jeudi 23 juillet 2009

Leurs Rêves : Remy de Gourmont, Rachilde.



Le docteur Paul Chabaneix (1) pour son étude sur le subconscient a interrogé de nombreux écrivains et artistes (2), voici les réponses de Rachilde et Remy de Gourmont à son enquête sur les « phénomènes de subconscience nocturne qu'ils auraient pu présenter ». On y trouvera une Rachilde fortement imprégnée par ses rêves, n'hésitant pas à les relater et a admettre leur influence sur son oeuvre. Gourmont, se montre plus circonspect sur la part prise par le subconscient dans la création littéraire.

« tous mes livres sont d'abord vus en rêve... »

Rachilde :


« Mes rêves les plus agréables étaient de me baigner dans des eaux tièdes et transparentes, et de voler à la surface d'un lac, d'une rivière extrêmement limpide, bordée de cascades superbes et de rivages fleuris. Dans presque tous mes songes, une étonnante sensation d'orgueil règne comme dans les extensions du moi du haschich. (J'ai pris du haschich de l'opium, de l'éther et de la morphine, mais à titre d'essais simplement, je n'ai jamais eut le goût de ces différents paradis artificiels parce que mes rêves, à l'état normal, m'ont toujours paru supérieurs, comme intensité à toutes les autres surexcitations cérébrales). » (pages 43/44)

« Presque tous mes rêves persistent après mon réveil. Ma vie normale en est encombrée. Je puis même dire que ma vie est double. Etant jeune fille, ils avaient une telle intensité que je me demandais souvent si je n'existais pas sous deux formes : une personnalité vivante et ma personnalité rêvante. Parfois je me trompais. Je m'imaginais que la vie véritable était mes songes. Je rêvais toujours de choses violentes : guerres, combats entre des bêtes merveilleuses et des hommes géants. Je prenais l'habitude de les voir et je finissais par ne plus en avoir peur. Je m'y faisais peu à peu, comme on se fait à un livre de contes fantastiques que l'on relit, et souvent le rêve inachevé, je le terminais moi-même tout éveillée, ce qui m'a donné aussi l'habitude de me raconter des histoires, de composer des romans. Je me mis à écrire à l'âge de douze ans et je pris ainsi, sans presque m'en douter, le chemin de la littérature.
« A l'heure actuelle, je rêve toujours, mais depuis mon mariage, mes songes sont devenus plus confus. Ils tournent tout de suite à la littérature pure et simple et j'ai alors la sensation de feuilleter un livre sur lequel je lis ce qui arrive. Il est vrai que je lis énormément et que beaucoup de mes nuits se passent en lecture. Je finis par tout confondre. Mais si j'ai perdu en intensité une partie de ma double vie, j'y ai gagné des méthodes. Je peux rêver à ce que je veux et continuer le rêve commencé... comme un feuilleton dont on attend la suite. Pour rêver que je suis dans un très beau jardin, avec de l'eau et des fleurs, il me suffit de regarder, avant de m'endormir, le bouchon de cristal bleu taillé à facettes d'un flacon qui est sur ma table de chevet ou de toucher une étoffe de soie verte. Cela me réussit presque toujours. » (page 49)

« A part quelques-uns, tous mes livres sont d'abord vus en rêve..., et très souvent quand j'ajoute des chapitres de ma propre autorité, ce n'est pas ce qu'il y a de mieux dans l'oeuvre ! » (page 57)

« Je me souviens très distinctement d'un de mes premiers rêves d'enfant qui fut une espèce d'hallucination fiévreuses et qui dut influencer très cruellement sur mon cerveau. J'avais sept ans et une nuit je me réveillai en poussant des cris terribles parce que j'avais vu une horrible femme conduisant un loup à trois pattes. Le songe se poursuivit malgré mon réveil. Je devais voir ce loup blessé perdant une grande quantité de sang sur mes draps, et depuis, durant ma petite enfance, je revis très souvent ce loup dont une patte était coupée et pendait lamentablement toute rouge. Le vieille femme ouvrait et refermait les bras en me regardant et elle excitait le loup à se jeter sur moi. J'ai parlé de ce loup dans « La Princesse des ténèbres » et je n'ai qu'à concentrer un peu mon attention sous mes paupières closes pour le revoir très en détail. » (pages 78/79)


Un Purgatoire jaune orangé.

Remy de Gourmont :

« A dix-sept ans, j'eus un rêve : une vision du Purgatoire où je crois que la lecture de Dante était pour beaucoup ; la teinte générale était jaune orangé. J'avais la sensation d'y être moi-même pour un temps infiniment long ; j'étais consterné. » (page 48)

« Il m'est arrivé une fois ceci : écrivant un conte, qui avait pour sujet un suicide à échéance fixe, un matin, déjà habillé et m'asseyant à ma table de travail, j'eus une seconde d'angoisse et je supputai que je n'avais plus que trois ou quatre semaine à vivre. L'angoisse fut courte, mais réelle. J'avais, sans doute, rêvé à mon conte et le rêve se continuait au réveil. » (page 52)

« Il m'arrive même, dit-il, de ne pouvoir distinguer le rêve de la réalité, de confondre, par exemple, ce qu'un ami m'a dit la veille et ce que j'ai rêvé la nuit. Je suppose que mon esprit est ainsi plein de fausses notions qui, au bout d'un certain temps, sont dans ma mémoire, sur le même plan que les faits exacts. » (page 59)

« Il m'est impossible de dire si je dois au rêve ou à la veille les idées de romans, poèmes, contes, puisque la raison raisonnante n'intervient qu'après coup pour ordonner des conceptions d'abord inconscientes et qui ont surgi sur le plan de la conscience absolument comme un éclair ou un vol d'oiseau. » (page 104)


(1) Le Subconscient chez Les Artistes, les Savants et les Écrivains. Par le Docteur Paul Chabaneix médecin de la marine. Préface de M. le Docteur Régis, chargé du cours des maladies mentales à la Faculté de médecine de Bordeaux. Paris, J.-B. Baillière & Fils, Éditeurs, 1897.
(2) 43 réponse reçues, « nous avons enregistré 11 absolument négatives. Elles émanent de 6 médecins, de 2 peintres, de 1 musicien, de 1 poète et de 1 romancier. Cette observation, par elle-même, n'a évidemment aucune valeur, mais elle en acquiert une notable si l'on sait que nous avons eu en tout 8 réponses de médecins, tandis que 35 autres proviennent soit d'artistes, soit de littérateurs » (Introduction).




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