jeudi 5 mai 2011

Enquête sur Les Tendances de la littérature. 1906.





Revue Littéraire de Paris et de Champagne.

Enquête sur Les Tendances de la littérature.


N° 35-36, février-mars 1906

J.-René Aubert : Idées et Opinions sur la littérature.


Idées & Opinions sur l'avenir littéraire de la langue française

La bienfaisante anarchie des temps derniers a façonné pour les nouvelles générations un outil – le verbe – d'une extrême souplesse et d'un maniement merveilleusement adéquat à l'originalité de chaque ouvrier.
D'héroïques aînés ont défriché, libéré de toutes entraves divers, chemins qui ont fatalement abouti dans un labyrinthe aux circuits délicieux mais mortels.
Les jeunes ainsi armés et affranchis, ont cherché et trouvent peu à peu l'issue lumineuse.
Deux voix libres et grandioses s'ouvrent dès lors à leur inquiétude : au fond de l'une s'évoque, dans le lointain du rêve, une cathédrale idéale, - au bout de l'autre un nouveau Parthénon.

Questionnaire

Quelle est, selon vous, l'expression la plus juste des aspirations littéraires contemporaines, et sous quelle forme doit-elle se manifester : vers libres ou classiques, poésie ou prose, théâtre, poème ou roman ?
Etes-vous pour l'art de la construction, des lignes sobres et des paroles essentielles, ou pour l'art de l'anecdote lyrique, intuitive, chargée d'images, d'inversions ou d'adjectifs ?
Est-ce la raison qui doit bâtir le portique clair et aéré de l'art moderne, ou est-ce la passion qui fera surgir la cathédrale de rêve, d'encens et de pénombre ?
Etes-vous pour l'art de la lumière et de la précision distribuées avec science, ou pour l'art de la pénombre et de la mélopée, créé par la mystique intuitive ?
Le renouveau occidental doit-il naître par la raison ou par la mystique ?

Nous commencerons au prochain numéro la publication des réponses, accompagnées chacune d'une page significative de vers ou de prose.

J.-R. Aubert.

N° 37, avril 1906

Michel Bréal, Fernand Clerget, Albert-F. Hennequin, Jules Romains, F.-E. Massé, Paul Souchon, Gérard de Lacaze-Duthiers.


Jules Romains

Demander à un écrivain quelles sont les tendances de la littérature actuelle, c'est lui demander quelles sont ses propres tendances ; c'est le pousser à faire une profession de foi. Sans autres cérémonies, donc, je vais vous donner un résumé bref et catégorique du programme que je défends.
Comme matière : la vie unanime, en elle-même et dans ses rapports à la vie individuelle.
Comme forme : l'expression la plus claire, la plus complète, la plus belle de cette matière.
D'où :
1° Un français irréprochable, sans contorsions, sans néologismes, sans écarts individualistes.
2° L'indifférence pour toutes les règles esthétiques, le mépris des entraves, l'emploi impartial de toutes les ressources.
3° La liberté, non pour elle-même, mais pour la traduction exacte de la vérité et la réalisation parfaite de la beauté.
En somme me semblent bons tous les moyens qui nous permettent de fournir aux hommes de notre temps une représentation de la vie unanime qui soit vraie, qui soit belle, dont ils puissent comprendre la vérité et sentir la beauté.
Maintenant que j'ai posé ces affirmation comme prémisses, il m'est plus facile de répondre aux termes de votre questionnaire.
1° Acceptons de nos devanciers les instruments inventés et perfectionnés par eux ; vers régulier, vers libéré, vers libre, prose rythmée, prose ; pour en user, ne consulter que notre goût et notre inspiration, la plus profonde des théoriciennes.
A quoi bon choisir entre le théâtre, le poème ou le roman ? Les trois valent mieux qu'un. Je pense toutefois que la poésie est plus prête que le roman et le roman que le théâtre à subir les influences nouvelles. La poésie montrera le chemin aux autres genres qui la suivront.
2° Je crois à une revanche de l'art objectif sur le subjectivisme effréné, de la composition sur le fouillis. La vie unanime est riche en vastes ensembles ; le détail restera subordonné à l'effet total. Mais le lyrisme garde sa place ; il traduira le retentissement de la vie unanime dans l'individu, et les soubresauts de l'âme individuelle aux prises avec l'Unanime.
3° Raison ou passion ? Laquelle introniser, laquelle bannir ? N'exilons personne. Je plains l'art qui n'a pas besoin d'intelligence et de sensibilité.
Dans la connaissance que l'homme a des choses, les notions précises voisinent avec les intuitions mystérieuses. L'âme moderne contient beaucoup de lumière et beaucoup de pénombre, le Parthénon et Notre-Dame. Ayons un art non moins vaste. Mais pas de pénombre inutile.
L'individu peut percevoir la vie unanime abstraitement, au moyen de son esprit ; il peut en prendre une conscience concrète grâce à une espèce d'amour divinatoire. L'artiste peut étudier la ville en psychologue, et la contempler en croyant. Raison et mystique.
Voilà mes tendances. Si j'affirmais que ce sont là, aussi, les tendances de la littérature actuelle, on m'accuserait, à bon droit de partialité.

