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Illustrations : Bois de Foujita pour Les Aventures du Roi Pausole de Pierre Louÿs.
Retour à Renée DUNAN
Bientôt la rentrée littéraire, les prix... Pour se mettre dans l'ambiance, un extrait du Prix Lacombyne de Renée Dunan, Editions de l'Epi, 1924, illustré par Jean Oberlé.
« Tout Paris parlait, deux mois durant, du Prix Lacombyne. Les journaux publiaient les portraits des candidats, pour quelques-uns, d'après de très exactes fiches anthropométriques. Quant aux juges, ils acquéraient une célébrité du meilleur aloi. » Dany Cysthe et Paul Le Raive, sont écrivains, amants aussi, ils concourent tout deux pour le Prix Lacombyne, Dany compte plus sur elle-même que sur son livre pour réussir. Paul après une dispute avec Dany, est arrêté par Apértyl Zynge, le grand critique littéraire. Ils parlent, bien sur, du Prix Lacombyne.
« [...] C'est la plus ignoble chose des temps modernes, ce Prix Lacombyne, c'est pire qu'un tremblement de terre, que la folie pédérastique allemande, que la ruine des monnaies, que tous les désastres réunis...
- Vous allez, si j'ose dire, fort, mon cher Maître !
- Vous êtes un petit sot, mon cher. La psychose du prix académique s'étend comme une flamme. Elle intéresse le quart des gens qui s'en occuperons dans un an, le vingtième de ceux qui en feront un souci dans deux ans. Dans cinq, on fera des ministères sur la question du Prix Lacombyne, comme à Byzance, la victoire des verts ou des bleus, à l'hippodrome, faisait sortir le peuple et quelquefois assassiner un empereur.
« Comprenez donc, mon petit, qu'il fallu des siècles et des siècles de dressage pour habituer l'homme, non pas à respecter encore – ah ! Seigneur, non ! - mais à sembler respecter l'activité d'autrui. La vendetta est disparue de nos moeurs. On était en marche vers une sorte de simili-civilisation. Et puis, voilà qu'un idiot crée un prix, un autre imagine un autre prix, et il se fabrique dix, vingt prix...
« Enfin, cet imbécile de Pana, tel est son nom, invente le Prix Lacombyne dont cinq cents journaux entretiennent leurs lecteurs des mois durant. C'est fini de la vie sociale, la barbarie arrive à grands pas...
- Mais, mon cher Maître, n'êtes-vous pas un peu pessimiste ? Je ne vois rien de ce que vous imaginez !
- Oui ! Bien sûr, vous êtes candidat ! Mais ne voyez-vous pas que l'on crée des prix partout à l'imitation de celui-là : prix au meilleur agent de la sûreté, au cocher le plus distingué, au cultivateur qui fera rendre x à son champ, au mastroquet, au marchand de peaux de lapin, au danseur, au papetier, au chemineau, que sais-je... C'est toute la société qui va se trouver reposer sur les truquages de prix, et toutes les branches de l'activité humaine vont y être soumises.
- Eh bien, ce n'est pas si...
- C'est idiot et c'est mortel. Qui dit prix dit sottise. Regardez la liste des prix de Rome depuis un siècle. Il n'y en n'a pas dix qui aient valu tripette durant leur vie. Tout jugement, quel qu'il soit, réclame des qualités morales, un contrôle de soi, un besoin d'équité, un désir de vérifier ses propres impulsions qui sont choses déjà introuvables. Avec une éducation spéciale, des hommes riches, fils de gens de loi, firent jadis de nobles représentant de l'idée de justice. Ils ont toujours été rares. Jugez est la chose la plus ingrate du monde. Jugez sur n'importe quoi, sur la plus claire ou la plus sombre de deux couleurs, sur l'aspect d'un homme qui passa cinq minutes plus tôt, sur les choses les plus apparemment simples. Tout est épineux, complexe et peut-être même insoluble. Or les hiérarchies sociales seront établies désormais par jury, par des jurys d'imbéciles, incapables de maîtriser leurs passions, leurs premiers jets. Des sots sans informations, sans contrôle, sans rien, vont désormais choisir le meilleurs en toutes choses, ce meilleurs qu'ils ne sauraient ni définir ni délimiter. Taisez-vous donc ! C'est la sauvagerie pure.
- Mais, mon cher Maître, n'êtes-vous pas républicain ? La République, c'est bien le jury appliqué à tout dans un Etat ?
- Farceur ! Qu'on fasse juger le Prix Lacombyne par un million d'hommes, il pourra, il devra être commis une sottise. Mais au moins l'énormité des votants équilibre les tares et rend impossibles les manoeuvres. La République est une idée jusqu'ici irréalisée, et qui, pratiquement, ne sera jamais parfaite, mais il s'agit seulement de créer une réalité aussi proche que possible de l'idée, qui, elle, est nette.
« Dans les jurys de prix littéraires ou autres, la valeur justificative des votes égale zéro. Ils sont loin, les trente types du Prix Lacombyne, de valoir trente indifférents qu'on prendrait au hasard. Songez qu'ils sont d'abord médiocres, donc jaloux de leur élu, vu qu'aucun n'atteignit jamais les tirages du lauréat qu'il choisit.
