mercredi 30 juin 2010

LA GOULUE. Georges PIOCH : La Femme, son lion et l'homme


La Goulue

Louise Weber, née à Clichy en 1866. Fille de blanchisseuse, c'est fatale, elle sera blanchisseuse. Mais Jeanne aime danser, aime la vie et même la noce, remarquée dans les bals de Montmartre elle devient danseuse de cancan au Moulin-Rouge. Sous le nom de La Goulue elle y connaitra la gloire. En 1895, elle abandonne le Moulin-Rouge pour investir ses gains de danseuse dans une baraque foraine. Son ami Toulouse-Lautrec, peint deux grands panneaux pour décorer la baraque. Installé à la Foire du Trône, La Goulue donne un spectacle de danse du ventre. Plus tard associé à son mari, ancien magicien, elle se fera dresseuse de fauves.


Suite au "drame sanglant" présenté par le Petit Journal, La Goulue et son mari abandonnent le dressage. De déchéance en déchéance elle finira dans une roulotte installée sur la zone de Saint-Ouen, elle décède en 1923 à l'hôpital Lariboisière. Si l'on en croit le récit de Georges Pioch, qui suit, La Goulue, dans les année 1910, n'avait pas totalement abandonné le dressage, mais loin de la Foire du Trône et plus loin encore de la gloire de ses jeunes années.

La Femme, son lion et l'homme


Quelques pas encore : et je serais sorti de Paris. Toute la mélancolie de la ville semble s'être ramassée ici. Elle s'y dénude comme une femme ancienne et lasse qui renonce à plaire. Elle est couchée dans cette herbe pauvre qui fait la verdure des fortifications. Des maisons basses, où le temps se marque comme un fard équivoque, composent sa farce morne et résignée.
Tout près, l'espace s'ouvre, coupé, dans sa largeur, par un pont métallique qui résonne parfois du passage haletant d'un train. Plus loin, l'air semble s'étirer sans grande force encore, comme s'il se dégageait, enfin, d'une dégradante étreinte.

Çà et là, des arbres grêles reçoivent doucement le printemps, dont la pureté bleue couvre tout le ciel.

