mardi 19 février 2008

Les Écrits Français


Je citais dans le billet précédent un article d'André Salmon tiré de la revue Les Écrits Français. Il m'a semblé intéressant de revenir sur cette revue, même si je ne possède pas beaucoup d'informations à son sujet. Si l'on en croit le catalogue de la B.N.F., la revue fut publiée de décembre 1913 à mai 1914 et ne connut donc que 6 numéros [I-II, n° 1-6], avec un n° spécimen en novembre 1913. Voici le sommaire du numéro 2 du 5 janvier 1914 :

Variétés (L. Werth et les Cahiers d'Aujourd'hui, les Bibliopoles, Les Archives de la parole, etc) par André Salmon. La Forme des dieux, poème par René Ghil. Le départ du potier, poème par Ch. André Grouas. Derrière les portes d'airain (conte) par Victor-Emile Michelet. Balzac et Brunetière par Jean Florence. La langue française est-elle en décadence comme langue internationale ? par Gabriel Arbouin. A propos du Comte de Gobineau par Mario Meunier. A la manière de nos plus précieux fantaisistes (Paul Fort, P.-J. Toulet, André Salmon, Guillaume Apolinaire, Francis Carco, Tristan Derème, Max Jacob) par Jean Pellerin dont le volume de pastiches Le Copiste indiscret ne paraitra quaprès guerre. Confessions posthumes : M. Henri de Régnier (pastiche) par Emile Zavie. La poésie par Claudien (qui peut bien se cacher derrière ce pseudonyme qui dès ce numéro 2 remplace Fernand Fleuret "qui a dû assurer inopinément un travail de longue haleine") . Les Romans par Louis Latourette. Critique et esthétique générale : M. Remy de Gourmont et M. Paul Souday par Jean Florence qui se penche sur la première série des Promenades Littéraires de Remy de Gourmont et sur Les Livres du Temps de Paul Souday. Comparant les deux critiques il voit en Paul Souday "l'homme qui juge, qui prononce, qui dit oui et qui dit non", dont "l'allure est beaucoup plus polémique que celle de M. de Gourmont. Et, chose curieuse, elle est beaucoup moins provocante." Pamphlets, violents portraits de Henry Lapauze et Georges d'Esparbès par Janus (Tel un Laurent Tailhade, ce Janus possède une plume empoisonnée qui fait mouche et foudroie). Entre Revues par Henri Vandeputte. Les Arts plastiques : Signac, Flandrin, Vuillard par Roger Allard. Chronique dramatique par Aurel. Entr'actes par André Warnod. Théâtre édité par Paul Lombard. La Musique par Paul Castiaux. Questions d'Histoire par Louis de Monti. Questions de Philosophie, avec L'Innocence utile (1), par Jean Paulhan qui n'est alors que l'auteur de Les Hain-Tenys Merinas (Geuthner, 1913), un recueil de poésies populaires malgaches remarqué par Apollinaire, sa présence dans la revue peut s'expliquer par le fait qu'il entretenait d'excellentes relations avec André Salmon depuis 1907 (2). Curiosités poétiques par Francis Carco. Notre littérature à l'étranger (Charles-Louis Phillipe en Allemagne) par Fernand Crémieux. Fastes et Funérailles (Anatole France, Roger Marx, Jules Claretie) par André Dupont, pseudonyme de Louis de Gonzague Frick et Conférences : M. Laurent Tailhade en Odéonie par le même Louis de Gonzague Frick toujours sous le pseudo d'André Dupont. Les autres compte-rendus de conférences ; M. André Salmon aux "Noctambules", M. Roger Allard parle de Léon Deubel, M. Gaston Picard conférencier et Notes, ne sont pas signés.

Le quatrième de couverture de la revue révèle d'autres collaborateurs :
Fernand Divoire, Alexandre Mercereau, André Billy, André du Fresnoy, Sylvain Bonmariage, Maurice Lanoire.

On retrouve de nombreux amis de Guillaume Apollinaire dans ces listes, il n'est donc pas étonnant de le retrouver au sommaire du premier numéro où il donne le poème "Fantôme de nuées" (dans une note du numéro 2 il regrette que les typographes de cette revue "qui ne sont pas encore faits à ses habitudes" aient ajouté une ponctuation parasite à son poème).
Louis de Gonzague Frick, poète rare, partage la direction de la revue avec Marc Brésil et Louis de Monti de Rezé, il signe ici sous le pseudonyme de André Dupont la rubrique Fastes et Funérailles où il éreintent Anatole France (Fastes), Roger Marx et Jules Claretie (Funérailles), il donne aussi le compte-rendu d'une conférence de Laurent Tailhade à l'Odéon avant une représentation de Scribe. Pour plus de renseignements sur Gonzague Frick on peut se reporter à la revue Supérieur inconnu (n° 20, 2001).


(1) Ce texte a été réédité en 1994 par L’Échoppe éd., avec des vignettes à l'encre rouge de Pierre Alechinsky.
(2) http://www.andresalmon.org/


André Salmon

Louis de Gonzague Frick : Funérailles, Pierre Souvestre.


lundi 18 février 2008

La fin du livre. André Salmon

Trouvé dans Les Ecrits Français (2e année, n° 2, 5 janvier 1914) revue de haute tenue dirigée de 1913 à 1914 par L. de Monti de Rezé, Marc Brésil, Louis de Gonzague Frick, un article d'André Salmon qui commence ainsi :

Aux Archives de la Parole, en Sorbonne, au laboratoire de M. le Professeur Brunot, les Symbolistes se campent devant le phonographe et s'inscrivent sur la cire tendre, pour l'éternité.
Le creux de M. Fontainas est presque insaisissable, comme si le poète du "Jardin des Iles claires" possédait un disque intérieur, conscient et jaloux, avare.
Gustave Kahn est plus ému qu'un jeune reporter, et Paul-Napoléon Roinard ne peut retenir ses larmes.
Le livre périra par le disque [...]"

Février 2008, on annonce ce matin la création d'une collection de livres à écouter, enregistrés sur support MP3... Le livre n'a toujours pas périt, mais où donc se trouve l'enregistrement de la voix de P.-N. Roinard ? Sur un disque de "cire tendre" ?


Les Écrits Français, N° 2
Les Écrits Français, N° 5 et 7

Pierre Louÿs : Ecrire 48 heures par jour

Portraits de Pierre Louÿs (bis)


Afin de compléter un billet précédent à propos de la revue Poésie de laquelle je tirais un portrait de Pierre Louÿs, je donne aujourd'hui, extraits de Tombeau de Pierre Louÿs, aux Editions du Monde Moderne, 1925, deux portraits par André Sikorska et cette citation rapportée par E. Henriot dans le même volume :

"On tend à me représenter comme un paresseux, nous disait-il : lentus in umbra. Rien de plus faux... Je ne cesse pas de travailler, je ne sors point, je ne vois personne. J'emploie tout mon temps à écrire : j'écris quarante huit heures par jour..." Cependant, il ne publiait rien, tenant que c'était déjà trop que d'avoir imprimé ses premiers ouvrages à cent exemplaires [...].

Sage ou trop hautain ? Pierre Louÿs se refusait à écrire pour les foules, lui que le succès surprit avec Aphrodite et Les Aventures du Roi Pausole.


jeudi 14 février 2008

Concours Remue-méninges : Le gagnant


La question était difficile, mais C. Arnoult à découvert notre auteur mystère, il s'agissait de Georges Pioch et d'une nouvelle intitulée Vénus, extraite de son recueil Les Dieux chez nous, publié chez Ollendorff.
L'occasion est trop bonne de publier l'intégralité de la petite nouvelle, qui irrésistiblement nous fait penser au bon Charles-Louis Philippe, tant pour le style, le choix du sujet, et son sensible traitement.


