dimanche 23 septembre 2007

X... Roman impromptu (à dix mains)


Dix mains pour un roman.
X … Roman impromptu.


Dans l’avertissement écrit par Pierre Veber, qui précède ce roman de G. Auriol, Tristan Bernard, Courteline, Jules Renard et …Pierre Veber, l’humoriste explique que ses camarades et lui-même « imaginèrent d’écrire en collaboration un roman dit impromptu, sans plan préconçu, sans sujet arrêté ». Il rappelle que cette tentative « n’a d’autres précédents que La Croix-de-Berny », le roman steeple chase parut en 1845 et écrit par Delphine de Girardin, Joseph Méry, Jules Sandeau et Théophile Gautier, en 1926 c’est Gérard d’Houville, Paul Bourget, Pierre Benoit et Henri Duvernois qui avec le Roman des quatre, connaîtront un grand succès publique avec un roman écrit en collaboration.

Avec nos cinq « auteurs gais », l’unité de l’œuvre repose sur le personnage principal, X, le seul qui ne peut mourir (C'est sans doute pour cela qu'il se présente comme mort, ayant disparut après un naufrage, il est de retour en France après de nombreuses années d’exil, sans existence légale et sans identité), pour les autres personnages tout est permis, sauf le changement de sexe, quand à l’action elle peut se dérouler n’importe où à condition d’en avertir le lecteur. Les cinq compères composent un roman-feuilleton loufoque, et tout à fait drôle.

Parut, après une publication en feuilleton dans le Gil Blas, dans la collection « Les Auteurs Gais » chez Flammarion en 1895, ce roman sera réédité en 1928, puis en 2006 par les éditions du Léopard Masqué. La première édition est illustrée, par Jean Veber, d’une belle couverture en couleurs, des portraits des auteurs et d’un dessin en noir qui tente de résumer (?) les péripéties du roman. Les rééditions ne donnent pas ces illustrations, pas plus qu’elles n’ont gardés les petites biographies écrites par Pierre Veber et qui précèdent le roman, les voici donc :

Georges Auriol

Le parfait gentilhomme de lettres qui se cache sous ce pseudonyme élastique est d’un âge incertain : il a entre vingt-sept et quatre-vingt ans. De face, il ressemble au prince de Galles, en mieux ; de profil, il ressemble à un mouflon blond. Il naquit à Saint-Valéry-sur-Somme ; il a donc le type mâle de ces Valériens qui sont si travailleurs. L’auteur de J’ai tué ma Bonne ! appartient à l’armée. Nous avions jadis le soldat-laboureur ; Auriol est le soldat-bibliothécaire ; il prépare la revanche en cataloguant des livres ; il y pense toujours, et, s’il n’en parle jamais, c’est parce que ce sujet revient rarement dans la conversation. Il l’a dit lui-même : « J’ai gagné un à un mes galons de soldat de seconde classe. » Ceci est à son honneur.
Il fut chargé de plusieurs missions ; on connaît la relation de son séjour chez les Paï-Pï Bris. Seul, sans escorte, presque sans vivres, il partit et alla voir ces féroces sauvages ; il visita leurs campements, s’enquit de leurs mœurs, vécut même de leur vie, durant une journée, pendant qu’ils étaient au Jardin d’acclimatation. Modeste, comme tous les cœurs trempés, Auriol, à son retour, ne réclama aucune distinction honorifique. Il fut célèbre par ses amours contrariées ; de là l’amertume qui est au fond de sa gaieté. Il se console de la littérature en faisant de la peinture, et de la peinture en faisant de la littérature. On possède lui, outre le livre cité plus haut, deux volumes d’une intense bonne humeur : Histoire de rire et En revenant de Pontoise (1).
Il est, en outre, fort estimé, comme équilibriste ; il jongle avec les difficultés de la langue française aussi bien qu’avec les assiettes, verres, couteaux, bouteilles et autres ustensiles auxquels l’usage assigne une autre destination.
Je crois avoir donné une idée suffisante de notre ami.