A la barrière, des camions se joignent, s'arrêtent quelques minutes, puis s'éloignent avec une lenteur de troupeau. Des tramways électriques, pesamment élancés, fracassent le silence, où ils renouvellent sans cesse un rythme brutal et droit.
Une fête foraine s'est traînée jusqu'ici... si dolente ! Et blessée, dirait-on... Quelques pulsations, pour le plus, lui conservent le mouvement. Des musiques atténuées, épuisées d'elles-mêmes, y soufflent par bouffées. Un tambour bat sans relâche comme un cœur convulsif. Une chaude odeur de graisse sature l'air grisement poudré. Dans un tir, un fusil crépite.
Les plus pauvres des baraques se tassent là, comme repoussées de la fête et de la ville.
La mer projette ainsi des vagues qui ne lui reviendront plus. Elles stagnent dans des creux de rocher, et, lentement épuisées, lentement croupissantes, elles décomposent ce qui se reflète en elles de la fête éternelle du jour.
Des forains, qui n'espèrent plus dans la curiosité des hommes, devisent et fument devant leur baraque fermée. L'un d'eux, qui s'obstine, prêche deux soldats, quatre civils et deux filles familières qui bayent à sa parole comme à ses gestes. Il promet beaucoup, l'orateur : « Vous verrez le Pithécanthropus... Vous savez bien... Puis les Trois Grâces de l'établissement vous reproduiront, par leurs poses plastiques, les chefs-d'oeuvre de la peinture. Évidemment, vous ne trouverez pas ici le luxe des grands de la Foire, de ceux qui sont près du Trône... Mais on tient à l'intérieur ce qu'on a promis à l'extérieur... Je vous présente Mademoiselle... »
Et une jeune femme, toute tachée de ses cheveux répandus, s'encadre dans une portière, indifférente à ce qu'elle révèle d'elle-même, résignée à la misère de sa gorge et de ses bras nus où le sourire de vivre s'est éteint.
Sur le plus large trottoir, un cercle de badauds s'accroît. Deux jeunes filles – vert et rouge – y pratiquent les jeux icariens. Tour à tour, elles portent au bout de leurs deux bras leur grand frère, qui, roidi, pointe ses pieds vers le ciel. Leurs bras brunis et musculeux pèsent, dirait-on, à leur torse étroit, presque puéril. Mais leurs jambes nettes semblent participer de la dureté du sol. Quand la plus jeune a laissé retomber son grand frère sur la terre, elle tousse, pâlit, puis elle dit : « Ce n'est rien. »
Un autre cercle s'est formé à quelques pas du premier. Trois enfants – quatre, huit et dix ans -, trois petites filles chaudement colorées, poussées dru, leurs petits bras jaillis fermement d'une robe rose, se poursuivent dans une sorte d'ivresse. Le père et la mère contemplent. Soudain le premier siffle. Le jeu s'arrête. Et la plus vieille des enfants danse, appliquée, coquette, - femme, déjà -, comme pour mériter son propre applaudissement. Des badauds s'ajoutent aux badauds. Le père enlève sa veste, découvre, lui aussi, des bras nus ; et il parle : « Permettez-moi de vous présenter trois petites athlètes... »
Tout à coup j'ai devant mes yeux un nom célèbre. Il éclate, peint sur une roulotte. Il est là, le dernier, à la fin de Paris.
« Madame La Goulue »
Derrière la roulotte, un tambour bat, infatigable, comme avec rage.
Ce n'était même pas une baraque... Une palissade seulement, disposée en rectangle ; une bande de calicot s'y tendait, toute rouge de ces mots : « Madame La Goulue est ici » On y lisait aussi : « 10 centimes ; la lutte du jeune dompteur Samson avec le lion Ménélick. »
Au milieu de l' « établissement », on ne remarquait qu'une haute caisse de bois, ouverte, et de laquelle rien n'émergeait. Et la Goulue était devant, qui souriait parfois, sans douceur, à un homme bien râblé, lequel assis près d'elle, battait le tambour avec application. Et elle répétait : « C'est deux sous. »
Elle m'a longuement regardé parce que j'étais le seul badaud du moment. Je la reconnaissais lentement avec une admiration un peu stupide.

