samedi 27 juin 2009

Albert SAMAIN par JEHAN-RICTUS Iconographie (II)





Deux croquis de Jehan Rictus (Gabriel Randon) représentant Albert Samain, publié dans Les Livrets du Mandarin, de René-Louis Doyon, 6e série - N° double 6/7, reprise Juin 1961, pour illustrer un article intitulé Albert Samain atticiste malgré lui.


Jehan-Rictus, iconographie


Albert Samain sur Livrenblog : Albert Samain Dessinateur. Albert Samain par Fagus. Samain. Mendès. Lorrain. Jeanne Jacquemin


René-Louis Doyon sur Livrenblog : R.-L. Doyon et les "Marques" de La Connaissance




jeudi 25 juin 2009

Félix FÉNÉON dans le ROMAN D'UN SINGE d'Armand CHARPENTIER




CHARPENTIER (Armand) : Le Roman d'un singe. Ollendorff, 1895, in-12, 284 pp. 15 exemplaires sur Hollande.




Théodor Halifax, est un original, après des études de médecine, il travaille sur deux projets, la "parturiton artificielle" et sur des travaux sur le cerveau, il rêve après les avoir fait naître artificiellement, de "programmer" les jeunes garçons afin qu'ils suivent la voie à laquelle les prédestine leurs cerveaux, des comités d'état étiquetteraient les esprits dès leur naissance, art, science, commerce, militarisme, travaux manuels, etc. Pour cela les jeunes garçons seront trépanés, les filles subiront l'ovariotomie... Tout cela pour le bien de l'humanité, le bonheur des peuples et par la puissance de la science. Lors d'un voyage Halifax achète un singe à un soldat d'infanterie de marine en escale. Avec ce singe nommé Golo, il tente de faire franchir au primate les étapes de l'évolution qui mènent du singe à l'homme, suivant une interprétation personnelle des théories darwiniennes.
Halifax vit avec son singe et Constance, sa cuisinière, il a quelques patients mais pas de clientèle, seuls ses recherches et l'éducation de Golo l'occupent. Il a pourtant un ami, « qui, pareillement à lui, marchait en dehors des voies communes », Félix Yvonnel, un esthète à l'étrange barbiche, un écrivain avare de sa prose, un jeune homme dont les jeunes revues se disputent pourtant cette prose qu'il met au service des peintres impressionnistes. Yvonnel est fonctionnaire et répugne à faire carrière, pourtant sa réputation est « à peu-près universelle », son avis compte, il est découvreur de talent et lorsqu'il consent à s'intéresser à une oeuvre « délicate » il lui donne le « le premier baptême de la gloire », il est peu causeur, « ne dialoguant que par à-coups en des phrases d'une correction quelque peu apprêtée », styliste hors paire, ironiste, le portrait s'affine et il est bien difficile de ne pas y reconnaître un ami d'Armand Charpentier : Félix Fénéon, l' « éminence grise » de la jeune littérature, le chantre discret du néo-impressionnisme et de l'anarchisme, fondateur de revues, influent travailleur de l'ombre et... fonctionnaire.



Constance, la cuisinière d'Halifax ne supporte pas Golo, cette créature de l'enfer. Elle trouve qu'Halifax :

"[..] se plaît à être original... Tout comme l'ami de monsieur...
- De quel ami parlez-vous ?
- De M. Félix Yvonnel.
- Encore un que vous n'aimez pas, avouez-le.
- Au contraire, monsieur, j'aime bien M. Yvonnel qui est toujours très gentil pour moi... seulement je le trouve original...
- Qu'a-t-il donc de si original ?
- Tout, monsieur... Ainsi cette barbiche... et encore, si c'était une barbiche !... J'ai servi dans le temps chez un ancien colonel qu'en avait une de barbiche... Tandis que M. Yvonnel, lui, c'est pas une vraie barbiche... ça ressemble quasiment à un pinceau et ça lui donne un air tout drôle, un air pas comme tout le monde...
- Eh bien, mais c'est ce qu'il faut, et si cet excellent Félix vous entendait. Il serait heureux comme une jeune fille au matin de ses noces.

Le chapitre trois introduit le personnage d'Yvonnel :