Vénus

La première fois que je l’ai vue, elle m’a tapé sur le ventre et m’a dit : « Bonjour, mon gros père ! » J’ai compris qu’elle était familière. Elle m’a dit des paroles témoignant que la sévérité n’était point dans ses habitudes. J’ai plaisanté ; puis elle a passé. Alors, je l’ai contemplée qui vivait légèrement sur le boulevard. Son physique le lui permettait. Les quelques privautés que ne décourage point une femme familière m’avaient prouvé qu’elle dédiait à l’inconnu des seins menus et droits, et que ses bras étaient animés d’une force aimable et liante. Son sourire prodiguait sa jeunesse ; et ses yeux infiniment béats ne dissimulaient aucun rêve. Elle savait intuitivement, sans doute, que la nature ne fait avec soin que les toutes petites femmes : elle était toute petite avec sérénité.Elle a passé, s’arrêtant fréquemment parce que notre agitation est hasardeuse. Elle s’est plue au regard de tous les hommes qui l’envisageaient ; elle n’a point tapé sur le ventre de ses interlocuteurs, pour l’unique raison, sans doute, qu’ils n’en avaient guère. Mais il n’est pas impossible qu’elle leur ait précisé avec familiarité quelque particularité de leur physique. C’est ainsi qu’une petite femme qui vit légèrement sur le boulevard va, sans penser à mal, d’un gros père à un père moins ample. J’ai compris, à la bien considérer, que je suis paternel.
Les soirs m’ont multiplié le bénéfice spirituel de sa rencontre. Entre autres paroles essentielles, elle m’a dit : « Tu as l’air d’un gros bébé. » J’ai compris alors que, même lorsqu’elle vit légèrement sur le boulevard, une femme est toujours maternelle. Je lui dois ainsi l’aubaine de certains compliments dont un homme n’est flatté que s’il tient absolument à l’être.
Une petite femme qui vit légèrement sur le boulevard est une aventure innombrable et méconnue. A la bien pénétrer, on se prendrait de mépris, sans doute, pour l’aventure qu’accomplissent en eux certains bandits ou héros. Mais il n’est permis qu’à de très rares douleurs de savoir que le miraculeux, ici-bas, c’est, surtout, ce qui est normal et quotidien. Or, dans tous nos jours de Paris, il y a le contact de misère et de fleur d’une petite femme qui vit légèrement sur le boulevard.
Elle est comme l’émiettement de Vénus, laquelle ne serait qu’une femme si elle n’était, éternellement, l’opulence fertile des collines et la vague luxuriante des mers. Elle dispense au moisir des passants, à leur désir, la forme ancrée de la tendre Déesse. Et c’est grande bonté, ici-bas, qu’elle veuille bien se croire notre obligée, notre servante, parce que nous avons salarié son accueil.
Vénus terrestre qui, par les largesses, humilierais Vénus du ciel, si la vie humaine était une maladie des étoiles ! Vénus terrestre, nous ne voulons savoir de toi que ton sourire : et nous appelons « fard » ce qui saigne à tes lèvres, inépuisablement !...
Mais c’est tout un poème en moi que d’avoir imaginé la petite femme dans les apprêts qui lui permettent de vivre légèrement sur le boulevard. Chaque jour elle fait minutieusement le chef(d’œuvre fragile de sa personne vouée. Elle le défaut chaque soir, avec une insouciance plus généreuse encore qu'intéressée. La Fortune est pour elle une fatalité intacte : elle la mène de « gros pères » qui sont aussi des « gros bébés » en « grands frères » qui sont, plus facilement que les gros, des « grands chéris ». Il suffit d’un soir favorable et abondant pour que toute la nation communie en elle sous les aspects de son corps les plus licitement constitués. Il suffit d’un moment bref et fébrile pour qu’un Shakespeare ou un Dostoiewsky errant étreigne en elle toute la douleur humaine, empruntant à son pauvre sourire un monde de conscience et de pitié. Elle serait immense, si elle savait ; par elle, nous exaucerions, peut-être, notre cœur, si nous savions…
Un soir, des soirs encore, puis tous les soirs, on cherche en vain la petite femme qui vivait légèrement sur le boulevard. On se dit : « Allons ! tant mieux, elle est casée. Elle était trop gentille pour continuer cette existence là. » Mais il arrive qu’on lise : « Une femme galante a été assassinée, hier soir. Elle était petite de taille, - presque une enfant. » On reconnaît alors que Vénus n’est pure lumière qu’au ciel. On a discerné que la terre n’est pas toujours favorable à son abandon. On pense qu’on eût pu dire amoureusement à celle-là : « Si tu ne fais pas le bien, tu ne fais pas le mal. Mais c’est grande pitié qu’un cœur de petite femme que la tendresse d’un homme ne rythme pas. » On a lu, quelque part, que c’est l’amour, surtout, qui sauve.
Et l’on éprouve, ces soirs-là, la vanité des études classiques.


Georges Pioch.

Georges Pioch (1873-1953), anarchiste, puis socialiste, proche de Romain Rolland il restera surtout un pacifiste, il fut président de la Ligue Internationales des Combattants de la Paix . A coté de ses écrits de militants, des poèmes, romans ou pièces, il tiendra des chroniques musicales et se montrera un fervent de Beethoven à qui il consacrera un livre. Pour expliquer les indices donnés rappelons qu'il est l'auteur de L'Impuissance d'Hercule ("les failles d'un homme fort") et de nombreux articles et portraits pour le journal les Hommes du Jour de Victor Méric. La citation de Francis Jourdain est extraite de Sans remords ni rancune, Corrêa, Le Chemin de la Vie, 1953.


Encore bravo à C. Arnoult, qui oeuvre au blog consacré à Han Ryner, il gagne les trois numéros du Courrier Français, il devra pour cela me donner une adresse en laissant un message (que je garderais pour moi) sur le blog.

Envoi de Georges Pioch à Léon Bazalgette sur son premier livre La Légende blasphémée.
aux Editions du Mercure de France en 1897


On trouvera dans la bibliothèque symboliste virtuelle du groupe de discussion "Les Amis de Saint-Pol-Roux" un bel envoi de Pioch à Louis Lumet (un auteur qui figure sur ma liste des billets "à faire").


Quelques oeuvres de Georges Pioch

Georges Pioch dans Livrenblog : La Femme, son lion et l'homme. une visite à la baraque foraine de La Goulue.




Louis Ménard portrait anecdotique du Païen Mystique



Louis Ménard (1822-1901), chimiste, inventeur du collodion en 1846, historien, philosophe, linguiste, journaliste, peintre, poète et écrivain. Surtout connu pour Ses Poèmes et Rèveries, Ménard est l'auteur d'une thèse, De la Morale avant les Philosophes, présentée à la Faculté des lettres de Paris, ainsi que de nombreux livres sur la Grèce antique, Hermès Trismégiste, ou la symbolique biblique. En 1848, ses écrits et son action lui valurent l’exil (1). En 1895 à la Librairie de l'Art Indépendant, il publie ses poèmes en orthographe simplifiée. Ménard prétendait réformer l'orthographe par la simplification : suppression des géminées ("ll" devient "l", "elle" devient "èle"), "qu" devient "q", l'accent circonflexe disparaît au profit des accents aigus ou graves.

(1) Voir la réédition de Prologue d’une révolution (Février-Juin 1848) de Louis Ménard. Présentation de Filippo Benfante et Maurizio Gribaudi. Ed. La Fabrique, 298 p.

C’est le portrait d’un Ménard un peu anecdotique que présente Eugène Ledrain dans le numéro 9 de février 1901 de la revue Le Sagittaire de F.-A. Cazals.


Louis Ménard


Un matin de l’Ascension 1879, je me promenais, avec M. Leconte de Lisle, sous les galeries de l’Odéon, quand je vis s’avancer vers nous un petit homme sec, légèrement courbé, qui nous aborda d’une voix un peu aigrelette. C’était Louis Ménard. Son tailleur ne devait pas lui coûter cher, non plus que son bottier et son chemisier. Quelle corde il portait autour du cou en guise de cravate ! Son âge, il était difficile de le déterminer. Cependant, je savais pertinemment que Ménard avait quelque peu dépassé, depuis quelques années, la maturité. Compromis dans les journées de Juin, il avait dû s’exiler pendant quelques temps, pour n’être pas enveloppé dans les répressions du général Cavaignac. Il avait assisté à l’âge héroïque. C’était un contemporain de Leconte de Lisle. Ami de MM. Renan et Berthelot, il les avait amusés, autrefois, par la finesse de son esprit et par ses paradoxes.
Après une longue causerie, nous quittâmes l’auteur des Poèmes barbares, et nous descendîmes, Ménard et moi, vers la Seine. Il se rendait au Salon des Champs-Elysées, et moi à mon déjeuner, passage Vivienne.
Combien de fois je l’ai revu, depuis cette première rencontre ! En sortant de mon cours du Louvre, vers six heures, j’ai souvent croisé Ménard ; il était toujours en quête d’un restaurant à bon marché, et me demandait, sur ce point, ce que le parti des ducs appelle des tuyaux.
Cependant, que l’on ne s’imagine pas, d’après cela, Ménard très indigent, et que l’on ne s’afflige pas trop sur sa destinée. Rien de commun entre lui et le pauvre Murger ; ce n’était pas précisément au grabat d’hôpital qu’était voué le païen mystique. Le philosophe Ménard, possédait, place de la Sorbonne, un immeuble qui devait bien lui rapporter un peu plus de vingt mille francs chaque année. Avec cela, on ne meure pas de misère. Et, si l’on s’habille au Temple, ce ne peut-être que par coquetterie et non par nécessité. Les vêtements de Ménard étaient simplement sur son corps, à titre de paradoxe, je n’ai jamais cru à son avarice, mais au souci qu’il avait de ne pas se rapprocher de tout le monde et de présenter à ses congénères un type tout à fait particulier.
Un jour, pourtant, il fit un bout de toilette et se rendit chez Leconte de Lisle, à qui il tendit la main d’une façon tout à fait solennelle. Il avait mis une cravate à peu près neuve, quelque chose qui ressemblait à une chemise ; un claque légèrement blanchi tournait dans ses doigts. A son ami stupéfait, il annonça qu’il faisait ses visites de candidature à l’Académie française, et qu’il sollicitait sa voix. On dérange toujours très fort, même le meilleur de ses amis, quand on lui demande ainsi son suffrage. A la tête de Leconte de Lisle, Ménard comprit qu’il ne devait pas pousser plus loin son entreprise, et qu’il lui était interdit de pénétrer, lui artiste, dans le sanctuaire où son entrés, depuis tant d’illustres cacographes. Il avait trop peu fréquenté chez les bons faiseurs pour jamais être introduit là où trônent beaucoup de gens à qui l’on a ouvert la porte uniquement sur leur mine et pour leur tailleur.
Ce n’était pas seulement dans sa mise que Ménard étalait sa nature paradoxale. Catholique épousant une femme catholique, il gagna, pour faire bénir son union, le temple protestant. Que n’allait-il tout bonnement à la mairie, sans passer par la bénédiction d’aucun pasteur ? Plus tard, je fus fort étonné d’être invité à l’enterrement de sa charmante fille, dans l’église Notre-Dame-des-Victoires. Se détourna du calvinisme, Ménard avait repassé au catholicisme, et même conduit la pauvre enfant, minée par la phtisie, à la grotte de Lourdes. Son grand rêve pour l’Italie n’était-ce pas une confédération de petites villes et de petits états, avec le pape comme président ?
Païen, catholique, protestant, libre-penseur, catholique à nouveau : tel nous apparaît Louis Ménard, très successif, fort préoccupé de ne point gouverner par les lois ordinaires, et de peu ressembler à ses contemporains qui n’étaient guère, à ses yeux, un objet d’admiration.
Son esprit était fort actif, et cependant son œuvre est mince par la taille, sinon par la valeur. Il a, guidé par Leconte de Lisle, écrit des vers. A la suite de M. Renan, il s’est occupé d’Israël, mais sans être muni, pour ce travail, d’une science spéciale qui lui eut été fort nécessaire. Epris de l’antiquité grecque, et principalement de l’antiquité gréco-alexandrine, il s’est attaché à Hermès Trimégiste. Son chef-d’œuvre, c’est un petit volume dont il donna, il y a quelques années, une édition définitive : Réveries d’un païen mystique. Combien ont nommé avec enthousiasme ces pages, sans les avoir jamais lues ! C’était l’enfant chéri de Ménard, et c’est aussi, dans son œuvre, par la subtile métaphysique, et par l’art exquis l’objet de nos prédilections. Heureux qui a pu condenser ainsi, avant de disparaître, comme en une essence précieuse, le plus pur de sa pensée et de son goût pour la beauté !
Mais, on le voit, c’est un éparpillement ; il était allé à tous les sujets, sans s’attacher à aucun. Si je ne me rappelais ses cravates et son chapeau, je comparerais volontiers Ménard à un papillon. S’il ne s’en rapproche pas physiquement, est-ce qu’il ne le fut pas un peu par l’esprit ? Aussi lui donna-t-on, à l’Hôtel-de-Ville, pour lui permettre de toucher à tout, et de satisfaire sa singulière nature, un cours d’Histoire universelle ?
Je ne parlerai pas de sa tentative de réformer l’orthographe, ce fut son dernier et pire paradoxe.
Il me laisse, à moi, le souvenir d’un homme bienveillant, instruit, de jolie conversation. Où donc son égal parmi ses successeurs ? L’ignorance sévit sur notre pauvre planète et la couve indignement. Ménard savait beaucoup, jugeait bien des choses littéraires et philosophiques, enchâssait admirablement ses étrangetés. Il avait de la race – cela se perd – comme lettré et comme penseur.