C'est si loin, cette robuste et belle fille, au loyal et impérieux visage d'instinct, - laquelle levait imperturbablement la jambe devant de grosses masses de bêtise humaine moutonnant dans le Moulin-Rouge. On disait : « C'est une ancienne blanchisseuse. » Et il semblait bien qu'elle en voulût témoigner lorsqu'à la volée, comme d'un battoir, elle giflait sans colère, avec une dignité sûre, le compagnon ordinaire de ses danses, lequel avait nom Valentin et surnom le Désossé.
C'est si loin, encore, cette robuste et belle femme, si fièrement « peuple », mamelue comme une statue de la République, et qui, dans « sa » baraque de luttes, tombait sans conviction des mâles et des mâles, sur la chute desquels elle inclinait un visage sans sourire que l'instinct modelait chaque jour un peu plus à la ressemblance de sa destinée. Le bonimenteur annonçait avec un respect sincère : « Madame La Goule va paraître. » Quand elle avait paru, elle le bousculait.
C'est loin aussi, cette ample dame dont la tête, plus triste et plus impérieuse encore, s'encadrait dans la gueule d'une panthère ou d'un lion. Sa forme excédait un maillot noir ; elle surmenait de tout son poids des bottes molles. Elle cravachait le fauve comme elle avait giflé l'homme. On disait : « Vous savez, c'est a Goulue, l'ancienne danseuse du Moulin-Rouge. Elle a mangé plusieurs fortunes. » Et l'instinct qui la combat sans la vaincre, et qui l'affranchit sans l 'éduquer, la campait devant la foule comme une domination.
Maintenant, voici : dans sa chair plus lourde, et farouchement saine, où la force est visible, elle ébauche l'aïeule irréductible, sans douceur et décourageant la pitié, qui épuisera, qui éteindra jusqu'à mourir sa destinée de franche et noble garce pour qui l'homme n'a pu que des coups ou ses pleurs. Et, sans doute, mettra-t-elle toujours en cage dans son souvenir le mâle égalé ou abaissé, et des fauves domptés. La malchance dans son royaume, ne la pâlit point dans sa tyrannie.
« Entrez donc, Monsieur... Vous en aurez toujours bien pour vos deux sous ! » C'était dit d'une voix comme avinée, avec une mélancolie un peu dédaigneuse. Je suis entré. J'en ai bien eu pour mon argent, en effet.
Ils étaient deux dans la haute caisse : un vieil enfants des hommes et un petit lion, débile, sans élasticité, et grand, pour le plus, comme un grand chien ; ils étaient deux sur la paille : l'homme à genoux et divaguant ; le lion dormant. J'ai interrogé. La Goulue m'a répondu : « L'homme n'a plus d'âge ; le lion va sur ses deux ans. »
L'homme s'est tout de suite égayé... si tristement ! Il a secoué son compagnon : « Allons, oust ! c'est pas le moment de dormir ; voilà du client. Bonjour, mon prince. Vous allez voir !... » Je voudrais dire : « J'ai vu. » Mais cet homme gagne son pain... Oh ! Oui, il le gagne : par toute la misère comique de ses yeux vacillants, par sa barbe longue, blanche et sale, par sa voix éraillée, par son nez rouge comme une viande saignante. Le petit lion, grognant, bâillant, fait tout de suite mine de se jeter sur ce nez. L'homme l'arrête par une branche d'arbre dont il remplit la gueule : sa gueule pourpre et pure. « Vas-y, vieux ! » crie La Goulue. Il y va : et le petit lion s'emporte, touche de ses pattes les épaules du vieux, trébuche, roule. L'homme exulte : « Ça vaut bien deux sous pour boire un verre, hein, mon prince ? » Je m'oblige à sourire ; et je dis : « En voilà huit pour une chopine... Mais laissez-le tranquille. »
Je crois que nous nous sommes compris, enfin, tous les quatre : le lion, La Goule, et nous deux, les hommes. La Goulue s'écarte et rejoint son musicien, lequel cesse de battre la caisse pour bavarder. Le vieux s'est accroupi, muet enfin, et sanctifié tout à coup dans sa déchéance par son silence humilié, il évite mon regard, comme s'il venait de glisser, dans la bouffonnerie qui lui gagne son pain, un remords de découvrir, plus bas encore que sa misère, un lion qui amuse ou s'effraie.
Le fauve, lui, s'est replié dans un coin de la boîte, indifférent. Je sens que sa destinée se couche et se résigne dans son œil sublime et fuyant... Sa destinée vainement royale... Parfois, une flamme neuve, froide, implacable, avive son œil, puis s'éteint. Je pense : « Son instinct se lève... », son bel et dérisoire instinct, traqué, parqué en lui comme du bétail.
Alors, je lui crée, par toute ma pitié, la grande face solaire qu'il n'épanouira sans doute jamais devant nous, celle qui, là-bas, chez ses frères d'Afrique, s'accroît chaque année en majesté, comme, d'heure en heure, le soleil s'augmente en rayons vers le zénith ; sa force dominatrice et vénérable, tel un midi tombe, - toute sa face, et tout son être dont on dirait que l'astre du jour a filé la crinière.

Georges Pioch.

dans Les Dieux chez nous. Ollendorff, s.d. (1912).






Georges Pioch
dans Livrenblog : Vénus.

SCRIPSI 7. R. de Gourmont : 71, rue des Saints-Pères


« 71, rue des Saints-Pères », par Ch. Buat.