La tête haute, toute en ossature et allongée par une barbiche curviligne, les lèvres rasées, dessinant une bouche de prédicateur, l'oeil inquiet, vivant des rêves purement internes ou s'oubliant en d'ambiantes contemplations, un nez droit sans grande épaisseur, le col dégagé, un corps de demi-géant, aux gestes larges mais souples, aux mouvements onduleux et félins, telle, aux heures les plus imprévues et dans les dans les endroits les plus divers, apparaît la silhouette de Félix Yvonnel. Au sortir de l'adolescence, dès le seuil du lycée, il s'était passionné pour la littérature, et, d'une façon plus générale, pour les concepts de l'Art. D'heureuses relations lui assurèrent la facilité de se produire. Quelques jeunes revues se disputèrent sa prose, et l'école des peintres impressionnistes le sacrait esthète ; si bien, qu'à vingt-cinq ans, il jouissait en Europe, dans les sphères lettrées, d'une réputation à peu près universelle.
C'était le moment de paraître, d'affirmer sa valeur par une oeuvre puissante ; car jusqu'alors, il n'avait fait qu'éparpiller son précieux talent en d'éphémères périodiques. Longuement, il échafauda des plans, mûrit des projets ; mais leur réalisation lui fit peur. Il s'attarda avec délice en des dénouements de livres, dont il ne trouvait pas le courage d'écrire la première ligne. La sereine philosophie de son âme d'Oriental, lui interdisait de massacrer dans la banalité des phrases, toujours imparfaites, hélas ! Les édéniques beautés entrevues dans l'imprécis des mirages. Volontaire par à-coups, courageux en maintes circonstances et travailleur par habitude, ce n'était point la paresse qui le paralysait, mais bien plutôt la certitude de ne pouvoir étreindre l'idéal insaisissable. Pour se manifester, les plus pur génies doivent contenir un léger alliage de médiocrité qui permette à leur orgueil de s'épanouir dans une plénitude de contentement. Aveugles sur leurs défauts, sourds aux critiques, ils décrivent leur courbe ainsi qu'un météore lancé de toute éternité. L'observation trop rigoureuse du moi paralyse l'effort, annihile le travail. Or, Félix Yvonnel doutait de lui, ou, qui pis est, de la brièveté de la vie et l'indifférence des foules rendent forcément inutile et dérisoire.
Heureux, il l'était négativement, à la façon des fakirs, en se désintéressant le plus possible des actions pénibles. Une Administration de l'Etat lui assurait ce « pain quotidien » que les premiers Pères de l'Eglise mentionnent si spirituellement dans la prière du chrétien. Cette essentielle nourriture, vaguement suffisante aux besoins d'un homme primitif,
peut paraître incomplète pour les appétits divers et compliqués d'un esthète. Yvonnel s'en apercevait en maintes circonstances ; mais, ayant cultivé la philosophie, il se rappelait la parole d'Epicure : « Avec un pain d'orge et un peu d'eau, le sage dispute de félicité avec Jupiter. » A certaines heures pourtant, il regrettait de n'avoir pas quelques rentes ; regrets platoniques qui ne l'empêchaient point d'accomplir sa tâche de mercenaire avec un zèle assez intelligent pour recueillir, çà et là, des félicitations hiérarchiques et des avancements lointains.
Il n'eût tenu qu'à lui de s'assurer ces faibles rentes. La notoriété dont jouissait sa signature, lui facilitait l'entrée d'un grand nombre de périodiques littéraires et même de quelques journaux politiques. Mais il lui eût fallut écrire de jolies banalités et quémander les poignées de main de toute une catégorie d'individus foncièrement antipathiques. Da compréhension de la vie s'opposait à de tels compromis. Il estimait que la confection bâclée d'un article au jour le jour devient, à la longue, aussi dégradante que l'achèvement d'un livre que l'on sent inférieur au concept. Dès lors, à quoi bon produire ?... Le gain retiré d'un pareil labeur ne lui semblait point proportionné à l'effort.
Il préférait vivre en contemplateur, s'isolant de plus en plus dans la tour d'ivoire du dédain et cultivant, pour sa seule jouissance, des enthousiasmes aussi rares qu'éphémères. De temps à autre, il s'intéressait à quelques oeuvres délicates, les prônait dans des milieux amis, leur donnant ainsi le premier baptême de la gloire. Mais ses admirations, si sincères fussent-elles, ne résistaient guère à de nouvelles lectures et il professait volontiers que le second livre d'un écrivain et les suivants ne sont que des moutures délayées et inutiles du premier. Aussi, finissait-il par ne plus s'étonner, en constatant que jamais il ne parviendrait à remplir sa bibliothèque, vécût-il centenaire.
Des amis communs le présentèrent à Théodor Halifax. De suite, il sympathisa avec cet original qui, pareillement à lui, marchait en dehors des voies communes. La Parturition artificielle et la trépanation obligatoire l'enthousiasmèrent. Ces deux découvertes, dont la réalisation n'était qu'une question de temps, lui apparurent comme le signal d'une régénération de l'espèce. Par elles, les vieilles bases vermoulues de la société s'effondreraient, pour faire place à des assises nouvelles. Un tel rêve lui sourit.
Lassé de fréquenter de prétendus littérateurs dont le plus grand souci est d'acquérir la célébrité par tous les moyens, Félix Yvonnel savait gré au jeune docteur de ne cultiver les arts qu'en dilettante. Avec lui, son esthétique pouvait s'épanouir à l'aise, sans crainte de contrarier des vanités personnelles. Peu causeurs, ennemis de toute banalité, ils se fréquentaient silencieusement, ne dialoguant que par à-coups en des phrases d'une correction quelque peu apprêtée. La fumée des cigares comblait les vides. N'eût-il écrit que comme il parlait, Félix Yvonnel serait devenu l'un des meilleurs stylistes du siècle et l'ironiste le plus étrange. Mais ce que l'écriture n'eût pu rendre, c'était l'exquise douceur de sa voix aux modulations infinies. Au cours des discussions les plus passionnées, il gardait la placidité souriante qui annihilait les susceptibilités de l'adversaire.
La venue de Golo rendît plus intime encore la liaison des deux amis. L'esthète s'institua le parrain du quadrumane. [...]


Mais le roman de Charpentier ne se limite pas à ce portrait de « celui qui silence » on y retrouvera en vrac : L'amour du singe Golo pour la maîtresse d'Halifax, le suicide du singe tombé en religion - Les amours d' Yvonnel et Clara, une jeune fille intellectuelle, qui se prostitue pour gagner sa vie et celle de son grand-père (avant d'hériter de celui-ci) - La volonté d'Halifax de créer un prix pour récompenser les jeunes filles qui « en dehors du mariage [...] aurait fait don de sa beauté à celui qui la quémandait » celle qui « aura perdu sa virginité de la façon la plus intéressante » - La rencontre avec prêtre disciple de Renan pour obtenir que Golo soit enterré suivant le rite catholique - Une séance de spiritisme où les trois protagonistes vont communiquer avec l'esprit de Golo - Quelques plaidoyers pour l'amour libre, ou les bienfaits qu'apporteraient les recherches d'Halifax à la société.
Quant à Félix Yvonnel, dégoutté par l'art, il partira avec Clara pour faire du commerce à Tombouctou...


Pour un peu plus de renseignements sur Armand Charpentier voir Livrenblog : Armand Charpentier : L'Initiateur . Un "figurant" de la scène littéraire : Armand Charpentier



Sur Félix Fénéon ont peut lire la biographie controversée de Joan Ungersma Halperin : Félix Fénéon: art et anarchie dans le Paris fin de siècle, traduit de l'anglais par Dominique Aury, Gallimard, 1991, ainsi que de Jean Paulhan : F.F. ou Le critique. C. Paulhan, 1998.

Voir la notice et la bibliographie consacrée à Fénéon sur le site Les Commérages de Tybalt.

Un article sur les rapports entre Fénéon et Saint-Pol-Roux sur le blog Les Féeries intérieures.



mardi 23 juin 2009

Jean de TINAN, WILLY, petite revue de presse.





1897, en mars paraît Maîtresse d'esthètes, fin avril Penses-tu réussir ! Deux romans écris par Jean de Tinan, le premier des deux est signé Willy, il s'agit d'un roman à clés sur les milieux littéraires (1), le second confirme Jean de Tinan parmi les jeunes talents émergeant, Penses-tu réussir ! pourrais bien être le roman d'une génération. 1897, fut pour Tinan une année de forte activité, outre ces deux romans il publie vingt-quatre articles dont, en janvier dans La Province nouvelle (2), un compte-rendu sur Notes sans portée de « son patron » Willy, que je donne ci-dessous, c'est dans cette revue que l'on retrouvera, signée Simiane (?) une chronique sur Maîtresse d'esthètes, il collabore au Mercure de France (c'est cette année que commence sa chronique Cirques, cabarets, concerts), au Thyrse (3) où Jean de Loris fera les compte-rendus, donnés ici, de Maîtresse d'esthètes et de Penses-tu réussir !, au Chat noir, et à La Presse.


