Affaire Adelswärd-Fersen, 5e partieC'est à travers la lecture de la presse quotidienne, que je me suis proposé de suivre l'affaire de mœurs qui révéla au grand public le nom du poète Jacques d'Adelsward. Cette 5e partie est consacrée aux articles publiés le lundi 13 juillet 1903.
L' Aurore sous le titre de Grave Affaire de Moeurs, revient sur l'affaire de l'avenue de Friedland. Le journal souligne l'avancée rapide de l'instruction, mais surtout donne l'extrait d'une lettre d' un « ami », où l'on trouve ce portrait du baron :
« ... Magnifique chevelure blonde, ondulée et teinte au henné, les doigts chargés de bagues – il en a pour 2 000 francs, - gilets criards, toujours une petite boite de poudre de riz dans la poche, bref, une tenue très élégante, mais un peu excentrique et compromettante ; c'est l'école des jeunes poètes qui veulent faire de leur personne une réclame pour leurs oeuvres. J'espère que cela lui passera avec l'âge.
« Ici, tout le monde a fait la même réflexion ; voilà un jeune homme auquel le service militaire fera rudement du bien ! C'est aussi mon avis. Je dirai même que cette année-ci sera décisive pour lui. C'est elle qui décidera s'il sera plus tard un Sully-Prudhomme ou un François Coppée (car il a de l'étoffe) et dans ce cas il peut vous être utile, ou s'il restera un riche inutile comme il y en a tant dans la haute vie parisienne.
« Comme je vous l'ai dit, il est excessivement snob, se figurant qu'il n'y a gens bien que parmi les gens titrés. Légitimiste sans savoir pourquoi, uniquement parce que c'est chic, croyant que tout le monde à 50 000 livres de rente ; la moindre inélégance de tenue ou de parole le choque et peut le dégoûter de quelqu'un pour toujours. Avec cela pas susceptible, connaissant très bien ses défauts et ne se froissant pas quand on les lui reproche amicalement et qu'on lui fait sentir qu'on l'aimerait encore bien davantage s'il ne les avait pas... »
Le journaliste est allé jusqu'à rechercher les dédicaces de Jaques Adelsward, « homme de lettres [...] d'un talent plutôt jeune et quelque peu décadent », sur les volumes envoyé à ses amis.
« A votre usage de rêve ces rêves sans images », « Prenez et mangez, car ceci fut ma vie », « Nous le vivrons ensemble »
La Presse du même jour, déplore les dénonciations qui arrivent à la préfecture de police. Calomnies, fausses informations, on désigne des personnalités « liés littérairement avec M. d'Adelsward », on annonce l'arrestation de l'un, l'imminente inculpation d'un autre. « l'un de ces jeunes écrivains nous montrait ce matin une lettre de M. d'Adelsward commençant ainsi : Mon cher petit bonhomme et finissant de cette façon : Je t'embrasse.
« J'ai cru, me dit le possesseur de cette curieuse missive, j'ai cru que d'Adelsward voulait rire, et je lui ai répondu sur le même ton de plaisanterie... Si j'avais su, je me serais méfié. »
Après avoir interrogé une « personne bien informée », de qui on n'apprend rien de nouveau, le journaliste comme son collègue de l'Aurore se félicite du travail de l'instruction qui continue même le dimanche : « La retraite de M. de Waren est connue », « la perquisition opérée au domicile d'un prêtre dans la banlieue de Paris, ne semble pas avoir donné de résultats sérieux. » Suit un passage où le texte de l'article de la Presse est identique à celui de l'Aurore et ce mots à mots. Le juge d'instruction se demande :
« [...] si le jeune homme dont il instruit l'affaire n'est pas tout simplement un détraqué qui aurait plus besoin de douches que de prison [...] la famille du baron d'Adelsward a demandé que ce jeune homme soit examiné par des médecins aliénistes, qui détermineront jusqu'à quel point il est responsable.