Eugène Ledrain.

mardi 12 février 2008

Concours Remue-méninges - Nouveaux indices

Le concours continue. Comme les réponses sont rares et la question difficile, voici de nouveaux indices :

L'auteur mystère fut comme beaucoup libertaire, et fit preuve d'une rare constance révolutionnaire. Il étudia les failles d'un homme fort, et célébra les hommes du jour.

N'hésitez pas à participer.

lundi 11 février 2008

Concours Remue-méninges - Indice

Aucune réponse au concours... Il est vrai que la question est ardue, voici un indice pour vous mettre sur la piste :

Francis Jourdain parlant de notre auteur écrit :

"vaste, abondant en propos lyriques et généreux, entendant ne rien céler de son honnêteté courageuse et de son abnégation. Ni l'une ni l'autre ne lui permettait d'ajouter le plus petit morceau de sucre à la maigre avoine dont il nourrissait difficilement son Pégase individuel. Il était le leader de l'hebdomadaire dont je fus quelques temps le gérant."

Une idée ?

jeudi 7 février 2008

Laurent Tailhade par Alcide Guérin


Ballade au Pays du Mufle.


Dans un billet précédant je donnais trois études ou portraits. Francis Vielé-Griffin par Adolphe Retté, Retté par Edouard Dubus et enfin Dubus par Laurent Tailhade, afin de terminer cette série un article sur Tailhade, s’imposait.


L’article dans son début fait allusion à la fameuse Enquête sur l’évolution Littéraire de Jules Huret, publiée dans L’Echo de Paris de mars à juillet 1891, et à la réponse de Tailhade, refusant les qualificatifs tant de symboliste que de décadent. Tailhade, fut dans cette enquête classé, dans un premier temps, parmi les Parnassiens, mais lorsque les articles furent repris en volume Jules Huret créera une rubrique « les Acides et Pointus » où l’auteur du Pays du Mufle se retrouvera avec Ajalbert, Bonnetain, Morice, Verlaine, Vignier, France et Lemaître.
Alcide Guérin signataire de l’article, ne fera pas, lui, l’objet d’un billet, qu’il nous suffise de rappeler ce que Jules Renard en dit dans son journal « Il paraît qu'il fait ses prières, va à la messe, communie, et fait maigre le vendredi. Quand il parle Patrie, il prononce le mot de « douleurs intimes » et il a un ronflement de gorge, presque un roucoulement. », grenouille de bénitier et patriote, Alcide était-il bien le plus qualifié pour présenter Tailhade ? La complexité du personnage, ses volte-face, ses amitiés changeantes, explique sans doute ce rapprochement de Tailhade avec Alcide Guérin (1), dont on peut se demander avec Renard : « Qu'est-ce qu'il fait au milieu des jeunes ? Car il en parle et affirme les aimer. Les séminaristes nouvellement arrivés au régiment doivent avoir une attitude semblable. ». Quelqu’un qui « a un noeud de cravate qui [me] rappelle, par sa forme, un chapeau de curé. » ce devait de trouver dans le très catholique Louis Veuillot « le père de l’ironie » de Tailhade. On comprend que notre Alcide en admirateur de Léon Bloy, dont Tailhade est encore l’ami à cette époque, se réjouisse de la Ballade du Marchand d’Orviétan, où Tailhade s’en prend au mage abhorré par le Mendiant ingrat, ce Péladan aux pieds sales. Alcide voit juste pourtant lorsqu’il conseille au poète de persévérer dans le style des ballades assassines recueillies dans le Pays du Mufle, ce sont elles qui feront la réputation du dandy polémiste.

(1) Il lui dédiera sa « Ballade prémonitoire » à paraître dans le numéro du Mercure de France de septembre 1891.