(1) A propos de Mina Schrader de Nysold, qui servie de modèle pour le personnage principale de ce roman ainsi que pour Une Passade (1894, Willy [et Pierre Veber]), voir Une photo de Mina Schrader, esthéte et anarchiste
(2) La Province Nouvelle, publiée à Auxerre, directeur Laurent Savigny.
(3) Le Thyrse, recueil mensuel de philosophie, art et littétature. « La rédaction du Thyrse, se réunit tous les quinze jours, au Café d'Harcourt, le meilleur du quartier, boulevard Saint-Michel, 47. » peut-ont lire dans un écho de la revue, le d'Harcourt est l'un des quartiers généraux de Tinan est de ses amis. On retrouve parmi les collaborateurs réguliers de la revue, un proche de Tinan : Henry de Bruchard. Jean de Tinan donnera à la revue Deux poèmes de C. V. Catullus dans le numéro de juin de 1897.



Dès janvier 1897, alors que Penses-tu réussir ! n'est pas encore publié, Rachilde le signale dans sa chronique du Mercure de France.

Penses-tu réussir ? S'écrie Jean de Tinan sur la couverture d'un livre curieux dont l'édition demeure encore tout à fait intime. Nous le croyons comme lui, étant donné les belles espérances déjà réalisées par le jeune auteur du Document sur l'impuissance d'aimer. Critiques légères des moeurs littéraires, amourettes imprécises et subtiles qui se nouent et se dénouent en des sujets de romans sans appuyer sur aucun oreiller (et que, par conséquent, les épaules touchent). Esprit en fusion et se diffusant au grand profit de la galerie, souple éloquence qui n'est perçue que pour l'auteur, mots de salons et mots d'alcôves, tous les traits d'esprit dix-huitième et aussi ceux d'Apollon enfin, transparaissant, immaculée, la face blanche un peu mystique, voire même mystifiante, de l'oeuvre future déjà faite et toujours à faire. « Quand j'étais petite, j'écrivais mes pensées sur des feuilles de camélia blanc !» disait un jour devant moi un vieux bas-bleu avec un jeu de cils chassieux très effroyable. Vous avez réussi mieux que cela, Jean de Tinan, les pages demeurent blanches et fleuries de fraîcheur sans le jeu de cils brûlés par les fards trop appuyant la vie, et voilà une oeuvre charmante.

Rachilde.
Toujours dans le Mercure, en mars 1897, Rachilde n'oublie de pas de consacrer quelques lignes à Maitresse d'esthètes et Ysolde Vouillard.



Maîtresse d'esthètes par Willy, nous exhibe à nouveau l'héroïne de la fameuse Passade. Est-ce que Willy serait un homme constant ? Cette Ysolde Vouillard qui écrit, sans fautes d'orthographe, des lettres symbolistes, m'a tellement l'air de la belle Mina ou Monna, que tout le monde admirait à l'Oeuvre, en robe orange garnie d'effilés d'ombrelle 1830 !... C'est bien la même ! Willy, n'abusez pas, malgré votre volcanique esprit, de cette jeune personne ; nous savons des esthètes qui faillirent en mourir très réellement, et sans aucune esthétique !

Rachilde.


En juin 1897, après la sortie du roman, fin avril, Rachilde revient sur Penses-tu réussir !


Penses-tu réussir ! De Jean de Tinan fut annoncé déjà dans ma chronique un peu sommairement. Or le roman de ce jeune auteur-là n'est fichtre pas sommaire. Nous pouvons y revenir. Tinan raconte les amours et les cristallisations littéraires de son ami Raoul de Vallonges, et je vous jure que n'était la philosophie très boulevardière (« Charmante soirée ! ») qu'il en exprime, on en trouverait le déploiement donjuanesque. Je soupçonne Jean de Tinan de prêter, non seulement ses mots, mais encore ses femmes, à son ami qui en possède une collection déjà fabuleuse ! Seulement il y a l'esprit de Jean de Tinan pour excuser la ribambelle, un esprit vraiment curieux, nerveux, valseur, s'agitant perpétuellement entre les parenthèses comme entre les sonorités aiguë de cymbales d'argent, sautant d'un sujet à un autre avec des bonds de clown, allumant une prodigieuse quantité de cigares aux comètes qui passent et nous décrivant des milieux de lettres d'une fantaisie trop élégante. « Ous qu'il y a des divans ! ». Il y en eut, Mossieu, ous qu'il n'y avait pas de chaise du tout ! Ah ! Les jeunes d'aujourd'hui, ce qu'ils s'asseyent, en littérature, et ce qu'il arrivent comme dans un fauteuil !... Plein d'épigraphes bizarres, de dédicaces inattendues, ainsi que le peut être de cabochons monstrueux un verre d'Illyrie, ce roman de Tinan a l'apparence d'une oeuvre énorme et biscornue ! Mais il y a des blancs... heureusement, car ces blancs sont reposant pour les yeux fatigués de tant de rutilances. Le défaut des jeunes d'aujourd'hui, c'est d'être trop spirituels. Vers la fin du livre, un morceau très savoureux d'ironie et de tristesse à peine appuyée dans le dialogue avec la petite sirène Glaucé. Cela charme comme une halte au bord d'un étang dont ont pourrait bien ne pas apercevoir encore le fond ! Je préfère ces pages aux autres... et j'avoue que toutes les autres sont nécessaires pour amener celle-là ! (« Charmante soirées ! »).

Rachilde.


