Suite des Opinions sur Gauguin, publiées par Charles Morice dans le Mercure de France N° 167 de novembre 1903.
Délivrer la peinture de toute explication littéraire, vouloir ne la faire vivre que par les harmonies de lignes et de couleurs, telle fut sa doctrine. Comme ses contemporains, il étudia la décomposition de la lumière, puis se lança hardiment dans la synthèse de la grande division, comprise à la manière japonaise, ne tenant compte que de l'équivalent des surfaces colorées. Il mit alors en pratique sa théorie de dérivations des couleurs : prétendant avec juste raison plus facile à obtenir l'accord de deux couleurs dérivées que celui de deux couleurs complémentaires. Généralement, Gauguin affectait d'ignorer le métier de l'art où il ouvrait. Rusé comme un sauvage et parfois plus ingénu qu'un enfant, il se composait une technique nouvelle qui paraissait à rebours de celle employée habituellement par les spécialistes patentés.
La recherche de l'expression de la beauté fut sa continuelle préoccupation, entravée quelquefois par l'orgueilleux désir d'étonner, de surprendre par la nouveauté ou l'étrange hardiesse de ses conceptions. Chacun sait l'importance, la valeur artistique et numérique de ses productions : peinture, sculpture et gravure sur bois, lithographie, eau-forte, céramique, tout l'a tenté. Il a tout essayé et a excellé en tout. Il fut un maître dont le talent, déconcertant parfois ses amis, est incontestable pour ses ennemis eux-mêmes.
M. Armand Seguin
L'Angleterre eut en Turner un génie dont l'influence se remarque en France dans les oeuvres de Monticelli, Van Gogh, Monet, Renoir. Un siècle plus tard, Paul Gauguin nous a donné des formules nouvelles ; décorateur parfait, son enseignement est plus sain et plus étendu que celui de Turner. Ces deux génies, sources de Beauté, sont véritablement des peintres. Boecklin en Allemagne et les préraphaëlistes ne sont que des illustrateurs littéraires.
Les artistes français ne comprennent pas encore l'importance de la perte qu'ils viennent de faire en Paul Gauguin ; les étrangers la préssentent. Ceux qui ont plagié son oeuvre considérable ne s'en doute nullement. C'est en l'analysant avec amour et respect que l'on trouvera les lois sages qui ordonnaient ses différentes recherches. La mort dans l'exil de Paul Gauguin lui a évité la terrible souffrance de voir célèbres ses imitateurs et de quelle façon mauvaise ils ont démarqué son art ; aussi, elle nous a servi à juger les critiques qui ont osé railler l'un des plus grands maîtres de ces temps.
Les générations futures sauront reconnaître cette vérité.
M. Paul SignacMais, c'est atroce, ces interviews funéraires ! En de telles circonstances, et pour contraster avec les injures des reporters de l'art, je ne puis qu'adresser un hommage respectueusement ému à la vie et au labeur du fier révolté et du beau peintre que fut Gauguin.
Avec Louis Roy et Armand Séguin, ce sont deux amis, des disciples presque de Gauguin qui s'expriment. Louis Roy (1872-1907) rencontra Gauguin par l'intermédiaire d' Emile Schuffenecker, Gauguin fit son portrait en 1889. La même année avec Schuffenecker, Anquetil, Monfreid, Laval, Filiger, Émile Bernard, groupé autour de Gauguin il expose au Café Volpini, ces refusés de l'Exposition Universelle, appelés « Groupe impressionniste et synthétiste », formeront le groupe de Pont-Aven. L'influence de Gauguin sur Roy se fera sentir à partir de 1891 dans ses toiles exposées au Salon des Indépendants. Louis Roy fit parti des expositions consacrées par Le Barc de Bouteville aux Peintres impressionnistes et symbolistes de 1890 à 1896. Gauguin lui confiera en 1894 la confection des gravures pour le tirage de tête de Noa Noa. Armand Séguin (1869-1903), fut sans doute le disciple préféré de Gauguin, il ne laisse qu'une douzaine de toiles et une centaine de gravures. Gauguin écrivit la préface à la seule exposition qu'il eut de son vivant, à la galerie Le Barc de Bouteville en 1895.
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