Laurent Tailhade

On s’occupe, en ce moment, beaucoup des jeunes. Cela est venu tout-à-coup, lorsque le Temps, le Figaro, d’autres grands journaux encore, se sont mis en tête d’apprendre à la masse du public, qui ne découvre guère les génies, si on ne l’y aide un peu, le nom obscur mais euphonique de l’Hellène Jean Moréas. Les idées de ce compatriote de Pindare, les idées de ses amis, les idées de ses ennemis, les idées intraitables de tous les hommes de vingt ans qui n’ont pas encore d’idées, tout cela à été raconté, discuté, pesé, analysé, embrouillé, à la grande satisfaction, je m’empresse de le dire, des jeunes écrivains dont on parlait, des chroniqueurs qui tenaient ainsi un sujet de chronique, du public enfin un peu abasourdi, il faut le reconnaître, mais tout de même agréablement tympanisé par la sonorité des vers qu’on lui faisait lire et l’enthousiasme des journalistes si gracieusement occupés à le distraire.
Mais de plus en plus fort n’est pas la devise du seul Nicolet. Ou plutôt c’est la presse qui est maintenant Nicolet ; car on fait des tours dans les journaux et on les fait même de mieux en mieux. Aujourd’hui, le folliculaire qui sait son métier se tient au courant de tous les trucs et, s’il a de l’imagination, il en invente.
Donc, avide de se distinguer entre ses sœurs, une gazette très lue sur le boulevard imagina, l’autre jour, d’envoyer un reporter chez les plus qualifiés d’entre les jeunes, avec mission d’interroger discrètement… non : indiscrètement ces Messieurs sur l’art d’écrire et tout ce qui s’ensuit.
Naturellement on s’empressa de parler. Il y eut des réponses pleines de sagacité, il y eu des réponses spirituelles, des réponses ingénieuses, des réponse presque profondes, il y eu aussi d’assez sottes réponses ; mais tout le monde répondit quelque chose.
Parmi les jeunes poètes mis ainsi en demeure de s’expliquer, un homme se rencontra, d’une franchise particulièrement rare, d’une ironie cinglante, d’une extrême liberté de langage, qui fit au journaliste interrogateur l’accueil le plus inattendu et le plus impertinent du monde.
Comme on lui demandait à celui-là, non sans beaucoup de salutations et d’insinuants sourires, ce qu’il pensait du symbolisme,
« Le symbolisme ? » s’écria-t-il… Et tout de suite la plus impétueuse armée de sarcasmes s’élança de ses lèvres, une armée de sarcasmes s’élança de ses lèvres, une armée à ravager de fond en comble le cœur des disciples pieux, des pèlerins de l’art et du rythme – pèlerins passionnés -, des excellents jeunes hommes qui se nourrissent du verbe de Moréas, fréquente chez son cafetier, ont confiance dans ses gestes et croient éperdument à ses noires moustaches.
Le journaliste béait d’étonnement : il avait voulu parler à un symboliste. S’était-il donc trompé de porte ? Apparemment, ce poète à la dent si dure bataillait dans l’armée décadente.
Et de sa plus onctueuse voix :
« Vous aimez les décadents, je suis sûr ? »
Mais impitoyable pour Baju comme il avait été inexorable pour Moréas, l’interviewé mit les deux écoles dans le même sac et jeta le sac pardessus bord.
On lui demanda :
« Que pensez-vous des psychologues ? »
Et il démolit les psychologues.
« Que pensez-vous de l’Ecole Naturaliste ? »
Et il extermina l’école naturaliste.
« Que pensez-vous de l’Ecole Evolutive-Instrumentiste ? »
Et l’Ecole évolutive-instrumentiste mordit la poussière comme les autres.
Alors, le journaliste, qui commençait à prendre peur, arrêta brusquement l’interview, remercia, salua, gagna la porte et s’élança sans l’escalier, sans avoir osé demander à ce tombeur de renommées et d’écoles :
« Pardon, mon cher poète, mais que pensez-vous de moi ? »
C’est Laurent Tailhade – puisqu’il faut bien enfin lui donner son nom – est un des plus cruels ironistes de cette mâche et imbécile époque qui ne comprend rien du tout à l’ironie.
Peu de causeries sont plus attachantes que la sienne. Armé d’une lecture énorme, sachant du grec et du latin autant qu’homme de France, familier avec les philosophes et les poètes, il a appris dans les livres à s’agenouiller devant l’Art et à mépriser beaucoup de choses. Son mépris, par exemple, garde la tenue dans la violence. Il a ce don, que possédait au point suprême le grand Barbey d’Aurevilly, de se moquer avec élégance et de mettre du style dans le sarcasme. Ses mots sont légendaires au Quartier-Latin : plusieurs même ont passé la Seine, et je ne sais plus quel train a fini par les emporter jusqu’en province. Ils y ont, d’ailleurs, fait le plus abominable scandale, et le plus légitime.
Cette élégance qu’il apporte dans son langage, Laurent Tailhade la veut également dans ses manières et dans sa toilette. C’est un mondain à qui la littérature ne fait point oublier les salons. Il adonise sa personne autant que sa phrase ; le soin de sa barbe lui est une préoccupation, le nœud de sa cravate lui est une étude.
Il y a plus. Les choses dont il use quotidiennement, il les lui faut elles aussi plaisantes, distinguées et mondaines, au moins par quelque côté. Et c’est ainsi qu’il écrira ses lettres sur papier parfumé, - toutes ses lettres, vous m’entendez bien !
Si je note en passant ces frivolités, ce n’est certes pas que je leur prête grosse importance ; mais voulant expliquer comme je crois la comprendre l’âme d’un poète, je me suis dit qu’il était sage de ne pas laisser de côté, même dans une brève étude, les petites choses qui aident si souvent à éclaircir le mystère des grandes.
Le goût de l’exquis est naturel aux artistes. Et parmi les poètes de sa génération, je n’en vois guère, je n’en vois point, qui soient plus artistes que Laurent Tailhade. Il l’est dans sa vie extérieure et dans sa vie intérieure, dans les moindres mouvements de sa personne et de sa pensée. Mais à ce passionné des Formes et des Couleurs la surnaturelle beauté de l’âme chrétienne ne pouvait suffire. Aussi, le voyons-nous tout de suite se tourner vers les sensualités artistiques et religieuses du paganisme ; c’est à la Grèce qu’il demande une esthétique et une foi.
Oui, Laurent Tailhade est un païen, un païen par tempérament de poète et par préférences de philosophe, un païen, sans doute, qui a, dans les veines du sang chrétien et que l’Eglise alors attire et irrite tout ensemble, qui la hait dans ses dogmes, dans ses mystères, dans sa discipline, qui l’aime dans ses cérémonies, dans son art, dans les tendresses de sa morale, dans sa liturgie, jusque dans ses vocables, d’une si expressive et si effrayante précision.
Son premier livre, Le Jardin des Rêves, où sa personnalité ne se dégage pas bien nette encore, date, je crois, de 1880. C’est exclusivement le livre d’un païen. Trois influences, à mon gré, s’y font sentir : celle de Gautier, celle de Banville, celle avant tout d’Armand Silvestre. La forme est d’un Parnassien à qui le Parnasse n’a plus rien à apprendre. Cela est élégant, pondéré, sans heurts, sans défaillances, mais aussi sans primesaut, d’une harmonie un peu monotone, d’une perfection un peu froide. L’oreille est toujours caressée, l’esprit toujours satisfait ; mais on voudrait quelque audace, fût-elle malheureuse ; on souhaiterait que l’auteur livrât quelque bataille, dût-il la perdre.
Pourtant, il faut le dire bien vite, un livre qui présage un poète n’est jamais un livre méprisable. Le Jardin de Rêves, c’est en somme le jardin d’un bon jardinier, très curieux d’art, très épris de littérature, très expert en toute sorte d’idéal, sachant comme pas un les secrètes paroles à proférer pour que s’épanouissent, aux regards charmés du petit nombre, les immatérielles fleurs.
Après cette œuvre de début, Laurent Tailhade a, de temps à autre, (trop rarement) donné aux jeunes revues des poésies tantôt lyriques, tantôt satiriques, d’une forme de plus en plus personnelle.
Ses satires (des ballades et des quatorzains), il vient de les réunir en un mince volume, qui n’a pas cent petites pages et qui porte ce titre plaisamment cruel : Au Pays du Mufle.
Eh bien ! je ne crois pas que jamais poète ait poussé plus loin que ne l’a fait Tailhade, dans cette plaquette d’apparence pourtant si bonne fille, l’art d’empoisonner les mots. Car ici, en vérité, c’est le sarcasme sous sa forme la plus précieuse et la plus cruelle. Pourtant la puissance du venin est doublée par l’exquise rareté du vocable, ce disciple raffiné des plus savants orfèvres de la langue se refusant à lancer des flèches qui ne soient pas des objets d’art en même temps que des instruments de mort.
Et jamais de pitié. Pas un tressaillement des muscles, pas un tremblement de la main chez de bourreau qui se réjouit infiniment au spectacle immoral des contorsions de ses victimes. Un autre, en ce siècle, avait eu cette joie véhémente devant les souffrances qu’il faisait naître : Louis Veuillot, en effet, ne connut guère la miséricorde. Si par sa forme Laurent Tailhade procède de tel ou tel poète, - M. Armand Silvestre vous nommera, par exemple, Villon et Gautier, - c’est bien l’implacable écrivains des Libres-Penseurs qui est le père de son ironie. Il a de lui le goût des sobriquets latins. Il a de lui la bonhomie atroce, la caresse féline, le brusque coup de griffe qui va chercher le sang sous la peau et la douleur au profond de la chair. Il a enfin son effrayante haine, son mépris furieux, son sarcasme grinçant.

Ecoutez :

« Certes, Monsieur Benoist approuve les gens qui
Ont lu Voltaire et sont aux Jésuites adverses.
Il pense. Il est idoine aux longues controverses,
Il déprise le moine et le thériaki.

« Même il fut orateur d’une Loge Ecossaise.
Toutefois – car sa légitime croit en Dieu –
La petite Benoist, voiles blancs, ruban bleu,
Communia. Ça fait qu’on boit maint litre à seize.

« Chez le bistrot, parmi les bancs empouacrés,
Le billard somnolent et les garçons vautrés,
Trône la pucelette aux gants de filoselle.

« Or Benoist qui s’émèche et tourne au calotin
Montre quelque plaisir d’avoir vu, ce matin,
L’hymen du Fils Unique et de sa « Demoiselle ».

Je vous le demande, l’humaine bêtise saurait-elle être bafouée, de plus sanglante sorte ? Est-il possible de s’égayer aux dépens des vilaines engeances, avec de plus féroces ricanements ? Et croyez-vous, en vérité, que le Benoist, si on lui tirait les poils de la barbe, si on lui soufflait au visage, si on l’inondait de salive et si on le barbouillait de toute espèce de malpropretés, aurait le droit de se dire outragé davantage ?
Comme Veuillot, Laurent Tailhade poursuit l’ennemi, non seulement dans l’acte réfléchi de sa volonté, dans le méfait de son âme, mais dans sa misère intellectuelle, et même dans sa laideur physique, et même dans ses infirmités. En quoi il n’est point excusable. Mais c’est que la laideur, sans doute, sous quelque forme qu’elle se présente, cœur vil, dos ridicule, cerveau médiocre, pied tordu, soulève jusqu’à l’horreur, transporte jusqu’à la rage ce passionné de la Beauté sainte. Je têche d’expliquer, remarquez bien : je ne justifie point.
Et j’ajoute tout de suite que, par un côté au moins, Tailhade est meilleur que Veuillot et plus ouvert ; car celui-ci – étonnante contradiction ! – s’obstina toujours à détourner les yeux de certaines choses grandes et garda ainsi, jusqu’au dernier instant, avec une sorte d’imbécile orgueil, l’épouvantable haine de l’Art.
Et puis, en somme, je ne veux point faire la guerre à un artiste très rare, à un très curieux poète, parce que deux ou trois, qui sont parmi les bons, et que son ironie alors eût pu épargner, ont été par lui secoués, de furibonde manière. Je n’oublie point que, le plus souvent, en même temps qu’il frappe fort, Tailhade frappe juste, et je lui sais gré, un gré infini, d’avoir traîné dans le ruisseau, roulé dans l’ordure, effroyablement sali des pieds à la tête, couvert de crachats, d’insultes, d’adjectifs infamants, d’ignominie, de ridicule, ce lâche quarteron de gredins de lettres, que tout le monde méprise, et pour cause, que chacun ménage, on ne sait pourquoi, et que lui a voulu rendre, après badigeonnage, irréparablement rebelles à toute lessive. Il a nié fortement tels ou tels qui sont de vrais écrivains. Soit. Il a fait souffrir celui-ci et celui-là, qui sont de braves gens. Je ne dis pas le contraire. Mais il a écrit la Ballade du Marchand d’Orviétan et bafoué ainsi, comme il convient, en de raffinés et inoubliables vers, le plus sot des écrivains, le plus éhonté des charlatans, le plus grotesque des mages :

