mardi 25 mars 2008

Laurent TAILHADE et LA FRANCE



Guillot de Saix conte dans le N° 74-75-76, d'octobre, novembre, décembre 1954 de la revue Quo Vadis, sa rencontre avec Laurent Tailhade et les débuts de celui-ci au journal La France.

Laurent Tailhade


C’est en 1912, aux bureaux de la Plume où je tenais alors la rubrique dramatique que je fis connaissance de Laurent Tailhade qui approchait de la soixantaine. Il s’était jugé offensé par certaines phrases du mousquetaire René Le Gentil. On faillit en venir au duel. Nous dûmes intervenir. Laurent Tailhade s’étonnait qu’on l’ait insulté dans une revue dont il avait été « l’un des premiers et des plus exacts collaborateurs ». Justice fut rendue au vieux maître, auquel on ouvrit toutes grandes à nouveau les portes de La Plume, en y donnant le premier chapitre de « Quelques Fantômes de Jadis » et l’accueil qui lui fut fait se montra tel qu’il put écrire d’Auteuil le 21 décembre :


« Il m’emplit de gratitude et je l’avoue aussi, d’un orgueil profond et doux ».


Dés le 2 mars 1909, Laurent Tailhade m’écrivait de Marseille, étant en route vers Nice, en réponse à une demande de préface pour une comédie légère :


« Mon cher confrère,
A mon bien vif regret, je réponds à tant de choses gracieuses dont vous me comblez par le refus le plus formel. Voici pourquoi : 1e parce que j’ai au moins du travail pour un an, avant que de pouvoir songer à une tâche nouvelle. 2e parce que ce genre de théâtre boulevardier m’échappe totalement et que je suis incapable de séduire une historienne galante.
Adressez-vous donc à un professionnel du genre. Sur ce point, vous pouvez faire état que je suis à vos ordres, sois pour vous introduire chez les auteurs qui, de près ou de loin, sont de mes relations, soit pour vous ouvrir la porte des directeurs de théâtre auprès desquels j’ai des aboutissants. Mes deux mains.

Laurent Tailhade


Depuis 1912, nous nous rencontrâmes souvent à La Plume et je fus amené en 1917 à demander à Laurent Tailhade, de la part d’Emile Buré, sa collaboration au quotidien La France où j’étais secrétaire de la rédaction.
Il me répondit de La Loupe (Eure-et-Loir) 2, rue Dabancour, le jeudi 28 juin 1917 :


« Entendu, mon cher confrère, nous commencerons, s’il vous plait, le samedi 7 juillet. Encore que bien modeste, j’accepte le prix qui m’est offert (50 francs par article) sous la réserve que La France me publiera un article par semaine. Ce point n’est pas spécifié dans votre lettre, mais je le teins pour acquis, d’ores et déjà. Si vous avez à me faire là-dessus quelques observations, le temps ne vous manquerait pas jusqu’au 7 juillet. Puisque vous le désirez, je commencerais par Les Hydropathes avec mes souvenirs personnels sur Emile Goudeau. Pourrais-je, à La France, dire en toute liberté mon sentiment sur les morts et les vifs ?
Je regrette aussi beaucoup d’avoir, l’autre semaine, perdu l’occasion de passer avec vous quelques moments. Nous rattraperons cela dans les premiers jours de juillet, avant mon début dans la maison amicale dont vous m’ouvrez les portes, car je me flatte d’être à Paris, mardi ou mercredi prochains.
De cœur et d’esprit à vous.

