jeudi 28 mai 2009

COLETTE : Lettres à Missy


Le blogueur dilettante vivant en ermite, ne se tient au courant des nouveautés que lorsque le hasard lui apporte l'information, heureusement un anonyme nous signale :

Les lettres de Colette à Missy viennent d'être publiées par Flammarion préfacées et annotées par Samia Bordji et Frédéric Maget. L'ouvrage rassemble 150 lettres inédites écrites par Colette à sa maîtresse de 1908 à 1940.


Colette : Lettres à Missy.
Parution : 06/05/2009
Format : 13.8x21.2x2.1 cm
Prix : 22,00 €
EAN : 9782081227224




mercredi 27 mai 2009

WILLY Publicité littéraire.


Pour la publication de Minne cinquième roman de Colette signé par son mari Willy, Ollendorff édita un prospectus publicitaire où l'on pouvait lire une lettre de Claudine à Polaire et la réponse de celle-ci.
Polaire vient de jouer le rôle de Claudine sur la scène des Bouffes-Parisiens, avec un grand sens de la publicité Willy utilisera la jeune actrice afin de faire la promotion de ses productions (voir sur Livrenblog : Polaire, actrice et chanteuse).
Claudine se plaint d'être abandonnée par son auteur au profit de Minne, une autre jeune femme, dont les aventures vont bientôt paraîtrent. Mais Polaire rassure Claudine, et par là Willy rassure ses lecteurs, il ne seront pas perdu avec son nouveau personnage, Minne (1) ressemble beaucoup à Claudine, et le succès de l'une fera celui de l'autre.

De Claudine à Polaire

Claudine

Que lui ai-je donc fait, mon petit ? Ai-je donc démérité ? De quel noir attentat me suis-je rendue coupable ?... Ah ! Tu écarquilles tes yeux en amande, médusée de m'entendre clamer de la sorte, à la tragique, presque en alexandrin ?... Mais, oui, na ! Je ne suis pas contente ! Que n'avais-je fait pour lui ? Ecole, boulevard et boudoir, Montigny, Montmartre et autres lieux, je lui ai permis de me suivre partout : Claudine enfant, Claudine mariée, Claudine maîtresse, je lui ai ouvert toutes mes âmes ; et il n'a pas à se plaindre, le gaillard !
Tout Paris pour Claudine à les yeux de Willy.
Claudine ! Claudine ! Tout le monde la connaît, on se coiffe comme ellle, on parle son argot dans les meilleurs salons, il n'y a pas de gamine un peu gentillette, au nez retroussé, aux cheveux voletants, à la jupe trop juste de l'âge ingrat, qu'on ne salue en passant d'un sourire amusé : « Claudine ! » Claudine est devenue un type dans la société, un nom commun dans la langue : n'est-ce pas une manière d'immortalité ? O Willy,
Si l'orgueil prend ton coeur quand le peuple me nomme,
Que de mon titre seul te vienne ta fierté !
Et voilà qu'il m'abandonne... l'ingrat ! Une femme chasse l'autre : « Claudine s'en va » : voici « Minne ! » Tu n'es donc pas jalouse, Polaire de supporter ainsi cette trahison, Polaire, mon amie vers qui j'élève ma plainte, gémissante et confiante, Polaire, écolière au tablier noir qui me ressembles comme une soeur... Et comment ne l'as-tu pas arrêté, lui, notre Willy, sur le bord du crime ?...












De Polaire à Claudine

Que de larmes et que de fracas, ma Claudinette ! Et comme l'amertume fait remonter à ta mémoire toutes tes réminiscences de théâtreuse ! Tu es amusante comme tout. Ce ne sont pas des plaintes, mais des imprécations ! O Camille, la plus noble et la plus virulente demoiselle de tous les temps, vous ne fûtes auprès de Claudine qu'auprès du cèdre l'hysope ! - Eh bien, tu as tort !... Minne, ce n'est pas Claudine, certes, c'est autre chose, et c'est Claudine quand même, - filette de famille, aussi naïve que délurée, que la quotidienne lecture du journal paternel et de ses faits-divers bizarrement compris, emporte en d'étranges imaginations et de plus étranges aventures, - tout cela de la meilleure foi du monde, avec des sourires et de l'esprit, et de la malice, et de la gaieté, mélange singulier où fraternisent la petite fleur bleue des familles et le chardon sauvage des barrières. Vois-tu, amie, il ne faut pas que nous soyons jalouses, car Minne, c'est encore toi, c'est encore nous ! Et crois-tu que son nom « dirait quelque chose » à la petite femme, avide de savoir et de plaire – même à son mari ! - qui promène à l'aveuglette ses impatientes et naturelles curiosités, - si nous n'étions pas un peu d'elle-même, par je ne sais quel petit coin où nous nous rencontrons avec elle en cachette. - discret libertinage, vagues étonnements, hésitantes audaces, féminéité quand même, et pardessus le marché, les petits morceaux d'un grand quelque chose qui n'est pas si vilain : - la femme... comment dirais-je ? Fin de siècle, non pas ! Mais commencement de l'autre – va donc, j't'en fiche, Claudinette, on ne parlerais pas de Minne, ni de toi. Mais grâce au diable, on en parle beaucoup. Minne for ever ! C'est le plus bel hommage que le public te rende !... Et puis, il ne faut pas en vouloir à Willy : il est si « prenant », il dit si gentiment tout ce qu'il dit, même ce qu'on ne dit pas !... Allons, commère, un bon mouvement, que le Willy calembourgeois me pardonne, et, dans une embrassade générale, le coeur transporté d'allégresse,

Jurons qu'autant qu'à Claudine,
Pour Minne,
Du public, à sa vitrine,
Le libraire trouvera
- Hourra ! -
Souriante et bienveillante
et « payante »
La mine !



(1) Minne sera l'héroïne de deux romans signés Willy, Minne et Les Egarements de Minne (Colette en 1909 reprendra ses deux volumes pour en faire L'Ingénue libertine).

mardi 26 mai 2009

Jules RENARD aux Éditions du Sonneur



Valérie Millet des Éditions du Sonneur, annonce que les Leçons d'écriture et de lecture de Jules Renard sont désormais disponibles.

Tout au long de son Journal, qu'il tint de 1887 à 1910, Jules Renard n'a cessé de s'interroger sur les mots, le rythme, la phrase... Leçon d'écriture et de lecture rassemble toutes ses considérations et ses préoccupations sur le style - le sien, bien sûr, tout comme celui des écrivains de son époque, de Victor Hugo à Verlaine, en passant par Huys­mans, Maupassant, Claudel... Jules Renard dresse ainsi son portrait d'écrivain mû par le doute, celui de ses contemporains, de son siècle, de la littérature de son époque.

« Il n'y a pas de synonymes. Il n'y a que des mots nécessaires, et le bon écrivain les connaît. »
« Le style, c'est le mot qu'il faut. Le reste importe peu. »
« Le mot juste ! Le mot juste ! Quelle économie de papier le jour où une loi obligera les écrivains à ne se servir que du mot juste ! »
« Avoir un style exact, précis, en relief, essentiel, qui réveillerait un mort. »


Leçons d’écriture et de lecture, de Jules Renard
12 € • Format : 122 x 192 • 144 pages • ISBN : 978-2-916136-19-6

On trouvera en feuilletant le beau catalogue des Éditions du Sonneur, les Nouvelles asiatiques d'Arthur de Gobineau, En l'air et autres chroniques d'altitude de Guy de Maupassant, Les Drames de la mer d'Alexandre Dumas.

Les chroniques de Jules Renard, reprisent sur Livrenblog :
Vamireh, roman des temps préhistoriques par J. H. Rosny (« Les Livres » Mercure de France N° 28 d'Avril 1892) Baisers d’ennemis par Hugues Rebell (« Les Livres » Mercure de France N° 33 septembre 1892) La Force des choses par Paul Margueritte (« Les Livres » Mercure de France N° 18 Juin 1891) Les Emmurés, roman par Lucien Descaves (« Les Livres » Mercure de France, Janvier 1895) Bonne Dame d'Edouard Estaunié (« Les Livres » Mercure de France, janvier 1892) Les Veber's (« Les Livres » Mercure de France, octobre 1895) L'Astre Noir par Léon–A. Daudet ("Les Livres" Mercure de France, janvier 1894) Le Roman en France pendant le XIXe siècle par Eugène Gilbert (Plon). ("Les Livres" Mercure de France, février 1896)

lundi 25 mai 2009

Dans l'Épouvante de Hanns Heinz EWERS



Hanns Heinz EWERS
"un grand conteur visionnaire comme un mangeur de haschich"


4e de couverture de Dans l'Épouvante, Collection Littéraire de La Renaissance du Livre, s.d. [1921], in-12, broché, 256 pp., couverture illustrée par Sauvage. Traduction Féli Gautier et Marc Henry.