« Reniflez un peu ! Ni le thym,
« Ni la peau d’Espagne où se choie
« L’orgueil dacal d’un blanc tétin,
« Ni l’ambre, ni l’huile de foie
« Que l’Islande à Barrès envoie,
« Ni tes narcisses, Eridan,
« Au humer n’offrent tant de joie :
« Voici les pieds de Péladan. »

Ces pauvres pieds qui ne lui ont rien fait pourtant, qui ont bien le droit, après tout, de se soumettre à l’hygiène qui leur plait, d’avoir des effarements en présence de l’eau, une invincible et sans doute hermétique répugnance pour les ablutions ; ces pieds magiques, ces pieds ésotériques, qu’en somme il n’est point tenu d’approcher, puisqu’il a l’odorat si délicat, il les diffame ainsi férocement, implacablement, pendant vingt-huit vers de huit syllabes ; il leur donne vingt-huit coups d’épingle empoisonnée.
Soyons sérieux. C’est parce que Tailhade a ce don si rare et si magnifique de la colère joyeuse et du rire terrible, que je ne puis comprendre ceux qui le voudraient détourner de la satire. Car on l’engage fort – des amis, pourtant – à mettre ses flèches de côté, son carquois au rancart, ses poisons à l’abri, et à demander à la poésie lyrique toute seule l’inspiration et la renommée.
Eh bien ! non, encore un coup, je ne saurais approuver cela ! Je goûte, certes, autant que qui que ce soit, le lyrisme de Tailhade. Ceux qui disent n’avoir trouvé qu’un relatif agrément à voyager en sa compagnie au Pays du Mufle, ceux-là, paraît-il, attendent avec impatience Sur Champ d’Or, un livre de paix sereine et d’adoration, qui glorifiera les Couleurs et les Formes et magnifiera le Beau sous tous ses aspects. Mon Dieu ! je me garde bien de protester contre de si hautes espérances ; j’ai même la persuasion qu’elle ne seront pas déçues. Mais je dis au poète : « Faites de beaux vers lyriques, mon cher Tailhade, faites-en tant qu’il vous plaira. Mais, si vous m’en croyez, ne laissez jamais se rouiller dans sa gaine votre poignard, à la pointe envenimée. Car pour vous ce doit être, vous le savez bien, quelque chose de mieux qu’une parure ou un joujou, cette arme terrible et sacrée de l’ironie, qui a été mise par un autre entre vos mains…
Mais que deviendrions-nous dons alors si ceux-là qui ont été évidemment désignés, manifestement élus pour proférer à voix haute les paroles qui donnent la mort, passaient leur temps – tout leur temps – agenouillés devant l’Eternelle Beauté, l’encensoir à la main et le psaume d’amour à la bouche ?

Alcide Guérin.

La Plume, N° 50, 15 août 1891.








Concours remue-méninges

Jouons un peu.


Saurez-vous trouver l’auteur qui signe les lignes qui suivent ?

La première fois que je l’ai vue, elle m’a tapé sur le ventre et m’a dit : « Bonjour, mon gros père ! » J’ai compris qu’elle était familière. Elle m’a dit des paroles témoignant que la sévérité n’était point dans ses habitudes. J’ai plaisanté ; puis elle a passé. Alors, je l’ai contemplée qui vivait légèrement sur le boulevard. Son physique le lui permettait. Les quelques privautés que ne décourage point une femme familière m’avaient prouvé qu’elle dédiait à l’inconnu des seins menus et droits, et que ses bras étaient animés d’une force aimable et liante. Son sourire prodiguait sa jeunesse ; et ses yeux infiniment béats ne dissimulaient aucun rêve. Elle savait intuitivement, sans doute, que la nature ne fait avec soin que les toutes petites femmes : elle était toute petite avec sérénité.
Elle a passé, s’arrêtant fréquemment parce que notre agitation est hasardeuse. Elle s’est plue au regard de tous les hommes qui l’envisageaient ; elle n’a point tapé sur le ventre de ses interlocuteurs, pour l’unique raison, sans doute, qu’ils n’en avaient guère. Mais il n’est pas impossible qu’elle leur ait précisé avec familiarité quelque particularité de leur physique. C’est ainsi qu’une petite femme qui vit légèrement sur le boulevard va, sans penser à mal, d’un gros père à un père moins ample. J’ai compris, à la bien considérer, que je suis paternel.

Le gagnant recevra le numéro du Courrier Français du 24 novembre 1889 (1). Premier indice : il n'y a aucun rapport entre l'auteur et le journal. Deux autres numéros du même journal sont prévus dans le cas où seraient découvert le titre du recueil et le titre de la nouvelle. L'extrait est donc tiré d'un recueil de nouvelles, ce sera notre deuxième indice, si nécessaire d'autres indices suivront. Cherchez bien.


(1) Dessin de "une" par Louis Legrand. Dessins de F. Lunel (Revue du Nouveau Cirque - L'Elysée Montmartre), Heidbrinck. Louis Legrand (Hommage à Olivier Metra). Gazette Rimée par Raoul Ponchon. Chronique de Paris - Rastaquoueries par Jean Lorrain. Idylle, poème par Marc Legrand. Les Poursuites contre le Courrier Français.

mardi 5 février 2008

Francis Vielé-Griffin. Adolphe Retté. Edouard Dubus.

En feuilletant quelques numéros de La Plume…


Tout d’abord un article sur Francis Vielé-Griffin, par le fantasque Adolphe Retté, qui fait l’objet de l’article suivant signé par Edouard Dubus, afin de faire bonne mesure et de fermer ma poupée russe pour aujourd’hui, la préface de Laurent Tailhade à la réédition de Quand les violons sont partis du même Dubus.


Francis Vielé-Griffin


I

Si feuilletant maintes revues défuntes, mémorial des temps héroïques, on recherche les noms des initiateurs de ce mouvement idéaliste qui triomphe aujourd’hui, celui de M. Francis Vielé-Griffin éclate, avec des allégresses de clairon juvénile, au bon combat contre les boueuses phalanges du naturalisme. On le trouve aux premiers Ecrits pour l’Art avec ceux de Stuart Merrill et Henri de Régnier, à Lutèce, et, fréquent, dans cette introuvable et glorieuse collection de la Cravache à laquelle collaborèrent, à côté de Georges Lecomte directeur, Félix Fénéon, Gustave Kahn, Jean Moréas, Paul Adam, Dubus, Cousturier et le signataire de ces lignes. Ah ! cette Cravache : non mise en vente, ou si peu, ignorant l’abonnement et même les services – et dont les bureaux de rédaction étaient sis Cour des Miracles ! Nous nous souvenons d’y avoir écrit, sur un rouleau de papier à journal, un article à la gloire de Barbey d’Aurevilly cependant que M. Anatole Cerfbeer, vieillard fâcheux, narrait aux typos goguenards les habitudes intimes de M. Bourget.
M. Vielé-Griffin donna aussi des articles, des vers, des traductions de Swinburne et de Walt Whitman à la Revue Indépendante de Kahn et Dujardin, il fut du bataillon sacré qui tenta l’éphémère et non moins introuvable seconde Vogue. Enfin il a écrit à la Wallonie qui lui consacra un numéro spécial, et il publia dans l’Art et Critique de Jean Jullien, sous le pseudonyme d’Alaric Thome, un article qui fit grand bruit dans la littérature.
Mais le périodique auquel il sied surtout d’attacher son nom, c’est : Les Entretiens Politiques et Littéraires fondaient par lui en Janvier 1890 et dont il reste l’inspirateur. Avec MM. de Régnier, Paul Adam et quelques autres (I) il y a mené la plus brillante campagne et il a contribué, plus que pas un, au succès définitif de ce groupe, bien vivant quoiqu’on dise, qu’il est convenu d’étiqueter symboliste.
Concurremment, M. Vielé-Griffin publiait en 1886 Cueille d’Avril, vers de jeunesse où s’indiquait déjà une note nettement personnelle ; en 1887 les premiers Cygnes, suite de poèmes gracieusement mélancoliques ; en 1888 Ancaeus drame imprégné de la Fatalité antique, évoquant, en décors de songe, les roses et les pampres d’Ionie ; en 1889 Joies un des tout premiers livres de vers livres qui ait été donné par notre génération ; enfin en 1892 les seconds Cygnes où la formule d’art posée dans Joies s’éployait maîtresse d’elle-même et génératrice de vers exquis.
Aujourd’hui, voici que l’éditeur Vanier met en vente La Chevauchée d’Yeldis qui est, pensons-nous, le chef d’œuvre de M. Vielé-Griffin – chef d’œuvre par le rythme et par la rare hauteur de l’idée.