« Ils sont vénaux parce que tous ont vécu difficilement et, pour manger, fait des choses malpropres, écrit pour toutes opinions, rédigé des pamphlets anonymes commandés par des fripons. Surtout, ils ont vu la chance favoriser des confrères qui ne valaient pas plus. D'où cette rage sournoise et vile qui les poussera toujours à éliminer le vrai mérite, à trouver de cauteleuses échappatoires et à se laisser manoeuvrer par les canailles, car ici la canaille ne vole pas, elle paie...
« Le système du prix, en littérature comme en tout, c'est enfin le dressage des hommes à la férocité cupide et crue. [...]
L'actualité des critiques du « cher Maître » est si criante, qu'il me semble inutile d'insister.
PORTRAITS DU PROCHAIN SIECLE. Gaston Danville par Louis Dumur, sur le site Remy de Gourmont qui annonce la sortie prochaine d'un livre qu'il ne s'agit pas de manquer : Le Connétable, le Régent et son Ombre. Barbey d'Aurevilly vu par Remy de Gourmont, Jean de Gourmont et le Mercure de France, textes choisis et présentés par Christian Buat, Editions du Frisson Esthétique.
IL EST SORTI. Le N°7 (septembre 2008) de la revue Le Grognard. Quelques pages de ce numéro sont lisibles sur le site du Grognard.
PILLARD D'ARKAÏ. Céline Brun-Picard et Grégory Haleux, sur le blog des Editions Cynthia 3000, nous content une affaire politique soulevée par le directeur de L'Aigle de Nice, auteur du désormais célébrissime IL****. Une affaire à suivre...
VU... PAS VU... Un document exceptionnel (?) en vente sur un site d'enchère : Carte Postale De Blaise Cendrars À Fernand Divoire : Parution : 07/10/1915. Dimensions : 9 x 14. Carte postale inédite envoyée par Cendrars à Fernand Divoire [au journal L'Intransigeant]. Cendrars vient de se faire amputer du bras droit. Il écrit à Divoire depuis son lit d'hôpital à propos de la mort de Remy de Gourmont.
L'annonce était accompagnée de 2 photos sans le texte, il ne semble pas que cette carte ait été vendu, espérons que le texte sera publié quelque part...
LU. Dans La Revue Neuve. Directeur Francis Guex-Gastambide. René Debresse, éditeur, N° 6, 1949 : Testament de poète, un extrait inédit des souvenirs sur le Symbolisme de Francis Viélé-Griffin, et nous qui ne savions pas que ces souvenirs existaient... mais que font les descendants-spécialistes ? N'y a t'il pas d'éditeur pour ce genres de documents ?
Jules Renard
Les chroniques de Jules Renard, reprisent sur Livrenblog :
Vamireh, roman des temps préhistoriques par J. H. Rosny (« Les Livres » Mercure de France N° 28 d'Avril 1892)
Baisers d’ennemis par Hugues Rebell (« Les Livres » Mercure de France N° 33 septembre 1892)
La Force des choses par Paul Margueritte (« Les Livres » Mercure de France N° 18 Juin 1891)
Les Emmurés, roman par Lucien Descaves (« Les Livres » Mercure de France, Janvier 1895)
Bonne Dame d'Edouard Estaunié (« Les Livres » Mercure de France, janvier 1892)
Les Veber's (« Les Livres » Mercure de France, octobre 1895)
L'Astre Noir par Léon–A. Daudet ("Les Livres" Mercure de France, janvier 1894)
Jules Renard sur Livrenblog :
Portrait par Pierre Veber, Sous-Bois, Les Lutteurs. Les Veber's. Félix Vallotton - Jules Renard. La Maîtresse. Histoires Naturelles. Bucoliques de Jules Renard par Léon Blum
La ficelle coupée, l'enveloppe déchirée, soupeser le livre et le flairer avec défiance : qu'est-ce qu'on va me conter encore ? Dans ce livre nouveau, quoi de neuf ?
L'auteur s'appelle Léon Daudet. Le prénom diminue-t-il, augmente-t-il le nom ? Le fils a-t-il plus ou moins de talent que le père ? S'il lui ressemble, à quoi bon ? S'il en diffère, quelle audace ! Son nom le porte : son nom l'écrase. Je vous assure que, comme toujours, ça dépend.
L'Astre Noir. Pourquoi noir ? Je n'aime pas cet air de ce moquer du monde. Roman. Quel genre de roman : historique, contemporain, rural, militaire ? On le dit. D'ailleurs, que signifie de nos jours le mot roman ? - « Vous êtes un homme, monsieur Goethe. » Déjà je crois comprendre. On va me vanter, selon la mode, l'homme d'action, me le proposer comme modèle et m'indiquer par quel coin il faut prendre le monde quand on veut le bouleverser.
Mais je la connais, et je me fiche d'être fort. J'en ai assez, des lutteurs pour la vie, et des octogénaires exsangues qui réclament la Grande Saignée, et des théoriciens de l'énergie, et de ceux qui manient leur canne terriblement, et de ceux qui sondent le coeur humain, et de ceux qui collectionnent dans des dossiers des cartes de visites, et de ceux qui ne voient que les gens utiles. Flûte aux grands hommes. D'un tour de pensée je les fais et les défais. Honneur aux paresseux qui meurt obscur. Je ne suis pas fâché de vous le déclarer une fois pour toute.