(1) Flammarion

Tristan Bernard

Vingt-huit ans. « Un Barbe-Bleue resté célibataire », ainsi le décrivait le maître de la pensée contemporaine. Dès l’enfance, il montra d’évidentes dispositions à l’humour ; élevè par son oncle, Alain Bernard, il économisait les dix sous affectés chaque semaine à ses menus plaisirs et les plaçait subrepticement dans la caisse avunculaire afin de créer à son tuteur des erreurs de comptes irréductibles. Il fut volé par des bohémiens qui l’emmenèrent en Italie, où il posa pour les artistes en qualité de modèle français. A Rome, il connut Mgr Rampolla, qui le prit en affection et le ramena au bien et en France. Il s’adonna aux Sciences exactes ; il construisit, au frais de l’ingénieur Chevalier, un instrument qui valut à l’ingénieur la rosette d’Officier : c’est le compteur des feuilles de marronnier. Cet instrument est, à l’heure actuelle, le seul usité aussi bien dans notre pays qu’à l’étranger. En même temps, Bernard fondait le Chasseur de Chevelures, moniteur du possible.
Tristan Bernard s’est consacré ensuite aux éditions populaires ; il est en train de mettre la dernière main à une Traduction de la Monadologie en argot loucherbem. Il compte beaucoup sur cette vulgarisation de Leibniz pour apaiser les revendications de La Villette.
Le bagage dramatique de Tristan Bernard est assez important : une pièce en un acte, intitulée les Pieds nickelés, que l’œuvre joua. « C’est peu de chose, il semble, dit Bernard ; mais, si le Théâtre-Français, l’Odéon, le Vaudeville, le Gymnase et la Renaissance jouaient ma pièce tous en même temps et plusieurs fois par soirée, je tiendrais autant de place qu’Alexandre Dumas fils. » Citons de lui, en collaboration avec Pierre Veber, un beau volume : Vous m’en direz tant ! qui est dans toutes les bouches (1).

(1) E. Flammarion, éditeur

Georges Courteline

Le maître de la gaieté ; il la répand à profusion ; nul n’a disposé du rire avec autant d’autorité : il l’impose. Les Gaietés de l’Escadron, jouée à l’Ambigu, résument en grande partie son œuvre ; Boubouroche et la Peur des Coups résument le reste. Il y a là une ampleur de description, une vigueur et une logique dans la charge qui élève les livres de Courteline au-dessus du comique. Petit, sécot, très fin, très franc, Courteline a pour devise : « Courte et bonne ». Son enfance se passa sur les genoux des rois et des reines, qu’il quitta pour entrer dans l’administration. Là, ses rares facultés d’organisateur le firent estimer assez pour qu’on lui confiât la rédaction d’un travail d’ensemble sur la bureaucratie française, intitulé : Messieurs les Ronds-de-Cuir.
Frappé de la concision et de la netteté de cet ouvrage, M. le ministre de la guerre chargea Georges Courteline de faire une enquête sur l’armée. Caché sous le dolman du simple soldat, il condensa ses observations sous une forme vive et imagée : Le Train de 8h 47, Lidoire, Potiron (1). Puis Courteline rentra dans la vie civile et reprit ses fonctions ; un avancement lent mais sûr le portera peu à peu au grade de sous-chef. La France sait récompenser ses grands hommes…

(1) E. Flammarion, éditeur

Jules Renard

L’auteur de Poil de Carotte et de l’Ecornifleur est grand, solide, roux, flegmatique, concis ; un front inquiétant et comme enceint ; des yeux qui vrillent. Il créa vraiment un « sourire nouveau » : le sourire pincé, mais pincé jusqu’au sang. Il saisit les petits gestes qui révèlent les grosses canailleries, et les pauvres attitudes des vices féroces ; il guette les moindres grimaces du snobisme, avec l’âpreté d’un observateur susceptible qui prendrait pour autant de reproches directs les manifestations des travers d’autrui. C’est ainsi qu’il veut qu’on le dise le « bon écrivain » par excellence.
Sa vie n’offre pas grand intérêt ; il s’est toujours gardé d’accomplir des actes qui tombent sous le coup des lois, tel que l’attaque à main armée, le vol avec effraction et l’attentat à la pudeur. Il est tout entier dans ses livres et n’a vécu que la vie de ses imaginations. Il tire remarquablement de l’épée ; mais c’est en mesure préventive aussi bien contre l’obésité que contre la malveillance.
Bref, dans ses lettres, dans la vie et sur la planche, Jules Renard a une « excellente position ». Citons encore de lui les Coquecigrues, la Lanterne sourde, le Coureur de filles.