Jean de Loris, Maîtresse d'esthètes de Willy, Le Thyrse, mars
1897

Willy, le sarcastique, vient de publier Maîtresse d'Esthètes, roman à clé, dont la transparence, un peu méchante parfois, force les personnages véridiques à se reconnaître eux-mêmes : c'est dire que, pour les initiés, aux chapelles littéraires, le masque ne tient pas. Ce roman est narquois : le dialogue y est mené de main de maître, avec un sans-gêne vraiment spirituel où l'on retrouve toutes les qualités de l'auteur d'Une Passade. Maîtresse d'Esthètes est digne de l'oeuvre qui l'a précédée, et c'est un compliment que je prétends faire là ! Mais, si tous les jeunes ne savaient l'intérêt cordial que leur porte M. Gauthiers-Villars, ils croiraient avoir en ce terrible satyrique, un ennemi acharné : nos petits ridicules sont dits, et bafoués de la façon la plus délurée. Willy sait cependant que nous avons aussi des qualités : il n'en parle pas. Nos oeuvres voient le jour, et nous ne faisons pas tous partie de l'Ecole expectative. Je n'en veux pour preuve que M. Jean de Tinan : ce jeune auteur a déjà donné un curieux Document sur l'impuissance d'aimer, et un conte intitulé Erythrée qui sont mieux que les prémices d'un nouveau talent. Il va nous livrer une étude intéressante, Penses-tu réussir ? (sic pour !) sortira des presses du Mercure de France, quand ces lignes paraîtront. Le mois prochain j'en parlerais longuement [en fait l'article paraîtra en juin]. Mais, avant ma critique, M. de Tinan me permettra de dire aujourd'hui toute l'estime que j'ai pour ce qu'il écrivit jadis.

Jean de Loris.


Jean de Loris Penses-tu réussir ! de Jean de Tinan, Le Thyrse juin 1897.

Jean de Tinan a beaucoup lu Stendhal, et il est disciple de Maurice Barrès : on ne saurait trop l'en féliciter. Penses-tu réussir ? Son premier livre d'études est tout plein de ces maîtres : il en perd même un peu de sa personnalité ; mais j'en aime l'ironie qui est élégante et fine quoique l'auteur nous annonce une monographie réaliste : j'aime aussi la façon délurée et si naturelle qu'à Raoul de Vallonges à philosopher.
Vallonges et moi d'ailleurs nous avons beaucoup de ressemblance, et c'est probablement pour cela que je l'aime. Des lectures un peu désordonnées, une fièvre intense de vivre, et des désirs d'élégances nous sont communs ; la volonté aussi d'analyser nos sensations. Mais nous sommes sceptiques aujourd'hui avec Stendhal, alors que demain nous aurons une foi très vive en admirant les mysticismes de Villiers : Vallonges et moi nous ne sommes pas encore sûrs de nous-mêmes, et nous nous cherchons... ou bien il vaut mieux s'éperdre ?... Raoul a aimé Flossie, Blanche-Marcelle, et Jeanne-la-Pâle, et Geneviève, et beaucoup d'autres. J'en ai aimé beaucoup aussi qui ne sont point différentes. Et nous sommes un peu tristes tous deux de voir si faux le Rêve de nos seize ans, l'artificiel de toues ces belles amours songées jadis : et que nous mêmes, hélas, nous ne savons pas aimer, que nous aimons comme nous pouvons, et que c'est si peu... Mais Vallonges a conscience qu'il ne peut en être autrement : Vallonges sait qu'il n'y a que de petits bonheurs, de mièvres amantes, et des âmes mesquines. Et il pense réussir : M. Barrès est un grand professeur d'énergie. Moi, j'aurai peut-être suivi la Sirène du Pont des Arts : mais Vallonges a vingt-quatre ans ; je n'en ai que dix-neuf : ce doit être pour cela, hélas !
Oui ! C'est bien une monographie réaliste qu'à écrit M. de Tinan : c'est notre vie, à nous jeunes gens, notre âme complexe, sa bonne foi sincère et son scepticisme artificiel, notre cœur épris d'un Rêve que nous ne pouvons même plus rêver et toute notre sensibilité, tant de sensibilité ! Et la conclusion de notre Maître qui nous fait aimer nos souffrances : c'est un plaisir parfait que d'être perpétuellement curieux...
Penses-tu réussir ? Est écrit dans le procédé de composition que j'ai toujours cru le meilleur pour un jeune ; et il y a longtemps que j'ai résolu de faire ainsi mon premier roman : une série de nouvelles qui pourraient paraître séparément, avec chacune un sens complet.
La brièveté de la nouvelle rend l'effet plus intense, et laisse dans l'esprit une marque plus puissante qu'un roman dont on coupe toujours la lecture ; son développement restreint permet de mettre plus de force dans ces deux conditions essentielles : la Vérité et la Pensée.
M. de Tinan a parfaitement réussi tout cela.

Jean de Loris.


Simiane : Littérature. Willy : Maîtresse d'Esthètes. La Province Nouvelle,
mai 1897


Maîtresse d'Esthètes est, si vous le voulez, un roman. C'est même un roman à clef. C'est surtout de la « rosserie » à double détente et à haute pression. On ne « blague » pas les gens avec plus de férocité, plus d'aisance et plus d'esprit.

De l'esprit ! Il y en a à la pelle. J'ignore quel est le pleutre qui a dit le premier que Willy tire de continuels feux d'artifice. Si vous le connaissez, portez-lui tous mes voeux (musique de César Franck) et assurez-le que je le tiens pour un mufle, parce qu'il m'a chipé la seule expression, qui malgré son horrifiante banalité, qualifie le style de notre allusionniste.
Car c'est ici. - comme dans une Passade et autres chef-d'oeuvre, - un va-et-vient d'allusions, mitigées de boutades à coups de boutoirs moucheté, le tout goguenard, railleur et bon garçon, si bien qu'il faudrait avoir le vilain caractère de l'Ouvreuse du Cirque d'Eté pour se fâcher.
Vous voudriez que je vous narre la véridique aventure incluse en ces pages lapidaires, que je vous dise que Lug-Allan est Lugné-Poe lui-même, que Sotautrack et M. Péladan ne font qu'un, que Suzanne Gazon est une aimable artiste du théâtre de l'Ame, pardon, de l'Oeuvre, qu'un état d'âme du diaphane Sarcey nous y est révélé, que toute la bande idéalo-mystico-ésotéro-symbolards y reçoit son paquet ?... que Frantz Brotteau, le sculpteur bien connu sous le nom de Fix-Masseau, à peu près vidé par l'hiératique Ysolde est envoyé à Niort par son ami Smiley pour se reconstituer en mangeant de l'angélique sur le désert de la Brèche ou au pied du Donjon, sur les bords de la Sèvre, que d'antiques tanneries fécondèrent de miasmes pullulants, etc. etc... Mais j'ai d'autres choses à faire.
Oh ! Willy ! Avoir un ami et l'expédier à Niort chez une vieille tante !! Si encore vous m'aviez prévenu je lui aurais donné un mot de recommandation pour la bonne Mme Jacomella, qui, en son hôtel du Raisin de Bourgogne (1), eût soumis à votre Frantz les menus les plus savants et les plus réparateurs.
A dire vrai il fallait l'embarquer pour quelque par ce sculpteur efflanqué ! Et c'est heureux, car l'ami Eriez qui savoure la poésie des chemins de fer et des gares trouvera au chapitre V de quoi s'en fourrer jusque là, (portez ma lettre à Métella).
Il me paraît nécessaire de signaler à l'école naturiste, Willy faisant son petit Archimède fin de siècle et employant pour un lachâge qui s'imposait un moyen inédit. Oh ! Voui, inédit.

