lundi 6 octobre 2008

Ernest LA JEUNESSE - LA FOIRE AUX CROUTES



Après avoir dessiné les caricatures illustrant le n° du 3 octobre 1901 de L'Assiette au Beurre déjà publiés ici, intitulé Les "tu m'as lu !", Ernest La Jeunesse, en 1902, rédige les légendes aux portraits caricaturaux de peintres signés Haroun-al-Rachid qui illustrent un numéro hors série de la même revue. Le numéro intitulé La Foire aux croutes est publié à l'occasion du Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts et de celui de la Société des Artistes Français, "Foires annuelles" des Champs-Elysées et du Champ-de-Mars. Sous le pseudonyme d'Aroun-al-Rachid, se cache l'illustrateur italien Umberto Brunelleschi (1879-1949), arrivé depuis peu à Paris.

Artistes officiels, honorés de commandes et de médailles, spécialistes de mignardises, de peintures militaires, de scènes mythologiques ou allégoriques, voici les huit premières victimes d'Ernest La Jeunesse, les autres suivront.



BOUGUEREAU

« Bouguereau de Mufle ! » disait le regretté Rodolphe Salis. Pourquoi ce titre de noblesse ? Bouguereau, tout court, mon Dieu ! Bouguereau, tout gros ! Ce brave dogue fait depuis cinquante ans, de la légèreté, de la grâce, du charme. Il nous fait du rêve comme il peut, le brave homm. Nous en a-t'il assez f... de nymphes, de nu, de Naïades, de Cyclades, de pintades et de cacades ! Cette fois-ci, ce sont des Oréades. Merci pour elles. Vous lui reprochez de ne pas traiter comme ça Watteau ? Qui vous parle de Watteau ? Vous êtes sourds ? On vous dit : Bouguereau. Vous regrettez Boucher ? Boucher, c'est presque Bouchereau. De Bouchereau à Bouguereau... D'ailleurs regardez la marchandise : il n'y a qu'un boucher (oui, je sais bien, par un petit b) pour nous offrir tant de chair fraîche et trop fraîche, du veau du jour, et puis offrez-vous la bonne et sympathique et honnête g... du vieux ; vous n'aurez, pas plus que moi, le courage de lui faire de la peine !


GEROME

La principale qualité de M. Gérôme, c'est le savoir-vivre. Il existe des gens plus vieux : il n'en n'est point, de son âge, qui soient mieux tenus et qui aient pris un pire brevet de jeunesse. A ce point qu'il s'est mis, après sa 70e année, à apprendre – de haut – la sculpture. Cinquante ou soixante ans de confiture à plat lui ont permis de mettre du badigeon sur du plâtre, de la terre, de la cire ou ce que vous voudrez. Ce néo-jeune homme s'amuse et cumule. Animalier avec un aigle, qui, lui au moins, peut mourir, bestial avec sa femme nue qui ouvre, sous des fards, la porte du salon à toutes ces dames, admettons qu'il soit léonin dans son tableau du cirque : il y a des lions. Toutes ces oeuvres ne sont pas méchantes. L'homme non plus. Il est glorieux. Ce n'est pas notre faute. Saluons.



JEAN-PAUL LAURENS

L'austère amant des moines, des inquisiteurs et des chevaliers affameurs, s'est, cette fois, lancé dans le canevas de tapisserie. Il a voulu de la majesté rondouillarde, des perruques, des Furies qui crachent dans des trompettes, de la grâce à la Porbus et du Rubens constipé. C'est tout à fait tapisserie et carton. Notre vieux Jean-Paul n'a pas été mal inspiré, mais mal servi. Il s'est servi lui-même. Sa sécheresse, sa pauvreté de moyens s'accommodaient bien de l'anachorétisme, même guerrier, de la souffrance, de la faim, du martyre. Pourquoi avoir laissé sortir ce confesseur du moyen-âge ? On eût dû l'enfermer dans les murailles de Carcassonne. Il n'est pas prudent, à l'age de Jean-Paul, de le laisser vaguer, divaguer, extravaguer dans l'ordonnance large du grand siècle.