Ewers est un des talents les plus singuliers de l'époque actuelle et nous tenons Dans l'Épouvante pour le plus hallucinant des livres modernes. On songe à un Nodier ou à un Hoffmann, cliniciens, exploitant pour créer l'angoisse non pas le domaine de l'occulte, mais les pires déformations de la personnalité, de la hantise sentimentale au sadisme. L'observation est impitoyable, l'imagination, d'une puissance créatrice extraordinaire. Et l'on pourrait dire de ce livre que c'est « Anomalies » de M. Paul Bourget, traitées par un grand conteur visionnaire comme un mangeur de haschich, par un grand lyrique réaliste aussi qui, dans une sorte d'exaltation des génies nordique et latin, servie par une écriture remarquable, réunirait l'idéalisme symbolique de Maeterlinck, le lyrisme sensuel de d'Annunzio, le naturalisme de Holf et Schaf, et quelque chose encore d'Oscar Wilde. C'est le cauchemar de l'aventure.

Présentation de la nouvelle L'Araignée par le traducteur Marc-Henry, parue dans La Revue de Paris, 1er novembre 1927.

Né en 1871 à Dusseldorf, Hans Heinz Ewers n'appartient à aucune école. Après une jeunesse turbulente, il abandonna la carrière de la magistrature, à laquelle il se destinait, pour débuter dans la poésie satirique avec un recueil de fables qui eut une grande vogue. Mais bientôt il devait trouver sa voie dans la nouvelle fantastique et morbide où il excelle à créer une atmosphère d'obsession, de hantise et d'épouvante. Il publia deux volumes de nouvelles dans ce genre : Les Possédés et L'Épouvante (traduits en français). Son imagination fougueuse, ses dons d'observation, sa culture encyclopédique, son mépris des préjugés sociaux et de la morale courante lui valurent bientôt, avec une réputation de « mauvais sujet », des admirateurs passionnés – surtout des admiratrices – et des ennemis farouches. Il défendit publiquement, dans plusieurs conférences, le marquis de Sade (l'homme et son oeuvre) et se posa en champion du « satanisme ». Parmi ses romans, les deux plus célèbres (traduits dans toutes les langues) sont Mandragore, l'histoire d'un être étrange, créé artificiellement, et l'Apprenti-Sorcier, où la folie religieuse déchaînée par un jeune écrivain dans un village du Tyrol aboutit à la plus sanglante des tragédies. Inlassable globe-trotter, Hans Heinz Ewers a fait plusieurs fois le tour du monde et réuni en volumes ses impressions qui ne manquent pas d'originalité. Il s'intéresse également à la vie des bêtes et des insectes qu'il observe avec la minutie et le lyrisme d'un Fabre (dont il fut d'ailleurs le premier à faire connaître les oeuvres en Allemagne). Deux ans avant Maeterlinck, il publia un ouvrage remarquable sur les fourmis. Très familiarisé avec la langue et la littérature françaises, Ewers traduisit ou fît traduire en allemand les oeuvres de Villiers de l'Isle-Adam et de Théophile Gautier, et, parmi les contemporains, celles de Pierre Mille.

M.H.

Voir la bibliographie de Hanns Heinz Ewers sur le site du Visage vert.

A voir sur Livrenblog : Hanns Heinz EWERS : Alraune par Henri Albert

samedi 23 mai 2009

Jules JOUY. Déjà la crise, encore la crise...






LE TEMPS DES CRISES


Vous regretterez le beau temps des crises,
Quand pauvres sans pain et riches gavés,
Nous serons aux prises !
Les drapeaux de Mars flotteront aux brises,
Les drapeaux vermeils sur qui vous bavez...
Vous regretterez le beau temps des crises,
Quand viendra le Peuple en haut des pavés !

Quand vous pleurerez le beau temps des crises,
Le vil renégat et l'accapareur
En verront de grises !
Les politiciens auront des surprises ;
Les Judas, au ventre, auront la terreur...
Quand vous pleurerez le beau temps des crises,
Grondera partout la Rue en fureur !

Profitez-en bien du beau temps des crises,
Où le Peuple jeûne et passe en rêvant
Aux Terres promises !
Quand donc viendras-tu fondre les banquises,
O grand soleil rouge, ô soleil levant ?...
Profitez-en bien du beau temps des crises,
Où le Peuple veille et s'en va, rêvant !

JULES JOUY



Jules Jouy sur Livrenblog : Jules Jouy Chansons de Bataille.

A lire : Patrick Biau, Jules Jouy, 1855-1897, Le poète chourineur.

vendredi 22 mai 2009

Cynthia 3000 réédite Au pays du mufle de Laurent TAILHADE






Annotée par Gilles Picq, le réédition annoncée ici et ailleurs d'Au pays du mufle de Laurent Tailhade est maintenant disponible, il s'agit d'une édition revue, et augmentée de quelques inédits retrouvés et contenant les variantes des différentes éditions, autant dire l'édition définitive des ballades et quatorzains de la période 1884-1894, où le pamphlétaire fustige le mufle et la muflerie de ses contemporains. Le tout se trouve aux éditions Cynthia 3000.


Laurent Tailhade : Au pays du mufle
Edition revue, augmentée et annotée par Gilles Picq ISBN : 978-2-916779-07-2146 pages. 15 x 21 cm. 300 gr. Prix : 20 € [ + port ]


Les amateurs et les curieux de Tailhade peuvent :

rejoindre le groupe qui lui est consacré sur Facebook.

Visiter le site référence de Gille Picq : Les Commérages de Tybalt.



mercredi 20 mai 2009

LES MIROIRS. Paul-Napoléon ROINARD, Chercheur d'Impossible (II)



1e Partie



Commencées dans un billet précédent voici la deuxième partie des Lettres et Notes qui suivent la publications de la Moralité lyrique, Les Miroirs, de P.-N. Roinard. La longeur de ces notes, dépassent la taille habituelle des billets que l'on peut lire ici, je pensais dans un premier temps les donner en deux parties, force m'est de constater qu'elles nécessiteront une troisième partie, l'auteur ne limitant pas ses notes aux seuls Miroirs. C'est une grande partie de son oeuvre et de ses recherches qu'il tente de présenter et expliquer ici, c'est donc dans son intégralité que je donne ce texte, compilations de notes, d'articles et de lettres, parfois un peu confus, mais éclairant une tentative artistique peu commune.



Considérations sur l'Art dramatique



Le doyen des dramaturges, Victorien Sardou, dit en quelque endroit :


« C'est bien simple : le drame et la comédie se distinguent très facilement l'un de l'autre. Dans le drame, il s'agit d'un meurtre. Dans la comédie, il s'agit d'un mariage. Il faut donc savoir si dans la comédie on épousera, si dans le drame on tuera. Epousera-t-on ? N'épousera-t-on pas ? Tueras-t-on ? Ne tuera-t-on pas ?
« On épousera, on tuera, voilà le premier acte. On n'épousera pas, on ne tuera pas, voilà le second. Un nouvel incident se présente, une nouvelle manière de tuer ou d'épouser, voilà le troisième acte. Un obstacle surgit, qui empêche de tuer ou d'épouser, c'est le quatrième acte. Il faut bien que cela finisse et, au cinquième acte, on épouse et tue, parce qu'il y a un terme à tout. »


Renvoyons, en controverse, M. Sardou au fameux livre des 36 situations dramatiques de mon ami Georges Polti.
D'ailleurs, ce que déclare le plus informé des Hommes de Théâtre qui, depuis Scribe, reste peut-être le seul omniscient dans le métier, l'auteur des Miroirs, lui aussi, regrette de ne pas l'approuver entièrement.
A son pauvre avis, le théâtre ne consiste pas seulement à marier ou à tuer pour tout dénouer, mais, au contraire, à conclure, vers une fin, toujours autre, et vers un recommencement de quelque action nouvelle, car la vie marche sans se soucier de qui tombe ou se repose et son implacable Drame continue à jamais.


Une péripétie d'existence ou la vie d'un homme dans l'infini des temps, voire même dans l'étroite durée d'une époque, ne valent guère que par l'intérêt d'éternelle humanité qu'elles suscitent si rarement !


C'est pourquoi nul grand artiste ne décrétera impérieusement qu'il faille – suivant un usage trop commun – livrer tant d'ouvrages, sans cesse les mêmes, à la gloutonne voracité publique si vulgairement gourmande de tous les aliments à la mode et les plus frelatés.


Il lui faut du casse-poitrine ou du gingembre ! Tant pis pour elle, nous ne tenons pas ces articles.


Ah que non ! Il n'existe pour le poète aucune nécessité d'écrire de nombreux volumes ou scénarios ! Puisqu'en réalité le poète ne « travaille » jamais qu'à « une oeuvre » dans la « Vie ». Ainsi que l'énonce si bien le poète Georges Périn en conclusion d'un article de la Phalange :


« Ceux-là diront !... « Il n'a fait qu'un livre ! » mais non, il ne l'a pas fait, il continue à le faire chaque jour. Et en cela il ressemble à l'humble, à l'éternel génie des hommes, tout simplement. »
Voilà qui sonne net et fier !...


Certe ! L'on ne « travaille » jamais qu'à une oeuvre et plus on morcelle cette oeuvre en « volumes » - bien souvent par intérêt de lucre – plus on risque, en l'étirant, d'amollir et rendre filandreuse cette oeuvre qui, en somme, ne mérite pas tant de livres dont se répètent fréquemment les substances sans distinctes mutualités assez rénovées pour s'entre-renforcer.