Le livre feuilleté, quelle fourmilière de lettres imprimées ! Les pages tiennent toute la page, les ligne toute la ligne ; la phrase menace de sauter par-dessus le bord, les marges manquent à chaque instant comme, sous le pied, les trottoirs des vieilles rues où les maisons s'affaissent. M. Léon Daudet ne nous encourage guère. Il dédaigne les blancs trompeurs, clairières où l'on s'arrête pour respirer un peu, et sur le chapitre inextricable il déploie ces titres effrayants : Splendeur et
Zénith, Grondements sourds, Cataclysmes, Déclin, je n'oserai jamais entrer.
Au hasard, page 31 : L'astre noir nageait en pleine béatitude. Diable ! Est-ce que l'auteur n'écrit pas ?
Page 2 : Cette poussière de bruit qui succède aux grandes clameurs. Page 20 : Quelque malice plissa ses lèvres fines, tel un petit Dieu s'assied sur un coquillage rose. Mais l'auteur écrit donc ! Oui, si le style est une tournure d'esprit.
Une à une, les hésitations tombent, comme des brindilles cassées. On se décide, on pénètre, et bientôt, il faut s'y résigner, l'Astre Noir passionne. C'est l'oeuvre d'un écrivain étonnamment doué qu'annonçaient Hœrès et Germe et Poussière. Mais il est convenu qu'un jeune ne saurait parler d'un jeune avec trop de réserve pudique. Le mal qui répand chez nous la terreur d'admirer n'est pas une petite peste.
Et si pourtant je me laisse aller, si je dis tout haut du livre de M. Léon Daudet : Voilà un beau livre, plein d'idées originales et personnelles qu'on lève à chaques pas, comme des alouettes chantantes, de types achevés (Malauve, Trouquin, les deux Clotilde, Caldius, Etter, etc.) ; de scènes dramatiques (la folie de Lacheminant, le suicide d'Eucrate et de Suzanne, de Pantoscope, etc.) ; d'images bien vertébrées (La joie intense de saisir sa pensée frétillante et brillante par les mailles étroites du langage et de déposer sur la blanche grève des pages toute cette pêche miraculeuse) ; de mots à longue portée (L'homme qui s'écoute entend un glas, - il faudrait... dans la possession... un contact à distance, etc) ; et si je dis que, le livre lu, je m'imagine avoir fait, avec un artiste de premier ordre, un grand voyage circulaire, philosophique et romanesque, émouvant et inoubliable, dois-je m'excuser de le dire et promettre que je ne recommencerai plus ? -
J. Renard
Les Veber's (E. Testard). - Que vais-je écrire de votre livre, mes chers amis ? Il fait si chaud qu'on ne serait bien que dans une poire. J'ai envie de remettre ça à l'hiver prochain. Jamais les Veber's ne trouveront qu'il est trop tard pour parler encore d'eux.
Vous avez traduit le titre du volume dans toutes les langues pour qu'il ne reste plus aux traducteurs qu'à continuer.
Afin de ne pas dérouter le public, les masques sur vos visages sont plus ressemblants que nature.
Je compte vos portraits. Ceux que j'oublie ne sont pas les meilleurs.
Il y en a cinquante et un de Jean, et il y en a cinquante et un de Pierre. Voilà deux frères qui s'aiment.
Il n'y en a qu'un de Jules Renard.
On ne sait lequel de vous deux a le plus d'esprit, dit Jules Lemaître qui donne sa langue au chat et retourne à Lamartine.
Dirais-je qu'on ne sait pas d'avantage lequel en a le moins ?
C'est le moment de citer quelques traits qui servent de rallonge à ma feuille de papier. Mais ils sont trop.
Oh ! Vous arriverez ! Vous arriverez par train spécial, et il sera malaisé de vous faire descendre de voiture.
Je plaisante : si vous avez l'air d'aimer trop le bruit, au fond vous vous moquez même de la gloire.
Souffrez, mes chères amis, que je termine là « cet article d'ami », et plaignons les pauvres femmes obligées, par ces chaleurs, de porter leurs seins sur elles.
Pour moi, j'ai l'âme trempée jusqu'aux os. - 9 septembre 1895. - Jules Renard.
Mercure de France, février 1894.JULES RENARD
Un gros champignon poussa ce matin au fin fond de la plaine, sur le bord du ruisseau que jalonnent les goupillons des saules.
C'est un pêcheur à la ligne. Coiffé d'une ombelle de paille, il s'est assis, dès l'aube, dos tourné à la plaine, et, penché sur l'eau où flageolent les reflets des hêtres, attentivement, il pêche ces reflets.
Vers patron-minette, sont arrivés des moissonneurs pour couper l'herbe sous les pieds des épis. Après eux, des vaches, égrenant le choc clair de leurs clarines, traînaient à la remorque leurs pâtres.
Midi ; des troupes défilèrent. Puis des sages, marchant à pas comptés, ont, avec leurs cannes, tracé des figures dans le sable de la route.