Suit le poème, Nous.

N° 38-39, mai-juin 1906

Adolphe Retté, Madeleine Lépine, Tancrède de Visan, Adolphe Boschot, Nicolette Hennique, Edgar Malfère, Roger Frêne, Nicolas Deniker, Paul-Hyacinthe Loyson, Jehan Rictus, Léon Deubel, Henri Martineau, Philéas Lebesgue, Henri Grach, André Mary, André Salmon, Edmond Pilon.


Adolphe Retté

Des deux voies que vous proposez aux jeunes écrivains, il est à supposer que, comme toujours, chacun choisira celle qui convient le mieux à son tempérament – quitte à bâtir une théorie afin de justifier sa préférence.
Reprenant l'image où vous résumez votre enquête, j'ajouterai que les théories sont les échafaudages qui servent à édifier les Parthénons et les cathédrales. L'essentiel, c'est que ces monuments soient harmonieux dans leurs détails et dans leur ensemble. Toutefois j'avoue un faible pour les Parthénons. Ceux qui les construisent aiment la lumière, les larges colonnades, la grande Pallas-Athénè et les rythmes souverains de la vie tels qu'ils chantaient au temps où la tristesse galiléenne n'embrumait pas encore les cerveaux.
Pour les cathédrales, je les apprécie surtout lorsqu'elles s'écroulent, lorsque les rosiers sauvages poussent aux fentes de leurs murs et quand le parfum amer des aubépines remplace, sous leurs arceaux en ruine, les vapeurs assoupissantes de l'encens.

Suit, un poème, Le Vent du Soir.
Jehan Rictus

L'Expression la plus juste des aspirations littéraires contemporaines serait, je crois, celle qui s'attacherait à recréer le poème, la ballade ou la chanson populaire analogue à celle des trouvères et des troubadours.
Qu'importe la forme d'expression, vers, prose, théâtre, roman, pourvu que le créateur fasse simple, compréhensible et vivant. Pour faire vivant il faut en outre faire direct et moderne. Et faire « moderne » c'est s'apercevoir des aspirations que manifestent les collectivités asservies au labeur mécanique pour la conquête définitive du pain et de l'amour.
Ce qui différencie notre époque des époques passées c'est que l'Esclave antique ou le Serf féodal acceptaient leur sort. Les Salariés actuels ne s'en contentent pas.
Tel est, à mon avis, le terrible Drame moderne dont les jeunes devraient essayer de dégager la poésie et prévoir l'épilogue pour ne pas eux-mêmes périr. Mais pour cela il faut, en toute humilité, participer aux joies et aux souffrances de la foule : se faire aveuglément le domestique de la Douleur primordiale de son temps et pour cela il faut beaucoup d'intuition, d'enthousiasme et d'amour.

Suit un extrait de Fil-de-Fer.


Léon Deubel

Je suis pour la poésie, classique de forme, sobre, lumineuse, hautaine et sincère.

Suit, le poème, L'Adieu.

