En 1930, Polaire écrit ses souvenirs, le volume paraît aux Éditions Eugène Figuière, mais déjà en 1909, dans Comoedia, elle tracait un portrait d'elle-même :
Mon cher Comoedia illustré,
Vous réclamez des confidences, quelques mots, quelques lignes où vous voulez que je m'analyse moi-même ; que je résume mes impressions d'artiste, mes aspirations théâtrales à l'intention de vos aimables lecteurs. Me voici fort en peine : je m'aperçois que si l'art est difficile, l'autocritique n'est point aisée.
Et d'abord, que vous dire qui vaille la peine d'être dit ?
La diversité des genres où je me suis montrée, ma carrière un peu mouvementée ont fait de moi, semble-t-il, une artiste à part.
C'est un jugement contre lequel je ne réclame pas, s'il veut bien, du même coup, me reconnaître quelque originalité. Mais cette originalité à laquelle je tiens, je n'ai, bien qu'on en ait dit, rien fait d'artificiel pour en obtenir la réputation. Et c'est sur quoi je me permets d'insister, puisque vous m'en offrez l'occasion.
Certes, je n'ai pas suivi la filière normale. Pour conservatoire, l'estrade d'un café-concert : pour maître, la vie – un maître sévère et cruel – pour jury, le public... Voilà mes débuts.
Ah ! Mes émotions de gamine ! Je les retrouve encore vivaces dans mes souvenirs. Je me vois achetant dans une boutique de la rue Biot une chanson à cinq sous, ignorant même ce que c'était qu'une orchestration et débutant, le coeur angoissé, sur les planches de la Cigale.
Six mois après, j'étais lancée. Le public du café-concert me faisait fête et les directeurs ne s'étonnaient plus de mes exigences. Que m'importait pourtant ! J'avais, au service d'une ambition, tous les jours plus audacieuse, une volonté de plus en plus solide et tenace. Interpréter trois couplets plus ou moins spirituels – plutôt moins ? - et réussir à en tirer de l'effet, le résultat était appréciable, mais il me prouvait surtout qu'avec un vrai rôle, dans de vraies pièces, je pourrais enfin faire donner les réserves d'expressions et de sensibilité que je ne trouvais pas l'occasion d'employer.
Je me savais plus étrange que jolie, je me sentais plus capable d 'émotion et de passion que de force comique, que faisais-je – malgré le succès et l'argent – que faisais-je sur la scène d'un music-hall avec aux lèvres des plaisanteries grivoises, des calembours usagés, des refrain de revues ?... Et c'est alors que je m'en allai trouver Willy, le supplier de prendre au sérieux ma vocation dramatique et d'en tenter l'épreuve dans le rôle de Claudine.
Faire du théâtre ! Mon rêve se réalisait enfin. Des difficultés nouvelles surgissaient pour moi. Transfuge du café-concert, je savais qu'au premier échec, on me conseillerait d'y retourner. L'instinct seul pouvait me guider : j'apportais ma sincérité, mon ardeur pour tous bagages. Ce n'est pas à moi de dire si j'ai réussi... Je ne veux être taxée ni de fausse modestie ni de fatuité.Mais ce que je puis dire, c'est que j'adore mon art, que je m'y consacre toute entière et que c'est de lui seul que j'attends une réputation bonne ou mauvaise. Autour de moi, bien des légendes se sont échafaudées que je n'ai pas pris la peine de détruire, mais que rien ne justifiait de ma part. Travailler sans cesse pour être un jour à même d'exprimer tout ce que je ressens en moi, inspirer de la confiance aux auteurs, de la sympathie au public, tel est mon idéal. Et vivre chez moi tranquille, auprès de Zézette (Zézette, la petite chienne du portrait, ma déjà vieille amie Zézette), telle est ma vie.Vous voyez, mon cher Comoedia illustré, que tout cela est fort simple. Si ça ne valait pas d'être conté, tant pis pour vous qui m'avez si aimablement obligée à ce bavardage.
POLAIRE
COMŒDIA 1ère année, N° 11, 1er juin 1909, in-4, 30 pp.
Polaire sur Livrenblog : Willy Publicité littéraire. Polaire, actrice et chanteuse.
Un site consacré à Polaire : Polaire 1900
Lire : Lorrain, Jean : Jean Lorrain, Colette, Willy et Polaire. Correspondance et souvenirs. Edition d'Eric Walbecq. 2005. Du Lérot, Collection "d'après nature", 88 pages et 8 pages d'illustrations hors-texte. 20 €
Sur les cafés-concerts : François Caradec - Alain Weill : Le Café-concert. Atelier Hachette/Massin, 1980.
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