Afin de mieux exposer, claire, sa pensée, l'auteur reproduit ce passage d'une lettre qu'il adressait à Madame Cécile Périn, où en parabole et par lointaine allusion il commentait l'opinion précité de Georges Périn.



Lettre à Madame Cécile Périn


« Ne redoutons pas d'aller et venir patiemment, ainsi que le vulgaire postier rural sur le chemin qu'il use et qui l'use. Il n'apporte, sans trêve, que les mêmes nouvelles, mais jamais pareilles. C'est le routier qui fait, anime et fleurit sa route. Il repasse tous les jours à la même heure, aux mêmes endroits, se repose à la borne choisie, bourre et fume sa pipe vieillissante, en temps espacés, par l'habitude de sagesse qui s'acquiert sur la voie qu'on doit sans cesse parcourir. Mais chaque jour aussi le réconforte d'avoir approfondi, un peu malgré lui, ce qu'il connaissait plus que quiconque et le mieux du monde.


« Chaque jour il découvre une autre route, toujours la même et par cela infinie. Or, à force de surcharger sans cesse son fardeau de neuves sensations, nul ne se rencontre plus savant que lui de cette route où tout a passé, où tout est venu se faire, par lui, observer.


« D'après ses yeux et son imaginative, il a doté le paysage et l'atmosphère d'une vie, toujours nouvelle sous son inévitable et grandissante présence. Comme la familière nature le connaît, rien ne le craint et cette route, toujours la même, jamais semblable, dont il fait partie, cette route, elle est toute à lui, parce qu'il l'a conquise à la longue et pour l'éternité.


« Ah ! S'il n'avait pas rêvé nouveau à chaque voyage, comme au bout de quelques semaines le chemin lui fût devenu aride et le pas traînant !


« Mort de cette aridité, on l'eût sans doute ramassé quelque midi, foudroyé au bord du fossé sec, - mort, faute d'avoir su renouveler les étincelles de sa pensée en même temps que les clous trop luisants de ses souliers. »


On le voit, l'auteur insiste pour qu'on mûrisse longuement son Oeuvre aussi bien dans le livre qu'à la scène.


D'ailleurs, quant à l'art théâtrale, qu'il considère comme art suprême, voici par quelques citations un exposé sommaire de son opinion. :

.......................................................................



« L'Art, dont se prépare l'avènement au théâtre, ne relève que du rêve, du seul rêve qui nous abstrait et nous rend identique à l'éternité. Le Rêve dans la Vérité immanente et non dans l'Actualité quotidienne. »
(Article sur La Néo-Dramaturgie. - Essais d'Art libre, janvier 1893.)


D'après cette intuition d'art, demeure conçue, élaborée et déterminée, cette pièce : Les Miroirs.


Et pour bien définir l'Esthétique dont il se réclame dans la composition, la structure, la présentation et la mise en scène de son oeuvre, l'auteur croit devoir reproduire ici ces lignes qu'il écrivait au cours d'une préface à l'oeuvre posthume du jeune poète Paul Audricourt, mort avant la vingtième année :


« Restait à décider de la route dans l'obscur carrefour d'où sortirait la dramaturgie future.


« Pour ne parler que du théâtre à respecter, trois chemins s'offrent large ouverts. L'un que parcourut la pièce historique, l'autre qui mène à la pièce à thèse, et celui qui aboutit à la pièce sociale.


« Le drame historique vivra s'il se fait légendaire, la comédie à thèse se mourra des actualités trop particulières qu'elle met en scène et le drame social lassera aussi vite que le suffrage universel.


« A mon très humble avis, ne peut s'immortaliser que le théâtre d'art pur et encore les auteurs devront-ils se soucier :


« 1° De situer l'action dans un cadre sans époque et dans un lieu inventé ou peu convenu ;


« 2° D'imaginer une action sans truquages apparents ou vieillis, - tout vit de trucs, - une action bien une, bien humaine, mais se prêtant à toutes les évocations qui peuvent renforcer le fait par l'enveloppement du rêve : ainsi cette action se déroulerait à la fois stricte et profonde, poignante et de nature à faire songer ;


« 3° De tracer des caractères à la fois réels et synthétiques.



........................................................................



« Audricourt énonçait : « Gouverner l'esprit intellectuel de la foule et le rajeunir. Grouper pour l'art. »


« Je crois que sa généreuse volonté du bien l'illusionnait.


« La foule, que je plains et que toujours je souhaitai voir meilleure, n'entend rien à rien, et pour la très simple raison que la plupart des êtres ont été, sont et seront éternellement bêtes et mauvais ; c'est pourquoi d'ailleurs les foules affichent tant de déconcertantes prétentions.



.......................................................................



« Un artiste ne doit oeuvrer que pour soi, s'il a du génie ou même seulement du talent ; qu 'il ne se préoccupe donc point de paraître ou non social ; il le sera puisqu'il naquit humain ; qu'il ne s'ingénie pas à rechercher le succès, il triomphera s'il a épuisé sur l'ouvrage toute son âme et toutes ses forces.


« Celui qui marche tenacement vers le beau et croit l'atteindre en approche.


« Et d'ailleurs, ne sait-il pas mieux que personne reconnaître si c'est bien ? »


Pourtant, à cette dernière assertion il convient d'ajouter en expresse et probe réserve, ce franc et triste aveu : l'écrivain le mieux doué peut se tromper dans les détails, s'égarer loin de sa Voie et parfois se traîner péniblement au-dessous des nobles réalisations qu'il s'était promises.
Hélas ! L'auteur des Miroirs – plus que personne – dut se méfier de soi : il travaille avec une ardeur qui se fait plus intense par la recherche des difficultés, car il oppose à cette fougue les pires obstacles à vaincre et d'implacables règles à suivre.


En si haute tâche, le jugement banalement humain qu'il put se former au cours de toutes ses études si contradictoires dans la vie et sous l'emprise antinomique d'ascendances intellectuelles si confuses et si diverses qui constituèrent sa double lignée d'art et de famille, ce pauvre jugement, commun à tout le monde, risquait de souvent l'induire en de multiples erreurs, puisqu'en dehors des actuelles coutumes théâtrales, il s'agissait dans une oeuvre très simple de fuir constamment le terre-à-terre, de monter au-dessus des contingences et de s'élever le plus haut possible sans un instant perdre de vue l'humanité. Il importait encore de manier la langue d'une façon inusitée, d'en exprimer toutes les nobles nuances et à l'aide d'un vers varié, toujours musical, onduleux et indépendant – sans qu'il chût jamais dans la prose – pousser le poème parfois vers les altitudes périlleuses du rêve, le laisser redescendre, tantôt vers les espaces d'émotions plus à portée du sol, tantôt remonter vers les atmosphères froides où plane la pensée et parfois effleurer les fangeuses brutalités de l'âme sans tomber dans les bassesses du langage courant.


On concevra que vers ce but l'auteur dut peiner longuement, faire et redéfaire sans cesse, sarclant tel jour son jardin des mauvaises herbes qui poussent si vite ou tel autre jour le débarrassant de somptueuses, précieuses et voyantes fleurs, mais trop encombrantes, qu'il avait plantées, disposées à grands soins. Car il ne faut pas hésiter à supprimer les plus chers ornements, s'ils nous cachent la supérieure beauté du paysage.
Or, à ce jeu patient, il advient une heure où le travail des retouches doit se borner sous la menace d'alourdir, de gâter ou de ne jamais sortir au monde l'oeuvre si douloureusement caressée.
Aussi, lorsqu'il jugea son labeur accompli, l'auteur, à bout de recours contre soi-même, demanda-t-il à des amis intimes, dévoués et jeunes, de passer son oeuvre à leur rigoureux crible avant qu'il la soumit aux mille tamis dangereux du blutoir public.
Par la teneur des lettres suivantes – à ses amis adressées – il pense à la fois prouver et son permanent souci de réparer toutes fautes et son vouloir bien arrêté de se maintenir en défense derrière une méthode rigide qu'à la longue il adopta comme la meilleure à son sens et comme la plus conforme à sa personnelle émotion.


On verra que rien ne relève du fallacieux hasard ou de la négligente paresse dans cette oeuvre si longtemps reprise, repétrie, si chèrement pourléchée et enfin rechâtiée aux miroirs critiques de clairvoyants esprits d'autant mieux sévères que plus affectueux.



De la technique du vers


Dans Les Miroirs, le vers est-il, oui ou non, libre ?
L'auteur répond énergiquement : non ! Il demeure classique dans le vrai sens traditionnel du mot.


En somme, depuis Baudelaire, Laforgue, Mallarmé, Verlaine et Rimbaud, tous les poètes, quand ils écrivirent des poèmes en prose, ne laissèrent d'appliquer tous les principes et d'employer tous les moyens – hors les typographiques – du prétendu vers libre.


Au demeurant, les libertisants ont apporté des éléments de régénérations au vrai vers, de même que les impressionnistes à la vraie peinture.


Par leurs théories sur l'emploi quasi-scientifique des sons dans la symphonie verbale et des tons dans le mélange optique, les uns nous curèrent l'ouïe des sonnances fausses ou monotones, comme les autres nous nettoyèrent le regard des tonalités cuites ou monochromes.


Et, à ces titres, nous devons tenir ces probes et obstinés chercheurs en très précieux honneurs et tout reconnaissant respect.



