lundi 12 janvier 2009

COQUELIN cadet "Roi" du Monologue



Après avoir donné quelques illustrations par Sapeck extraites du livre de Coquelin Cadet Le Rire, il me paraît intéressant de revenir sur l'auteur de ce livre, en donnant le texte qui lui fut consacré dans l'album Mariani, recueil de biographies et gravures, édité par le fabricant de vin de coca.


COQUELIN CADET


De petits yeux verts sans cesse à l'affût au fond des orbites ; le nez qui part pour aller on ne sait où, dans les nuages, et brusquement s'arrête en route ; la bouche large, qui sourit sur des dents un peu proéminentes et se fend jusqu'aux oreilles quand elle rit aux éclats ; le menton carré, volontaire, têtu comme une enclume ; la figure qui semble faite de l'assemblage capricieux d'organes dépareillés ; une physionomie chargée de fluide sympathique ; une laideur irrésistiblement séductrice, comme aimantée.
Il y a deux personnalités bien distinctes chez Cadet : le boulevardier et le comédien. D'aucuns prétendent qu'il s'applique depuis quelque temps à revêtir une troisième incarnation, celle de l'oncle ; mais comme cette dernière ne regarde en rien l'histoire et comme le jeune Jean Coquelin semble, pour ses débuts sur la scène, avoir distrait un peu du patrimoine paternel, plutôt qu'emprunté sur l'héritage avunculaire, nous nous occuperons exclusivement du Cadet, bon garçon qui compte autant d'amis que de connaissances et du Cadet, acteur primesautier et charmant qui est le roi indiscuté du Monologue.
C'est un matinal, si l'on compare l'heure à laquelle il sort et l'heure à laquelle se lève d'ordinaire le tout Paris qui veille ou qui soupe. Souvent, on le rencontre avant midi, arpentant l'îlot d'asphalte qui s'étend de la Chaussée d'Antin à l'Opéra. Il va, d'un bout du trottoir à l'autre, marchand légèrement voûté, la canne derrière le dos, cause l'air très animé avec un monsieur qui n'est jamais le même à l'aller et au retour, reconnaît pourtant les gens qui passent, donnant à qui un coup de chapeau, à qui une poignée de main, - s'arrêtant parfois pour prendre des nouvelles d'un habitué de certaine terrasse, d'un familier momentanément disparu dont il est le premier à remarquer l'absence, ou bien encore pour glisser une nouvelle à la main, un mot follement drôle, à l'oreille d'un échotier ravi de l'aubaine. Cadet, en effet, n'est pas seulement le diseur exquis que tout le monde connaît, il a de plus fait ses preuves comme écrivain, et les lecteurs du Gil Blas ont pu longtemps s'apercevoir que l'acteur maniait la plume assez joliment et troussait un mot de la fin avec autant de désinvolture qu'il portait un rôle.
La carrière de Cadet n'est pas sans accidents, quelquefois même sans amers déboires. D'abord, il faut lutter contre les répugnances du papa Coquelin, un brave boulanger de Boulogne-sur-Mer, qui se désole de voir son second fils Ernest montrer les mêmes dispositions funestes que son frère aîné, vouloir lâcher le métier, courir à Paris, entrer au théâtre. Pour calmer la belle ardeur artistique de son puiné, le père Coquelin l'envoie d'abord en Angleterre, le place ensuite dans une administration de chemins de fer, puis enfin le voyant persister dans sa vocation, le laisse se présenter au Conservatoire.
Cadet entre dans la classe de Régnier, fait d'excellentes études, décroche un premier prix de comédie et est engagé à l'Odéon pour jouer les rôles comiques du répertoire. L'année suivante, il retrouve son frère à la Comédie Française et débute sans grand éclat à côté de lui ; son jeu contenu, très personnel, visant au suggestif, portait peu, et puis il avait surtout contre lui l'immense désavantage d'être arrivé le second.
Pendant la guerre, Cadet s'engage et se bat crânement sous les murs de Paris. Sa belle conduite à Buzenval lui vaut la médaille militaire, le modeste ruban jaune au liseré vert, dont les soldats ont coutume de dire qu'il n'a jamais été volé.
La paix rétablie, Cadet revient à la Comédie, continue à jouer le répertoire jusqu'en 1875, demande en raison des services rendus, à devenir sociétaire, et sur le refus qui lui est opposé, quitte la maison de Molière pour le Gymnase, où il joue tout à fait supérieurement le rôle principal de La Guigne, une comédie un peu oubliée de Labiche.
On s'aperçut vite au Théâtre-Français de la sottise qu'on avait faite en laissant partir Cadet, aussi ce fut une véritable ovation qui l'accueillit alors qu'après deux ans de bouderie, il reparut dans le rôle de Bazile, sur cette scène qu'il ne devait jamais plus quitter et dont son merveilleux talent continue dans une large part à maintenir la renommée.
Coquelin Ernest, dit Cadet, est né à Boulogne-sur-Mer en 1848. Entré au Conservatoire en 1864 (1), premier prix de Comédie en 1867, débuta la même année à l'Odéon, entre au Théâtre Français l'année suivante et quitte ce théâtre en 1875 pour le Gymnase (2). Revient à la Comédie en 1877 (3). A fait connaître nombre de jeunes gens en disant leurs monologues dans les salons ou les fêtes de charité (4).