Peu avant l'Angelus, le soleil a lancé jusqu'au bout de l'horizon l'ombre unique des couples. Et tant d'autres, chacun chantant sa complainte chacunière.
A regret, la nuit. Le pêcheur ne bouge pas, épie toujours les faucheux qui patinent sur l'eau. Il ne prend rien et ne se lasse pas de ne rien prendre. Soit, cet homme est un sot, il importe que je lui fasse remarquer : « Champignon insolite, champignon mesquin, vous avez perdu votre journée : tandis que vous tachiez à saisir quelques goujons, vous renonciez au diorama de cette plaine, à la pantomime du Passant en 36 tableaux : couples, pâtres, troupes et sages paisibles. Pauvre sot, que ne vous retourniez-vous ? »
L'homme ne daigne point relever la tête :
« Tout cela dit-il, et bien des choses qui vous ont échappé, je le guettai dans ce miroir où, solitaire, je pêche des reflets. »
Mais chut ! Ça mord... Voici la lune qui rôde autour de l'hameçon.Pierre Veber.
Les Veber sur Livrenblog : Coup de Filet par Les Veber's et compte-rendu de Willy pour Les Veber's. Les Veber Joviale Comédie. X... Roman impromptu (à dix mains). Pour quelques illustrations de plus : Jean Veber par Camille Mauclair
Les lecteurs de la première heure (Mars 2007) de Livrenblog, se souviennent peut-être que le Prix du concours organisé par L'Echo de Paris littéraire illustré fut gagné trois fois par Alfred Jarry (Prix de Prose : Guignol, 28 avril 1892 - Prix de Poésie : La Régularité de la châsse, 19 mars 1893 – Prix de Prose : Lieds Funèbres, 25 juin 1893). On peut penser que Marcel Schwob, directeur littéraire du journal, fut responsable du choix des lauréats. Un autre ami de Schwob, gagna le concours, il s'agit de Gabriel de Lautrec, avec Les Funèbres, un conte teinté de symbolisme, parut dans le n° 47 du dimanche 18 décembre 1892.
Les Funèbres
Ils habitaient dans une île solitaire, de l'autre côté de la grande Mer. Et ils vivaient là, séparés des autres hommes, par l'effroi. - On les nommait les Funèbres, et quand, par hasard, ils descendaient dans les villes, la barbe longue et le crâne à moitié rasé, en signe de deuil, les hommes traçaient sur leurs passages les signes cabalistiques dont on use pour chasser les esprits mauvais.
Les peuples de cette époque lointaine vivaient de la Mort. Lorsqu'un d'eux venait d'expirer, le corps, placé sur un radeau profond, s'en allait vers l'Île des Funèbres, avec des accompagnements de violons et de tambours, et les cierges jaunes brûlaient d'une flamme pâle sous le soleil et sur la mer.
Car c'est aux Funèbres que l'on dévoluait le soin lugubre des morts. Ils étaient les prêtres d'une cythère mélancolique et définitive, sauf que dans cet autre embarquement de Watteau, les passagers de l'île heureuse s'en allaient non vers l'Amour, mais vers la Mort. En de grands palais somptueux aux glaces profondes, les corps étaient disposés et soumis, dès lors, au cérémonial rituel. - Avant de transformer la dépouille humaine, les prêtres voulaient en délivrer absolument l'âme délicate, encore inquiète aux portes du corps, et leur religion était faite surtout des formules chantantes et puissantes qui dégagent l'immatériel. Puis c'étaient les bûchers aromatiques où les corps brûlaient. Et les cendres étaient réservées pour la communion des vivants.
Ils mangeaient réellement les cendres des morts, et la vie se perpétuait ainsi, en un symbole attristant et très haut, par où l'âme de leurs ancêtres trouvait en eux sa définitive transformation. - Ils ignoraient toute autre nourriture, et leur âme toute autre poésie. - L'amour n'existait pas encore, et les hommes se reproduisaient sans joie. - Leur seul mystère, et peut-être d'une grandeur insoupçonnée d'eux, était celui d'une humanité vivant du problème de sa propre mort. - Et leur âme, hantée par la peur et le désir aussi des hommes Funèbres, était comme un paysage lunaire dans lequel il n'y aurait eu ni formes, ni musiques, ni parfums.
Un jour, parmi les corps chaque jour transportés dans l'Île, il se trouva celui d'un petit enfant ; - si mélancolique et si délicat que les Funèbres pleurèrent, en un émoi jamais ressenti. - Ses ailes blanches, souillées par toutes les boues, étaient bien d'un vagabond ; mais ses yeux morts avaient un regard dont la fierté méchante et hautaine était bien celle d'un dieu.
Le corps se dispersa comme de coutume, et bientôt les lignes fragiles d'où naissait cette fleur subtile de beauté furent brisées et perdues pour à tout jamais. - Et les hommes mangèrent la cendre amère et insoupçonnée qui devait leur donner le regret sans fin de la Beauté qui fut réelle à la seule minute de jadis. - Oh ! Quel séraphin vêtu de blanc retrouvera les lignes perdues de la Forme trop douloureusement aimée !