HENNER

Vous frottez. Vous mêlez de la sauce, du sable pilé, de l'oeuf sali, de la terre de Sienne souillée, vous ménagez un blanc que vous ombrez et où; vaguement, vous indiquez une croupe, un creux de hanche, des cheveux en masse à peu près rousse ; n'en jetez plus : c'est un Henner (Soixante ans de succès, médailles d'honneur, croix, nstitut et Sociétés savantes). Aujourd'hui, le vieux maître se renouvelle : il est temps. Nous reparlerons de la nouvelle manière et du procédé récent quand ils auront eu la vitalité ry ma monguévité des trucs d'hier. En attendant, admirons le vieux maître. C'est très fort, c'est très bien. Et n'oublions âs que cet enfant de l'Alsace est spirituel. C'est lui qui dit de Duran : Charles Durand (je ne mets pas l'accent), Carolus Duran quad il peint, Carambolus Duran quand il joue au billard et Caracolus Duran quand il monte à cheval. »


BONNAT (Léon)

Son nom commence comme Bonaparte et finit comme Napoléon. Etonnez-vous, ensuite, qu'il soit, après l'Autre, grand-croix de la Légion d'honneur et que tous les chefs de l'Etat lui soient passés par les pattes. Ils sont même passés par sa pâte, vous savez, cette boue épaisse, gluante, lourde et où se plaque une redingote, une grimace officielle, un geste fixe, des yeux pour photographes, des cheveux pour posticheurs.
C'est solide. Je te crois ! On peur revenir dans cent ans. On retrouvera les oeuvres de Bonnat figées dans leur bitume, dans leur croûte, dans leur couleur-cercueil. On les retrouvera au grenier, tournées contre les murs. On ne saura plus qui c'est ou ce que c'est. Mais si le mur est sombre, les tableaux et le mur, ça se ressemblera.


BENJAMIN-CONSTANT

C'est l'Orient qu'à conquis l'Angleterre. Il est arrivé à LL. MM. Edouard et Alexandra, en passant par les Indes et lord Dufferin et Ava. Ce Toulousain a rasé sa moustache et sa barbiche de Toulousain pour inspirer confiance aux lords et pairs du Royaume-Uni. Il ne ressemble pas encore à Chamberlain. A quand l'orchidée ? Il est un peu fatal : à peine nous avait-il montré les maigres jambes guêtrées du duc d'Aumale que ce noble prince succombait. Roide, strict, riche et serré dans sa manière, pincé et rechigné dans sa couleur, il commande l'admiration comme une batterie d'artillerie. Il croit tenir de Delacroix et d'Ingres : il n'est que Benjamin Constant.


CORMON

Antique, historique, préhistorique, hoplite de la peinture (soldat lourdement armé), il nous a rendu Salamine, les Troglodytes, que sais-je, et nous prépare une horde de jeunes gens aussi passionnés que lui vers les vieilleries casquées à rameaux d'oliviers et à torses de hêtres hystériques. Cormon, lui, c'est sérieux (tu parles, c'est au Muséum !) et naturellement, comme anatomie, ça pourrait être disséqué. Mais il ne faut pas blaguer le patron : il est bon zigue. Il rigole avec son atelier, vadrouille avec ses élèves, et chahute avec les modèles, dehors. Vous prétendez que ça ne vaut pas mieux que de la peinture ?



EDOUARD DETAILLE

Quelle taille ?
Cinq pieds cinq pouces, taille de dragon. D'ailleurs a peut-être grandi depuis. Fait fantaisie. Découpe dans images d'Epinal des grenadiers, des chasseurs, des maréchaux et des musiciens ; mes colle tels quels qur grandes machines où il plaque des gravures de modes représentant femmes en costumes. Un peu d'huile sur le feu. Commandeur de la Légion. Plaqué, palmé, capitonné de croix. Toujours jeune. Trop jeune. Extrêmement jeune. Collectionne des casques, des capotes, des vestes. Ne saura jamais ce qu'est la peinture. Militaire-amateur, traîneur de sabretache, bouton-de-guêtre et fripier, ne sait pas grouper, met en place par escouades. Ignore le mouvement et, en fait de ligne, ne connait que l'infanterie (ou la cavalerie) de ligne. Correct, a l'amour de l'alignement jusqu'à ignorer, la supériorité, le talent et l'art.

A suivre...

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2 commentaires:

Raoul Ponchon a dit…

Raoul en remet une couche ! Bouguereau, tout comme Bonnat et Henner font partie des souffre-douleur du gazettier.
Lisez-plutôt :
http://raoulponchon.blogspot.com/2007/09/blog-post_4592.html
Bonne lecture. Bien amicalement

zeb a dit…

Bouguereau, Henner, Ziem, Jean-Paul Laurens, Carolus Duran, il sont effet tous dans les Gazettes rimées de Raoul Ponchon, on peut les retrouver ici