mardi 2 octobre 2007

Jules Jouy CHANSONS DE BATAILLE



L’histoire en chansons


A la fin du dix-neuvième siècle, les chansonniers-poètes foisonnent, du cabaret des Quat Z’arts, au Chat Noir, du Mirliton, au Divan Japonais, ou au Rat Mort, tous les soirs ils attirent à Montmartre un public nombreux. Bruant, Fursy, Montoya, Mac-Nab, Jules Jouy, Gaston Couté, Léon Xanrof, F.-A. Cazals, chacun a son style, son personnage, beaucoup interprètent eux-mêmes leurs œuvres, tous publient leurs chansons en petits formats, dans les revues, puis en recueil. Outre la chanson de Caf’Conc, certain de ces auteurs n’hésite pas à se lancer dans la chanson d’actualité, historico-politique, ces chansons sont aujourd’hui des documents que nous devrions consulter plus souvent.

Quel meilleur exemple pourrions-nous donner que celui de Jules Jouy ?

Jules Jouy (1855-1897) est sans doute le plus politique des chansonniers, marqué par la Commune, anticléricale et républicain virulent, il est souvent violent, toujours frondeur, avec un goût marqué pour le macabre. Il fut des cercles Hydropathes et Hirsutes. Jouy collabora à l’Anti-Concierge de l’illustre Sapeck, au Tintamarre, participa à la fondation du Sans-Culotte. En 1882 il publie le numéro unique du Journal des merdeux dont il est l’unique rédacteur. Il est l’auteur de milliers de chansons, de monologues, de pièces. Durant les quatre ans de la crise boulangiste il mènera une véritable campagne contre « l’infâme à barbe » général Boulanger. Quelques unes de ces chansons sont reprises en volume dans Les Chansons de l’année 1887 (1888) et Chansons de Bataille (1889). Abus d’absinthe, misère, antécédents ? La santé mentale de Jules Jouy se dégrade, il sera interné dans un asile psychiatrique au mois de mai 1895, il y meurt le 17 mars 1897.

Avant la publication du livre de Patrick Biau, Jules Jouy, 1855-1897, Le poète chourineur, en 1997, Jules Jouy était surtout connu pour être l’auteur de La Veuve chanson sur la peine de mort et la guillotine reprise par Damia en 1935, ou, avec Octave Pradels, de La Marche Lorraine.
Ce livre est le résultat d’un travail formidable reprenant de nombreux textes de Jouy, il met en lumière l’importance de son œuvre et apporte de nombreux éléments biographiques peu ou pas connus. Pour en savoir plus et commander le livre (il doit en rester), rendez-vous vite sur les pages de présentation du personnage et du livre par le même Patrick Biau. http://perso.orange.fr/label.de.cadisc/jouy1.html (il existe aussi un double CD).
Pour rester dans le domaine littéraire, une chanson de Jules Jouy, extraite des Chansons de l’année 1887, sur le Manifeste des Cinq, protestation de cinq jeunes naturalistes contre la publication de La Terre d’Emile Zola.

À MON AMI JULES LEMAITRE

LES CINQ

(À propos de l'affaire Zola - Bonnetain, Rosny,
Descaves, P. Marguerit[t]e, G. Guiches).

AIR de la Légende de Saint-Nicolas.

Dans un beau pays, très lointain,
Où c'est la nuit, quand c'est matin
Partirent cinq frêles marmots,
Pour tuer les grands animaux.

Il était cinq petits enfants
Qui chassaient les gros éléphants.

Un jour, n'en croyant pas leurs yeux,
Ils en aperçurent un vieux.
Sur la plaine il était si grand,
Qu'il masquait le soleil levant.

Il était cinq petits enfants
Qui chassaient les gros éléphants.

Afin de lui faire du mal,
Ils rampèrent vers l'animal ;
Puis s'assirent sur leur séant,
Autour de l'énorme géant.

Il était cinq petits enfants
Qui chassaient les gros éléphants.

Ils avaient pris sur les chemins,
Des cailloux trop lourds pour leurs mains,
Qu'ils jetèrent, le jour durant,
Sur le colosse indifférent.

Il était cinq petits enfants
Qui chassaient les gros éléphants.

Voyant qu'il ne se bougeait point,
Les gosses, lui montrant le poing,
S'en approchèrent pas à pas,
Afin d'achever son trépas.

Il était cinq petits enfants
Qui chassaient les gros éléphants.

Tous les cinq, l'un l'autre s'aidant,
À grand' peine, sans accident,
Pour prendre leur gibier trop gros;
Ils lui montèrent sur le dos.

Il était cinq petits enfants
Qui chassaient les gros éléphants.

Soudain, le géant remua ;
Chaque petit enfant tomba ;
Et le colosse était si grand
Qu'ils se tuèrent en tombant.

L'éléphant mange, sans remords ;
Et les petits enfants sont morts.

21 août 1887


Jules Jouy : Le Temps des crises.

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