vendredi 12 décembre 2008

SAMAIN : MENDÈS. LORRAIN. Jeanne JACQUEMIN


ALBERT SAMAIN
CARNETS INTIMES
NOTES



SAMAIN (Albert) : CARNETS INTIMES. Mercure de France, 1939, in-12, broché, 248 pp., index. Carnet I à VII (1887) - Notes - Sensations - Portraits littéraires (1892 - 1896) : Le Voyage dans les yeux par Georges Rodenbach, Musée de béguines par Georges Rodenbach, La Vocation par Georges Rodenbach, Poésies (2 volumes) et Poésies nouvelles (1 volume) par Catulle Mendès, La Paix du coeur par Jean Blaize, Amour de Miss par Jean Blaize, Le Coeur gros par Jean Ajalbert, Théâtre de l'Oeuvre : L'Image, pièce en trois actes par Maurice Beaubourg, Sur Alexandre Dumas fils - Notes diverses (1892-1899) - Evolution de la poésie au XIXe siècle (réponse à une enquête littéraires).

Notés au fil de la lecture de ce recueil posthume de Samain les deux petits paragraphes ci-dessous où l'on verra le peu de goût de l'auteur du Jardin de l'Infante pour l'oeuvre de Catulle Mendès (1) et son admiration pour Jean Lorrain, à qui il promet la curiosité et l'intérêt des générations futures. Le second paragraphe est consacré à la visite d'une exposition de Jeanne Jacquemin (2).


Ce qui est intolérable chez Mendès, quand on le lit avec quelques fréquence, c'est la sensation d'artificiel absolu qui s'en dégage. Jamais ses conceptions ne semblent sorties de son coeur ; ce n'est que de la fantaisie cérébrale ; d'où pas un mot ne vous touche, au sens divin de l'émotion.
Jean Lorrain, lui aussi, est tout entier fait d'artifices, mais combien différent ! La fantaisie de Lorrain, au lieu de se noyer dans une mousse de rhétorique fouettée, se retrempe et reprend force à la réalité. L'oeil de Lorrain est toujours braqué sur un coin de la vie réelle. Il la transpose, en artiste qu'il est, tantôt en délicieuses sanguines, tantôt en eaux-fortes violentes, aux tons gras, ténébreux et chauds ; mais toujours, c'est d'un vécu qu'il part ; et de cela son oeuvre prend le caractère indéfinissable des choses vivantes.
Alors que bien des constructions littéraires, pompeuses et grandioses, auront disparu et seront ensevelies dans le morne océan Pacifique des insondables bibliothèques, alors qu'il ne restera peut-être de l'oeuvre des gros ouvriers comme Zola que quelques pages à tenir dans la main, l'oeuvre de Lorrain sera consultée et feuilletée avec cet intérêt piquant qui nous fait rechercher les Fragonard, les Lancret, les Moreau, et qui nous penche sur tous ces brimborions artistiques et littéraires du XVIIIe siècle, - saxes, éventails et poésies légères, - où nous sentons vivre plus que partout ailleurs son brin d'âme musquées et jolie.

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Vu hier, rue Taitbout, trois aquarelles de Jeanne Jacquemin, de facture très intéressante. Couleur plate, éteinte ; ligne aride et mangée de mysticisme ; arrangement symbolique.
La première : une espèce de Béatrice sur un fond vert pâme de force mystique, avec des joues ovalées d'anémie sous des pommettes qui tendent la peau, des yeux grands et clairs, et une bouche singulière dont le dessin excessif et charnu détonne dans la spiritualité du visage ; à la main un lys.

La seconde : une tête exsangue, posée dans un verre ou dans un vase quelconque ; les yeux fermés, les cheveux d'un blond grisâtre tombant tout en travers d'un côté de la figure, avec comme des filets de sang emmêlés dans les mèches.
La troisième : une tête de Christ couronnée d'épines posée de face sur un ciborium, avec des yeux poignants sous l'éplorement des cheveux.
Bonheur reprochait presque à ces études d'avant-garde de paraître en quelque sorte trop sûres d'elles-mêmes, d'avoir comme une allure d'habileté et je ne sais quelle aisance dans la facture qui contrastait avec l'étrangeté et le mysticisme un peu égaré dont elles relevaient.











(1) C'est pourtant Samain qui signera la chronique, qui figure dans ce volume, des volumes de poèmes de Mendès pour le Mercure de France. Il s'en explique dans cet extrait de lettre d'octobre 1892 à son ami Gaston Bonheur :
« Vallette m'écrit pour me demander, comme un vrai service à rendre au Mercure, de rédiger une note bibliographique sur les poésies de Mendès. Vous voyez d'ici comme cela m'a amusé. Il avait, paraît-il, demandé d'abord cela à Quillard, qui, pour des motifs particuliers, « une pique avec Mendès », s'est récusé.
Je me suis informé près de Vallette. Les trois volumes de poèmes ont bien été adressés par Mendès à moi seul, au Mercure. Dans ces conditions, ma situation est assez délicate, placé entre une appréciation qui comporte des sévérités et un procédé qui, vis-à-vis d'un obscur, ne laisse pas d'être fort gracieux. Je m'en suis tiré comme j'ai pu : j'ai rédigé deux notices, une plutôt grave et compassée, l'autre plus dégagée, plus enlevée de touches, plus cavalière aussi. C'est celle-ci plutôt que je préférerais. Je laisse Vallette juge. Si vous venez à Paris cette semaine, je vous montrerais cela, il sera encore temps ; peut-être m'éviterez-vous quelque gaffe. »

(2) Sur Jeanne Jacquemin :
- Jean-David Jumeau-Lafond : "Jeanne Jacquemin (1863-1938), peintre et égérie symboliste", Revue de l'art, septembre 2003, n° 141, p. 57-78.
Voir aussi :
- Jean Lorrain : La Mandragore, suivi d’une lettre inédite à Catulle Mendès et d’une postface d’Éric Walbecq ; illustrations de Jeanne Jacquemin. Du Lérot, 2003, 46 p. Sur les rapports conflictuels entre Lorrain et Jacquemin voir l'année
1903 dans la chronologie donnée sur le site JeanLorrain.net.



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