Car, dès que fut mort l'enfant inconnu, et ses cendres dispersées, je crois que l'Epouvante sous sa forme la plus charmante et la plus pâle descendit dans cet univers. Un mal terrible s'abattit sur les cités. Ceux qui mangèrent les cendres divines furent empoisonnés pour toujours. Leurs yeux s'allumèrent. En proie à une fièvre intense, ils couraient par la campagne, le jour se mourant sur la tige frêle des fleurs, et la nuit mêlant le mystère des alcôves à la volupté des étoiles bleues. - Ils s'éprirent de tendresses mystérieuses pour les arbres, les nuages et la nature immobile ; puis, comme les pasteurs chaldéens des jours antiques, ils virent se lever dans les yeux des femmes le soleil de minuit de l'Amour.
Et pour la première fois, ils connurent cette chose éternelle, l'amour, et cette chose douloureusement et nostalgiquement personnelle, le frisson de la chair aimée.
Leurs yeux cernés; leurs lévres brûlantes, leur respiration haletante leur permettaient de se reconnaître entre eux ; avec l'amour était aussi venues les formes, les musiques et les parfums.
Or, ceux qui mangèrent les yeux de l'Enfant eurent pour l'éternité l'amour en leurs yeux ; ceux qui mangèrent ses lèvres eurent ses lèvres ; ceux qui burent de son sang eurent éternellement dans les veines le sang d'un dieu. Et ceux-là furent aimés pour leurs lèvres, pour leur sang ou pour leurs yeux.
D'autres eurent sa voix harmonieuse, et connurent le secret de faire pleurer par les musiques et les paroles.
On les voyait aller dans les rues, isolés de tous, en l'épouvante de leurs allures étranges et de leurs douleurs qui paraissaient immesurées.
Dédaignés et dédaigneux, ils vécurent, dans un de ces mondes parallèles au réel, et qui sont les mondes du rêve, des miroirs ou de la folie. - Ils inventèrent la mesure et le rythme, d'après les nouvelles intonations que leurs paroles avaient prises depuis la venue de l'Enfant. - Avec le souvenir vague de la réalité divine qui jadis avait vécu, ils connurent leur rôle de reflets mystérieux : parfois, à contempler le visage douloureux des aimées qui les aimèrent pour le frisson caressant de leurs yeux, ils y virent apparaître une ligne, un sourire, un regard, fragment perdu de la Forme, et fixèrent en des poèmes, comme un trait d'or lumineux, ces rires épars de l'Absolu. - Ce furent les hommes de génie, ceux qui manifestent par le plume, par la parole ou le pinceau.
Et le souvenir de l'événement étrange disparut des mémoires, très lentement. Et les malades d'amour vécurent, inguérissables à jamais : ils eurent pour les consoler des effleurements d'étoiles, des caresses d'ailes, des frôlement de prunelles, et comme en une minute suprême, chacun dans sa vie, la souffrance et la venue du Baiser. - Car le baiser naquit après l'Amour, chose plus amoureuse que l'Amour. Les enfants qui descendirent d'eux, plus tristes et plus beaux que les hommes, chantèrent sous les balcons pour les filles de ceux-ci. Et plus funèbres que les Funèbres eux-mêmes, ils portent depuis lors sur le front le signe mystérieux qui rend folles les femmes et leur fait peur aussi d'aimer. Et c'est depuis lors que sont nées les souffrances inguérissables et les poèmes immortels.
Cela se passait aux époques très lointaines ; les orgues funèbres de l'éternité venaient à peine de se taire pour écouter la prière tremblante du premier monde nouveau-né.
C'est ainsi que naquit la race de ceux qui souffrent du mal d'aimer.Gabriel de Lautrec.
"Les moulins sont de plus en plus au bord de l'eau"
Comic-Salon, par Willy, dessins de Christophe (Léon Vanier)A Henry Gauthier la providence a ajouté Vil-art, et c'est par un sentiment de respect excessif pour un illustre poète qui se nommait tout simplement Gautier que l'auteur de Comic-Salon signe Willy des oeuvres peu recommandables. Dans la science du calembour M. Willy est d'une érudition profonde, et il n'est pas une page de lui où l'on ne constate qu'il ait beaucoup lu et retenu ; malheureusement, il ne sait pas faire un choix, et c'est, surtout, aux auteurs anciens des plus mauvais almanachs qu'il emprunte. Il doit à son savoir le bon accueil que lui fit la presse quotidienne, mais il nous étonne que, donné d'un talent aussi productif, il s'adresse avec un désintéressement inopportun à certaines revues sans rubriques pour son emploi. C'est là une erreur dont il reviendra. M. Willy, dans ses écrits, ménage ses lecteurs. Comic-Salon, par exemple, engendre plutôt cette mélancolie qui est de la tristesse indifférente que le rire qui distrait et détourne des travaux graves. Ce genre de lectures est utile surtout à ceux qui écrivent et qu'inspirent les toutes petites vanités de ce monde. Il arrive parfois que l'on se trompe sur la valeur des styles, et je dois à M. Willy de reconnaître aujourd'hui combien je me suis mépris vers mes douze ans sur l'importance d'une publication périodique, La Lanterne de Bocquillon, que je lisais
assidûment à cause d'opinions républicaines et anti-cléricales que j'affichais au lendemain de ma première communion. Je parlerais volontiers des dessins de M. Christophe, mais mon ami Albert Aurier fait ici la critique d'art et je ne veux pas empiéter sur son domaine.
