Comme promis un autre compte-rendu de Jules Renard trouvé dans le Mercure de France N° 33 de septembre 1892. Il s’agit cette fois d’un livre d’Hugues Rebell, Baisers d’ennemis. Renard s’y montre un critique original dans la forme, fin, impertinent, un poil sarcastique, pas méchant, presque bon enfant, sa plume est légère comme la touche d’un escrimeur moderne, faisant mouche sans faire mal. Rebell, critique de lui-même dans les babillages de la sortie, lui rend la tâche plus facile.
Baisers d’ennemis par Hugues Rebell (Sauvaitre)
Vous êtes un froissé, Maxime, mais vous recherchez avec ingéniosité ce qui vous choque. Riche, vous prenez d’abord comme maîtresse une grue. Elle est bête, méchante. Elle ne vous aime pas. Espériez-vous donc qu’une grue ne serait plus une grue, ou l’avez-vous choisie pour souffrir ? Un bon mouvement : au lieu de lui réciter du Léon Dierx, mettez Félicienne à la porte et n’en parlez plus. – Félicienne « ne veut pas » quand elle est en toilette neuve. Elle a raison. C’est dans la salle à manger qu’on mange et dans la chambre à coucher qu’on se couche. J’ai entendu une femme s »écrier : « Non, non pas de dans le salon : ça fait des miettes ». – Que de fois, Maxime, vous déposez négligemment sur la cheminée des bank-notes, des billets de banque, sans doute. Mais combien ? Et de combien ? Je voudrais savoir, moi. – Ne trouvez-vous pas que les mots tendre, caressant, exquis, mélancolique, fin, suave et rare, reviennent souvent sous la plume de l’auteur ? Ces sept mots, je les lui joue à l’écarté ; s’il perd, il n’aura plus le droit de s’en servir. Nous verrons sa mine. – Vous voilà marié. Vous avez de l’expérience et vous recommencez encore. Maxime, mon cher Maxime, je vous en supplie, déshabituez-vous de dire, aux meilleurs moment de l’amour, des vers qui ne sont pas même de vous. Maintenant, c’est du Théophile de Viau que vous murmurez à l’oreille de Nell, votre femme légitime. Quelle rage ! Si ce qui doit vous arriver vous arrive, vous l’aurez mérité ! – Elle est adorable, Nell. D’autres que vous s’en contenteraient et ne lui demanderaient que « le bonheur de dîner à deux, de se livrer aux mille fantaisies d’amoureux exultant de boire aux même verre, d’échanger, en un croisement de langues, leur nourriture ». Très bien ! très bien ! – Ouiche ! Vous essayez de lui faire comprendre Rubens. Vous menez Nell au Louvre, côté des tableaux, quand elle voudrait aller en face, aux grands magasins du même nom. Mon pauvre ami, vous êtes fou. Vous savez à fond l’art de se rendre malheureux. Vous vous « remémorez », vous « évoquez » ; sans cesse, des nuages « se lèvent dans votre mémoire ». Vous perdez le temps présent à dire « zut » au passé ! – Et puis, une fois pour toutes, laissez-donc les orgues de barbarie et les pianos tranquilles. Un beau piano à queue, ce n’est pas plus sale qu’autre chose. – Le livre est terminé. L’auteur le relit, et se juge librement, donne un exemple d’impartialité au critique, et l’attendrit : « Je revois, dit-il dans ses babillages de la sortie, la vie monotone de Maxime, et je me reproche d’avoir un peu trop pris au sérieux un si piètre héros. Je hais tellement les grossiers satisfaits, ces rieurs qui remplissent le monde de leurs éclats et de leur lourde gaieté, que je suis tombé dans l’excès contraire, - les larmes et les lamentations inutiles. Sans doute que Maxime ne fut point heureux, mais son malheur, qui est aussi, je crois ; celui de beaucoup, n’a cependant pas assez d’importance pour remplir tout un volume ; et en voulant le dépeindre le plus fidèlement possible, je me suis probablement abusé….. Je m’accuse, comme d’un outrage à la beauté, quand je notais tant de détails mesquins, d’avoir un peu négligé la grâce des amies qui se penchèrent sur Maxime pour le consoler, grâces fuyantes, et, si l’on veut, toutes subjectives, mais (qu’importe ?) aussi réelles. »
- Tous, nous devrions imiter cette franchise et cette modestie. Aussi je rends volontiers à l’auteur deux des mots gagnés à l’écarté, et je les applique à son talent, qui est « exquis et rare ».
- Tous, nous devrions imiter cette franchise et cette modestie. Aussi je rends volontiers à l’auteur deux des mots gagnés à l’écarté, et je les applique à son talent, qui est « exquis et rare ».
J.R.
Pour connaître les règles de l'écarté c'est ici.
Un article d'Hubert Juin sur Hugues Rebell dans le Magazine Littéraire
Les chroniques de Jules Renard, reprisent sur Livrenblog :
Les chroniques de Jules Renard, reprisent sur Livrenblog :
Vamireh, roman des temps préhistoriques par J. H. Rosny (« Les Livres » Mercure de France N° 28 d'Avril 1892)
La Force des choses par Paul Margueritte (« Les Livres » Mercure de France N° 18 Juin 1891)
Les Emmurés, roman par Lucien Descaves (« Les Livres » Mercure de France, Janvier 1895)
Bonne Dame d'Edouard Estaunié (« Les Livres » Mercure de France, janvier 1892)
Les Veber's (« Les Livres » Mercure de France, octobre 1895)
L'Astre Noir par Léon–A. Daudet ("Les Livres" Mercure de France, janvier 1894)
Le Roman en France pendant le XIXe siècle par Eugène Gilbert (Plon). ("Les Livres" Mercure de France, février 1896)
La Force des choses par Paul Margueritte (« Les Livres » Mercure de France N° 18 Juin 1891)
Les Emmurés, roman par Lucien Descaves (« Les Livres » Mercure de France, Janvier 1895)
Bonne Dame d'Edouard Estaunié (« Les Livres » Mercure de France, janvier 1892)
Les Veber's (« Les Livres » Mercure de France, octobre 1895)
L'Astre Noir par Léon–A. Daudet ("Les Livres" Mercure de France, janvier 1894)
Le Roman en France pendant le XIXe siècle par Eugène Gilbert (Plon). ("Les Livres" Mercure de France, février 1896)
Jules Renard sur Livrenblog :
Portrait par Pierre Veber, Sous-Bois, Les Lutteurs. Les Veber's. Félix Vallotton - Jules Renard. La Maîtresse. Histoires Naturelles. Bucoliques de Jules Renard par Léon Blum
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