Simiane


(1) Je vous jure que je n'ai touché aucune remise.



Pour clore ce petit dossier Tinan/Willy un article de Tinan sur Notes sans portée de Willy, avec un message personnel pour Colette, publié dans la Province nouvelle, N° 9, janvier 1897.

- Mon doux ange – ai-je dit à la petite dame dodue que je me plais à truffer des meilleures opinions – mon chéri chérie, penser un peu à ce que c'est difficile !
Voici cinq feuillets blancs, chaque dimanche soir, qu'il faut remplir vite et tout de suite... ayez l'obligeance , mon coeur, d'y faire tenir : 1e Le compte-rendu des concerts, (pour ne pas l'oublier). 2e La « Toilette » de cette belle enfant et « ses bras d'ambre où la pourpre a mis un reflet rose »...
- C'est un vers de Heredia !
- Bien mon enfant ! Bien ! Vous faites des progrès !
3e Tous les mots d'esprit de ces Messieurs (et quand ils n 'en ont pas ces Messieurs, d'esprit, Willy leur en prête à fonds perdus). 4e Les noms de vingt-sept musicastres et de quinze musicographes et de six mille et six musicologues, avec renseignements complets sur leur hérédité, leur adolescence et leurs oeuvres en préparation. Nous y sommes. 5e Le nom de cet ancien ministre qui... 6e Les noms et prénoms de ces quatorze mille six cent soixante huit gendelettres avec les titres de leurs derniers ouvrages et le nombre de pages desdits. 7e Les performances de ces deux cent dix-sept jeunes personnes brunes, auburn et blondes. Nous y sommes. Faites-moi le plaisir d'accompagner naturellement, pour que ces nomenclatures ne soient pas trop sèches, car il n'y a rien de plus délicat que le procédé par énumération, chaque nom d'un à-peu-près, d'une allusion, d'une rosserie ou d'une caresse. Arrangez-vous enfin de telle sorte que vos listes puissent servir de critiques littéraires de nouvelles musicales et d'échos mondains, et demi-mondains. N'oubliez pas que les chers confrères du Caméléon du Gers (journal indépendant) ont besoin de vos « mots » pour les délayer en « nouvelles à la main ». Bien. Nous y sommes. Au milieu de tout cela, n'est-ce pas, vous n'avez pas manqué à rendre compte : vous avez contesté telles coupures et tel mouvement, vous avez prié la trompette de ne pas s'endormir pendant le « Thème de l'épée », vous avez réclamé... (au choix) ? Oui ? Allons ce n'est pas mal. Maintenant......
- Comment ce n'est pas fini ? !
- Fini ! Il s'agit encore de mêler à tout cela la critique de l'art musical lui-même, il s'agit de fournir les vues les plus claires, les plus vivantes dans leur gaité, les plus libres, les plus enthousiastes, et si souvent, sans vouloir en avoir l'air, les plus érudites ; il s'agit de savoir louer Balakirew que j'aime par exemple ; il s'agit de savoir fesser sur leurs idées – une main de fer dans un gant de velours (1) – quelques méchants snobs avariés et quelques dangereux crétins que je désignerai, avant de les saupoudrer d'épithètes sexuelles, sous les pseudonymes transparents de X, Y, Z...
Willy a choisi d'être une des seules choses qu'il y ait quelque intérêt à être aujourd'hui : un combattant. Ah tapons dessus !! Sa plume pique, ce qui est bien, et elle pique des mufles ce qui est mieux, et elle pique en bon français, d'idée et de phrase... - (« ce bon vieil esprit français »... Voilà ! Voilà !).
Il sait rire, il sait admirer, il sait être insolent... Je ne sais rien de mieux à faire...
Vous m'avez bien écouté, ma douce enfant, vous avez bien retenu ? Allez répéter à vos amis et connaissances. Allez ! Allez ! Et demain... où vous savez...
- Et toi ? où vas-tu ?
Moi ? Je vais fumer un cigare chez Willy – parbleu ! Je ne l'ai pas volé.


Jean de Tinan.

(1) Chère Madame – j'avais parié que je l'écrirais. Vous me devez une frite. (personnel à Madame Colette G.-V.)



Lire sur l'excellent blog, Plume Errances Littéraires, le compte-rendu de lecture de Penses-tu réussir ! par Nibelheim.

Willy sur Livrenblog : Cyprien Godebski / Willy. Controverse autour de Wagner. Les Académisables : Willy . Une photo de Mina Schrader, esthéte et anarchiste. Willy, Lemice-Terrieux et le Yoghi. Romain Coolus présente quelques amis. Colette, Willy, Missy - Willy, Colette, Missy (bis). Pourquoi j’achète les livres dont personne ne veut ?. Le Chapeau de Willy par Georges Lecomte. Nos Musiciens par Willy et Brunelleschi. Nos Musiciens (suite) par Willy et Brunelleschi. Willy l'Ouvreuse & Lamoureux. Quand ils se battent : Willy et Julien Leclercq. Willy préface pour Solenière par Claudine. La Peur dans l'île. Catulle Mendès. Léo Trézenik et son journal Lutèce. En Bombe avec Willy. Maîtresse d'Esthètes par Papyrus. Quand les Violons sont partis d'Edouard Dubus par Willy. Le Jardin Fleuri. R. de Seyssau par Henry Gauthier-Villars. Willy fait de la publicité.

Bibliographie de la revue Le Thyrse.


Lire : Jean-Paul Goujon : Jean de Tinan. Plon, collection Biographique, 1990.


vendredi 19 juin 2009

Editions A l’Ecart, exposition à Reims




Vous habitez Reims, vous passez par-là, vous êtes voyageurs ? Alors n'hésitez pas rendez-vous à la Bibliothèque Municipale pour y visiter l'exposition consacrée aux Editions A l'Ecart.