J.L.
Mon cher Vallette,Ceux qui ont lu ma bibliographie sur Comic-Salon savent avec quelle politesse, et quelle indulgence aussi, j'ai traité la personne de M. Willy. Ces quelques lignes m'ont valu des insultes de la part de ce monsieur. Supposant qu'il avait contre moi quelque haine et qu'en tout cela il ne cherchait qu'une affaire, P.-N. Roinard et Albert Aurier, nos amis communs, allèrent lui demander en mon nom soit une rétractation, soit une réparation. Il me refusa l'une et l'autre, s'expliquant dans une lettre à mes témoins, laquelle est un surcroît d'offense et contient, entre autres passages, celui-ci : « Les mépris de ce jeune homme n'ayant à mes yeux qu'une importance infinitésimale, j'aurais pu les négliger s'il n'avait cru devoir choisir, pour y loger sa première mercuriale, une publication à laquelle je collabore et précisément un fascicule qui contenait quelques pages signées de mon nom. »
Jugez, mais passons.
Je laisse aux gens de loyauté et de bonne éducation le soin d'apprécier la conduite de M. Henry Gauthier-Villars dans cette affaire, dont le dénouement a eu lieu dans un poste de police, où procès-verbal fut dressé contre moi pour avoir égaré ma canne dans l'oeil bleu de mon trop timide adversaire.
Je tenais à dire ces choses. Maintenant, je ne parlerais plus de M. Willy.
Mon cher ami, je vous serre la main.Julien Leclercq
Je n'ai pas ici à prendre parti, mais je trouve dans le passage précité de la lettre de M. Gauthier-Villars aux témoins de M. Leclercq une inexactitude que je dois relever. Le principal grief de M. Gauthier-Villars consiste, d'après cette lettre, en ce que M. Leclercq aurait choisi, pour y punlier la bibliographie de Comic-Salon, un fascicule où lui-même signait un article. Or, personne ici ne choisit le numéro où insérer tel ou tel compte-rendu de livre : c'est à moi seul qu'incombe ce soin. Je regrette d'ailleurs que M. Gauthier-Villars ait attribué une intention maligne à une simple coïncidence.
A[lfred].V[Valette].
Nous recevons la lettre qui suit :
« Mon cher Vallette,
« Il y a dans le Bulletin de victoire rédigé par M. Leclercq quelques inexactitudes, et des omissions, surtout : le commissaire de police n'eut pas à dresser procès-verbal, puisque je refusai de porter plainte contre mon agresseur, me trouvant satisfait « des coups qu'il reçut » - c'est l'aveu qu'il fit au Matin – et que j'eus plaisir à lui porter (la voilà, la fâcheuse omission, la voilà bien !), à la vérité sans canne.
« A Dieu ne plaise que je tire vanité d'être solidement construit ! Mais, dans l'espèce, je fus content de posséder une poigne vigoureuse.
« Faut-il l'ajouter ? Je ne saurais prendre l'engagement de ne plus parler de M. Leclercq.
« Quant à vous, mon cher ami, je ne vous ai jamais supposé capable d'une intention maligne envers moi, et je tiens à vous le dire.
« Bien cordialement,« Willy. »
Voici, à titre de document, la lettre de M. Julien Leclercq insérée par le Matin du 30 août et à laquelle M. Willy fait allusion :
« Paris, le 19 août 1892.
« A Monsieur le directeur du « Matin ».« Monsieur,
« M. H. Gauthier-Villars néglige de vous spécifier que :
« 1° Je ne me suis résigné aux voies de fait que parce qu'il a refusé de me donner par les armes une réparation des injures qu'il m'avait gratuitement prodiguées. Il prouve une fois de plus son aversion pour le duel. Est-ce par philanthropie ? C'est peu probable.
« 2° Je n'ai à mon tour reçu de coups, après avoir dûment marqué M. Gauthier-Villars à l'oeil, que parce que mon agression avait ameuté contre moi tout le commerce de la librairie du quai, qui voulut venger l'attentat sur l'un des siens et lui prêter main-forte.
« En outre, j'ai frappé mon adversaire le premier pour lui laisser le choix des armes; dans le cas où il se serait décidé à une rencontre. Mais, ni d'une façon ni de l'autre, il n'entend se battre, comme offenseur ou comme offensé. Ceci a de l'importance.
« Agréez, Monsieur le Directeur, l'assurance de ma considération très distinguée, et veuillez, je vous en prie, accorder l'hospitalité à ces lignes, - les dernières.« Julien Leclercq
« 36, rue des Batignolles. »
Julien Leclercq sur Livrenblog :
La Physionomie de Julien Leclercq
1892, le Théâtre d’Art, le Cantique des Cantiques de P. N. Roinard, par Julien Leclercq
Daniel fragments d'un roman de Julien Leclercq
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« [...] j'eus la hardiesse de parler dans ma dissertation de Henri de Régnier, qui n'était pas encore de l'Académie, de Francis Vielé-Griffin à qui j'attribuais un jugement sur Racine et Corneille, d'Emmanuel Signoret, qui se faisait à peine connaître et auquel je prêtais une très grande et péremptoire autorité. Je citais une strophe parfaitement incompréhensible qu'elle était isolée d'un poème fort abscons et que j'en faisais l'application aux mêmes Racine et Corneille. On ne pouvait être plus fantaisiste et mon professeur proclama en effet, que c'était là uniquement de la fantaisie.
