La question d’âge et de mise m’a toujours paru stupide, chacun s’habille comme il lui plait. Nous sommes des jeunes gens enclins aux défauts de leur âge, en possédant les qualités, comme les autres jeunes gens. Vous avez passé là, et nous passerons où vous êtes. Vous et vos amis êtes naturalistes, nous essayons d’être nous-même. Ou plutôt, sans prétention, je crois que nous le sommes un peu déjà.
La littérature est dans une phase de décadence amenée par l’excès de littérateurs. Nous n’avons pas à examiner quel sont les remèdes à employer, mais il y en a, et d’efficaces. Réflechissez-y vous-même.
C’est sous les bois ombreux, au bord des ruisseaux chanteurs, où j’entremêle d’extases bucoliques l’achèvement de ce pauvre Triptolème que vous maltraitez tant, que m’arrive votre article dont je ne peux vraiment pas me fâcher. Seulement, entr’autres inexactitudes, je n’entraîne pas mes amis. Auriol, Willette et Destournel, sont complètement indépendants de Triptolème. Je ne crois pas que personne ait ouvert la porte à leur esprit. Je suis même inquiet de l’effet qu’à produit sur eux la fumisterie de mauvais goût qui me présente comme leur Mentor.
Dans le travail littéraire, il y a deux choses à considérer : la gestation et l’éclosion. Ces deux choses sont nécessairement dépendantes l’une de l’autre. Avant que l’idée à émettre puisse surgir à la lumière, elle séjourne dans l’esprit et y prend la forme qui lui paraît le mieux s’appliquer à sa clarté, à son développement ou à son énergie. L’idée éclora dans tel ou tel moule selon les différentes situations du cerveau qu’elle aura traversées, et selon la durée de son séjour.
Je ne parle pas ici de ce que nous appelons les pisseurs de copie, journalistes hâtifs qui jettent, au hasard de la plume et de la vie, un ou deux articles chaque jour, sur tel ou tel sujet, sans y réfléchir même un instant, tout simplement parce que le métier l’exige. Il fait fournir tant de copie à heur fixe, à jour dit, et il est facile de voir ce qui peut naître de ce travail forcé. La gestation de l’idée artistique, pour qu’elle soit réelle, a besoin d’être inconsciente. Mes amis et moi, et beaucoup d’autres encore ! ne travaillons que sous cette influence. C’est pourquoi nous décrivons plus nos conceptions que les choses réelles. Sommes-nous romantiques, sommes-nous naturalistes, point ne le sais, et point ne chercherais à le savoir.
Ceci dit, je termine en vous remerciant des quelques mots que vous avez bien voulu écrire sur nous, et en témoignant de la plus profonde admiration pour tout talent nettement affirmé, de quelque façon qu’il s’exprime, et quelque sujet qu’il embrasse.
Léon Riotor

(2) Mort en 1895
(3) Mort en 1890
(4) A oublié la littérature. Habite l’Île de Madère.
(5) A disparu, réside à l’étranger je crois
(6) Est devenu vaudevilliste. A d’ailleurs fait fortune.
(7) A publié Au Jardin de l’Infante, 1893, couronné par l’Académie Française en 1898, et Aux flancs du Vase, 1900. – Mort le 18 Août 1900.
(8) Combien je m’amuse aujourd’hui de ma crédulité d’alors à l’égard du pître cabaretier ! A fait fortune aussi. Mort en 1897 en son château poitevin de Naintré.
(9) Mort fou en 1896.
(10) Georges Montorgueil.
(11) Tout cela était vrai alors et l’est encore
(12) Fondateur et directeur du Mercure de France. A publié deux romans, Le Vierge et A l’écart.
(13) Avait disparu. Je l’ai retrouvé en 1896 chef d’orchestre du Kursaal à Genève.
(14) Mort en 1899
(15) A publié depuis de remarquables romans.
(16) A été enfermé un instant comme fou, m’a-t-on dit.
(17) Charles Cros est mort en 1887. Cf mon Médaillon.
(18) S’est transformé en poète politique au moment du boulangisme.
(19) Mort poitrinaire à 23 ans.
(20) Bernard s’est fait sauter la cervelle à dix-neuf ans après avoir publié un roman.
(21) Le Cardonnel est curé de campagne quelque part.
(22) René Just est mort de misère à 22 ans.
(23) Paul Allais est devenu pharmacien, quant à Alphonse c’est toujours l’être le plus désagréable de la création.
(24) Fut député de Paris, rédacteur en chef de la Petite République.
(25) En 1883.
(26) Devint officier de cavalerie, démissionna, reprit la plume.
(27) Le Gaulois, le Pilori, etc., Dubus est mort en 1895.
(28) Mort à Panama, où il avait été envoyé comme ingénieur.
(29) N’oublions pas que ceci est écrit en 1884, et combien n’en ai-je pas brûlé que j’adorais !


(I) Préface de Gustave Geffroy. Lemerre, 1901, in-12, broché, 466 pp., couverture rempliée, index, frontispice et [fac-similé de] lettre autographe de Puvis de Chavannes. Outre les souvenirs dont il est ici question on y trouve des articles sur Puvis de Chavannes, Auguste Rodin, Léon Cladel, Barbey d'Aurevilly, Edmond Lepelletier, Willette, Jules Claretie, Charles Buet, Catulle Mendès, Les Cros, Les Indépendants : Les Refusés, 1er Salon du "Groupe", 1er Salon de la "Société", 2me Salon du "Groupe", etc.