En 1902, Alfred Jarry écrivait au directeur de La Revue Blanche :
Monsieur le Directeur,Ma Messaline, publiée dans votre Revue et dans ses Editions, a déjà eu deux fois l'honneur d'être démarquée : d'abord par un sieur Dupont ou Dumont, qui méritait miséricorde parce que, non sans une pudeur relative, il déguisa son emprunt sous un nouveau titre : « La Chimère » ; aujourd'hui par M. Nonce Casanova, lequel a commis l'impudence non seulement de conserver le même titre – d'ailleurs à tout le monde – mais de le souligner par mon sous-titre : Roman de la Rome impériale (Cf. annonces de La Revue Blanche, 15 janvier 1901, et annonces dans diverses revues).
J'ai pris la peine de relever les coïncidences et vous transmets la liste des principales : une confrontation plus complète exigerait la reproduction presque totale des deux volumes ! Rappelons seulement, pour ne citer qu'un chapitre, que la fin du roman, où Messaline se sent devenir amoureuse du soldat qui la tue, est en entier de mon invention. Je veux croire que M. Casanova, pour ma plus grande gloire, a pris les documents de mon crû pour une source antique, ce qui l'a fait disserter longuement sur des fausses dents de l'empereur Claude, que j'ai jugées agréables, et sur une boules en verre (!) qu'il m'avait fort diverti de suspendre dans les jardins de Lucullus. Je ne décline qu'une responsabilité : ce n'est pas moi qui ai fait écrire à M. Casanova, en sa page 217 : Messalus Barbata !
Suit la liste des « coïncidences », pas très évidentes, il faut en convenir. Les amateurs de Jarry pourront lire ce tableau comparatif d'assez mauvaise foi, dans La Revue Blanche, Tome XXVII, N° 209 du 15 février 1902. (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/CadresFenetre?O=NUMM-15548&M=tdm)
Pourtant le sieur Casanova s'attendant sans doute à ces reproches de plagiat avait prit les devants en faisant précéder son roman de cette note de l'éditeur précisant : « Cette oeuvre, commencée en 1895, fut annoncée en page de garde du Choc, au mois de février 1897. » Dumont faisait lui, suivre son texte de ces dates : Rome, septembre 1899 / Rochefort, mars 1901 et écrivait à La Revue Blanche, 15 juillet 1900, pour « prendre date et éviter des difficultés pour l'avenir ».
Les romans « antiquisants » depuis Le Roman de la momie de Gautier ou Salammbô de Flaubert, se sont multipliés dès la fin du siècle, comme le rappelle Paul Adam dans sa préface au livre de Louis Dumont : « Les Contes Latins de Jean Richepin, et même le médiocre Quo Vadis nous ont permis de fréquenter les citoyens de Rome. Renan nous a présenté Jésus, et André Ibels le peuple de Jérusalem (1) vers ce temps-là. Les Martyrs de Chateaubriand nous apitoient et nous émeuvent dans un songe de pureté, de grandeur et de bonté magnifique. Nous goûtâmes les splendeurs spirituelles d'Alexandrie et ses voluptés rares en causant avec Thaïs par l'entremise du subtil Anatole France ; en écoutant les idées religieuses tenter le Saint-Antoine de Flaubert ; en nous inclinant vers l'autel d'Aphrodite, dont Pierre Louÿs ouvrit des portes neuves et belles. Jean Lombard nous a montré l'intrusion féconde de l'âme orientale dans le coeur gréco-latin, lorsqu'il composa l'Agonie, lorsqu'il mena à l'émeute le grouillement populaire de Byzance. M. Schlumberger a fait vivre, agir, dominer et régner Nicéphore Phocas. » Encore, Paul Adam oublie t'il de citer son propre roman byzantin Basile et Sophia (Ollendorff, 1900), et de nombreux autres romans antiques dont la liste serait trop longue à faire ici.
Mais ce début de XXe siècle, voit une floraison de Messaline (2). Alfred Jarry bien sur, avec son roman publié en 1901 aux éditions de La Revue Blanche, mais voyons un peu ce qu'il en ait de ceux qu'il dénoncent comme ses plagiaires.
Louis Dumont, d'abord, qui avec la « Chimère. Pages de la Décadence » (2) (réédité sous le titre « La Louve » en 1908) nous offre une Messaline dont il faut bien convenir avec son préfacier qu'elle est d'un pornographe, utilisant le thème de la décadence pour multiplier les scènes d'amour où les partenaires augmentent à mesure que le roman progresse. Notons que Paul Adam, le comparant à un scientifique, le défend contre toutes attaques morales : « Il est aussi honorable d'être pornographe que d'être géographe ou paléographe. La pornographie est une science du ressort de la psychologie. » Si Jarry voyait dans La Chimère un démarquage de sa Messaline, son amie Rachilde dans sa rubrique des Romans au Mercure de France accusait Dumont de plagier Pierre Louÿs et son Aphrodite. Pas plus que la Messaline de Nonce Casanova, celle de Dumont, ne peut rivaliser avec le roman de Jarry, aucun des deux ne possède un style comparable à celui de l'auteur de César Antéchrist, sa « complication de phrases en arabesques (4)», « son érudition sûre et particulière » ses qualités de « jongleur très habile » (5). En 1903, c'est Félicien Champsaur qui se penche sur la couche de Messaline avec son Orgie Latine (6), il fait précéder son roman d'une longue introduction sur La Luxure dans les lettres et les arts, ne renonçant pas aux procédés de compositions utilisés depuis son célèbre Dinah Samuel, ne nous seront épargné ni un Interludepoétique, un dialogue entre Sénèque et Messaline, et pour clore le tout une Bouffonnerie tragique ; La Mort de Messaline en dix tableaux avec Ballet Nuptial.
André Ibels, Gamliel au temps de Jésus, Offenstadt éditeur, 1901
« On annonce une revue intitulée : Messalinette. Moi, je recommande aux ouvreurs de portières de l'antiquité amoureuse ce titre fulgurant : Messalin ou l'enfant du mystère. (On entend d'ici les vers que pourrait faire là-dessus Franc Nohain, et surtout la musique de l'endiablé Claude Terrasse !) » (Rachilde, Les Romans, Mercure de France, tome XLI, N° 147, mars 1902, Messaline de Nonce Casanova). On retrouvera effectivement Messaline sur la scène de la Cigale en 1904 avec Le Béguin de Messaline, opérette du compositeur Justin Clérice, écrit par Maurice de Féraudy, Marcel Yver, et Jean Kolb, toujours en 1904 c'est au Théâtre Municipale de la Gaieté que sera repris Messaline, avec Emma Calvé, un opéra, représenté pour la première fois à L'Opéra en 1899, composé par Isidore de Lara écrit par Eugène Morand et Armand Silvestre.
Le Sous-titre pour la pré publication dans la Plume était : « Amours antiques »
Michel Arnauld, La Revue Blanche tome XXIV, Les Livres, N° 184 1e Février 1901 Pages 232-233.
Gustave Kahn, La Plume, Critique des Romans, 1e Avril 1901, N° 287, pages 209-210.
Félicien Champsaur : L'Orgie Latine, E. Fasquelle, 1903, Illustrations d'Auguste Leroux.
Sur Messaline de Jarry voir la préface et les notes de Thieri Foulc à l'édition Eric Losfeld, Collection Merdre, 1977.
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