Avec la 7e parution de son Bulletin du site des Amateurs de Remy de Gourmont, Christian Buat, nous invite à visiter Remy de Gourmont chez lui, au cinquième étage du 71, rue des Saints-Pères.
Nous passerons devant la loge du concierge, jetterons un coup d'œil à l'ancienne cours avec son petit jardin grimperont l'étroit escalier en passant devant l'appartement de Mme de Courrières, qui ne manquera pas de surveiller les visiteurs, puis une fois le cordon de sonnette tiré, nous entrerons dans cet appartement rempli de livres, des livres en tas, par terre, des livres aux murs, les plus rares rangés dans le meuble Boule. Nous frayant un passage dans ce labyrinthe nous approcherons de la table de travail du maître. Afin d'effectuer cette visite dans les meilleurs conditions, afin de bien se souvenir, de ne rien oublier, du bonnet de feutre de l'ermite, aux vieilles étoffes qui ornent le vestibule, pour ne pas rater la tête de méduse derrière la porte, il nous faut des guides, Christian Buat les a tous réunis : André Rouveyre, Pierre de Querlon, Emile Zavie, André Billy, Julio Piquet, Edouard Deverin, Pierre Delatère, l'abbé Mugnier, Edouard Champion, Elisabeth de Gramont, Joseph Quesnel, Henri de Gourmont, Natalie Barney, Daigaku Horiguchi...
Avec de tels guides, nous ne manquerons pas de rendre visite à François Bernouard, qui au rez-de-chaussé du même immeuble a installé les presses de son imprimerie "La Belle Edition", bien sur ils ne serons pas tous d'accord, y avait-il un ou deux arbres dans la cour ? l'arbre s'il fut seul, fut-il planté par Jean de Tinan ? les lapins de Bernouard, Gaston Deschamps et Francisque Sarcey étaient-il des lièvres ? Comme il se doit les souvenirs divergent parfois, concordent souvent et nous permettent de visiter par procuration, l'antre de "l'ours à écrire".
Encore une belle réalisation de Christian Buat, illustrée de nombreux dessins, photos, documents.


54 pages ; tiré à 17 + 17 exemplaires, numérotés de I à XVII & de 1 à 17

tous agrémentés d'un fragment de la vraie feuille glorieusement distraite de l'arbre par Vincent Gogibu un jour de juin que j'étais soucieux.

10 euros (20 l'abonnement à 3 numéros)

Pour toute commande, envoyer un courriel à : siteremydegourmont@orange.fr

Site des Amateurs de Remy de Gourmont.

GOURMONT. NIGOND. W. C. MORROW. et les autres (Bulletin N°0)
SCRIPSI n° 1 Bulletin du site des Amateurs de Remy de Gourmont
SCRIPSI n° 2 Bulletin du site des Amateurs de Remy de GOURMONT
SCRIPSI N° 3 se présente
Scripsi N° 4-5. Remy de Gourmont : Dialogues oubliés
Le numéro 6 de Scripsi. Remy de Gourmont : Une Ville ressuscitée



Charles-Louis PHILIPPE par Elie FAURE


Elie Faure (1), revient de l'enterrement de son ami Charles-Louis Philippe, il lui rend hommage et analyse l'apport du "fils du sabotier" à la littérature, son caractère, ses œuvres, ses contradictions et sa vie de misère.



Charles-Louis Philippe


Charles-Louis Philippe est mort. Nous avons été sept ou huit, entassés dans deux fiacres, à suivre sa pauvre dépouille jusqu'à la gare. Il faisait nuit, il pleuvait, il y avait par terre des flaques d'eau où tremblotaient les lueurs du gaz couché par le vent, nous pataugions dans la boue, entre des bâtisses noires. On l'a mis dans un wagon de marchandises. Le jour où mourra M. Rostand, si M. Rostand est mortel, il y aura du soleil et de la musique, et du canon, et des fleurs, et Mme Sarah Bernhardt, car Mme Sarah Bernhardt est immortelle. Ainsi se déroulent nos vies jusqu'à leur dernier acte, en un cercle rigide impossible à briser. Petites ou grandes, imbéciles ou géniales, bruyantes ou obscures, une harmonie impitoyable préside à leur progrès.

Rien de ce qui lui donne son sens n'a manqué à celle-là, pas même l'éloge des papiers qui n'avaient pas parlé de Charles-Louis Philippe de son vivant. Il était fils de pauvres gens de la campagne. Il eut une enfance affreuse, ses os suppuraient. Il était d'aspect souffrant, avec une mâchoire tordue et trouée qu'il levait vers vous en parlant, parce qu'il avait une paupière tombante et qu'il était tout petit. Il était pauvre, il aurait bien voulu ne pas l'être pour s'en aller loin, pour confronter les réalités d'un monde étroit avec les images immenses qu'il s'en faisait. Mais comme il ne savait pas comment on s'y prend pour devenir riche, il voyageait au dedans de lui. Il est mort à trente-cinq ans, comme pour jouer une farce tragique à ceux qui pensaient qu'il allait sortir de l'obscurité et de la dèche.