Au poète Ch.-Th. Féret



« Mon cher ami,


« Il n'existe pas de vers libres dans La Mort du Rêve, à moins qu'ils ne soient dans la façon de La Fontaine.
Encore ajouterais-je que mon vers se libère moins que le sien, puisque mes poèmes en vers de mesures inégales restent toujours basés sur des enchevêtrements très compliqués, très étudiés.


« Jalonnés par des rimes plus ou moins appuyées ou atténuées, mes vers ne présentent de nouveau que des alternances de sons, irrégulières, mais précises, qui se lient sans arrêt pendant de très longues strophes ou parfois même durant tout un poème.


« Par leurs fluctuations et leurs variables retours, ces formes de constructions – sans être fixes et autant que les formes fixes – poussent à l'extrême les difficultés de la versification traditionnelle et classique...


« Ces formes, je me les suis créées pour m'évader des ronrons uniformes que tourne et retourne la froide et compassée poésie parnassienne. Tout ne doit pas se traiter de même dans la vie ; tout ne marche pas toujours de la même allure solennelle et monotone. Mes formes mobiles ont, je crois, l'avantage d'apporter aux poèmes plus de variétés de sons et plus de souplesse dans les lignes.


« En traitant le vers par mètres inégaux – comme dans La Fontaine – et par enjambements – comme chez les romantiques, - c'est-à-dire en adoptant les réformes acquises et devenues traditionnelles, je puis conduire plus harmonieusement chaque poème suivant un dessin rythmique plus conforme à la particulière qualité d'émotion qui doit le caractériser. Du moins je m'efforce vers ce résultat. Autrement dit : j'essaie d'apparier mes notations musicales aux sensations diverses que doivent suggérer mes thèmes ou sujets qui, tous, concourent à l'impression générale par une suite d'émotions de même nature, mais sans cesse différentes.


« A l'aide des vers implacablement pareils de la poésie classique, et que je crois avoir aussi bien maniés qu'un autre, je ne saurais obtenir qu'une musique, pour ainsi dire, plastiquement figée en beauté roide et d'un souffle trop égal pour traduire certaines émotions si passionnées qu'elles déchaînent des mouvements discords de tumulte ou d'angoisse qui ravagent les formes et leurs lignes.


« Ors, et surtout dans ces cas d'outrance ou d'intensité, au lieu de libérer le vers en le dévertébrant de ses syllabations, de ses rimes et de ses accentuations usuelles, au lieu de prosifier, je l'asservis à de plus strictes règles musicales et métriques qui le défendent à la fois et contre la monotonie engendrée par les plats hémistiches, les rimes trop riches ou sans imprévu et contre l'amorphisme désordonné qu'osent certains téméraires totalement ignorants de leur art.


« Pour innover il faut savoir ; ce n'est que sur un long savoir que je base mes audaces !


« Non ! Non ! Je ne suis pas vers-libriste !


« Scandez mes vers, - ils ne sont pas faits pour les yeux, - et vous sentirez que leurs accords restent précis, normux, classiques. Mes seules libertés – non licences, je le répète, - consistent à enchevêtrer des mètres différents en atténuant parfois la rime pour éviter la monotonie et parfois en allitérant ou assonant dans le corps du vers pour distraire l'oreille et lui préparer des sonorités inattendues ; tout cela sans jamais perdre de vue, parce que essentielle, la sensation capitale que je tends à produire.


« Votre... »
..........................................................................



Féret me répliqua par les quelques questions suivantes :


« Roinard paraît avoir raison sur un point : un immense ennui est distillé par le classique alexandrin. Mais n'y avait-il pas de suffisantes ressources dans l'enlacement régulier des rythmes nouveaux ? Ces combinaisons savantes qu'il prône ont-elles un dessin dont nous pouvons de nous-même saisir la loi ? Ne faut-il pas quelque temps, ou quelque régularité dans le retour des cadences neuves, pour éduquer notre oreille ? Roinard nous parle de loi. Mais la loi ne suppose-t-elle pas l'acceptation de ses règles par une majorité qui l'a comprise, discutée ? Le langage poétique est un héritage traditionnel. Si des besoins nouveaux surgissent, n'est-il pas curieux de constater que c'est au moment même où la race décline, où le sol est envahi par le cosmopolitisme ? »


« Mon cher Féret,


« A ces questions je me contenterais de riposter qu'aimant la Liberté par-dessus tout, je n'au pu parler de lois ni en formuler. La liberté d'autrui me semble à respecter autant sinon plus que la mienne, donc donc si je me décrète à moi-même d'infrangibles règles aussi bien en l'oeuvre que qu'en ma conduite, je n'impose ces règles à personne.


« D'ailleurs, je crois que chacun en art doit se choisir dans les techniques traditionnelles, une technique particulière et en accord avec la personnalité qu'il se connaît ou qu'il s'est acquise.


« La Fontaine me paît en libérant son vers avoir voulu se tailler un outil bien à sa main et n'avoir guère pensé l'imposer à d'autres mains. Florian en sait quelque chose, puisqu'en voulant imiter un tel génie il se brisa contre l'inimitable.



...................................................................



« (Puisque je vais évoquer plus loin un article de Rémy (sic) de Gourmont dans le Mercure et un autre de Robert de Souza sur les expériences de l'abbé Rousselot, dans l'Occident, de novembre 1903, permettez-moi de vous recommander très vivement au passage ces pages de controverse dont la lecture m'apparaît d'un intérêt supérieur pour tout poète soigneux ou simplement soucieux de son art.)


« A mes précédentes déclarations, j'ajouterai qu'admettant toutes les libertés pour les autres, je crois, pour ma gouverne, devoir réfréner les miennes.


« Ainsi, jamais je ne risquerais l'apocope en vers, parce que j'estime avec Robert de Souza contre Rémy (sic) de Gourmont que la langue française est intuitivement accentuable et que toutes les syllabes muettes se prononcent dans le vers, qui demeure, malgré les barbares, une langue d'excellence.


« La pénultième voyelle d'une syllabe muette ne se présente-t-elle pas comme en musique la note pointé. Mais je ne puis ici m'engager dans une discussion aussi vaste. Qu'il me suffise de répéter pour les interprètes, que les syllabes ont chacune sa valeur, dans Les Miroirs, et partant, que pour conserver leurs vrais rythmes aux vers, il convient de tout prononcer.


« Entre mille exemples, ne paraît-il pas étrange qu'un usage nous fasse articuler : d'sir quand nous disons tous d'ordinaire et bien plus musicalement : désir. Qui donc prononcerait : je d'sire ?


« Un mot encore sur la question dite des pluriels, mon cher Fréret, et j'aurais terminé ce codicille à ma première lettre.


« Sans la refuser aux autres, je ne m'accorde jamais cette licence qui consiste à faire rimer un pluriel et un singulier. Si certains pluriels et singuliers comme pareils et vermeil, pouvoirs et savoir, neuves et veuves, éclairs et clair, riment pour l'oreille plus que suffisamment, en sera-t-il de même pour veuve et peuvent ?


« Je réponds : non ! La prononciation devant se faire plus lourde dans la terminaison ent. Et cela apparaît si vrai que certaines gens, instinctivement, articulent ainsi cette fameuse phrase, qui ne manque pas d'à-propos quand il s'agit de difficultés à éluder :
Ils veul'tent bien mais ils peuv'tent pas. »



Orchestrations de l'ambiance symbolique



Pour mieux justifier ces orchestrations qu'autorisent les expériences du Cantique des Cantiques et pour plus clairement expliquer les conclusions qu'il en dut tirer par rapport au Théâtre, l'auteur publie ici des notes qui révèlent combien d'esprits curieux et savants se sentirent sollicités vers d'analogues préoccupations.


Assurés par la physiologie que si tous les sens étaient pareillement entraînés ils apporteraient mêmement leur contingent de douleur ou de plaisir à notre sensation générale qui demeure une de par notre cerveau, ils cherchèrent à trouver les intimes ententes qui existent entre tous les sens. Partis de là, ils démontrèrent les corrélations devant résulter de ces accords en vue d'agréables ou dissonantes harmonies, susceptibles d'émouvoir, d'actionner ou d'affecter, soir en bien, soit en mal, toutes les activités nerveuses de notre être.


Par les suivantes notes on se convaincra sans peine que s'il existe vraiment aliénation mentale, c'est surtout chez ceux qui, loin de vouloir revenir à la santé primitive des hommes complets, en cherchant à retrouver par l'usage l'égalité parfaite dans le fonctionnement de tous leurs sens, n'exercent que la vue, l'ouïe et le toucher au détriment des autres sens. Pauvres gens qui gouaillent quand nous tentons de réagir contre notre anormal état moderne où se complaisent en leur déchéance, ces déséquilibrés.


Notes sur les parfums. - C'est dans les cérémonies religieuses des premiers peuples qu'on trouve la première trace de l'art du parfumeur.


Une offrande de parfums était regardée comme le témoignage de la plus profonde et de la plus respectueuse vénération.


Pline place l'origine de la parfumerie dans les belles contrées de l'Orient ; son opinion est confirmée par les Saintes Ecritures.