Mais ç'en était fait. A dater de ce moment, Guillaume Apollinaire savait que dans sa classe il avait un camarade qui s'intéressait aux choses modernes.
A la fin du cours, il vint à moi :
- Tu connais Mallarmé ?
- Oh ! Peu.
- Henri de Régnier ?
- Je suis enthousiasmé par l'Homme et la Sirène !
- Vielé-Griffin ?
- Oui, je voudrais écrire un poème comme la Chevauchée d'Yeldis !
- Eh bien, me dit-il, moi aussi. Je les ai tous lus. Et puis il faut lire de Remy de Gourmont les Chevaux de Diomède.
Les soirs inapaisés des tourmentes amères,
J'ai traîné mes regards sur tes derniers rayons ;
Ta tâche est achevée, o maître des chimères,
Tu peux, tu peux t'enfuir aux profonds horizons.
O mon père, laissé sur la route maudite
J'ai jeté mon bâton et regardé le soir ;
La source murmurait si douce dans sa fuite,
Qu'un instant j'oubliai de mourir et de voir !
Va ! La nuit qui s'en vient nous berce et nous console ;
Les étoiles, tes soeurs, seront plus près de nous :
Le poète pourra s'en faire une auréole ;
Les fous sont beaux, laissons leur idéal aux fous !
J'ai suivi le chemin vers le calme et le rêve,
J'avais planté ma tente au désert de la foi ;
Le vide m'a fait peur, la forêt et la grève
Quand j'eus fermé les yeux murmurèrent en moi.
J'ai suivi le chemin vers toi ; j'ai bu la lie
Au calice rempli d'amertume et de fiel ;
Pour t'atteindre, ô soleil, maître de l'énergie
J'ai fait l'effort en vain de regarder le ciel !
J'ai bercé de mes chants sous tes lourdes caresses
La femme dont l'amour a flétri ma beauté,
Et j'ai senti s'enfuir dans le vent des détresses
L'espoir qui me guidait vers l'éternel été.
Mon coeur va s'apaiser dans la brise qui passe,
Le calme soir descend aux collines des dieux,
O mon père, voici ta splendeur qui s'efface !
Arrête ! Prends pitiè du vide de nos cieux !
Car voici : j'ai senti frissonner ma chimère,
Et la nuit qui s'en vient ne nous console pas !
J'ai besoin pour mourir de ta sainte lumière,
Donne moi cette force, o père du Trépas !
J'ai marché ! J'ai brisé ma lyre sur ma route
Et j'ai d'un chant plus noble au moment de la mort
Renié l'espérance et cultivé le doute.
J'ai dit : mieux vaut mourir, vanité de l'effort !
Tu n'apporteras plus la vie au sol aride
Comme un maudit hanté des éternels remords.
Tu recommenceras ta course dans le vide.
Mais tu ne seras plus que le soleil des morts !
Ange Toussaint.
- A : Je trouve ce livre-là très beau. - B : Avez-vous noté les maladresses ? - A : Monsieur Edouard Estaunié est un garçon plein de talent. - B : Vous en parlez familièrement, mais il manque de métier. - A : J'ai en horreur les professionnels. - B : Avouez que « Bonne Dame » est malheureuse un peu longuement. On n'est pas malheureux comme ça. Elle a l'air de souffrir exprès, pour obtenir une médaille. - A : J'aime « Bonne Dame » entièrement, y compris son argot original. - B : C'est original d'estropier des mots ? - A : Citez moi beaucoup de « jeunes » capables de faire vivre un pareil type pendant trois cent pages ? - B : Il se mourait depuis la centième. - A : Au moins, goûtez-vous, comme-moi, les images nombreuses ? - B : Les meilleures m'auraient suffi. - A : Rappelez-vous : « Bonne-Dame roule, roule, au lieu de marcher, semblable à quelque cloche tombée sur terre, faute d'ailes, pendant le voyage du jeudi-saint » ; et encore : « La ligne télégraphique semblait une quintuple portée sur laquelle des oiseaux marquaient des notes ». Et Caetera ! Et caetera ! Les lettres de Féfé sont vraiment exquises. - B : Exquises, les lettres d'une petite fille mal élevée ! Vous vous démoralisez. - A : Le voyage à Montauban est un pur chef-d'oeuvre. - B : Cela vous amuserait, vous, d'attendre dix heures dans la neige la correspondance d'un train ? - A : Je ne sais rien de plus navrant que le séjour de « Bonne Dame » chez sa fille. - B : Quel gendre a jamais traité de la sorte une belle-mère riche ? - A : Rien de plus lamentable que son abandon, sa fuite à Paris, son bonheur enfin, à l'asile, de sacrifiée incorrigible. - B : L'auteur est de votre avis. A propos, pourquoi montre-t-il toujours le bout de ce qu'il pense ? Que nous importent des phrases de ce genre : « Il faut avoir connu les grandes douleurs pour pratiquer les grandes indulgences à l'égard de l'âpre vie » - ou bien : « De même que la santé morale est le principe facteur du bien-être physique, ainsi l'existence...... » - ou mieux : « Les coeurs aimants sont les plus inconséquents ». - A : Bref, mon petit, puisque vous êtes malin, faites-en donc autant. - B : Oh ! Si vous en venez aux personnalités !.....