M. d'Adelsward, paraît-il, est très impressionnable, et très timide, il est très facile de le dominer ; Albert de Waren a certainement pris sur lui un ascendant rapide et extraordinaire. »
La suite est plus originale, Jacques d'Adelsward aurait été influencé par ses lectures, « les livres les plus pervers encombré sa bibliothèque », « il crut qu'il était « très littéraire » de faire ce qui avait été reproché à certains, et notamment à Oscar Wilde, dont quelques jeunes ont pris à tâche de réhabiliter la mémoire privée. ». Mais le jeune homme voulait s'amender : « il avait supplier son éditeur de retirer de la circulation ceux de ses livres dont il réprouvait les tendances. »
Le Sénateur Bérenger, dit « le père la pudeur », ne pouvait manquer d'intervenir dans cette affaire, il « va faire de nouvelles instances auprès du parquet, pour que les livres pernicieux et les journaux libertins soient l'objet d'une surveillance spéciale ». La rumeur dit que « le baron d'Adelsward sera poursuivi comme auteur de l'Hymnaire d'Amour »
Afin de mieux connaître encore Jacques d'Adelsward La Presse interroge trois des camarades de classe du baron, on y apprend, entre autres ragots, qu'il était « considérait comme un bon élève surtout en français, mais il avait déjà des moeurs bizarres et un singulier caractère. » « il se promenait toujours avec un de ses camarades connu pour ses moeurs étranges et qui portait du reste un surnom mérité. » « D'Adelsward n'était sympathique à personne. J'ignorais complètement ses mœurs, mais ce garçon taciturne, d'allures équivoques, qui avait une prédilection marquée pour les bagues et les bijoux, ne me plaisait pas. », « D'Adelsward était poseur, ennuyeux, mais je ne l'aurai jamais cru capable de ce qu'on lui reproche », « il avait aussi des allures frôleuses qui ne nous plaisaient pas. » Enfin l'article se termine sur le cas d'Albert de Warren, que l'on soupçonne d'être celui qui « prit un ascendant rapide et extraordinaire » sur Jacques d'Adelsward et ce malgré « une grande faiblesse cérébrale ».
Le Matin du 13 juillet n'apporte pas beaucoup d'informations supplémentaires sur l'affaire. On y trouve un court entretien avec Mme de Waren qui défend son fils, confirme qu'il est à New York où il ne s'est pas enfuie mais qui s'y trouve pour « soutenir son frère dans les pourparlers engagés, en ce moment pour le mariage de ce dernier ». Puis, contrairement à ce qui est affirmé par un « camarade » le même jour dans La Presse, on y apprend que Jacques d'Aldersward n'est pas protestant, mais « Catholique et royaliste ardent, il s'occupait de politique en même temps que de littérature ».
Le Petit Parisien du même jour, donne lui aussi des compte-rendus d'entretiens avec les mères des deux protagonistes de l'affaire. Mme d'Adelsward y est présentée comme une grande dame désespérée de voir sa « situation mondaine compromise », elle aurait dit au juge d'instruction :
« -Bah ! Pour quelques amusements d'enfants vicieux !... Cela est donc si grave, en vérité ?...
et elle ajoutait :
- Nous avons de puissantes relations... Ne pourrait-on pas arranger cette fâcheuse affaire ?... »
« Mme d'Adelsward trouve étrange que la presse, dont elle a la plus mauvaise opinion, ait osé se mêler des petites affaires de son très intéressant rejeton .»
L'autre mère, Mme de Waren, à des sentiments bien différents, elle est persuadé que son fils reviendra pour se disculper, « il est innocent de tout ce qu'on lui reproche », et alors que la famille Adelsward et les journalistes pensent qu'Hamelin est l'instigateur des réunions de l'avenue de Friedland, elle pense que son fils « a dû se laisser entraîner et subir l'ascendant d'une volonté supérieure à la sienne ». Mme Waren déplorais l'amitié de son fils avec le riche baron d'Adelsward, « je sentais parfaitement qu'Hamelin ne pouvait être autre chose pour M. d'Adelsward qu'un compagnon de jeu et de plaisir. Les dépenses qu'il aurait pu faire étaient loin d'égaler celles que sa fortune permettait au jeune baron et j'entrevoyais dans l'avenir toute une série d'ennuis, de froissements et de désillusions ».
Affaire Adelsward-Fersen (1e partie)
Affaire Adelsward-Fersen (2e partie)
Affaire Adelswärd-Fersen (3e partie)
Interview de J.-K. Huysmans. Affaire Adelswärd-Fersen (4e partie)
Affaire Adelwärd-Fersen (6e partie)
Affaire Adelswärd-Fersen (7e partie)
Affaire Adelswärd-Fersen (8e partie)
Interview de Jules Bois. Affaire Adelswärd-Fersen (9e partie)
Affaire Adelsward-Fersen (10e partie)
Le Canard Sauvage. Philippe. Jarry. Affaire Adelsward-Fersen (11e partie).
Alfred Jarry, Lucien Jean, Georges Roussel. Affaire Adelsward (12e partie).
Affaire Adelsward-Fersen (13e partie).
Affaire Adelsward-Fersen (14e partie).