On m'a demandé ces lignes trop tard pour que j'aie le temps de relire un seul de ses livres. Peu importe. Ils font partie de moi comme tous ceux de mon âge qui ont appris à lire en vivant. Nous avions lu La mère et l'enfant, La bonne Madeleine et la pauvre Marie, et Bubu de Montparnasse, et le Père Perdrix, et Marie Donadieu, et Croquignole, d'autres étendues se sont découvertes de notre royaume intérieur. Nous avons surpris les mouvements sourds qui naissent de nos sens pour envahir notre esprit quand nous promenons parmi le fleuve humain qui coule nos désirs douloureux, les narines ouvertes aux odeurs errantes, les pieds boueux, et quand notre désespoir de trop sentir nous incline vers ceux qui souffrent, même quand il ne sentent pas qu'ils ne sont pas seuls à souffrir. Je ne sais pas bien si j'avais compris, avant qu'il ne me l'expliquât, que celui qui est fruste et pauvre n'est pas dans l'œuvre d'art un élément décoratif et pittoresque, mais le retentissement en moi-même de ce que j'ai de plus essentiel et de plus permanent, l'humilité de mes instincts pareils à ceux des autres, la vulgarité de ma joie dont je retrouve en tous les traces au moins rudimentaires, l'universalité de ma misère qui ne m'apparaît exceptionnelle que parce qu'elle se manifeste à moi sous des prétextes particuliers. Je ne sais pas bien si je soupçonnais avant de t'avoir lu, mon cher ami Philippe, que je ne suis pas différent du mendiant, et de la fille, et du bourreau, que ce n'est pas leur faute, ni la mienne, si nous ne sommes pas nées dans le même nid, si j 'ai eu moins froid et moins faim qu'eux alors que j'étais petit, et si ma faculté d'éprouver l'ivresse ou le malheur de vivre ne diffère de la leur que par les circonstances qui me la révèlent tous les jours. O Romantisme que j'aime ! Tu nous avais menti. L'artiste n'est pas né pour dominer les êtres. Il est tellement pareil à eux qu'il n'a pas d'autre fonction que de les consoler.

Comme tout grand artiste, celui-là était mystérieux. Il semble que ce soit leur destin de n'avoir pas l'esprit philosophique et que chacune de leurs phrases pose une fois de plus ou résolve pour ceux qui l'ont, les plus redoutables problèmes de notre étrange destin. Et pourquoi ce pauvre homme contrefait portait-il en lui cette ardeur merveilleuse et pourquoi lui qui passa sa courte vie à épier l'âme végétative d'un vieux paysan, l'éveil d'une petite fille, à prétendre qu'il y a des putains et des bandits qui souffrent d'autre chose que de la faim, à recueillir des larmes que personne ne voit couler, était-il d'une gaieté si jeune ? Pourquoi ce pauvre avait-il des gestes fastueux ? Pourquoi cet amoureux des nuances presque éteintes du drame sentimental mettait-il l'art de Michel-Ange au-dessus de tous les autres ? J'ai cru avant de le connaître, je crois toujours après l'avoir aimé, que sa puissance jaillissait du conflit qui se dressa entre le souvenir d'une enfance martyre, la conscience de sa difformité, la pudeur de sa misère et la passion qui portait son cœur magnifique vers la femme et l'espoir de royauté intellectuelle que la voix de l'orgueil intime sans lequel il n'est pas de haut artiste lui ouvrait. Et je crois aussi que la débauche ne fut chez lui, peut-être sans qu'il s'en rendit compte, qu'une forme de l'inaccessible idéal. Mais au fond, je ne sais pas. Je ne suis pas sûr de l'avoir compris. On ne savais pas, quand on lisait ses livres, s'ils vous donnaient envie de rire ou de pleurer. Il n'avait voulu rien de cela sans doute. Il avait une tendance inépuisable pour les choses, que les plus obscures d'entre elles ont éprouvée, et qui descendait pour les faire tressaillir dans nos coeurs, jusqu'aux plus furtifs soubresauts des vies cachées, des vies secrètes et misérables, des pauvres vies que personne n'aperçoit. Il était mystérieux. Il m'a fait souvent penser à un arbre tordu desséché qui se couvrirait de feuilles et de fleurs tous les étés.