Les fréquentes allusions de la Bible aux parfums et aux aromates prouvent que de très bonne heure il s'en faisait une consommation considérable chez les peuples dont le sol produit : l'aloès, la cannelle, le bois de santal, le camphre, la muscade, le girofle, l'arbre à encens dont les Sabéens avaient le saint privilège de recueillir la gomme-résine, le balsamier ou baumier, le triste nyctanthès qui répand ses riches parfums au crépuscule, le nilica et une foule d'autres végétaux non moins odorants, qui appartiennent à l'Orient et pendant des siècles sont demeurés inconnus au reste du monde.

.........................................................................





Théories des Odeurs ; Principe. - La meilleure manière de comprendre la théorie des odeurs est de les considérer comme des vibrations particulières qui affectent le système nerveux, comme les couleurs affectent l'oeil, comme les sons affectent l'oreille.


Analogie du Son et de la Couleur. - Les anciens ont bien senti l'analogie qui existe entre le son et la couleur, aussi ont-ils fait de la gamme musicale une échelle chromatique.


Bacon et une foule d'autres écrivains après lui ont essayé de démontrer que l'harmonie des couleurs s'accorde avec la mélodie de la gamme.


G.-B. Allen : Son Opinion. - Allen établit que tous les compositeurs de mérite ont le sentiment de cette analogie et que toutes leurs oeuvres en font foi.


Fied – Voici comment Fied dispose l'échelle :



Et voici comment il prouve l'analogie :

Les trois couleurs primitives : bleu, rouge, jaune, produisent la plus parfaite harmonie ; ainsi font les sons : do, mi, sol. Le métrochrome et le monocorde prouvent également l'exactitude de ce double accord. Le premier de ces deux instruments nous montre que dans le blanc pur il y a huit nuances de bleu, cinq de rouge et trois de jaune, etc ; le second, que huit parties d'une corde donnent le son do, cinq le son mi, et trois le son sol. Cet accord curieux prouve assurément l'existence d'une loi universelle d'harmonie.

Action physiologique des Odeurs. - Lorsqu'on laisse évaporer à l'air libre des solutions alcooliques de diverses essences mêlées ensemble, elles subissent une orte d'analyse naturelle, c'est-à-dire que les plus volatiles s'évaporent les premières et que les moins volatiles ne disparaissent qu'après.

Vitesse de l'Odeur. Puissance de Volatilité. - Une puissance définie, inhérente, abandonne chacun des corps odorants ou lui reste fidèle pendant un temps plus ou moins long. Cette puissance peut s'appeler vitesse de l'odeur ou puissance de volatilité.

Rapport entre la Puissance de Volatilité et l'Affectation du nerf olfactif. - On peut constater que les corps odorants affectent les nerfs olfactifs en raison directe de leur puissance de volatilité, puissance qu'on peut appeler vitesse de l'odeur, parce qu'elle a une action sur l'odeur d'un corps tant que ce corps est soluble dans la sécrétion pituitaire. Cette définition n'est pas générale, il vaut mieux le dire : La puissance de volatilité est toujours en rapport avec la vitesse de vibration produite ou la rapidité avec laquelle les ondes se propagent : si cette vitesse n'est pas assez grande, il n'y a pas d'auteur perçue, de la même manière que pour les sons, l'oreille ne peut entendre ceux qui ne correspondent pas au moins à soixante vibrations par seconde ; le liquide qui lubrifie la membrane olfactive nécessaire pour percevoir les odeurs, aurait pour rôle d'augmenter la sensibilité des nerfs qui seraient ainsi plus capables de percevoir les odeurs.

Conclusion de la Théorie des Odeurs. - Ainsi, les corps qui ont un très faible degré de volatilité sont ceux qui sont connus sous le nom d'odeurs fortes ; ceux, au contraire, qui ont un haut degré de volatilité sont les odeurs faibles et délicates. Ici, nous voyons les analogies de certains effets sur les sens : les ondes sonores qui se propagent le plus lentement produisent les sons les plus forts ; les ondes odorantes qui se propagent le plus lentement produisent les odeurs les plus puissantes.


........................................................


Harmonie des Odeurs. - Les odeurs semblent donc affecter le nerf olfactif à certains degrès déterminés comme les sons agissent sur les nerfs auditifs.

Il y a pour ainsi dire une octave d'odeur comme une octave de notes, certains parfums se marient comme les sons d'un instrument. Ainsi, l'amande, l'héliotrope, la vanille, la clématite s'allient très bien, chacune d'elles produisant à peu près la même impression à un degré différent.

L'analogie se complète par ce que nous appelons demi-odeurs, telles que la rose avec le géranium rosat pour demi-ton ; le néroli suivi de la fleur d'oranger ; le bois de santal et le vétyver et plusieurs autres qui rentrent les uns dans les autres.

Le jasmin reste seul.

Dickens s'exprime en ces termes : « Le jasmin est-il donc le Méru mystique, le Centre, le Delphes, l'Omphale du monde des fleurs ? Est-il le point de départ de tout parfum, l'unité indivisible, insaisissable ? Le jasmin est-il l'Isis des fleurs à la tête voilée, aux pieds cachés, qui se fait aimer de tous et ne se révèle à personne ? Charmant jasmin ! »

Il y a des odeurs qui n'admettent ni dièzes ni bémols et il y en a d'autres qui feraient presque une gamme grâce à leurs diverses nuances. La classe d'odeurs qui contient le plus de variétés est celle du citron.

Lorsqu'un parfumeur veut faire un bouquet d'odeurs primitives, il doit prendre les odeurs qui s'accordent ensemble : le parfum alors sera harmonieux.

...........................................................


L'auteur eût voulu ajouter à ces citations l'énoncé des gammes composées d'après ces théories, discuter aussi sur les rapports des sons et des couleurs, rappeler les adverses systèmes, puis parler des résonnateurs d'Helmhotz, du tympanon Rousselot, du piano des couleurs, des dissidences d'opinions, entre Chevreul, Cozanet et Charles Henry, sur leur différentes espériences, quant aux déformations spectrales, et, enfin du clavier des saveurs qu'inventait, il y a vingt-cinq ans, ce même et génial Charles Heny ; mais ces notes sembleront déjà bien longues ! D'ailleurs si l'auteur jugea utile de les transcrire c'est que son ami Daniel Rogerie – qui achève une musique de scène pour Les Miroirs – leur oppose les suivantes assertions bien peu probantes.

Du reste nous pourrons revenir sur beaucoup de ces questions lorsque se trouvera publié Le Cantique des Cantiques.

« Mon cher Roinard,

« On ne peut s'arrêter à une classification aussi restreinte.

« Il n'y a pas de parallélisme rigoureux entre les sons et les parfums.

« S'il est des rapports, ils sont tout en nuances, et mille contingences les peuvent modifier, ces nuances.

« La musique, Puissance évocatrice, crée l'Ambiance ; et c'est plutôt le souvenir indécis d'un parfum que le parfum même qui établirait l'harmonie concordante qu'une gamme de rapports ne peut prévoir, car ne nous trouvons-nous pas sans cesse différents devant nos émotions ?

« Bien à vous,

« Daniel Rogerie. »


L'auteur répondit :

« Mon cher Rogerie,

« Vous ne m'avez pas très bien compris, je crois. Ces notes, je vous les envoyais non pour vous convaincre ou vous assigner d'immuables lois, je l'ai dit dans la présentation du décor et je le répète, je ne considère mes orchestrations qu'au seul titre de fantaisistes et luxueux accessoires, destinés seulement à rehausser d'agrément le cadre de ce tableau : « Miroir de Tout » qu'est mon Drame.

« Je ne demande pas au musicien de décalquer le verbe minutieusement, de faire concorder les sonorités avec les consonnes, voyelles ou diphtongues du poème, avec des gammes de parfums et de tons colorés, comme je le proposais naguère au Théâtre d'Art.

« Je suis revenu de mes fructueuses expériences avec le pareil acquis dont bénéficient les peintres qui s'adonnèrent jadis au pointillisme puis l'abandonnèrent. Après m'être subordonné à la Science, en Art, afin d'apprendre le métier, je m'échappe maintenant, tout à fait émancipé.

« J'essaie d'oeuvrer en liberté, selon mon unique émotion.

« J'ai renoncé aux parfums pour cette cause, d'oedre majeur, qu'une salle de théâtre est déjà trop saturée d'odeurs composites pour qu'on puisse vraiment imposer à la sensation su spectateur tel ou tel parfum choisi, entre tous.

« Il me suffira donc, tout simplement, d'inscrire au programme quels sont – suivant ma sensation – les parfums, les couleurs, les fleurs, les fruits, les pierreries et les concordances musicales qu'il m'a semblé logique d'assortir, en désir d'une harmonie complémentaire et enveloppante autour des différentes situations que comporte l'action tragique.

« Immédiatement, par la seule lectures des mots, les gens de cultures et de goût raffinés mettront en relations sensorielles leurs diverses façons de sentir et la mienne, sans plus !

« De ceci, vous pourrez inférer, mon cher Rogerie, que je n'impose aucune loi à personne. Je ne demande pas plus à la musique de me traduire d'une manière stricte, que je n'exige des interprètes qu'ils se fassent l'âme et la tête, par moi assignées, d'une manière précise, à mes Personnages.