N° 40, juillet 1906

Ernest Delahaye, Cécile Périn, A. Barrau, Léon Bocquet, Jean-Marc Bernard, Louis Pergaud, Charles Vildrac, Roger Allard, Paul Castiaux, Fagus, Pierre Jaudon, Henry Rigal, Henri Delisle, Francis Eon.

Fagus

Tout élan est plus ou moins mystique, et ceux mêmes que la raison semble pousser. Le culte de la Raison est d'ailleurs inculte comme les autres et ni plus ni moins raisonnable ; il peut même se faire cléricalisme, et c'est ce que nous voyons à cette heure.

Mais comme lui façonne un glaive de géant ;
Car le reste n'est pas, car le reste est néant,
Car l'art sans rage aux reins, c'est morne apostasie
Entends ce seul avis, il semble insane, que :
L'unique arcane pour fleurir en Poésie,
C'est se sentir Poète, et le reste un beau jeu !


Pour bâtir portique ou cathédrale, pour élancer un mouvement : pour se mouvoir enfin, il faut pareillement la foi et se poussant jusqu'au mysticisme ; qui suppute le pour et le contre, qui raisonne, les reconnaît égaux, et s'abstient.
Et, cathédrale ou parthénon, vers libre ou bien contraint, tout se vaut qui est beau, et rien n'est beau que ce qui prend figure de temple.
Foi et loyauté est la devise nécessaire de tout ouvrier digne de ce nom, quelle que soit l'oeuvre.
Suit, Principes, un poème du recueil Jeunes fleurs.


N° 41, août 1906

Alexandre Goichon, Théo Varlet, Paul Gourmand, Paul-Louis Aubert, Georges Périn, Marie Dauguet.


Théo Varlet

A mon avis, « l'expression la plus juste des aspirations littéraires contemporaines » ; c'est la mienne.
La forme poétique adoptée dans mes oeuvres est évidemment la seule légitime.
Quant à déterminer la catégorie où il urge de classer l'art que j'emploie, c'est l'affaire de la critique.
A cet effet, je vous expédie mon récent volume « Notations ».
J'ignore si l'on y doit trouver plus de passion que de raison, ou plus de science que de mystique intuition. Mais j'estime que le « renouveau occidental » inauguré par mon avénement poétique, procède d'une synthèse congrue de ces diverses tendances. Et ceci a été implicitement démontré par la critique, qui rappela, à propos de mes « Notes de Poèmes », tous les grands noms littéraires du XIXe siècle, depuis Leconte de Lisle et Heredia, jusqu'à Laforgue, Corbière, Eekoud et Huysmans, inclusivement.

N° 42, septembre 1906

Ernest Gaubert, Martine, Edouard Deverin, Guillaume Apollinaire, A.-M. Gossez, Charles Doury, Jacques Mornand.


Guillaume Apollinaire

J'avoue qu'il m'est impossible de répondre utilement à votre questionnaire.
1.Vers libre et classique, poésie et prose, théâtre, poème et roman me paraissent des formes également excellentes. Je ne pense pas qu'aucune d'elles soit sacrifiée au bénéfice des autres.
2. - Je suis pour un art de fantaisie, de sentiment et de pensée, aussi éloigné que possible de la nature avec laquelle il ne doit avoir rien de commun. C'est je crois, l'art de Racine, de Baudelaire, de Rimbaud.
3. - Votre troisième question m'en suggère une. Pascal et Goethe étaient-ils raisonnables ou passionnés ?
4. - Evidemment, ce que vous appelez : l'art de la pénombre et de la mélopée créé par la mystique intuitive, m'inspire une défiance insurmontable.
5. - L'art naît où il peut.
Je ne possède point de composition significative et je le regrette.
J'ajoute que votre indulgence à l'égard de nos aînés n'a d'égale que l'espérance que vous fondez sur les jeunes. Je me souhaite que votre espérance se justifie mieux que votre indulgence.

N° 43, octobre 1906

René Arcos, Achille Essebac, Georges Duhamel, Charles Clarisse, Eug.-Martin Mamy, Emile Sicard, E. Maxils.




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