Il n'y avait mercredi soir, sur le cercueil de ce pauvre employé à 200 francs qu'emportait au grand trot à travers la pluie le fourgon funèbre, que des couronnes de perles envoyées par des « collègues ». Il y avait derrière sept ou huit hommes et trois femmes qui pleuraient, une vieille maman qui remerciait humblement ces messieurs et dames d'accompagner son fils. Et je ne sais pourquoi nous avons tous senti la gloire incomparable qu'il y a pour un grand écrivain à s'en aller ainsi d'un monde où les souverains, les ambassadeurs et les ministres ont coutume de suivre dans les fanfares le convoi des comédiens. Nous savions tous que jusqu'au fond de l'avenir et tant que durera notre langue, des hommes de plus en plus nombreux moissonneront sur sa tombe, à pleins bras, les roses, les pampres de vigne, le lierre, les branches de chêne et de laurier qu'on avait oublié de déposer sur son cercueil.


Elie Faure.


Publié dans Les Hommes du Jour : 1er janvier 1910.

(1) Je ne vais pas ici donner une notice sur le grand critique d'art et écrivain, qu'il me suffise de dire que, médecin, il soigna Philippe. C'est lui que Marguerite Audoux appela au chevet de Philippe en décembre 1909. Elie Faure diagnostiqua une typhoïde, qu'il ne réussit pas à guérir, d'autant que quelques jours plus tard une méningite se déclara. Le 21 décembre au soir il voit mourir son ami. C'est Francis Jourdain qui présenta Philippe à Elie Faure en 1907. Sur Elie Faure, voir : Martine Courtois & Jean-Paul Morel : Elie Faure. Librairie Séguier. 1989.



Charles-Louis Philippe sur Livrenblog : Lucien Jean sur Bubu-de-Montparnasse extrait de Parmi les hommes. Une lettre de Charles-Louis Philippe à Sébastien Voirol, Charles-Louis Philippe par Jean Viollis. Charles-Louis Philippe Inscrit aux Célébrations nationales. Charles-Louis Philippe par René Ghil.

mardi 29 juin 2010

L'ŒIL BLEU N° 11




Le numéro 11 de L'Œil Bleu s'ouvre par un article sur l'éclectisme de Tristan Corbière, l'auteur, Benoît Houzé, nous fait découvrir un Corbière dessinateur et musicien, amateur d'art populaire.



En annexe à cet article un texte inconnu de Louis Noir sur Corbière.

Réunie et annotée par Henri Bordillon, l'Œuvre poétique de Gustave Le Rouge, constitue un petit événement, il n'est pas question ici de révéler un poète génial oublié mais bien plutôt comme l'écrit Henri Bordillon de "faire connaitre un poète oublié, dont le nom est connu autrement." J'ai pour ma part "un faible" pour "Fragment" paru dans la Revue Rouge.

Paul Schneebeli donne la deuxième et dernière partie de son André Veidaux (1868-1927), anarchiste éclectique, on y suit les pérégrinations de l'auteur de Véhémentement, à travers les revues libertaires de la fin du XIXe siècle. L'article est complété par "André Veidaux et La Famille", ou les difficultés de Veidaux pour faire jouer sa pièce La Famille, d'abord reçue à L'Oeuvre de Lugné-Poe, puis exécutée, sans être jouée, par le même Lugné-Poe dans La Presse.

La bibliographie de La Revue d'un Passant est suivi de quatre sonnets de son directeur F.-B. de Bucé.

