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Léo Trézenik
C'est au Journal des Abrutis qu'il reçut le baptême du feu (sacré). Et c'est le funambulesque marquis Le Guillois, factotum d'Heymann et confectionneur d'affiches épileptiques pour faillis, qui tint le goupillon. Dame ! Les revues littéraires, à cette époque, ne foisonnaient pas comme en 1889. Le Nouvel Écho n'illuminait pas encore le ciel de la littérature, et les fabricants de vers en étaient réduits à loger leurs produits, soit au Tintamarre, soit au Tam-Tam, soit au rez-de-chaussée de quelques feuilles trop peu robustes pour avoir survécu à ces collaborations distinguées.
Léo Trézenik, ce Normand à pseudonyme breton, quitta, vers 1876, son chef-lieu du Calvados, frais, poupin, délicieusement provincial d'allures, et le collet balayé par une de ces chevelures absaloniennes qu'imposent à tout littérateur en partance pour Paris les principes à la mode de Caen. En ces temps préhistoriques, il tripatouilla la médecine sans acharnement ; assez, néanmoins, pour publier, dans je ne sais plus quelle revue de la rive gauche, un poème, modérément génial, la Journée d'un Carabin, où l'hôpital, le cours, la brasserie, l'amphithéâtre, Bullier, le boul' Mich' et tout l'et coetera de votre vie studieuse, ô jeunesse des Écoles, sont consignés en alexandrins malaisément assimilables, dont j'hésiterais à conseiller l'absorption, même aux plus robustes appétits de la littérature.
Ce n'est qu'après ce début, d'un éclat tempéré, que Trézenik vit le Tam-Tam lui ouvrir ses portes, ainsi que le décèle une reconnaissante dédicace éliminée (pourquoi ?) de la deuxième édition des Gouailleuses « à Bapaume qui leur fut hospitalier. »
Signalons encore un lot de sonnets éparpillés à la revue naturaliste dirigée par Harry Alis (il repose en paix aux Débats) ; à la Revue littéraire et artistique, que rédigeait en chef Edmond Deschaumes, aujourd'hui tenorino, prisé à l'Echo de Paris, à la Revue critique d'Emile Max ; à la Chronique parisienne, sous le consulat de Taboureux, etc. Même, Trézenik réussit à fonder une vague Revue Nantaise, de concert avec un indigène de la Loire-Inférieure, connu (connu !) en littérature sous le nom de Pol Kalig.
Infatigable, il réunit ses Gouailleuses en une plaquette pince, que lui imprima Eugène Godin, contempteur de la Populace, mouton enragé, disparu après ce forcené bêlement.
Puis l'époque de Lutèce commença, trop saignante encore pour qu'il convienne de s'y attarder. Ils sont deux là-dedans, peut-être trois, heureux de tapager comme cinquante, et dont les clameurs réussissent parfois à faire dresser l'oreille paresseuse du boulevardier rive droite, si bien que leur petit journal paradoxalement fielleux finit par exercer, du moins entre Bullier et Cluny, comme une influence. Les machinettes publiées dans Lutèce, Giraud les collige sans retard, un premier stock paraît sous le titre de Proses décadentes, où rien n'était décadent que cette fallacieuse étiquette ; le reste, les Gens qui s'amusent, forment à peu près l'odyssée de l'insupportable Kerbihan, un sceptique narquois, dont l'auteur caresse les turlutaines struggleforlifiques avec trop de complaisance pour qu'on n'y devine pas un aveu personnel et ingénu.
Ce Kerbihan, La Palférine pour serveuses de brasseries, nous le retrouvons bientôt dans la Jupe, roman au titre raccrocheur, d'une incohérence naïve, claudicant de guingois, dont Louis Ulbach (on connaît les maîtres !) a pu dire, assez judicieusement en somme : « Ce livre commence comme un roman, continue comme une chronique et finit par une pirouette. » On n'en rencontre que difficilement des exemplaires, l'édition ayant été tout entière achetée par certains décadents, peu soucieux de laisser lire au public le chapitre où Trézenik les met en scène, sous leurs noms véritables, avec une certaine verve grossière. Pour ces personnalités brutales, pour les ruineux achats de volumes « en nombre » auxquels elles contraignirent les caricaturés, l'Aristophane du pays Latin fut tenu longtemps à l'écart par des vanités rageuses, sans que jamais, je le dis à sa louange, cet ostracisme ait paru le troubler plus que le souvenir de son premier sonnet. Toutes ces haines, aujourd'hui, sont allées où toute chose, où va la feuille de rose et la feuille de papier, a dans l'abîme insondable sur les parois duquel poussent les champignons de l'oubli », selon la sublime expression de Chateaubriand (Œuvres inédites).Léo Trézenik s'imagina de déverser la chronique scandaleuse du Perche dans son Abbé Coqueluche, où il fouaille le bas clergé de l'Orne, l'adjoint, le médecin, tous les notables de son village natal (1,743 habitants, 1,744 quand l'auteur y va passer les vacances), si bien que Regmalard, je veux dire Montué-sur-Huisne, pantèle, haletant, terrorisé de ces révélations. Le scandale eût été grand à Paris sans la bienfaisante inertie du bouquiniste Chacornac, préposé à la diffusion de l'Abbé Coqueluche, commerçant lénitif à la prudence duquel on pourrait confier des romans à la mélinite, sans crainte de les voir éclater jamais. Il est peu probable que le Ménage Boucher, une autre percheronnerie violente, soit enfouie, l'an prochain, dans l'antre de ce bibliophile secret, trop amoureux des livres pour s'ingénier à vendre ceux qu'on lui confie, et chez qui les exemplaires, une fois entrés, doivent laisser toute espérance de sortir autrement qu'en cornets.
Au commencement de 1890, - étrennes exquises, - Trézenik publia la Confession d'un Fou, roman bizarre, monographie plutôt, dissection psychologique d'un intellectuel qui sent la folie l'envahir. L'auteur a pu étudier d'innombrables cas de démence, puisqu'il observe, avec une touchante régularité, les accès des Caumeaux, Cattiaux et autres aliénés de l'Hôtel de Ville dont, sous le pseudonyme de Mancellière, il détaille les pitreries vésaniques aux lecteurs du Gil Blas. On en a déjà tiré quatre actes ; mais ce n'est pas tout de les tirer, il faut les voir !
L'ancien directeur de Lutèce a les cheveux rageurs, le teint clair, la bouche finaude, - un modeste regard, et, pourtant, l'œil luisant. Il naquit en 1855Willy.
Léo Trézenik, repris ces temps derniers de la nostalgie bibliographique, joint à ses attributions ordinaires celles de critiques littéraires influent du Nouvel Écho. Les Quais de demain, une vieille rubrique qui fit dresser force cheveux sur les têtes de la rive gauche, sont redevenus le cauchemar des Chevaliers du Guet, protecteurs des attardés de lettres.
De lui aussi, Amours bourgeoises, un gentil livre paru chez Ollendorff ; l'Abbé Coqueluche, drame en quatre actes, tiré de son roman, en collaboration avec Soulaine, et le Dindon, comédie en trois actes.W.
Nouvel Écho, Revue littéraire & dramatique illustrée. Bi-mensuelle.
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