II

Plutôt qu’une analyse forcément succincte de chaque volume nous essaierons de donner une impression d’ensemble de l’œuvre de M. Vielé-Griffin. Sa caractéristique principale, c’est l’ordonnance dans la mesure. Chez lui rien d’outré, point de couleurs violentes, nulle débauche de tons excessifs ; dans le décor fin où il évoque ses rêves toutes choses sont à leur plan ; les lignes heureusement combinées et concourant rigoureusement à l’effet cherché circonscrivent des gammes de nuances douces et de l’ensemble il se dégage une merveilleuse eurythmie. Nous comparerions volontiers tels de ses poèmes à des aquarelles où chanteraient la douceur des mauves et des lilas aprilins, la candeur des matins blonds – aussi, des flûtes arcadiennes chuchotant, parmi des saulaies assoupies, au bord d’une eau paisible où se fondrent, reflétés, les verts défaillants et les ors roses d’un crépuscule féerique. Telle est surtout la note de Joies transposant dans le songe et dans le lointain qu’il faut la molle ampleur des paysages de Touraine. Mais il y a d’autres notes : vigoureuses et, si l’on peut dire, héroïques, elles racontent la vie et ses rancoeurs (voir dans les seconds Cygnes cet admirable Porcher) : ou bien, tels des oiseaux d’or, les vers s’évaguent dans la nuit pour escorter Yeldis et ses suivants d’amour.
Tandis que d’autres se complaise,t surtout à évoquer la vie en rêve par des lacis de sensations significatives, M. Vielé-Griffin hausse sans cesse son émotion à l’Idée pure. Stuart Merrill, ce Siegried auréolé d’aurore, bondit sur les cimes et, brandissant une lance d’argent incrustée d’escarboucles, accélère éperduement les cavalcades fastueuses de ses rêves vers des vergers d’étoiles, M. de Régnier déroule d’élégantes, de nobles tapisseries. Vielé-Griffin, aux parterres de l’Apparence, cueille des touffes de pensées ; il en forme des bouquets sévères ou, profondément religieux, des guirlandes platoniciennes dont il fait l’oblation à la Divinité. De tous les poètes de notre génération il est incontestablement celui qui pense le plus.
La beauté, il l’aime introublée et pareille à une vierge dont les yeux de sérénité s’illuminent d’une âme apaisée ne reflétant que des ciels profonds où les folles nuées de la passion n’ont fait que passer. La vie elle est là-bas : dans les feuillages à l’horizon, moires à peine devinées où se mirent des fleurs bizarres que la vierge a cueillies naguère mais qu’elle ne cueillera plus – car tous les astres du ciel ont ravi ses yeux vers les lys lumineux de Là-Haut.
Il faut louer la technique que M. Vielé-Griffin mit au service de ses concepts. Elle comporte le vers libre dans toute sa logique et toute sa difficulté – laquelle n’est pas minime. Le vers libre, tel que le pratiquent quelques uns des poètes de ce temps, exige un rythme parfait et rigoureusement adéquat à l’émotion que le poète veut exprimer.
Tout à peu près – plus encore que dans les vers astreints aux règles périmées – y est impossible. Il exige une connaissance parfaite de toutes les ressources prosodiques, un tact sûr et la plus réelle maîtrise. L’employer, c’est s’astreindre à « dire quelque chose ». En effet au rebours de la méthode parnassienne qui enseignait à bien faire le vers mais essentiellement se souciait assez peu qu’il présentât autre chose que des sonorités curieuses et conformes au canon établi par quelques uns, le vers libre se mue en prose médiocre dès qu’il cesse d’être le mode d’expression personnel d’une pensée personnelle. C’est ce que M. Vielé-Griffin a fort bien expliqué dans la préface de Joies disant : « … Nulle forme fixe n’est plus considérée comme le moule nécessaire à l’expression de toute pensée poétique… désormais comme toujours, mais consciemment libre cette fois, le Poète obéira au rythme personnel auquel il doit être… le talent devra resplendir ailleurs que dans les traditionnelles et illusoires « difficultés vaincues » de la poétique rhétoricienne. »
M. Vielé-Griffin a quelquefois échoué, surtout au début mais lorsqu’il a réussi – et c’est le plus souvent – il a atteint la perfection. Pour preuve l’impeccable, Chevauchée d’Yeldis et aussi ces vers inédits, prélude d’un prochain volume :

Exorde pour la clarté de vie


ETIRE-toi, la Vie est lasse à ton côté
- Qu’elle dorme de l’aube au soir,
Belle, lasse,
Qu’elle dorme –
Toi, lève-toi : le rêve appelle et passe
Dans l’ombre énorme,
Et, si tu tardes à croire,
Je ne sais quel guide il te pourra rester
- Le rêve appelle et passe,
Vers la Divinité.

Laisse, ne prends qu’un viatique
Et de tout cet amour qui double chaque pas
Ne prends que le désir, et va,
Dépêche-toi :
Le rêve appelle et passe,
Passe – et n’appelle qu’une fois.

Marche dans l’ombre, cours !
Est-il un abîme que tu craignes ?
O hâte-toi ! … il est trop tard :
La belle Vie en son sommeil d’amour
Etend ses doux bras qui t’étreignent
- Trop tard : le rêve appelle et passe,
Appelle en vain,
Passe et dédaigne…

ALORS,
Etreins la Vie, encore, de baisser lasse,
Engendre d’elle un art ;
Si tu ne fus vers Dieu, à l’infini,
Selon le rêve muet et qui prie,
Retourne-toi, étreins la belle vie ;
Immortalise en elle ta seule heure :
De ta douleur de mort et de sa joie
Procréant quelque Verbe harmonieux
Qui te survive et rie et pleure
Quand le printemps verdoie
Aux bois joyeux
Du jeune leurre d’amour qu’il faut redire ;

Et chante dans la clarté de son sourire ….


De tels vers couronnant une telle œuvre sont pour ternir singulièrement les paillons et la friperie archéologique de l’école romane et donneront peut-être à réfléchir à tels mineurs étourdis dont le pic creuse un pilon coriace afin d’en extraire « la vie profonde du cœur. »

Adolphe Retté, La Plume, N° 96, 15 Avril 1893

[I] Bernard-Lazare, Georges Vanor.



Adolphe Retté


Le Gilles de Watteau, binoclé, ayant oublié de raser sa moustache, et vaguant, en costume sombre, dans un décor nocturne de quai séquanais ou de taverne exotique, tel apparaît Adolphe Retté.
De grands silences, interrompus soudain par la vaticination d’héroïques paradoxes, voire aussi par l’harmonieuse mélopée de strophes serpentines – pépiements de flûtes ou rugissements de cuivres ! – et ce leitmotif : « La vie, c’est des ombres chinoises », voilà sa conversation.

*
* *

Il naquit à la vie littéraire en 1888, d’un article que publia la Revue Moderne. Il s’y campait en adversaire du naturalisme et se réclamait de l’esthétique symboliste, avec intrépidité.
A l’appui de ses doctrines, après six mois de silence, il fit tirer à 170 exemplaires les Cloches en la Nuit, un premier livre de vers.
Ce n’était point un recueil de pièces écrites au hasard de l’inspiration, et rassemblées sous un titre à effet ; c’était une œuvre de rigoureuse unité.
Un poème initial pose une série de motifs psychiques, exprimant les différents aspects d’un même état d’âme, plutôt dolent. Chacun des motifs est ensuite développe dans une forme souvent dramatique, comme dans le fragment reproduit plus loin, et, dans un morceau final, la conclusion philosophique et sentimentale : « la seule réalité du Moi sur l’inanité des contingences », surgit.
Quand à l’écriture, elle assume toutes les ondoyances du sujet.
Chacun des thèmes psychiques est exprimé par un thème verbal qui lui est adéquat, le blasonne pour ainsi dire, et en enserre le complet développement dans un vêtement de sonorités correspondantes.
Pour rendre les moindres nuances, les attitudes les plus fugitives de la pensée, M. Retté a cru devoir adopter le vers et la strophe libres, basés sur des valeurs rythmiques, où domine l’allitération.
Je n’ai pas ici à critiquer ici le procédé en lui-même. J’ai à remarquer simplement que le poète, en voulant écrire un poème wagnérien, a oublié que l’une des principales causes de l’émotion esthétique procurée par le drame lyrique, était la variété et l’opposition des divers leitmotifs. Or, dans les Cloches en la Nuit, pas une seule fois les leitmotifs ne sont en antagonisme ; des nuances seulement, et des plus ténues, les séparent ; ils rendent seulement les différents aspects d’un seul état d’âme, de telle sorte que tout l’art déployé à profusion dans l’œuvre ne la sauve point d’une certaine monotonie. M. Retté convient d’ailleurs avec bonne grâce que le résultat n’a pas répondu complètement à ses désirs. Quand on lui parle aujourd’hui des Cloches en la Nuit, il répond volontiers avec cet air détaché de toutes choses qui le caractérise :
- « Peuh ! je ferais mieux ! »

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Son volume de début ouvrit à M. Retté les revues qui combattaient alors pour l’esthétique nouvelle. A la seconde Vogue, dirigée par Gustave Kahn, il fit, en qualité de secrétaire de rédaction, un passage remarquable à côté de MM. Fénéon, Adam, H. de Régnier, Albert St-Paul… Il y révéla de longs fragments de la Forêt bruissante, un poème de plus de mille vers, qu’une conscience artistique trop sévèrement hautaine lui ordonna depuis de jeter au feu.
La Wallonie a publié aussi nombre de ses productions. L’an dernier, elle lui consacra tout un numéro, aujourd’hui introuvable, où se rencontrent quelques morceaux de Thulé des Brumes, une nouvelle œuvre, en prose, que la Bibliothèque artistique et littéraire va publier sous peu. On lisait dans le même fascicule, un superbe poème : Soir Trinitaire, où, en une forme absolue, chantent des phrases mystérieuses d’un ésotérisme transcendant que le peintre Maurice Denis a merveilleusement exprimé dans un tableau exposé aujourd’hui à St-Germain.

