Les Livres
Le Livre des Masques (1) est une étude consciencieuse, qui cherche et, souvent, réussit en notes brèves, claires, finement nuancées, à fixer l'expression caractéristique de trente écrivains d'Hier et d'Aujourd'hui. Point banale, la galerie de M. R. de Gourmont renferme les portraits d'hommes : plusieurs déjà célèbres, beaucoup qui le seront peut-être, plus tard, presque tous ayant mené l'évolution littéraire, « à l'heure où les fruits sont encore incertains, quand la floraison même n'est pas achevée dans le verger ». Mûrs, précoces, tardifs, douteux ? Très divers. Et la galerie ne semble point complète ! Symbolistes, Décadents l'eussent pu enrichir encore. L'exclusivisme n'a certes pas trop guidé l'auteur, bien que inféodé au Mercure de France, car il a fort justement réuni les écrivains de même langue, qu'ils se nomment Maeterlinck, E. Verhaeren, G. Eekoud, ou qu'ils soient Villiers de l'Isle-Adam, Paul Verlaine, Stéphane Mallarmé, ces principaux meneurs de l'évolution littéraire. Il n'est pas jusqu'au « masques » dessinés par F. Vallotton, masques au facies un peu macabre, qui n'ajoutent leur part contributive à la documentation de ce livre, utile aux bibliophiles autant qu'aux lettrés.
(1) Remy de Gourmont. Le Livre des Masques (Portraits symbolistes). Les Masques au nombre de trente par F. Vallotton. - Paris, Société du Mercure de France, 1896, 1 vol. gr. In-18 de 265 pp. - Tir. À part à 25 ex. Chine.
A propos des Poèmes d'Edgar Poe, traduits par Stéphane Mallarmé, Deman 1897 :
[...] Mallarmé, en ses livres à lui, « assemble des gemmes colorées par le rêve » et dont nous ne soupçonnons pas souvent l'éclat. Personne ne sait y voir la même chose, c'est une sorte de daltonisme, sans conséquence à l'heure actuelle. Mais juger « absurde » qui trouve Mallarmé parfois incompréhensible, c'est faire acte d'intransigeance en la société de M. de Gourmont. (p. 93) (I)
- Ainsi que d'Aurevilly, Gérard de Nerval, poète, est peu connu. Son bagage littéraire ne gagne d'ailleurs qu'à s'augmenter de quelques-unes de ces poésies, qu'il a écrites au temps où le vertige du mystère et de l'inconnu le transfigurait, le précipitait dans une sorte de folie ou un « un état de rêverie super-naturaliste », comme il le dit lui-même, M. Remy de Gourmont, un des plus distingués collaborateurs du Mercure de France, a voulu non sans raison, faire oeuvre de justice envers l'auteur de Voyage en Orient, type accompli de l'écrivain français « sans épithète ». Il a donc réuni, et l'heure semble propice, sous un mince livret : Les Chimères et les Cydalises (1), vers dorés et puissants, exempts d'imprécision de pensée où, par genre, l'on naufrage de nos jours. Gérard de Nerval ne fut l'ombre d'un grand poète qu'à cette époque de raison vacillante. Alors il croyait vivre avec les fées et les esprits, rêvait les yeux ouverts, écoutait la chute d'une feuille et le bourgeon qui s'ouvre (Mme de Sévigné en faisait autant), suivait le vol de l'insecte, effleurait le nuage errant et le rayon de soleil. Alors aussi il écrivait Sylvie pour la « Revue des deux Mondes », l'un des petits chefs-d'oeuvre de la prose française, et des vers qui sont, pour ce patron des noctambules, des « nuits de génie ». Le petit recueil actuel, de notre Hoffmann et Poe français, empreint d'une émotion ineffable, renferme 168 vers : - Chimères – 5 pièces du Christ aux Oliviers et Vers dorés. Ils nous est interdit, faute de place, d'en dire plus long. Nous citerons néanmoins, par devoir, la strophe V du Christ aux Oliviers, d'un accent sublime et, dit de Gourmont, « une des plus belles manifestations de la poésie ésotérique ».
« C'était bien lui, ce fou, cet insensé sublime...
Cet Icare oublié qui remontait les cieux,
Ce Phaéton perdu sous la foudre des dieux,
Ce bel Athys meurtri que Cybèle ranime !
« L'augure interrogeait le flanc de la victime,
La terre s'enivrait de ce sang précieux...
L'Univers étourdi penchait sur ses essieux
Et l'Olympe un instant chancela vers l'abîme.
« Réponds ! Criait César à Jupiter Ammon,
Quel est ce nouveau dieu qu'on impose à la terre ?
Et si ce n'est un dieu, c'est au moins un démon...
« Mais l'oracle invoqué pour jamais dut se taire ;
Un seul pouvait au monde expliquer ce mystère :
- Celui qui donna l'âme aux enfants du limon ».
De tels sonnets veulent être lus et relus pour en comprendre la toute pensée, pure et profonde, cachant son sens mystérieux sous un style d'aspect si simple, presque si humble, comparé à d'autres. Ce sont les vers d'un esprit charmant et bizarre, d'un croyant qui mourut, dit Paul de Saint-Victor, - de la nostalgie de l'invisible. Hélas ! Peut-être, Gérard de Nerval ne fera pas école.(1) A Paris, Librairie du Mercure de France, MDCCCXCVII ; pet. in-4 form. in-32 de 58 pp., 1 portr. Par F. Vallotton. - Tirage unique à 30 exempl. : les 20 prem. sur pap. de Hollande van Gelder, les autres sur papier d'alfa.
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