« Ma pièce, Les Miroirs, fut à peu près conçue et exécutée à l'exemple des cathédrales qui, orientées, portail à l'ouest et abside à l'est, laissent éclairer les principaux points de leur physionomie d'ensemble, suivant la marche de l'heure que marque le soleil en tournant autours d'elles. Cette pièce doit donc se présenter, pour ainsi dire, comme un réflecteur mouvant et parlant comme une vivante horloge lumineuse des ames si dissemblables, qui s'affrontent dans le champ vaguement infini de son rayonnement.

« Oeuvre bâtie par grands plans architectoniques et sculpturaux, ce drame se dresse, tel un bloc modelé, offrant tout à tour ses différents plans à la lumière et disposé de façon à s'imprégner d'éclairages ou d'harmonies toujours adéquates aux diverses émotions de ses stades, doués, chacun de son caractère particulier.

« Autrement dit, supposez une très belle femme nue. Croyez-vous qu'elle perdra à se parer... suivant ses Instants ?

« Oui, si elle ne sait pas approprier la toilette à son genre de beauté ; non, si elle sait s'environner de tout ce qui peut faire valoir.

« Or, j'ai cherché à parer de concordantes pierreries, musiques, couleurs, fleurs, saveurs et parfums, ce Drame dont l'harmonie verbale, autant que possible, varie avec les diverses physionomies qu'aux heures capitales – phases, stades ou situations – sa beauté tragique, donc multifront doit revêtir et offrir aux spectateurs, qu'il s'agit, à la fois, d'émouvoir et de séduire par un charme – toujours et presque insensiblement – renouvelé. »

A SUIVRE...

1e partie : Les Miroirs Paul-Napoléon Roinard, Chercheur d'Impossible

3e partie : Les Miroirs de Paul-Napoléon Roinard, chercheur d'impossible (III)

Voir sur Livrenblog : Albert Cozanet - Jean d'Udine. Les Rythmes et les couleurs - 1892, le Théâtre d’Art, le Cantique des Cantiques de P. N. Roinard, par Julien Leclercq, Mercure de France janvier 1892

mercredi 13 mai 2009

Edmond ROCHER LA CHANSON DES YEUX VERTS


Edmond Rocher : La Chanson des Yeux Verts, poèmes illustrés. Glose de Paul Redonnel. Tirage à 10 exemplaires sur Japon à 20 fr. avec une aquarelle originale au faux-titre et 350 exemplaire sur vélin d'Angoulème à 5 Fr. (extrait du Catalogue Général des publications de la Société anoyme "La Plume", octobre 1897)

Bibliothèque Artistique et Littéraire, 1896.





















LES MIROIRS Paul-Napoléon ROINARD, Chercheur d'Impossible






P.-N. Roinard : Les Miroirs. Moralité lyrique en cinq phases, huit stades, sept gloses et en vers. Editions de La Phalange, 1908, Typographie Prissette, Louchet, Picard, de Cooman et Cie successeurs, grand in-8, 264 pp.


Il a été tiré de cet ouvrage : 9 exemplaires grand luxe, papier Whatman, six hors-texte et des cul-de-lampe dessinés par l'auteur, d'après ses maquettes du décor : lettres ornées par Lenoir. Dorures et argentures à la main, mise au point, teintage et réduction, par André Douhin ; numérotés de 1 à 9. 16 Exemplaires de luxe, papier hollande Van Gelder, numérotés de 10 à 25. 23 Exemplaires de luxe, papier hollande d'Arches ; numérotés de 26 à 50. 350 Exemplaires papier vergé : numérotés de 51 à 400. (en 1921 il reste des exemplaires de ce volume en dépôt chez l'éditeur Figuières) .


Notre exemplaires est un simple papier vergé, mais il est orné d'un envoi autographe signé de l'auteur à « son vieil ami » le peintre Jacques Villon. Nous avions déjà noté l'amitié de Roinard et Villon en signalant que c'est chez les frères Duchamp que fut lu pour la première fois La Légende rouge. Synthèse d'idée et de caractères révolutionnaires. Mélodrame en vers, suivi d'un débat sur le Nombre et la Rime et d'un Ballet-Limodrame : La Ronde des fleurs, écrit avant guerre et publié aux Editions de la Maison des écrivains en 1921.



P.-N. Roinard le Chercheur d'impossible


Il y a bientôt deux ans, je publiais ici, un article d'Albert Cozanet (Jean d'Udine) parut initialement dans la revue Les Essais d'Art Libre, cet article intitulé Du Rythme dans les espaces colorés était précédé d'un court article de P.-N. Roinard qui soulignait « les avantages [....] de transporter en art et au théâtre les moyens de suggérer fournis par la connaissance des harmonies colorées », et reconnaissait avoir subit l'influence de Cozanet, pour « l'orchestration colorée du Cantique des Cantiques ». On verra ci-dessous, que la tentative de récitation du Cantique faite au Théâtre d'Art en 1891 n'était que « préalable expérience » au grand oeuvre « où Tout devrait réfléchir Tout », ces Miroirs dont la conception datait de 1889. Nous suivrons dans cette Genèse des « Miroirs », publiée à la suite des cinq Phases de la pièce, les tentatives de Roinard à faire jouer cette pièce, qui attendra 1908 pour être publiée grâce à quelques amis. Nous y découvrirons les explications de l'auteur sur ses motivations, ses théories d'art, les influences qu'il subit, les échanges épistolaires que sa tentative suscita. On y trouvera des articles critiques suscités par le Cantique des Cantiques, notamment la réaction à cette tentative, par René Ghil, grand maître de l'instrumentation verbale, qui mettra en évidence les différences entre des conceptions pourtant assez proches. Ce texte donné en deux parties me paraît une contribution importante à la compréhension d'une tentative d'art total et de l'oeuvre d'un précurseur très injustement oublié.






Genèse des « Miroirs »


L'origine des Miroirs remonte à la période dite héroïque.
Pendant qu'il échafaudait la première charpente de La Mort du Rêve, vers 1889, l'auteur sentit naître en lui l'audacieuse ambition de construire une pièce de théâtre synthétique où figureraient toutes les Forces de la Vie.
Autour d'un sujet très banal – car, pour lui, n'importe quel sujet ne vaut jamais que par la façon originale de le traiter – dans ce drame, tous les éléments d'humanité, de vie et de sensations, toutes les formes antérieurement créées et autorisées par les Art ou les Luxes artistiques, chacun suivant son importance, concourraient à suggérer les mutuels reflets qu'échangent les hommes, la nature et même les plus infimes objets entre eux.
Ce drame essentiellement lyrique, basé sur les symboliques du Passé et des Légendes, évoquerait par transposition et comme en féerie de rêve, les intimes douleurs des Temps Présents et leur anxieuse orientation d'espoir vers les Temps qui viennent. Ce drame où Tout devrait réfléchir Tout, s'appellerait – bien naturellement – Les Miroirs.
Mais voilà l'auteur soudain épouvanté par la hardiesse même de son concept !
La tâche lui semblant trop colossale pour ses faibles mains et les théâtre de l'époque se prêtant peu à tant d'audace, l'auteur ne voulut pas tenter l'aventure avant de préalables expériences.
Aussi, lorsque Paul Fort, directeur du Théâtre d'Art, vint lui proposer de traduire et d'organiser une « récitation » du Cantique des Cantiques, il sauta joyeusement sur l'aubaine. Il allait pouvoir instruire et tremper sa pensée au contact refroidissant des opinions vétustes et sous les yeux, sans regards, des crânes dépolis qui, en ces temps-là, formaient rampe lumineuse de globes pensants, le long des fauteuils d'orchestre, chaque soir de « première ».
Après des travaux longs et patients consacrés au décor, soit au Théâtre d'Asnières dont il se vit chasser, soit dans une salle de concert à Colombes d'où il dut partir, l'auteur, au bout de quelques mois, put enfin terminer cette décoration errante en voiture à bras, grâce au refuge dernier, qu'au risque de blâmes hiérarchiques une courageuse et généreuse institutrice, Mlle Pauline Dupont, voulut bien lui accorder dans le salon et les greniers de son école. Là, aidé d'amis collaborateurs, Darbour et d'Orgebray, on put achever ce fameux décor sans précédents que l'on peignait non à la colle, mais... au pétrole... faute de mieux !
Pendant ce temps, les costumes et les accessoires étaient confectionnés, sur des dessins précis, par de zélées collaboratrices, Mmes Flamen de Labrély, Maris de la Barge, Marie Duval, et sous la direction d'un très bel écrivain-passementier, Jean Manescau.
Après un extraordinaire labeur de recherches pour concilier dans une consciencieuse orchestration tout ce qui pouvait influer en heureuse sensation sur la vue, l'ouïe et l'odorat, ces trois sens se trouvant sollicités simultanément de prendre, chacun, sa joie particulière autour de l'oeuvre si sensuelle du Roi des Rois, l'adaptation se présenta enfin au public dans les plus fâcheuses conjonctures :
La toile se leva à une heur du matin, en présence des spectateurs rares, les choeurs chantèrent faux, la musique aphonisa, les projections colorées sortirent mal, les parfums plus mal encore, la récitation parut longue ! - rien d'étonnant à cette heure de sommeil ! - et le décor seul recueillit des applaudissements dont l'auteur ne put bénéficier qu'à part lui, puisque nul ne savait qu'il en fût l'artisan.
Du reste, à propos des projections colorées, tout le monde sait quels succès elles remportèrent dans la suite... chez d'autres.
Un détail en passant fournira la moralité bouffe de cette épique aventure : on avait dépensé environ sept cent francs d'argent trouvé à la diable, Jahveh seul doit savoir où ! Et lorsque le traducteur-adaptateur se présenta à la « Société » pour toucher ses droits : 100 sous !... s'il vous plaît ! On lui répondit que cette somme était imputée sur les registres, à « Monsieur Salomon », un très jeune écrivain... sans doute !
N'insister point... tourner le dos, puis éclater de rire, devenait le meilleur parti à prendre...
Mais revenons à la pièce.
La Presse étrangère trouva la tentative intéressante, la Presse française, plus ou moins grossièrement, se moqua, et presque unanime, insulta le traducteur, les interprètes, la musicienne feu Mme Flamen de Labrély, sous prétexte d'esprit « bien parisien » et toujours le public fut, suivant l'habitude, « excellemment renseigné ».
Seul, M. Clément Janin discorda, bienveillant, dans le journal L'Estafette, où il osait déclarer :

.............................................................................

