dimanche 15 août 2010

Maîtresse d'Esthètes par Papyrus




Maîtresse d'Esthétes

Si l'on cherche en Littré le mot « Esthète » il est des chances ne pas le trouver en son acceptation actuelle : c'est un terme formé, puis déformé, par les alluvions du langage et de la mode, car l'esthète n'a aucun rapport avec l'esthéticien, métaphysicien du beau.
L'Esthète est un produit bâtard de l'élément littéraire et mondain ; avec une dose de charlatanisme il sera sar, théoricien d'anarchie ou chef d'école. Sa mission consiste à répartir les nouvelles formes d'art et de pensée, il est le commis voyageur du dernier cri dont le snob n'est que le suiveur ignare, il est dirigateur de son temps ou du moins le veut croire. Du haut de son toupet 1830, il vitupère ou gloriole Ubu Roi, il chique à rebours les vers de M. Gustave Kahn ou les ballades de M. Paul Fort, il salve les dessins de M. Marc Mouclier, et kallisticien du new style, il laudate les burgs néo-wagnériens du constructeur Hector Guimard et les (?) adornures du sculpteur Xavier Raphnanel.
Du reste, il sera éphémère comme tout factice et tend déjà à s'aiguiller sur l' »intellectuel ». Peut-être eut-il été préférable fixer définitivement le schéma de l'Esthète pour les temps futurs, se faire l'ante-Cuvier de ce bipède né du désoeuvrement, de la pose et des lectures mal mâchées.
Ah M. Willy ! Il y eut un beau travail paléontologique à entreprendre, nuancer le snob et l'esthète, pénétrer intimement, car vous ne faites que les esquisser, les températures morales de la
Revue Mauve et du Théâtre de l'^Âme. Il y avait à courir à la Revue Noire ou de talentueux jéhuséens se micmacquent à de farouches subversifs ; il y avait le Calame et son jadis caveau de la Lune d'Agent, où dans l'estompe des pipes falotèrent des figures flottantes de bohème. Et pourquoi non, la Censure, observatoire des arts et de la littérature où s'opère une fusion nouvelle d'esprit et d'idées, basée sur la rénovation du sens critique, jusqu'alors proie d'universitaires hargneux ?
Ce monde de revues et de revuettes, de feuilleset de follicules, intense, vibrant, bellement farouche, eut mérité un arrêt long. Mais M. Willy s'intéresse plutôt à l'action, il connaît mieux de la vie que de l'âme, sa Maîtresse d'Esthètes est un roman de caractères sans autre intention morale que distraire.
Peut-être M. Willy nous donnera-t-il plus tard intégralement le roman esthète, reconstitutif d'une époque après tout belle. Ce symbolisme enlysé, hiératique, botticellique et libertyre vaut bien le gilet émeraude de Théo-les-Tiffes.
En tout cas l'Esthète, bien que souvent unisexué, réclamé sa femelle. M. Willy la lui a pétrie, avec de la pâté à bourde, en Ysolde Vouillard.
Qu'est-ce Ysolde ? Une fille vide, prétentieuse et roublarde pourtant, une chercheuse de michés, voulant vivre sa vie dans l'exagération du raffinement et de la boursouflure. Elle s'est fait un langage de muse et de poissarde, elle a le culte de la rareté bête, l'horreur du vulgaire et surtout celui du bon sens. Cette enfant du ruisseau, tout âme, épuise de luxure les reins les plus solides (pour en extraire l'or). C'est une toquée malfaisante, une bouche charbonneuse, une décervelleuse d'énergies et de bourses. Le génial (?) sculpteur Frantz Brotteaux, bien godiche s'en aperçoit, pige la tremblotte et va à Niort se régénérer.
D'aucuns induisent y voir une suite à Une Passade. Que non, cela en est plutôt la contre-partie. Monna, en dépit ses loufoqueries, est sympathique. Il palpite en elle un morceau de coeur à la fois douloureux et charmant qui tamise fine la blague éparse et l'humanise. Ysolde n'est qu'une rouée obtuse, étalant une vanité de gourgandine indécrottable.
Mais des esthètes j'en cherche.
Franz Brotteaux est un glaiseux, Jim Smiley et Henry Maugis sont de bons enfants, mais je leur dénie ce titre, surtout ce Jimmy si adipeux qu'il ne peut plus se voir pleurer : bifteckement rosé sous l'auvent d'un 4-8, qui calfeutre un crâne aussi poli que le Puy-de-Dôme ! Ce sont des joyeux de vivre. Peut-être M. Willy a-t-il voulu nous montrer l'extériorité bambochante et rigolarde. Ses héros ont souffert pourtant, vrai cela m'épate, mais enfin puisque le graphe le dit, prenons que ce soie.
Au piano passionnel, ces gens plaquent des séries de gammes et de lingams sur le mode yonique, - Mais Yoni soit qui mal y pense ! Susurre l'incoercible Willy.

Papyrus. [Emile Straus]


La Critique, N° 51, 5 avril 1897.



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Lire : Jean-Paul Goujon : Jean de Tinan. Plon, collection Biographique, 1990. François Caradec : : Willy le père des Claudine. Fayard, 2003.



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