jeudi 31 juillet 2008

Charles Vignier et les Décadents


De la Revue Moderniste, un article de Charles Vignier, quelques notes critiques qui auront des conséquences dramatiques.
Charles Vignier passa, un temps, pour un l'un des écrivains de la génération de 1885 promis à un grand avenir. En 1891, lors de L'Enquête sur l'évolution littéraire de Jules Huret, il reste l'un des poètes les plus cités parmi les symbolistes et décadents. Il fut parfois considéré comme l'un des chefs de file de l'école nouvelle, lui qui avait été de tous les les cercles artistiques du Quartier-Latin, Hirsute, Zutiste... Son nom figure régulièrement dans les nombreux articles suscité par les « Décadents » (1) Pourtant son oeuvre poétique se résume à ce Centon publié chez le Bibliopole Léon Vanier en 1886. Son nom reste associé aujourd'hui à la mort de Robert Caze, suite au duel qui opposa les deux hommes. Tout commence par un article de Félicien Champsaur paru dans le supplément littéraire du Figaro du 17 octobre 1885. Caze est présenté dans cet article comme un imitateur suiveur de Huysmans, de plus Champsaur y écrit que Caze s'était rendu par train spécial à Lourdes avec sa maîtresse. Rencontrant Champsaur au Café Américain, Caze provoque une altercation avec le journaliste, ce qui lui vaudra quelques coups de cannes de l'auteur de Lulu. Il ne plut pas à Caze que sa mésaventure fut contée par Vignier, « Et M. Champsaur rossa M. Caze », ces simples mots parus dans la Revue Moderniste, suffirent pour que Caze envoie ses témoins, Paul Adam et Dubois-Pillet, à Vignier. Le duel eût lieu le 15 février 1886, Caze s'embrochât sur l'épée de Vignier dès le premier assaut, touché au foie il mourut le 28 mars 1886. Charles Vignier, deviendra collectionneur et expert en arts d'extrême-orient. C'est Félix Fénéon qui pour Les Hommes d'Aujourd'hui (n° 300) trace le portrait de Charles Vignier.

(1) Voir entre autre : Deschaumes (Edmond) : Symbolistes et cymbalistes. L'Evénement, 22 septembre 1886. Tellier (Jules) : L'Ecole décadente. Parti National, septembre 1887.

Manière de voir
(Notes critiques)