L'Oeil Bleu, N° 10
L'Oeil Bleu, N°9
L'Oeil Bleu N° 8.
L'Oeil Bleu N° 7. Tellier Retté Jarry Le Rouge
L'Oeil Bleu N° 6 - L'Abbaye de Créteil - Gustave Le Rouge - Verlaine...
L'Oeil Bleu N° 5

Pour commander, pour s'abonner : L'Oeil Bleu, 59, rue de la Chine, 75020 Paris. associationoeilbleu@yahoo.fr

Bon de commande

Sommaires des numéros précédents :

Hermann-Paul : Danse Macabre [II]


Hermann-Paul : Danse Macabre [I]
Hermann-Paul : Danse Macabre [II]










Dessins de Hermann-Paul, "Danse Macabre", publiés dans Les Hommes du Jour. (manque 7, 8 et 10).

5 - Le Poète, 12 mars 1910.
6 - Le Prêtre, 9 avril 1910.
9 - La Justice, 14 mai 1910.
11 - Le Philanthrope, 11 juin 1910.
12 - Le Récital, 16 juillet 1910.

Les Hommes du jour dans Livrenblog : Lucien Laforge dans les Hommes du Jour. Ernest La Jeunesse. Maximilien Luce. Poulbot fait la pub des Hommes du Jour. Delannoy. Les Sabotages. Lucien Laforge. Portrait d'Henri de Régnier. Lucien Descaves. Quelques portraits. Quelques portraits de plus. Encore des portraits. Willette par Steinlen, Steinlen par Willette, Paul Signac. Hermann-Paul : Danse Macabre [I].


lundi 28 juin 2010

Catalogue Librairie Sylvain Goudemare




Catalogue de la librairie Sylvain Goudemare publié à l'occasion du marché de la bibliophilie.

Il y a quelques temps, Sylvain Goudemare faisait imprimer le fac similé d'une affiche électorale pour les élections législatives de 1910, soumettant la candidature "antiseptique" d'Ubu, celle-ci orne le verso de la couverture de son dernier catalogue.

Notons que le 19e siècle est représenté dans ce catalogue tout d'abord par trois volumes de Théodore de Banville chez Lemerre : Odes funambulesques (1874), Occidentales (1875), Les Stalactites (1873), 1 des 25 exemplaires sur Hollande pour les trois. On y trouve aussi l'édition originale de Champavert (Renduel, 1833), le chef d'œuvre de Petrus Borel, et le premier livre de l'utopiste Etienne Cabet : Révolution de 1830 (1832). 11 dessins hors-texte de Gustave Courbet, illustrent le très peu courant, Camp des bourgeois (1868) d'Etienne Baudry. Avec un guide, Alfred Delvau nous invite à découvrir Les Plaisirs de Paris. Lucien Descaves représente la dernière génération naturaliste, avec son premier volume publié à Bruxelles chez H. Kistemaeckers : Le Calvaire d'Héloïse Pajadou (1882). Pour les bibliophiles et les amateurs de Gustave Flaubert, un petit bijoux soigneusement édité par Ferroud, Les Souvenirs de Caroline de Commainville sur son oncle (tiré à 430 ex.). Sur Japon impérial, Huysmans et le Drageoir aux épices, augmenté de Pages retrouvées (Crès 1916) est aussi peu courant que les Croquis parisiens (Crès 1928), illustré par Ch. Jouas, sur Japon. Ubu Roi (1896) d'Alfred Jarry, en édition originale dans une reliure pleine percaline de Pierson est suivi d'un des livres pair de la bibliothèque du docteur Faustroll, Aglavaine et Sélysette (1896, avec envoi) de Maurice Maeterlinck, et de son "descendant", le Roi Bombance (1910) de F.-T. Marinetti, avec envoi.
Je termine, afin de ne pas tout dévoiler, sur un journal des moins communs, Le Monde fantastique illustré, publié sous la direction de Léon Beauvallet et illustré de gravures par le trop méconnu Hadol, J'en oublie, sciemment, Nodier, O'Neddy, Perrault, Poe, J.-P. Richter et Stevenson... Un mot tout de même pour quelques perles fin et début de siècle, comme le premier livre de Fernand Séverin, Le Lys, (Bruxelles, Lacomblez, Paris, Lemerre, 1888. tité à 350 exemplaires) avec une eau-forte d'Henry de Groux, ou encore Le Signe (Vanier, 1887), du commissaire de police et poète roman, Ernest Raynaud.