« Je pense grand bien de cette oeuvre superbe : Le Cantique des Cantiques, que M. Roinard a puisée dans Salomon, mais qu'il a traduite avec une ampleur et une pénétration remarquables. Exquise et majestueuse page d'amour où, sous l'adoration de leurs beautés physiques que chantent les époux, s'entend la louange de l'éternelle et divine beauté ! M. Roinard, voulant agir à la fois sur l'intellect et sur les sens, a accompagné le verbe, de musique, de couleurs et de parfums. C'est ainsi qu'à xhaque devise changeaient : la tonalité des mots, le mode de la musique, la lumière qui baignait le décor, les parfums qu'un vaporisateur répandait dans la salle.
......................................................................................

« Très curieuse théorie d'une imagination raffinée de poète, mais qui, semblable en cela à la coloration de Rimbaud et à l'orchestration de M. Ghil, ne peut avoir d'effet que sur un public restreint et entraîné à tous les sports de la sensations.

....................................................................

« Je ne puis me défendre d'un vif sentiment d'admiration pour la foi mâle et généreuse de M. Paul Fort, et pour la phalange d'artistes qui le suit. Je ne puis non plus me défendre d'un accès de mauvaise humeur en lisant toutes les critiques acerbes dont on l'abreuve et qu'il ne mérite pas.

.......................................................................

« Je crois qu'il est bon d'avoir un peu d'enthousiasme juvénile et d'ardeur vers le beau, loin des spéculations journalières et des trafics habituels. C'est pour cela seulement que j'ai écrit cette chronique qui, je le sais, ne plaira pas à tout le monde, mais plaire à tout le monde est chose que je n'ose tenter. »

« C. Janin »



A la suite de ce mémorable échec et faisant un choix parmi tous les « soiristes » qui opinaient à l'envi pour qu'on l'internât dans un cabanon, l'auteur crut devoir rendre visite aux trois Princes de la Critique.
Il pensait pouvoir expliquer à ces messieurs qu'il n'avait eu, en accompagnant de parfums la récitation du Cantique, que l'intention très légitime de se conformer au texte où dans la plupart des stances il n'est question que d'aromates, d'encens et de cinnamome ; et qu'en somme, s'il tentait surtout une expérience de nouveaux modes scéniques et de décorations, - en perspective d'une vraie pièce à faire, - il n'assuma jamais la sottise de considérer sa traduction comme un poème dramatique.
Il leur eût exposé ces très simples remarques et sans doute d'autres encore, si l'on eût voulu l'entendre. Mais M. Fouquier qui – selon coutume – assassinait tout le monde sans nommer quiconque, ne le reçut même pas ; M. Jules Lemaître entr'oucrit sa porte et doucement le renvoya en lui laissant à méditer que « le temps est de l'argent ».
Quant à M. Sarcey, - suivant son expression, - il accueillit l'auteur in naturalibus !
Une peu juvénile gouvernante offrait et tendait derrière la nudité du Maître-Critique, les blancheurs vraiment trop crues d 'une chemise de soirée, bannière immaculée, candeur toute éclatante ! - A la manière du joyeux Silène de Syracuse, dont Rodo, le statuaire de Verlaine, s'éjouit d'être le possesseur, - soudain, comme sur un écran cinématographique, le brave homme se détacha, jambes torses et bras levés. Et alors, plus grandiose qu'Ubu-Roi, tout pathétique, il s'écria :
« Mon jeune ami, je suis trop vieux pour jamais comprendre, je mourrai avant ! »
Un entretient d'une pareille tenue ne pouvait que mal durer ; aussi, songeur et tout désabusé, l'auteur réintégra, au plus vite, le coin bien étroit, mais bien libre, où, dans le recueillement des sacrifices, on peut concevoir et travailler, très dissemblable et, par bonheur, si éloigné de tels juges.
Mais passons à plus sérieuse juridiction.
A propos du Cantique, d'où sortirent Les Miroirs, - et par volonté d'affronter leur réciproque bonne fois en recherche d'art – le traducteur de Salomon se fait un devoir de reproduire toute la critique de René Ghil. Cet homme que tout confrère loyal doit respecter, pour sa confiance inaltérable en la raison scientifique et pour sa tant belle conscience de penseur qui lui mérita souvent, à lui aussi, l'honneur de se voir vouer au cabanon, ce poète, adversement, écrivait alors ainsi, sur notre infortunée expérience de néo-dramaturgie :



DE L'INSTRUMENTATION VERBALE


« Je parlerais d'un des spectacles que nous offrit, le 11 décembre, le « Théâtre d'Art » - du Cantique des Cantiques, dont l'adaptation à la scène par un poète de talent, /. P.-N. Roinard, m'intéresse directement pour une tentative curieuse, quoique erronée, d'Instrumentation verbale.
« Le Théâtre d'Art est cette scène où l'imprudence des « Symbolistes et Décadents » donna, en une fête mémorable qui devait les sacrer, la mesure complète de leur impuissance native. Ils en moururent. Maintenant, ce semble la maison, à part certains indépendants, de quelques survivants, adeptes de quelques « symboles » (car il en fut tant !), et surtout d'une phalange « idéaliste », d'un idéalisme confinant à un vague « mysticisme ». Et à ceux-ci encore, nous sommes ennemis au nom de notre Méthode et de nos oeuvres : car le « mysticisme », il faut le dire bien haut, n'est qu'une très néfaste, criminelle paresse de vivre et de penser la féconde Vie active dirigée rationnellement – et nous avons démontré par le principe de Philosophie évolutive qu'il n'est ni matérialisme ni idéalisme (comme il n'est ni pessimisme ni optimisme), mais que l'idéalisme rationnel se dégage de plus en plus par voie d'évolution meilleure de la Matière en laquelle il est immanent, d'éternité.
« Mais il me sied de parler de cette adaptation par M. P.-N. Roinard du Cantique des Cantiques. J'applaudis, certes, à cette résurrection en un cadre précieux qui fait grand honneur au directeur du Théâtre d'Art, M. Paul Fort : car (mais pourquoi voir là-dedans du spiritualisme et du mystique !), merveilleux est ce poème d'amour, des plus ardemment vivants et sensuels, se développant en tout le pléonasme d'images de la poésie de sensation, primitive.
« Or, M. Roinard, comme accompagnement du superbe dialogue, a tenté une orchestration de parfums, de couleurs, de musique – et verbale. Parfums : c'est charmant peut-être, et, en le cas présent, nous ne voulons trop dédaigner cette pensée de nous saturer en même temps d'effluves d'Orient : mais en vouloir une instrumentation, de cette chose fugace, c'est illusion. Rien de positif, et ce n'est pas en vain qu'elle n'a craint d'encourir le reproche de n'être complète, en la partie formiste de ma Méthode – l'Instrumentation verbale ! J'ai voulu, en tout, être avéré scientifiquement, et faire oeuvre forte.
« Couleurs : il est entendu, n'est-ce pas, en la Méthode à l'Œuvre (primitivement Traité du Verbe) qu'en ceci non plus, la preuve n'est pas possible, de coloration des mots (le rapport de l'air, véhicule du son, à l'éther véhicule de la lumière, n'étant connu). Mais par une synthèse d'expérimentation, par analogie avec le spectre solaire, l'on peut cependant apporter des résultats que la Science victorieuse modifiera peu, il me semble. Je les ai dits, faisant cette humble réserve.
« Mais M. Roinard prend les sensationnelles et incomplètes du=ivagations de dilettante du Sonnet du décadent Rimbaud, que le plus sommaire examen suffit à condamner et ruiner. Ainsi, faire O blanc, A noir, est d'un illogisme assez ridicule ! Quant à dire « I-U, lumin » de l'O », c'est prétendre que l'ombre soit la source de lumière, ni plus ni moins !
« Musique : si M. Roinard instrumente ses vers, la musique est inutile. C'est implicitement reconnaître qu'il n'a pu remplacer par son essai d'instrumentation verbale la musique. Instrumentation verbale : et, en effet, en les paraphrases, où se montre surtout le souci de cette instrumentation, l'effort n'arrive à aucun résultat. Je prendrais la dernière, pour exemple, là où même les plus inexperts ont senti un vouloir spécial. Je vois, à l'argument, que l'adaptateur a cru immatérialiser en ses vers « les violon, alto, violoncelle, harpe, orgue » : Or, non seulement pour moi et ceux familiers avec mon processus instrumental, mais pour, aussi, ces inexperts dont nous parlons, il a rendu, quasi brutalement, l'impression des Cuivres ! - Car, les sonorités dominantes en ces vers, ce sont : A, O, OI, souvent vibrantes de R : ce sont les timbres équivalant aux timbres des séries de Sax.
« Et encore, c'est pourquoi il est dit « quasi brutalement », ces sonorités sont accumulées en fin de mots, tandis que les intervalles sont de sonorité quelconque. Ce n'est pas ainsi. Instrumentation verbale est un mouvementé tissu des timbres strictement adéquat à chaque nuance de l'idée directrice, etc.
« Donc, nous avons assisté à la mise en scène, de bonne foi, de tendances instrumentales, mais non de résultats d'instrumentation verbale. Celle-ci au théâtre sera plus difficile encore qu'au livre : il faudra à travers des livres, à travers des oeuvres-une, s'être habitué pat un travail consciencieux et tenu, à exprimer toute l'idée par cette multiple forme. Sinon, l'on ne fera que fantaisie : et c'est une science – qui tue ceux qui ne l'ont étudiée.
« J'ai montré ce qu'est cette forme esthétique, l'instrumentation verbale, au livre. Je montrerai ce qu'elle doit être au théâtre, quand en sera à ce point mon Œuvre. - Non pas une incompréhensive et incohérente ressource de décor plus ou moins suggestif, et comme simplement en ce qui nous occupe, de M. Roinard. Mais elle suppléera presque au décor, elle sera partie intégrante, nécessaire, de l'action (c'est le dialogue des deux porte-paroles qui eût dû être diversement instrumenté !). Alors, chaque personnage s 'énoncera sur un thème divers, dans une tonalité différente, un accord de timbres différent pour chacun. Ce sera une vaste et mouvante harmonie à la fois accompagnatrice et énonciatrice de la multiplicité de l'Idée, du Drame. Alors, nous n'aurons besoin de parfums, de couleurs, de musique !! L'Instrumentation verbale sera plus, fortement, rationnellement – non sensation qui va à décadence, mais intellectualisation – dirigée par la Pensée et l'Acte.