Sur Edouard Estaunié : Octave Mirbeau, Edouard Estaunié et « L'Empreinte » par Pierre Michel.
En 2010 on « fêtera » le centième anniversaire de la mort de Jules Renard. Voir le judicieux guide de recherches sur le site de la ville de Nevers.
Les chroniques de Jules Renard, reprisent sur Livrenblog :
Vamireh, roman des temps préhistoriques par J. H. Rosny (« Les Livres » Mercure de France N° 28 d'Avril 1892)
Baisers d’ennemis par Hugues Rebell (« Les Livres » Mercure de France N° 33 septembre 1892)
La Force des choses par Paul Margueritte (« Les Livres » Mercure de France N° 18 Juin 1891)
Les Emmurés, roman par Lucien Descaves (« Les Livres » Mercure de France, Janvier 1895)
Les Veber's (« Les Livres » Mercure de France, octobre 1895)
L'Astre Noir par Léon–A. Daudet ("Les Livres" Mercure de France, janvier 1894)
Le Roman en France pendant le XIXe siècle par Eugène Gilbert (Plon). ("Les Livres" Mercure de France, février 1896)
Jules Renard sur Livrenblog :
Portrait par Pierre Veber, Sous-Bois, Les Lutteurs. Les Veber's. Félix Vallotton - Jules Renard. La Maîtresse. Histoires Naturelles. Bucoliques de Jules Renard par Léon Blum
... Grand, front large, yeux bleus, cheveux et barbe noire – l'imagier André des Gachons n'a pas un signalement quelconque. Dans la redingote cérémonieuse ou sous la casquette de sportman, ce grand rêveur n'est pas déguisé.
Il faut dire tout de suite que c'est le propre de notre artiste de mêler toujours du rêve à la vie et de la vie au rêve ; d'unir toujours le souci de la vérité à l'amour de la fantaisie. Lorsqu'il peint d'après nature, il sait rester exact et donner, en même temps, une impression un peu romantique de grandeur ou de charme ; quoi de plus exact et de moins matériel à la fois que ses belles études du Mont-Blanc ou de Monaco ? Et d'autre part quoi de plus près de la nature que ces imaginatives illustrations des Légendes rustiques ou de la Maison Forestière ?
André des Gachons n'est pas un novateur, mais si son coloris n'est pas plus réaliste que celui de Boticelli ou de Jean Matsys, il est aussi savant que le leur : il est simple, pur et parfaitement harmonieux. Et c'est parce qu'il est tenté, à la façon de l'école italienne et de ses imitateurs, de ne voir la beauté qu'en ce qu'elle a de parfait, de régulier et de simple, que l'imagier André des Gachons n'est pas psychologue.
Ni réaliste, ni psychologue – et d'autre part trop bon peintre pour s'adonner à la fantaisie – dans quelle idée a-t-il donc nourri son talent ?
Il n'est pas réaliste ; mais il demeure toujours vrai. Il ignore la psychologie, mais il est maître en esthétique. Si, par exemple, ses visages de femmes ne sont jamais déformés ni par la douleur ni par la passion, il sait, par contre, les faire passer du charme le plus délicat à la plus dramatique grandeur. C'est que, face à la nature, il est touché par le spectacle plutôt que par l'action.
Et c'est à cause de cela que chacune de ses oeuvres est surtout une vision de beauté, qu'il restera toujours l'illustrateur des livres descriptifs comme Salambo ou la Tentation, qu'il peindra toujours ce que voient ces yeux de rêveurs.
Il doit aimer la ville de Lille, où il habite, comme l'aimerait un poète, et je vois une de ses aquarelles dans ces vers de M. Léon Bocquet un des meilleurs poètes de là-bas :
Ne va-t'il plus sortir du dédale des rues
L'exode somptueux des fêtes disparues,
Pavoisant d'étendards les pignons et les murs ?
Et les vieilles maisons de briques et de pierres
Attendent, succombant sous leurs faîtages mûrs,
Avec des airs anciens en leur mante de lierres.
(1) Quelques titres de son abondante production parmi ceux qui nous ont parus les moins techniques : L'Art et la folie, (1924), et Hystérie (1925) chez Stock dans la collection La Culture Moderne, Mesmer et son secret, A. Legrand, 1936, et en collaboration avec Maurice Garçon Le Diable, étude historique, critique et médicale (1926) Gallimard, Les Documents bleus, n° 29, La Magie du dessin : du griffonnage automatique au dessin thérapeutique, Desclée De Brouwer, 1959, La Gravure et l'art pathologique, Bruxelles, Publications Acta medica belgica, 1964 et dans un N̊° spécial d'Histoire de la médecine en 1958 : En marge des dessins de folies du Dr Paul Gachet.
(2) Sur Ferdière voir : Emmanuel Venet : Ferdière, psychiatre d'Antonin Artaud. Editions Verdier