Biographe de Marcel Schwob et éditeur de Maua, un conte inédit érotique de l'auteur des Vies imaginaires, Sylvain Goudemare, propose ici, une rarissime photographie de Marcel Schwob sur son lit de mort, ainsi que les œuvres complètes de Schwob chez Bernouard.

De Artaud à Bataille, de Jacques Baron à Claude Farrère, de Divoire à Isou ou Duchamp, Simenon, Tardieu et Vian, il reste de nombreux volumes à découvrir dans ce catalogue éclectique.

Librairie Sylvain Goudemare
9, rue du Cardinal Lemoine, 75005 Paris.
Site : librairie-goudemare.com



Séverine - Jules Vallès : Documents.


Album de la vente des souvenirs de Séverine et de Jules Vallès. 12-18 mai 1934. Chemise 23 x 30 cm, comprenant lettres et manuscrits autographes en fac-similé.





























Documents reproduits :

N° 1042 - Lettre autographe du Lieutenant-Colonel Picquart au Général André [Affaire Dreyfus, à propos du "faux de L'Eclair".
N° 1197 - Interview de Léon XIII sur l'Antisémitisme, manuscrit autographe de Séverine.
N° 1221 - Lettre de Jules Vallès remise à Hector Malot afin qu'elle soit expédiée à sa mère dans le cas où le conseil de guerre le ferait fusiller.
N° 1222 - Lettre de Jules vallès à sa tante sur la mort de sa mère.
N° 1230 - Lettre autographe de Jules Vallès en exil à Londres.
N° 1242 - Fragment inédit du manuscrit autographe du "Bachelier"
N° 1243 - Procès-verbal du duel de Jules Vallès avec Poupart-Davyl, qui, sous le nom de Legrand, remplit plusieurs chapitres du "Bachelier".
N° 1244 - Une page du manuscrit autographe de "L'Insurgé".
N° 1269 A et B - Deux reçus de Mlle C. Boudin, propriétaire du Cabinet de Lecture, dont il est parlé dans "Le Bachelier".
N° 1269 - Sommation à une hôtelière de Maisons-Laffitte qui avait gardé les bagages et les papiers de Vallès.
N° 1293 - Lettre de Jules Vallès âgé de quatorze ans à ses petits camarades Boilquin, enfants des protecteurs de son père.
N° 1295 - Lettre de Louis Vallès, père de Vallès, à Mme Voilquin, qui protégeait la famille Vallès. Louis Vallès avait été répétiteur de ses enfants.


Dans Livrenblog : Maison Jules Vallès : La Rue. par Charles Virmaitre et Elie Frebault


Illustrations : Séverine par Delannoy, Les Hommes du Jour, 17 avril 1909. Portrait frontispice à Séverine par Bernard Lecache, Gallimard, Les Contemporains vus de près. Gravure et fac-similé autographe pour l'album Mariani.

dimanche 27 juin 2010

Hermann-Paul : Danse Macabre.









Hermann-Paul : Danse Macabre [II].

Dessins de Hermann-Paul, "Danse Macabre", publiés dans Les Hommes du Jour.

1 - La Noce : 5 février 1910.
2 - L'Ange du Foyer : 12 février 1910.
3 - La Mère : 19 février 1910.
4 - Le Jeu : 26 février 1910.



vendredi 25 juin 2010

L'Oeil Bleu N° 11



L'Oeil Bleu N° 11, juin 2010, est sorti.

L'Oeil Bleu est tiré à 150 exemplaires.

L'Oeil Bleu éclaire les angles morts de l'histoire littéraire.

L'Oeil Bleu, ne se contente pas de réveiller les morts, il les édite.



Au sommaire du N° 11 du mois de juin 2010 : F.-B. de Bucé. Tristan Corbière. Gustave Le Rouge. André Veidaux.

Bientôt compte-rendu de ce numéro ici même.

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