« René Ghil »


Bien que très malmené – du moins avec égard – par M. René Ghil qui oppose son système matérialiste à celui d'un poète qui n'est pas mystique et qui en l'occurrence cherchait par expérimentation à se constituer une réelle et définitive Méthode d'orchestration théâtrale, l'auteur – sans discuter, ce n'est pas ici le lieu – donne à peu près raison sur tous les points à son courtois antagoniste. On le verra plus loin.

......................................................................................


L'auteur, désormais, fort de ses expérimentations, mit au chantier la Pièce conçue.
Il la termina au cours de son séjour en Belgique – deux ans, jour pour jour, du 10 aoùt au 10 août, parti avec cent sous et revenant avec cent sous en poche. Toujours les cent sous de Monsieur Salomon ?
Par désir d'effacer d'un coup l'oubli généreux que lui valait son exil et sous l'amicale recommandation de Gustaver Geffroy et Jean Dolent, il présenta son oeuvre à l'Odéon.
Croyant rencontrer Antoine, qu'il avait naguère chaleureusement appuyé à la « première » du Théâtre Libre », passage de l'Elysée-des-Beaux-Arts, il se trouva – un peu décontenancé – en face de M. Ginisty.
M. Ginisty jugea – au bout d'un temps assez court – que Les Miroirs lui semblait oeuvre noble mais pas susceptible de rejoindre son public.
L'auteur furieux, comme tous les refusés, se résolut alors à faire appel d'un tel arrêt.
Il essaya de « monter » lui-même Les Miroirs et, à ce sujet, voici le curieux document qui exposait sa Combinaison.
« Les représentations des Miroirs sont données sous le patronnage :

Du Mercure de France, 15, rue de l'Echaudé Saint-Germain ;
De La Plume, 31, rue Bonaparte ;
Du Journal des Artistes, 33, rue du Dragon ;
De la Revue naturiste, 99, rue Jouffroy ;
De L'Artisan moderne, 58, boulevard des Batignolles ;
De L'Aube, 17, rue Guénégaud.


« Rappelons que nul n'entrera sans invitations nominatives – les représentations demeurant privées – et que la plupart des bonnes places étant délivrées aux possesseurs de parts, qui assurent ces représentations, ainsi qu'aux principaux critiques et soiristes, le nombre des entrées de faveur restera très limité.
« Chaque part, du prix de cent francs, donne au titulaire droit à douze invitations, savoir : Quatre fauteuils pour la Répétition Générale et quatre fauteuils pour chaque Représentations. Comme on le voit une entende en douze personnes permet à chacune d'elles de s'assurer un fauteuil au prix normal. - Les coupons d'invitations sont réservés, par numéro d'ordre au fur et à mesure des versements.
« En adoptant ce mode de placement, nous avons voulu éviter toute préférence, mais, quelques-uns de nos participants nous ayant demandé s'il ne serait pas possible de réserver certaines places – les avant-scènes, par exemple, aux porteurs de plusieurs parts, nous donnons, dans le tableau suivant, la combinaison à laquelle nous nous sommes arrêtés :



« La liste définitive des souscripteurs qui nous auront fait l'honneur d'assurer nos représentations sera publiée quand tous les versements seront effectués.
« En outre, ainsi que nous l'avons mentionné, dans une précédente circulaire, le Maître Eugène Carrière veut bien offrir à chaque preneur de part une lithographie, dont le motif réduit servira à orner le programme. Le luxueux tirage de cette lithographie est limité à 150 exemplaires numérotés qui restent exclusivement réservés aux titulaires de parts et aux amis d'Eugène Carrière ; il ne sera donc vendu aucun exemplaire. »
Des amis patronnèrent l'oeuvre, d'autres versèrent les premiers fonds, l'auteur dessina les maquettes du décor, fit répéter des interprètes et dresser le devis général des dépenses qui devait atteindre environ 11.000 francs. A travers des tas d'obstacles le Drame s'écroula sous le surgissement d'une autre « Affaire », plus passionnante et plus retentissante.

..........................................................................................


Avec une reconnaissante émotion, l'auteur tient, en ce livre, à remercier ses amis Auguste Rodin, Stuart Merrill, Paul Gaudray, O. d'Araujo, J.-L. Blanchard, Jho Pâle, Léon Breton, Gustave Geffroy, Pernette, Archain, Reynaud, Jérôme Monti, Paul Vogler, Raymond Daly, Louis Capazza, Lucien Hubert, Maxime Maufra, V.-E. Michelet, Martin Ginouvier, Anquetin, Hallais, Albert Durand, Léon Talboom, Siloret et Mme Du Gast, qui lui furent de généreux secours dans cette désastreuse entreprise.
Il remercie aussi Eugénie Nau, Cora Laparcerie et Monteux qui répétèrent – gratuitement – et enfin Henri Van Steenbrugghe et l'admirable sculpteur Médardo Rosso qui lui fournirent – si gracieusement – des locaux pour les répétitions.
Il ne dira jamais assez l'obscur et ardent dévouement de son cher et pauvre Emile Raymond, dans cette pitoyable occurrence. Ah ! Que clui-là serait heureux aujourd'hui de voir réaliser son voeu le plus cher : la production de notre oeuvre sous n'importe quelle espèce.
Depuis ce désastre, l'auteur retiré des « affaires » et à moitié failli, replongea Les Miroirs dans le sourd abîme de poussière qu'on nomme le temps.
Pour se consoler, il acheva la Mort du Rêve et la publia en 1902.
Si l'on veut se faire une mesure entre les deux oeuvres, que l'on prenne La Mort du Rêve comme une « exposition » de tous les essais, de toutes les modalités et modifications que prit ou subit l'art de l'auteur au cours de ses recherches verbales, et que l'on considère Les Miroirs comme une oeuvre bien homogène et libérée qui serait résultée de tant de longs et laborieux efforts.
Comme on le voit par la présente publication, quelques amis, à force de frapper d'un poing acharné contre son tombeau, viennent de réveiller le Fakir de sa longue catalepsie.
Qu'en adviendra-t-il de malheureux ou de miraculeux, l'auteur n'ose y songer. Enfin, le soleil pointe, l'horizon s'éclaire ! Secouons, nous aussi, le sommeil !... Du courage, et de nouveau, en route vers nos fatalités !


A SUIVRE...


2e Partie : LES MIROIRS Paul-Napoléon ROINARD, Chercheur d'Impossible (II)

3e Partie : Les Miroirs de Paul-Napoléon Roinard, chercheur d'impossible (III)

Voir sur Livrenblog : Albert Cozanet - Jean d'Udine. Les Rythmes et les couleurs - 1892, le Théâtre d’Art, le Cantique des Cantiques de P. N. Roinard, par Julien Leclercq, Mercure de France janvier 1892