*
* *

Thulé des Brumes n’a pas, à ma connaissance, son équivalent parmi les langues latines ou germaniques. C’est véritablement l’expression la plus parfaite de la littérature exaspérée. Sa prose, d’un éblouissement et d’une phosphorescence sans exemple, avec des langueurs et des violences inimaginables, y donne à chaque instant l’illusion du vers, tout en maintenant rigoureusement sa qualité de prose. Le style a partout la fièvre, et souvent la fièvre chaude. C’est, comme le concept du livre, une création superbement monstrueuse, qui use et abuse de toutes les ressources de la musique et de la poésie.
L’ordonnance de Thulé des Brumes est encore wagnérienne, mais, cette fois, les principales incarnations de la pensée ont chacune une allure, un costume, un langage personnels, et, lorsque elles entrent en scène, c’est toujours pour le triomphe d’une fantasmagorique diversité.
Une analyse de l’œuvre est impossible : à peine est-il permis de traduire vaguement les sensations qu’on éprouve à lire M. Retté.
Entre un prestigieux prologue et un mélancolique épilogue en vers, apparaît l’empire du rêve puis s’efface Thulé des Brume, site enchanté qu’émane, pour y vivre ou y mourir un peu, une âme en tristesse. Les causes, surtout passionnelles, de cette tristesse et les effets qu’elle engendre sont exprimés par un long cortège de visions – dirai-je d’hallucinations ? – symboliques : féeries ruisselantes de lumière, qui aveugle ; drames joués dans la nuit par des fantômes d’ombre ; orient fastueux, d’une volupté âcre et navrée, où le sadisme flamboie en rubacelles de sang… et, venus on ne sait d’où, des princes charmants, des pauvres sinistres… mille marionnettes effarantes, aux gestes falots.
Faut-il croire que l’auteur a écrit parfois sous l’empire d’excitants terribles, décuplant la puissance créatrice du sentiment passionnel qui l’a envahi ? Est-il permis d’affirmer la domination d’herbes magiques, telles que le haschich, dans certains spectacles qui semble l’avoir plus spécialement hanté ? – Il serait difficile de se prononcer, et cependant, si l’on voulait bien étudier Thulé des Brumes, aux seules lumières de l’occultisme, peut-être y découvrirait-on les traces d’une véritable possession.
Il est inutile, après cet aperçu bien imparfait, de proclamer la nouveauté absolue de l’œuvre de M. Retté, et d’insister davantage. Tout ce que je pourrais ajouter n’apprendrait rien de plus au lecteur. Je l’avertis simplement, pour finir, que Thulé des Brumes est, en vérité, le grimoire évocateur d’un monde captivant et terrifiant, mais avide d’âmes, qu’ont exploré à peine de rares adeptes, et dont plusieurs ne sont pas revenus.

Edouard Dubus, La Plume, N° 59, 1er octobre 1891.



Edouard Dubus par Laurent Tailhade.


Le 20 juin 1895, vers 4 heures de l'après-midi, fut trouvé aux latrines de la place Maubert le cadavre, gisant, d'un inconnu. Mort foudroyante ou syncope ? Les garçons de police, mandés pour le constat, fouillèrent tout d'abord avec minutie chaque vêtement de l'étranger ; ensuite de quoi, prenant garde qu'il respirait encore ; le firent d'urgence conduire à la Pitié.
Une seringue de Pravaz, recueillie dans sa poche, ainsi que deux fioles contenant quelques gouttes d'une liqueur amère, donnaient la plus grande vraisemblance à l'hypothèse d'un suicide manqué.
Admis à l'hôpital sans que rien ne dévoilât son identité, l'agonisant de la place Maubert, expirait deux jours après. Il ne s'était point éveillé de la torpeur comateuse ; il n'avait pu fournir, avant l'heure suprême, aucun indice propre à désigner les siens.Dans l'amphithéâtre, la table de dissection attendait sa dépouille, parmi cette foule anonyme de cadavres qui, chaque jour, paient à la Science future une rançon de "chair à faire pauvreté".
Par bonheur, M. Jean Court, rédacteur au Mercure de France en même temps que secrétaire de police pour le quartier du Panthéon, apprenait la mort du suicide présumé.Le signalement rendu par les subalternes qui, dès la vespasienne de la Maub, avaient donné les premiers soins au malheureux, quelques indices dont le plus caractéristique, sans doute, fut l'outillage du morphinomane trouvé sur le défunt, éveillèrent les soupçons de M. Jean Court. Ce personnage mystérieux dont les jours s'achevaient d'une manière à la fois si triviale et si pathétique, n'était-ce point un confrère, un artiste faisant gloire de s'adonner à l'opium, au hachisch, à la cocaïne, sans préjudice de l'alcool et autres vulgaires excitants ?
M. Jean Court ne s'était pas trompé. Couché sur le marbre hideux, il eut vite fait de reconnaître son collaborateur au Mercure, son ancien ami, le poète Edouard Dubus, mort en la trente-deuxième année de son âge, emporté par la tuberculose, qu'aggravait sinistrement cette bizarre hygiène de poisons.
Les plus intimes du défunt, M. Alfred Vallette, directeur du Mercure de France, M. Georges Desplas, ancien président du Conseil municipal, communiquèrent en grande hâte à la mère d'Edouard Dubus le trépas misérable de son fils. Pour dérober le cadavre aux hommages posthumes, Mme Dubus qui, pareille à la mégère de Bénédiction, nourrissait contre l'enfant de ses entrailles, une haine hystérique, fit enlever nuitament ses restes de l'amphithéâtre, si bien M. Dubus le père, non plus que ses deux filles, ne durent assister aux obsèques du malheureux garçon. Le souvenir des coeurs amis, seul accompagna au cimetière la dépouille de l'abandonné qui, par l'ironique hasard de son méchant destin, venait d'être appelé à un héritage suffisant à l'exempter pour toujours des chaînes de la pauvreté.
Un volume de vers au titre gracieux : Quand les violons sont parti, quelques rimes posthumes que l'on trouvera dans le présent recueil, forment, avec Les vrais sous-offs, brochure de circonstance publiée chez l'éditeur Savine, à la remorque de M. Lucien Descaves, tout le bagage imprimé d'Edouard Dubus. Malgré l'influence évidente de Mallarmé, de Baudelaire, de Verlaine et de Charles Cros (Complainte pour Don Juan, Cavalier Spleen), malgré des réminiscences et des emprunts candides, la joliesse des oeuvrettes que M. A. Messein réunit fort à propos en un tome définitif, défendra de l'oubli ce poète nonchalant et délicat.
Avec son visage lunaire de Pierrot tuberculeux, sa bouche au rire enfantin, avec ses yeux gris de myope dont le regard ne peut embrasser le contour des choses, Dubus fut, malgré son esprit si fin, l'homme du monde le mieux organisé pour donner dans tous les panneaux tendus à sa crédulité. Ce fut un disciple, se conformant avec docilité aux Idoles du Maître, à qui le premier venu montrait la lune dans un sac et faisait prendre, non pour des lanternes, mais pour de reluisants soleils les plus abjectes vessies. Boulangisme, occultisme, symbolisme, perversité, Dubus adopta sans fatigue les calembredaines à la mode chez ses contemporains. De notre temps, il eût été malthusien ou silloniste, peut-être l'un et l'autre, car le besoin "d'imiter pour être original" lui conférait un éclectisme singulier.
La seringue trouvée sur lui à l'heure de sa mort ne le quittait pas depuis longtemps. Par esprit d'imitation, il buvait de l'absinthe comme Verlaine, il s'injectait de la morphine comme Guaïta. La "noire idole" de Quincey l'avait réduit en esclavage. Cette morne luxure des poisons où roule notre siècle d'hypocrisie et de douleur avait conquis cet enfant anémique, de sang trop pauvre pour lutter contre l'opium. Une fois conclu, le pacte diabolique, la victime ne se peut plus dédire sans un effort peu commun de volonté. Quiconque, au mépris de sa dignité, de son intelligence, voulut un soir goûter aux plantes endormeuses, engage sa vie à de rudes expiations, encourt la chance effroyable de ne voir jamais sa peine remise ou atténuée.Pourtant, ces herbes maudites du rêve et de la paresse ont adouci dans
l'infini bercement du loisir embaumé
tant de maux étendus sur le poète malade que sa mère abandonna ? "La vie - disait Chamfort - est un mal dont le sommeil repose toutes les seize heures. C'est un palliatif. La mort est le remède."Vous le savourez désormais, ce remède efficace, ami que nous déplorons encore. Ce n'est plus l'ivresse temporaire mais le sommeil infini qui vous délasse du mal d'avoir été, cependant que le souvenir de votre âme exquise, et les vers de vos jeunes saisons refleurissent perpétuellement votre image dans l'esprit, dans le coeur de ceux qui vous ont aimé.

Préface de Laurent Tailhade à
Quand les Violons sont partis. Vers posthumes.
Librairie Vanier, A. Messein Succr, 1905

Sur un livre d'Édouard Dubus, Quand les Violons sont partis par Willy.



Bibliographie de Francis-Vielé-Griffin jusqu’en 1900


Cueille d'avril. Paris, L. Vanier, 1886, In-16, 63 p

Les Cygnes, poésies, 1885-86. Paris, Alcan-Lévy, [1887], In-16, 139 p.

Les Cygnes : nouveaux poèmes : 1890-91. Paris, L. Vanier, 1892, 107 p., 20 cm

Ancaeus, poème dramatique. 1885-87. Paris, Vanier, 1888, In-16, 93 p., addendum.

Joies, poèmes (1888-1889). Paris : Tresse et Stock, 1889, In-16, 139 p.

Diptyque. Paris, impr. de A.-M. Beaudelot, 1891, In-16, 39 p. L'achevé d'imprimer porte «pour le compte des Entretiens politiques et littéraires».

La Chevauchée d'Yeldis et autres poèmes (1892). Paris : L. Vanier, 1893, In-18, 100 p.