Laurent Tailhade



Ne serait-il pas séant que j’écrivisse à votre directeur (dont j’ignore le nom) ainsi qu’à Monsieur Buré ? »


Le directeur de la France, André Putz (de son vrai nom Putzmann) passait à tort ou à raison pour le fils naturel de la Duchesse d’Uzès aux chasses de qui toujours on le voyait figurer assez piteusement.
Les débuts furent remis. La lettre suivante, écrite encore de La Loupe, le 17 juillet, en donne raison :


« Cher confrère ami
« Je sors d’une épreuve aussi cruelle que ridicule, ayant souffert des dents nuit et jour, depuis une quinzaine et reprenant à peine possession de moi. Ceci pour vous expliquer mon retard et solliciter votre pardon quant à la mauvaise grâce apparente que j’ai mise à correspondre avec vous.
Nos conventions valent plus que jamais. Néanmoins, et puisque mes « début » furent ainsi retardés. Je serais bien aise de débattre avec vous quelques points de détail.
Je le ferais, s’il vous plait, par l’entremise de ma femme qui part, ce soir, pour Paris. Veuillez lui donner rendez-vous soit pour Mercredi, soit pour jeudi, 19 et 20 juillet prochains. Elle pourra vous recevoir dans la matinée de onze heure à midi, sinon, vous retrouver, à partir de deux heures, aux bureaux de la France ou dans tel autre lieu de réunion plus central que notre Auteuil. Vous voudrez bien vous rappeler que notre adresse parisienne est : 47, rue du Ranelagh (16e).
Représentez-vous cher confrère ami, mon entière et fidèle sympathie.

Laurent Tailhade.


Et comme ces lignes sont tracées sur un splendide vergé « réglé » avec marge indiquée d’un trait rouge, un post-scriptum explique ce luxe insolite :


« La crise du papier qui sévit intensément à la Loupe m’induit à vous écrire sur ce lambeau d’un ancien registre notarial, oublié, pendant plusieurs générations, sur le haut d’une armoire. Je ne pense pas que nos arrière-petits-fils en puissent faire autant avec la paperasse d’aujourd’hui. »

L. T.


J’annonçai donc pour tous les samedis « Quelques fantômes de jadis » en citant malheureusement Son Importance Auguste Pluchon, une œuvre signée de Raoul Ralph et qu’il renia en couvrant de boue son abusif collaborateur.


Dès le premier article sa verve franche s’épancha librement, trop librement au gré d’Emile Buré.
Tailhade avait, en effet, écrit :


« Déjà, M. Lugné-Poe évitait de rémunérer ce qu’on faisait pour lui. Ferme, il exploitait les jeunes artistes, écrivains, dessinateurs, conférenciers, poètes, et, sans jamais dépendre un centime, profitait de leurs efforts « au nom de l’Art et de la Beauté ».


Or, Lugné-poe était un vieil ami de Buré, et, bien que Tailhade eut écrit l’exacte vérité, Buré ne permettait pas que de telles phrases parussent en son journal. Je fus donc dépêché auprès de l’écrivain qui remplaça les lignes incriminées par celles-ci :


« Comme le Chancelier de Fer, préludant à Sadowa, M. Lugné-Poe s’annexait le Danemark et jetait sur les pays scandinaves ses regards convoiteux. Le « Nordisme » faisait fureur, on était Scande, Norse et Germain, hélas ! de Montrouge aux Epinettes et d’Auteuil à Saint-Mandé…»


Le style courtois de ces épitres rend bien l’onctuosité un peu précieuse et monacale du verbe de Laurent Tailhade tour à tour si défèrent et si virulent.

Guillot de Saix.


La lecture de la biographie de Laurent Tailhade par Gille Picq (1), nous apprend que la querelle avec La Plume ressuscitée et René Le Gentil, était dut à un article injurieux de celui-ci sans doute inspiré par Jehan-Rictus qui nourrissait une haine quasi maladive à l'encontre de Tailhade. On apprend dans la même biographie que seul trois articles de Tailhade parurent dans La France, dont un réglement de compte avec Raoul Ralph (2). Tailhade est déjà passé sur Livrenblog, ici, voir aussi le site qui lui est consacré, Les Commérages de Thybalt.


(1) Gilles Picq : Laurent Tailhade. De la provocation considérée comme un art de vivre. Maisonneuve & Larose
(2) Voir : Tailhade (Laurent) et Ralph (Raoul) : Sales Bourgeois. Son Importance Auguste Pluchon. Offenstadt frères, 1902


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