La Société des Amis de la Bibliothèque Municipale de Reims, vous invite le samedi 27 juin 2009 à partir de 16 heures, pour un débat avec William Théry, éditeur-imprimeur rémois (1978-1993) et pour une visite de l’exposition consacrée aux Editions A l’Ecart.


COLETTE "En Camarades". Quelques poses plastiques.




COMŒDIA 1ère année, N° 4, 15 février 1909. Pour faire suite à un article de Gaston de Pawlowski sur la comédie en deux actes de Colette, En Camarades, représentée au Théâtre des Arts et à la Comédie Royale, la toute fraîche auteure dramatique, sous forme de lettre au journal, dévoile son état d'esprit sur le théâtre.



Une lettre de Colette Willy
A propos de ses débuts comme auteur dramatique,
actrice et danseuse


Mes idées générale sur le théâtre, cher Comœdia illustré ! Mais je n'en ai pas, - pas encore. Pourquoi voulez-vous que le fait d'avoir écrit deux actes, et d'y jouer le principal rôle, m'incite soudain à avoir des idées générales sur le théâtre ?
Je n'aime pas beaucoup les idées générales.
J'ai écrit une petite pièce, - deux actes sur un sujet très mince – où le dialogue garde le lâché, le naturel, la rapidité un peu décousue de notre langage usuel, notre langage de gens pressés et négligents, trop paresseux pour parler correctement, assez mal élevés pour laisser échapper un mot... vert, enfin une petite pièce morale où la vertu se tient assez mal, comme quelques femmes foncièrement honnêtes... Voilà tout, jusqu'à présent.

Peut-être la saison prochaine, alourdirai-je de trois actes mon bagage, très léger, d'auteur dramatique. Mais c'est si loin ! Et je n'aime guère songer à l'avenir. Je préfère me délecter du présent, de la bienveillance des critiques, de la gentillesse du public... Laissez-moi l'impression confuse et délicieuse de recevoir, chaque soir, une récompense qui dépasse me mérites...
Laissez-moi remercier mes camarades Fanny-Valdec, Florise, Durec et Prieur, - sans oublier Poucette, Poucette chienne bull qui connaît la gloire d'être mentionnée aux affiches et aux programmes en attendant le motif lumineux... Si vous y tenez, je vous parlerai un jour de la pantomime, et de la danse.
Là-dessus, j'ai des idées générales, qui me sont assez particulières. Croyez, cher Comœdia illustré, à mes sentiments sympathiques.


Colette Willy.


Illustrations de Georges Villa.


COMŒDIA, toujours, dans le N° 7 du 1er avril 1909, la double page centrale est consacrée à quelques poses plastiques de la même Colette.



Colette sur Livrenblog : Colette Gauthier-Villars / Colette : Lettres à Missy / Colette, Willy, Missy / Willy, Colette, Missy (bis) Polaire, actrice et chanteuse / Willy Publicité littéraire. / Willy, préface pour Solenière par Claudine


jeudi 18 juin 2009

Marché de la poésie



Le Marché de la poésie vient d'ouvrir aujourd'hui, une rapide visite m'a permis d'acquérir le dernier numéro du Visage Vert (n° 16, juin 2009) et l'imposant volume de Caroline Granier : Les Briseurs de formules. Les écrivains anarchistes en France à la fin du XIXe siècle. (1). Le Marché est ouvert jusqu'à dimanche, place Saint-Sulpice, Paris 6e, plus de 500 éditeurs vous y attendent.




(1) Ressouvenances, 2008, grand in-8, 470 pp. imprimées sur deux colonnes, illustrations in texte, bios-bibliographies des auteurs, Journaux et revues anarchistes, politiques et littéraires entre 1880 et 1900, bibliographie indicative, index des noms de personnes. I.S.B.N. 2-84505-065-8. 35 €. http://www.ressouvenances.fr/




Théo VARLET. Traducteur de STEVENSON




Prière d'insérer


LE REFLUX
Roman
par Robert-Louis Stevenson
Traduit de l'anglais par Théo Varlet

Qu'on aime ou non Théo Varlet poète, il n'est personne pour nier sa supériorité dès qu'il s'attache à traduire Stevenson. Toutes ses audaces de vocabulaire et ses rutilances de style s'atténuent, se disciplinent, ne sont plus que richesses d'expressions au service du maître anglais, dont le texte se trouve ainsi serré d'aussi près qu'il est possible. Varlet n'abdique pas sa personnalité vigoureuse : elle concorde si bien avec celle de Stevenson, que le premier se « retrouve » dans le second et, presque sans effort, s'incarne tout entier dans son modèle. Grâce à cette sorte d'harmonie préétablie, il se passe, entre « le planteur de Samoa » et « le solitaire de Cassis », le même phénomène qui s'est déjà produit dans le cas de Baudelaire-Poë. Varlet fait mieux que traduire Stevenson : il l'annexe à la littérature française.
Le Reflux est le septième volume de Stevenson mis en français par Théo Varlet. Sans être plus fidèle au texte que précédemment, ni d'une langue plus pure et plus élégante, on peut affirmer que l'expérience acquise par Varlet depuis six ans, vaut à cette traduction, dernière en date, plus de souplesse de style et de sûreté d'expression.
Ce roman, une des oeuvres les plus « représentatives » de Stevenson, forme quasi un « pendant » à son chef-d'oeuvre populaire : L'Ile au Trésor. Mais ici, les boucaniers des siècles révolus sont remplacés par les « beach-combers », les gratte-plages contemporains des mers du Sud, et le « trésor », enfermé dans un coffre-fort à blindage d'acier, est gardé par un gentleman élevé à Oxford. Leurs passionnantes aventures sont contées avec une force d'évocation extraordinaire, jointe à cette richesse et à cette pureté de style qui font de Stevenson, trente ans à peine après sa mort, un classique - « le Flaubert anglais ».


Un volume de la collection
« Les maîtres de la littérature étrangère »
Prix 7 fr. 50
Albin Michel, éditeur,
22 rue Huygens – Paris (14e)


Voir le billet de Mikaël Lugan dans ses Féeries Intérieures : Théo Varlet : quelques glanes où apparaît aussi le Magnifique, pour surenchérir sur Zeb & le Préfet maritime.