Constater l'effarement de la presse dite littéraire à qui incomba d'examiner certaines publications, fut, durant cette défunte année 1885, notre jovial bilboquet. Se souvient-on ? Quelques jeunes gens, dont deux d'un certain âge, ambulaient jusqu'à des heures tardives sur le boulevard Saint-Michel, vaticinant, symbolisant. Leurs agissements, divulgués par d'aimables parodistes, traversèrent l'eau, s'insinuèrent dans les bureaux de rédaction. Et s'essora la décadence ! Dès lors, c'était l'été, la pénurie de copie aidant, il devint de bon ton dans la gent reporter d'émettre des opinions plaisantes sur les poètes soupçonnés d'affiliation à la chose. Et MM. Vittorio Pica, Pipitone, Mathias Morhardt prirent le train le même jour, à la même heure pour aller promulguer l'art suggestif ès-pays transalpins.
En de telles occurrences, parurent quelques livres, entre autres, La Course à la mort, de M. Edouard Rod, Petitau, de M. Francis Poictevin. Les clameurs périodiques – calmées, - on eût pu croire – furent à nouveaux entendues. MM. Deschaumes et Paul Alexis dénoncèrent comme décadents les deux talentueux psychologues susnommés. Et M. Champsaur rossa M. Caze.
Qu'est-ce, à dire vrai, que le journalisme littéraire ? Le stage obligé de tout novateur, soucieux de montrer au public ce qui, de ses idées, a chance d'émouvoir le public ; quoi encore ? Une carrière pour littérateurs besogneux ; les mieux doués parmi ceux-là réussissent à s'y créer un genre en dehors de leurs préoccupations, d'autres s'usent, et c'est le cas fréquent, à débiter des tranches d'art mitigé ; mais l'immense majorité des chroniqueurs ne se peut point classer de la sorte. Ces messieurs sont parfois de perplexes bacheliers ; ils débutent en général dans la cuisine des quotidiens et peu à peu montent en grade. On finit par leur confier le soin de vulgariser les idées de ceux qui en possèdent. D'où, d'éhontés quiproquos. Car, n'est-ce pas ? Il se peut faire qu'en des époques spéciales, une génération littéraire ait accompli sa tâche, avant que la génération suivante soit efficacement prête à lui succéder. Un temps d'arrêt semble alors se produire. Affolés, les chroniqueurs ressassent ou pataugent, lâchent le gros mot : Décadence !
Or, l'époque actuelle est précisément marquée par un semblable temps d'arrêt. Les devanciers sont au Panthéon ou déjà momifiés. La mort de Victor Hugo opéra le sacre de M. Zola. N'en parlons plus, il ne sera même pas de l'Académie ! Symptôme plus flagrant, la vieille critique est morte. A savoir : M. Taine, qu'à l'Institut requiert le parti des ducs, n'a de temps que pour invectiver la Révolution. Son plus récent geste fut, croyons-nous, d'adresser à M. Poictevin une lettre dans laquelle il recommandait au jeune romancier d'écrire pour des Canadiens ou des Suédois policés. M. Brunetière, cantonné dans la Revue des Deux-Mondes, publie de coléreux articles, bien séduisants, une fois admis le critérium restreint. M. Sarcey, bourru et bienveillant, voudrait s'intéresser aux productions nouvelles ; mais qu'il conférencie sur A Rebours ou sur La Course à la mort, il perd – et s'en accuse – à s'aventurer sur des terrains non défrichés, sa belle assurance d'autrefois. M. Weiss s'en est allé. M. Renan, qu'on pouvait justement nommer me premier journaliste de France, s »amuse à des pantomimes et autres farces tabarinesques (Lire : Le prologue dans le Ciel). M. Henry Fouquier sera certainement député ou académicien ; pour l'heure, habile et correct, il demeure en une expectante neutralité et ne dépense son esprit qu'à bon escient. M. de Bonnières, jeune encore, publie ses mémoires. On vient d'éditer un volume de M. Lemaître. Dans ces études, il ne manque guère que la compréhension. L'échafaudage en semble judicieux, véridique, puis toutes les conclusions s'affaissent lourdement pour ce motif que le critique ne touche dans une oeuvre que des intentions quasi typographiques et ne réussit jamais à apercevoir l'auteur à travers le livre étudié.
Prudente, désabusée, la génération d'aujourd'hui lance des manifestes sybillins (sic). Et ce mot d'un compréhensif académicien : « Vous faites constamment la préface de Cromwell ».
M. Huysmans commet une séduisante erreur : A Rebours ; M. Rod et Bourget s'attardent parmi des pessimismes ; M. Poictevin rétrograde. De M. Hennequin, on attend un volume.

Charles VIGNIER
Revue Moderniste N° 11 et 12 du 1er Février 1886



Au lendemain du duel on pouvait lire les lignes qui suivent dans le Journal des débats :

Un écrivain M. Robert Caze, avait envoyé samedi ses témoins, MM. Paul Adam et Dubois-Pillet à M. Charles Vignier, au sujet d'un article publié par celui-ci dans la Revue Moderniste. D'accord avec les témoins de ce dernier, MM. Adrien Remacle et Emile Hennequin, il avait été convenu qu'une rencontre aurait lieu lundi matin à Clamart. L'arme choisie était l'épée de combat. Cette rencontre à eu lieu à dix heures du matin. Au premier engagement, M. Robert Caze a été atteint d'un coup d'épée au côté droit, et, sur l'avis du médecin, le combat a été terminé.


Le Journal des Débats
Mardi 16 février 1886


Robert Caze

Jean Ajalbert consacre, dans Mémoires en vrac au temps du Symbolisme 1880 - 1890. Albin-Michel, 1938, quelques lignes au duel Caze-Vignier.

Charles Vignier dans Livrenblog : Roméo et Juliette, 1888.


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Il serait intéressant d'avoir des informations sur Charles Vignier dont on ne sait finalement pas grand chose. J'ai la chance de posséder une lettre autographe de lui où il cite Louis Desprez, ainsi que l'originale de CENTON. Sinon, rien... Quelqu'un peut-il nous éclairer sur la biographie de Vignier? Reste-t-il des archives quelque part? Des descendants? Merci d'avance!