Ǽ ÆÞ [Corinne de Tanagra. Myrtis d'Anthédon. Lassos d'Hermione] Paris, édition du "Mercure de France", 1894, 69 p. ; In-16

Poèmes et poésies. Cueille d'avril. Joies. Les Cygnes. Fleurs du chemin et chansons de la route. La Chevauchée d'Yeldis... augmentés de plusieurs poèmes. Paris, Mercure de France, 1895, 324 pp., in-16

Albert Mockel. Émile Verhaeren, avec une note biographique par Francis Vielé-Griffin. Paris, Édition du ″Mercure de France″, 1895, In-12, 72 p.

La Clarté de vie. Chansons à l'ombre. Au gré de l'heure. ″In memoriam″. En Arcadie. Paris, Société du Mercure de France, 1897, In-12, 233 p.

Phocas le jardinier, précédé de Swanhilde, Ancaeus, les Fiançailles d'Euphrosine. Paris, Société du Mercure de France, 1898, In-18, 229 p.

″La Partenza″. Étampes, impr. de C. Enard, 1899, In-16, 29 p. Hors commerce. - Publié dans ″L'Ermitage″, vol. I, janvier-juin 1899

La Légende ailée de Wieland le forgeron. Paris, Société du Mercure de France, 1900, In-8, 123 p.

Traduction :

Swinburne, Algernon Charles : ″Laus Veneris″, traduit par Francis Vielé-Griffin. Paris, édition du Mercure de France, 1895, In-24, 107 p.



Laurent Tailhade sur Livrenblog : Laurent Tailhade par Alcide Guérin. Laurent Tailhade et La France. J. Rameau, Le "Claudicator" de Laurent Tailhade. Cynthia 3000 réédite Au pays du mufle de Laurent Tailhade. Laurent Tailhade : Portraits du Prochain Siècle. Oscar Méténier par Laurent Tailhade.

Adolphe Retté sur Livrenblog : Harold Swan, poète symboliste. Stanislas de Guaita, Edouard Dubus, Adolphe Retté et l'opium. Le Règne de la bête.

lundi 4 février 2008

Opinions sur Gauguin 8e livraison Camille Lemmonnier - Maximilien Luce

Opinions sur Gauguin 8e livraison



Deux opinions qui confirment la méconnaissance de l'oeuvre de Gauguin en 1903, tant chez un écrivain et critique d'art comme Camille Lemonnier, que chez un peintre moderne comme Maximilien Luce.


M. Camille Lenonnier


Je n’ai pas eu l’occasion de suivre de près l’œuvre de Gauguin. J’ignore les points de départs et les courbes de l’évolution. On vit peu ses ouvrages en Belgique et peut-être étais-je éloigné de Paris quand j’aurais pu les y étudier.
Ce que je connais de lui m’a laissé l’impression d’une personnalité homogène, violente, rigide, s’exprimant avec des moyens d’art qui semblaient parfois un recommencement de la sensation de la vie chez un arbre vivant dans un temps indéterminé. Son art paraissait toutefois plutôt se rapporter à l’époque des grands faiseurs de calvaires bretons.
C’était-là, semble-t-il, sa lignée, s’il ne vaut pas mieux dire qu’il s’apparentait à tous les maîtres excessifs, à un Greco, à in Grunewald, à un Daumier, etc. Il avait la force, le mépris de la beauté courante, le don joyeux de l’outrance jusqu’à la caricature. Il ne dut pas ignorer le classique pour le bafouer si magnifiquement : il mit une science adroite et sûre à dénaturer la force humaine. Lui-même, à l’exemple des vieux tailleurs d’images, sculpta des sujets qui participent de l’icône, des poupées de kermesses et des figures nues à la proue des navires. Cela suffit-il à l’appeler un Créateur se réclamant d’un sens de primitivité ? Ce fut, en tout cas, un autochtone qui dégageait un aspect de la barbarie savoureuse et sut en maître cultiver ses différences avec l’art et les artistes de son temps.

M. Luce
N’ayant pas vu depuis longtemps d’œuvres de Gauguin, je ne puis satisfaire à votre demande ; le souvenir que j’en ai est trop vague pour me permettre de vous donner mon appréciation.
Veuillez, m’excuser, je vous prie, et agréer l'assurance de mes sentiments les plus distingués.

Charles Morice, Mercure de France, N° 167, novembre 1903. Eugène Carrière - Jean Dolent - P. Durio - Fagus - Gustave Geffroy - Charles Guérin - Antoine de La Rochefoucauld - A. Mithouard. G. Prunier. O. Redon OPINIONS SUR GAUGUIN - Charles MORICE Fin

dimanche 3 février 2008

Camille de Sainte-Croix et L’Education Artistique



On peut lire dans la notice biographique consacrée à Camille de Sainte-Croix par les Archives Biographiques Contemporaines (1), « il faut aussi signaler ici la tentative si intéressante qu’a entreprise cet écrivain par ses conférences-promenades au Louvre sur l’Histoire de la Peinture, professée publiquement dans les galeries du Musée et devant les œuvres.
M. Camille de Sainte-Croix est enfin le promoteur du vaste projet de Théâtres Populaires, qui fut adopté par la Commission des Beaux-Arts et par le Parlement ». Déjà en 1889 « il prit l’initiative de l’éducation intellectuelle du peuple » dans les Lundis Artistiques et Littéraires qu’il donnaient au journal de Lissagaray, La Bataille.


Témoignage de cet engagement social de Camille de Sainte-Croix, la revue L’Education Artistique, où ces conférences-promenades intitulées L’Art pour tous, étaient éditées tous les deux mois. Les hasards de la chine m’ont mis entre les mains un exemplaire du N° 4 de juin 1909 (première année) de L’Education Artistique.

Au sommaire on trouve de Camille de Sainte-Croix la quatrième partie de son Histoire de la Peinture. Un article sur le Salon des Indépendants par Elie Faure où le critique-prophète développe l’idée que de grandes réalisations artistiques doivent « sortir des tendances du monde moderne de l’association », les nécessités économiques qui poussent le peuple à une solidarité instinctive et à la formation du syndicalisme, devrait produire « un mouvement intellectuel et artistique » comme les cathédrales « naquirent du mouvement communaliste » du milieux du XIIe siècle. Plus terre à terre Léon Riotor (I-II), souligne les tentatives récentes de transformations des bâtiments et équipements scolaires afin que ceux-ci ne ressemblent plus à des casernes et pour faire entrer l’Art à l’école, notons qu’il n’est pas question dans cet article d’éducation artistique. De Boccard, complète avec L’Ecole Alsacienne, cette tendance nouvelle à la décoration et à l’ouverture des écoles à l’art. Les articles suivants sont consacrés aux techniques artistiques avec Rouard, et La fonte au sable, Vikke van den Bergh et Le Rôle prépondérant de la Grisaille dans la peinture ancienne, Armand Dayot sur une exposition de Portraits des femmes des écoles anglaises et françaises au 18e siècle, et A. Clevers, directeur de la revue, sur la Technique de la gravure en couleurs. Deux notices sur Carpeaux et Léandre et quelques conseils de lectures terminent ce sommaire.


(1) Un feuillet trouvé entre les pages d'un volume et dont on peut lire le texte intégral en images ici.
(2) Notons que l’abonnement à cette revue, destinée à un public populaire, était entièrement remboursé (en bon d’achats à la Cordonnerie Gaston...).

Quelques volumes de Camille de Sainte-Croix


Han Ryner et André Ibels



A lire, une conférence d'Han Ryner sur André Ibels publiée sur l'excellent blog consacré à l'écrivain et philosophe individualiste, pacifiste et libertaire. Le texte de la conférence est suivi d'opinions sur André Ibels, écrivain et peintre. L'auteur du blog a la gentillesse de signaler nos billets sur H.-G. Ibels et la Revue Méridionale et les « Ibels » Artistic’s et littéraires, qu'il en soit remercié.


Profitons-en pour donner une des Ballades Libres consacrée à Henri de Régnier et aux écoles littéraires nouvelles, extraite des Talentiers (Bibliothèque d'Art de La Critique, 1899), volume illustré de dessins d'Ernest La Jeunesse.


(un tout petit enfant s'en allait à l'école)
Desbordes Valmore.

Ballade touchant les mercuriales d'après les vacances ; et défilé en l'honneur du bon poète Henri de Régnier (1)


Voici venir les Symbolistes,

Les Romans et les Rigolos,

Les littérateurs anarchistes,

Et les produits de Saint-Malo.

Encor, voici Fra Diavolo

qui dit de lui : "Je suis Homère,

"et le reste est méli-mélo"

- Régnier, arbore ton oeillière !


Voici : Griffin le Symphoniste,

Qui parlotte comme un Boileau ;

Un Pilon à geule de kiste ;

Dauphin, meunier de Landerneau,

Qui prophétise du naseau.

Voici tous les petits pubères

Qui suivent Retté-Boit-de-l'Eau.

- Régnier, arbore ton oeillière !


enfin, voici les Belges tristes,

Les Suisses, les gens de Breslau ;

Les juifs polonais utopistes ;

Les spirites à grands chapeaux ;

Les victimes de Max Nordau ;

Tous les Jésus à moeurs légères,

Précédés de leurs gigolos ;

- Régnier, arbore ton oeillière !


ENVOI


Muse, que d'aucun, sur ta liste,

Ne se puisse voir sans colère...

Un poète pourtant existe :

Régnier ! - arbore ton oeillière !


(1) Cette ballade fut faite longtemps avant la décoration de Henri de Régnier. elle n'influa en rien, je pense, sur l'empreinte de la boutonnière. R.L.