Voir sur Livrenblog : Théo Varlet poète.

mardi 9 juin 2009

POLAIRE PAR ELLE-MÊME







En 1930, Polaire écrit ses souvenirs, le volume paraît aux Éditions Eugène Figuière, mais déjà en 1909, dans Comoedia, elle tracait un portrait d'elle-même :


Mon cher Comoedia illustré,

Vous réclamez des confidences, quelques mots, quelques lignes où vous voulez que je m'analyse moi-même ; que je résume mes impressions d'artiste, mes aspirations théâtrales à l'intention de vos aimables lecteurs. Me voici fort en peine : je m'aperçois que si l'art est difficile, l'autocritique n'est point aisée.
Et d'abord, que vous dire qui vaille la peine d'être dit ?
La diversité des genres où je me suis montrée, ma carrière un peu mouvementée ont fait de moi, semble-t-il, une artiste à part.
C'est un jugement contre lequel je ne réclame pas, s'il veut bien, du même coup, me reconnaître quelque originalité. Mais cette originalité à laquelle je tiens, je n'ai, bien qu'on en ait dit, rien fait d'artificiel pour en obtenir la réputation. Et c'est sur quoi je me permets d'insister, puisque vous m'en offrez l'occasion.
Certes, je n'ai pas suivi la filière normale. Pour conservatoire, l'estrade d'un café-concert : pour maître, la vie – un maître sévère et cruel – pour jury, le public... Voilà mes débuts.
Ah ! Mes émotions de gamine ! Je les retrouve encore vivaces dans mes souvenirs. Je me vois achetant dans une boutique de la rue Biot une chanson à cinq sous, ignorant même ce que c'était qu'une orchestration et débutant, le coeur angoissé, sur les planches de la Cigale.
Six mois après, j'étais lancée. Le public du café-concert me faisait fête et les directeurs ne s'étonnaient plus de mes exigences. Que m'importait pourtant ! J'avais, au service d'une ambition, tous les jours plus audacieuse, une volonté de plus en plus solide et tenace. Interpréter trois couplets plus ou moins spirituels – plutôt moins ? - et réussir à en tirer de l'effet, le résultat était appréciable, mais il me prouvait surtout qu'avec un vrai rôle, dans de vraies pièces, je pourrais enfin faire donner les réserves d'expressions et de sensibilité que je ne trouvais pas l'occasion d'employer.
Je me savais plus étrange que jolie, je me sentais plus capable d 'émotion et de passion que de force comique, que faisais-je – malgré le succès et l'argent – que faisais-je sur la scène d'un music-hall avec aux lèvres des plaisanteries grivoises, des calembours usagés, des refrain de revues ?... Et c'est alors que je m'en allai trouver Willy, le supplier de prendre au sérieux ma vocation dramatique et d'en tenter l'épreuve dans le rôle de Claudine.


Faire du théâtre ! Mon rêve se réalisait enfin. Des difficultés nouvelles surgissaient pour moi. Transfuge du café-concert, je savais qu'au premier échec, on me conseillerait d'y retourner. L'instinct seul pouvait me guider : j'apportais ma sincérité, mon ardeur pour tous bagages. Ce n'est pas à moi de dire si j'ai réussi... Je ne veux être taxée ni de fausse modestie ni de fatuité.Mais ce que je puis dire, c'est que j'adore mon art, que je m'y consacre toute entière et que c'est de lui seul que j'attends une réputation bonne ou mauvaise. Autour de moi, bien des légendes se sont échafaudées que je n'ai pas pris la peine de détruire, mais que rien ne justifiait de ma part. Travailler sans cesse pour être un jour à même d'exprimer tout ce que je ressens en moi, inspirer de la confiance aux auteurs, de la sympathie au public, tel est mon idéal. Et vivre chez moi tranquille, auprès de Zézette (Zézette, la petite chienne du portrait, ma déjà vieille amie Zézette), telle est ma vie.Vous voyez, mon cher Comoedia illustré, que tout cela est fort simple. Si ça ne valait pas d'être conté, tant pis pour vous qui m'avez si aimablement obligée à ce bavardage.


POLAIRE


COMŒDIA 1ère année, N° 11, 1er juin 1909, in-4, 30 pp.


Polaire sur Livrenblog : Willy Publicité littéraire. Polaire, actrice et chanteuse.

Un site consacré à Polaire : Polaire 1900

Lire : Lorrain, Jean : Jean Lorrain, Colette, Willy et Polaire. Correspondance et souvenirs. Edition d'Eric Walbecq. 2005. Du Lérot, Collection "d'après nature", 88 pages et 8 pages d'illustrations hors-texte. 20 €

Sur les cafés-concerts : François Caradec - Alain Weill : Le Café-concert. Atelier Hachette/Massin, 1980.

Anatole FRANCE autopsié par CENDRARS DIVOIRE MORAND DELTEIL...




TAMBOUR

Novembre 1929, 5


Les enquêtes littéraires, depuis la fin du XIXe siècle, se sont multipliées dans les revues et journaux. Elles sont : Un bon moyen de multiplier les collaborateurs à moindre coût, de provoquer des polémiques, de permettre aux uns de pérorer aux autres de se distinguer, pour nous elles sont un témoignage des courants, des tensions, des goûts de la gente littéraire à un moment donné. Elles sont d'autant plus intéressantes lorsqu'elles nous renseignent sur l'influence de certains grands noms sur leurs confrères de la génération suivante. Livrenblog, à propos de L'Influence et la légende de Jean Lorrain a donné préalablement quelques réponses à une enquête publiée en 1931 dans L'Esprit Français. Aujourd'hui c'est l'autopsie d'Anatole France, cinq ans après sa mort, à laquelle se livre la revue Tambour de Harold J. Salemson et ses collaborateurs d'occasion, qui nous intéressera.


Les auteurs questionnés devront répondre aux questions suivantes :


I. Vous semble-t-il que la situation d'Anatole France ait changé depuis sa mort ? Si oui, de quelle manière ?

II. Avez-vous changé, personnellement, d'attitude envers l'oeuvre de France depuis la mort de l'écrivain ? Pourquoi ?

III. L'indifférence dont on entoure généralement l'oeuvre de France indique-t-elle que celui-ci tombe à l'oubli ou que son sort soit réglé, dans le sens qu'il est devenu "classique" ?


