On trouve dans le n° 75, du 21 novembre 1920, de la revue Les Annales, un article de Louise Faure-Favier sur une "visite" aérienne à Rachilde et Alfred Vallette, dans leur villa des Bas-Vignon à Corbeille. Cette visite se limite à un survol de la région et de la maison du couple, près duquel on pouvait, de là-haut, distinguer "la note étrangement bleu du tripode de Jarry".
Une Visite aérienne
Comment je suis allée en avion voir mon amie Rachilde
- La veille, au Mercure de France, j'avais dit à M. Alfred Vallette :
J'irai demain, dimanche, en avion, voir mon amie Rachilde dans sa maison du bord de l'eau.
Rachilde et son mari possèdent, près d'Essonnes, à l'endroit où la Seine décrit une de ses plus élégantes arabesques, une jolie maison avec un balcon. C'est sur ce balcon que j'avais donné rendez-vous à Rachilde, à midi.
Il s'agissait d'être exacte au rendez-vous. Pourtant, ce matin d'octobre, une brume couvrait l'horizon lorsque j'arrivai à l'aéroport de Toussus-le-Noble, en compagnie de ma chienne Louvette. Le pilote hésitait bien quelque peu à partir, et le photographe plus encore. Car un photographe, M Chrétien, était du voyage, avec son appareil de photographie et tout ce qu'il faut pour prendre, de haut, la vue d'une maison et d'une dame sur son balcon.
Cependant, tandis que nous délibérions, le soleil perça les nuages et, aussitôt, le morne paysage aéronautique sans arbres, à la prairie éthique, fut tout éclairé. Déjà, ma chienne Louvette escaladait la carlingue de l'F-40 et se couchait à mes pieds. En route ! Contact ! Les moteurs ronflent et nous nous envolons.
- Ma chère amie Rachilde, dans un quart d'heure nous serons auprès de vous.
Il ne faut pas plus de temps en ligne droite, pour aller de Toussus-le-Noble à Essonnes. Déjà, voici Montlhéry et son donjon fameux, chanté par le poète. Comme Paul Fort a bien dépeint ce doux paysage d'Ile-de-France, tout de grâces et de fraîches couleurs ! C'est tellement exact qu'il me semble être moi-même, ce matin l'archer aérien au faîte de la tour « qui domine trois plaines où luisent, dans les blés coupés, les trois faucilles de l'Orge, de l'Yvette et d'une fine Seine ».
Comme la cravate de l'archer Aubry, notre avion « fit le plaisir de maints zéphyrs, puis s'envola si haut »... C'est que la brume s'est levée, et Berrhault, notre sage pilote, s'élève aussi.
Enfin, voici la Seine, Juvisy qui est tout en gare, et Corbeil tout en cheminées.
Passé Corbeil, la Seine devient campagnarde. Elle en prend à son aise, s'étale et se tortille parmi les champs. Dans ce paysage élargi, elle est le personnage principal. Elle est notre guide qui nous conduit vers la maison de mon amie Rachilde.
Attention ! Voici Essonnes et ses usines ! Les Bas-Vignons. Et voici, enfin, la Villa Vallette, adossée à la colline boisée. Je la reconnais. Je reconnais son pignon, son toit de tuiles, la tour carrée où il y a des meurtrières. Je reconnais le balcon fleuri de roses. Je reconnais tout : le pavillon du jardinier, le garage et l'écurie. Du haut du ciel, c'est un ensemble de toits rouges, de couleurs pimpantes dans la verdure, avec la note étrangement bleu du tripode de Jarry.
C'est un véritable petit domaine où les souvenirs littéraires déjà abondent, où il doit faire bon vivre et bon travailler. Première impression de calme, de solitude entre la verdure et l'eau. Jolie maison française qu'illumine la gaieté d'une femme au cerveau bien fait.
Et Rachilde est à son balcon. Toute blanche et mauve, elle agite une écharpe. Je reconnais son visage, ses cheveux très blancs. Ensemble de suavité. Je crie : « Bonjour, Rachilde ! », en brandissant le bras. Je suis sûre que Rachilde a du crier : « Bonjour, Louise ! » On ne peut pas s'empêcher de crier, d'abord. Ce n'est qu'après que l'on s'avise du vain cri. Même ma chienne aboie ! Et je reconnais Alfred Vallette à côté de Rachilde, qui, lui aussi, agite un mouchoir. C'est très romantique et charmant.
Nous tournons autour de la maison, décrivant, au dessus de mes amis, de larges couronnes. Et le photographe de photographier ! Sur la Seine, les péniches glissent et les mariniers lèvent vers nous un front inquiet.
Encore un tour. Je distingue maints personnages et maints détails. Toute la maisonnée est là. Sur le chemin de halage, il y a le jardinier et la jardinière, qui, eux aussi, me souhaitent la bien venue. Il y a les bons chiens : Mina la Beauceronne, qui répond aux aboiements de Louvette... sans les entendre, et, broutant paisiblement l'herbe du talus, Pierrette, la chevrette, la célèbre Pierrette, qui alla jadis, conduite par Rachilde, chercher la vérité Dans le puits (1).
Au revoir, Rachilde ! Au revoir Alfred Vallette ! Au revoir, toute la maisonnée !
La visite est terminée. Ce fut une courtoise visite. Nous avons eu tout le temps de nous voir, de nous saluer, de constater que nous étions en bonne santé et de penser que nous nous aimions bien. Vous ne m'avez pas fait faire le tour du propriétaire, ma chère Rachilde. Mais je l'ai fait sans vous, et un peu indiscrètement peut-être. Et j'ai bien goûté le charme de votre maison et compris qu 'elle ait inspiré votre prochain livre : La Maison Vierge (2). Et vous, de votre balcon, tout en déployant votre écharpe, vous avez bien voulu admirer très poliment mon avion léger, gracieux et rapide, qui, déjà, s'éloigne et vole, vole au loin, très loin.
Louise Faure-Favier
(1) Rachilde : Dans le puits ou la vie inférieure, Mercure de France, 1918.
(2) Rachilde : Ferenczi, 1920.
Rachilde sur Livrenblog : Camille Lemonnier, Lautréamont, Rachilde. (Préface à la Sanglante Ironie). Rachilde et le vin de coca (notice extrait de l'Album Mariani).
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