(1) E. Flammarion et Ollendorff, éditeurs


Pierre Veber

Si soixante-dix villes se disputent l’honneur de m’avoir donné le jour, ce n’est pas parce que je suis dix fois plus célèbre qu’Homère, mais seulement parce que le nom que je porte est assez répandu. Je vis le jour à Paris, 106, rue Richelieu ; au fronton de la maison où je suis né, il y a une plaque de marbre ; cette plaque porte le nom d’un tailleur qui habite la maison ; mais il suffit que la plaque soit là ; on n’à plus qu’à en effacer le nom du tailleur pour mettre le mien à la place, précédé de ICI EST NE.
J’ai fait d’assez médiocres études ; mais je n’en tire aucune vanité. Ceux qui voudraient avoir de moi une biographie plus complète devront attendre une dizaine d’années. En effet, d’ici là, il ne peut manquer de m’arriver une foule de choses curieuses et sensationnelles. Car jusqu’ici, ma vie manque tout à fait de ces évènements inouïs (et d’ailleurs inventés après coup) qui parsèment les biographies des gens de lettres. Quand j’aurais réuni un certain nombre de ces évènements, et quand j’aurais économisé pas mal de « mots historiques » qui font si bien dans les Mémoires, je me déciderai à écrire mes souvenirs, j’éditerai mon journal. Outre l’Innocente du Logis, et Vous m’en direz tant ! j’ai à mon actif Les Enfants s’amusent (1).
Je pense que, muni de tous ces renseignements bio et bibliographiques, le lecteur n’éprouvera aucune peine à suivre notre roman impromptu.

(1) Flammarion et Empis éditeurs.

Pierre VEBER

Lire :

A propos de Georges Auriol :
le chapitre qui lui est consacré dans la toujours indispensable biographie d’Alphonse Allais par François Caradec publiée chez Fayard en 1997 et, du même Caradec, Auriol (George) : 42 contes mêlés de typographie, avec des notes de François Caradec. Bassac, Plein Chant, 2004, un très bel ouvrage où, outre les contes d’Auriol, on retrouvera quelques uns de ses travaux de typographe (il créa des caractères typographiques portant son nom, mais aussi, une magnifique Française légère, dont le nom laisse rêveur), ainsi que des reproductions de ses dessins et illustrations (couvertures de livres, illustrations pour le Théâtre-Libre, le Chat Noir, cartes de visites, monogrammes, etc)

Sur le Net : http://histoire.typographie.org/auriol/
http://www.dictionnaire-des-illustrateurs.com/Auriol-george.c.htm

Les chroniques de Jules Renard, reprisent sur Livrenblog :

Vamireh, roman des temps préhistoriques par J. H. Rosny (« Les Livres » Mercure de France N° 28 d'Avril 1892)
Baisers d’ennemis par Hugues Rebell (« Les Livres » Mercure de France N° 33 septembre 1892)
La Force des choses par Paul Margueritte (« Les Livres » Mercure de France N° 18 Juin 1891)
Les Emmurés, roman par Lucien Descaves (« Les Livres » Mercure de France, Janvier 1895)
Bonne Dame d'Edouard Estaunié (« Les Livres » Mercure de France, janvier 1892)
Les Veber's (« Les Livres » Mercure de France, octobre 1895)
L'Astre Noir par Léon–A. Daudet ("Les Livres" Mercure de France, janvier 1894)



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