IV. Sur quel plan mettez-vous Anatole France ? Pourquoi ?


Il n'est pas surprenant que la réponse la plus percutante, irrévérencieuse et laconique vienne de Blaise Cendrars qui déjà avait fait preuve de son désintérêt pour ce genre d'exercice, en envoyant un fataliste "Parce que", à la question "Pourquoi écrivez-vous ?" de la revue surréaliste Littérature (1), cette fois son jugement sur l'oeuvre de France ne laisse place à aucune nuance :

Ennui - ennui - ennui - ennui - ennui - ennui - ennui - ennui. (2)

Voyons quelques réponses, non moins clémentes mais plus argumentées.


Depuis que j'ai l'âge de 18 ans, je n'ai jamais changé d'opinion au sujet d'Anatole France.
Son oeuvre n'a jamais présenté d'intérêt pour moi. (Ne voyez là aucun dédain, mais seulement une différence entre ses préoccupations et les miennes.)
Je dois dire, cependant, que certains livres auraient pu, si cela avait été possible, me rendre Anatole France sympathique.
Sur quel plan je mets l'oeuvre d'Anatole France ? Sur le plan des jolies choses inutiles, donc nuisibles.

Fernand Divoire


Votre autopsie après cinq ans est-elle bien utile ? Que nous importe Anatole France ? Il n'y a pas un mot de vrai dans tout ce qu'il a si péniblement raconté, et il avait peur de la mort.


Louis Guilloux


[...] j'ai voulu relire la Reine Pédauque, livre francéen typique. Hélas ! que les derniers fervents du si bon maître me pardonnent, à la page 48 j'ai capitulé. Comment dire ? Je me trouvais dans l'état d'impatience d'un professionnel de la motocyclette obligé de se ballader en calèche avec ses grands-parents. [...]


Joseph Jolinon


[...] On a un public durant sa vie ou après sa mort. Chaque entrée au Père-Lachaise, c'est un lecteur de moins pour Anatole France. [...] pendant des années je n'ai pas osé dire que je détestais son oeuvre, de peur de mettre mon père en colère [...]


Paul Morand


Certains sont moins virulents, tout restant circonspects sur l'avenir de l'oeuvre de France


Anatole France est un écrivain qu'on lit agréablement, mais qu'on ne relit pas.


Joseph Delteil


J'ai lu les livres de France, comme tout le monde, mais j'ai cessé de penser à eux. Ils sont toujours là, dans un coin de bibliothèque. Je ne les relirais point. [...]


Maurice Courtois-Suffit


J'aime trop Voltaire pour ne pas considérer Anatole France comme un simple poeta minor, un agréable dilletante du genre Paul-Louis Courier [...]

Jean Cassous


On ne lit plus Anatole France ? Mais on ne l'a jamais beaucoup lu. On le lisait comme certains lisaient et lisent le feuilleton de leur quotidien? Ce n'est pas lire.

- Pourquoi lirions-nous France, dites, alors que nous avons Proust, Gide, Valéry, Cocteau, Claudel ? Pas le temps.

Jean Catel


Il reste bien sur quelques admirateurs à Anatole France :


I. Oui. Il a grandi.
II. Non. En quoi la mort d'un écrivain peut-elle changer l'opinion que l'on a de lui ?
III. Je ne vois pas que l'oeuvre d'Anatole France soit entouré d'indifférence. Bien au contraire.
IV. Permettez-moi de me réserver. Il y a des noms qui échappent au palmarès.


Henri Duvernois


[...] Mais si la foule s'écarte de lui, parce qu'il ne répond plus à ses aspirations, d'aucuns lui restent fidèles et je ne crois pas être seul à mettre le maître de Jérôme Coignard sur le premier rayon, parmi ceux dont jamais on ne se lasse. [...]

Constant de Horion


(1) Littérature, N° 10, décembre 1919, p. 24.

(2) Hugues Richard dans son Dites-nous Monsieur Blaise Cendrars..., Lausanne, Editions Rencontre, 1969, qui recense les réponses de Cendrars aux enquêtes littéraires de 1919 à 1957, signale que l'enquête de Tambour "eut un tel retentissement qu'un hebdomadaire parisien, Le Courrier littéraire, la reproduisit dans sa quasi-totalité, y compris donc la réponse de Cendrars, très malcontreusement amputé d'ailleurs, puisque le mot ennui ne s'y trouve plus multiplié que par... cinq ! Réponse reprise également dans la revue Anthologie (liège), N° 5, mai-juin 1930, p. 1.


TAMBOUR

directeur , Harold J. Salemson, 5, rue Berthollet, Paris V°. Mensuel.
N° 5, Novembre 1929, broché, couverture avec rabat, 76 pp. Texte en anglais et en français.

Sommaire :

Pages
1 Prétexte - Pretext.
7 Autopsie d'Anatole France, par Marcel Berger, Jean Cassou, Jean Catel, Blaise Cendrars, Maurice Constantin-Weyer, Maurice Courtois-Suffit, Léon Deffoux, Joseph Delteil, Fernand Divoire, Henri Duvernois, André Gide, Louis Guilloux, Jacques Heller, Constant de Horion, Joseph Jolinon, Georges Linze, Victor Llonas, Marcel Loumaye, André Maurois, Paul Morand, François Ribadeau-Dumas, Jacques Roujon, André Salmon et Akos Tolnay.
25 Anatole France, A post-Morten Five Years Later, by Theodore Dreiser, Waldo Frank, Zona Gale, H. R. Hays, Guy Holt, Sidney Hunt, H. L. Mencken, Samuel Bogers, Bertrand Russel, G. Bernard Shaw, Edmund Wilson and William Carlos Williams.
38 Maquettes pour Les Dieux ont soifs dessins de Walter-René Fuerst.
42 Notes sur Anatole France par Fernand Ferre.
45 Marching On by Stuart Gilbert.
48 Opinion d'un jeune par Valentin de Manoll.
49 Anatole France, an essay by Edouard Roditi
53 Anatole France, croyant et créateur par Francis Ambrière
57 Utility of Anatole France by Harold J. Salemson
64 Anatole France, moderne par Harold J. Salemson
73 Notes

Enquêtes sur Livrenblog : Enquête L'Ermitage 1893 Le Bien Social ? Une Enquête au Beffroi. La Critique. Une enquête sur le droit à la critique. 1896. "Les Fantaisistes" et leurs influences. Enquête 1913. Enquête sur la question sociale au théâtre. Les écrivains et le vote dans l'Esprit Français. Docquois mène l'enquête. Baudelaire, enquête dans l'Eventail en 1917. Enquête sur Les Tendances de la littérature, 1906. Revue Littéraire de Paris et de Champagne