(1) 1866, dit P.-V. Stock : Memorandum d'un éditeur deuxième série, Librairie Stock, Delamain et Boutelleau, 1936
(2) Aux Variétés, pour P.-V. Stock
(3) Juin 1876, P.-V. Stock encore
(4) Coquelin Cadet « était très goûté comme diseur et comme comédien, il était sollicité de toutes parts et fort souvent, il lui arrivait de participer à plusieurs réunions dans la même soirée. Les cachets étant assez élevés, il eut une période de gains des plus appréciables. » P.-V. Stock. Paul Bilhaud, Alphonse Allais, Ernest Feydeau, Paul Arène, Eugène Morand (le père de Paul...), Jules de Marthold, Grenet-Dancourt, Grosclaude, et bien sur Charles Cros, son favoris, furent parmis les auteurs qui fournirent en monologues le comédien.



Les lamentables deux dernières années de Coquelin Cadet nous sont contées par P.-V. Stock. Après son mariage, Coquelin fut interné dans une maison de santé de Neuilly, de force d'après sa femme, pour cause de déprime pour la famille. S'étant échappé de la maison de Neuilly, Cadet découvrit son bel appartement vidé de ses meubles et objets d'art, de force il est a nouveau interné, cette fois à Suresnes, où toutes visites de ses amis sont interdites. Il mourra dans cette clinique en 1909, malgré les interventions de Stock et de Waldeck-Rousseau, même son médecin personnel ne put entrer en contact avec son client.



Petite bibliographie, non exhaustive :

- Sous le pseudonyme de Pirouette : Le Livre des convalescents. Tresse, 1880. Préfaces d'Armand Silvestre et de Touchatout. Illustrations d'Henri Pille.
- Le Monologue Moderne. Ollendorff, 1881. Illustrations de Luigi Loir.
- La Vie humoristique. Ollendorff, 1883. Portrait par A. Descaves.
- L'Art de dire le monologue avec Coquelin Ainé. Ollendorff, 1884.
- Le Rire. Ollendorff, 1887. Illustrations de Sapeck.


Il préfaça des volumes de Gabriel Astruc (Surtac. Les Morales du Rastaquouère), Lucien Darthenay (Le Guignol des Salons), Albert Guillaume (Pour vos beaux yeux), Paul Bilhaud (Gens qui rient, Choses à dire), Victor Meusy (Chansons d'hier et d'aujourd'hui), Mac Nab (Poèmes Mobiles).


Monologue de Pirouette-Coquelin-Cadet illustré par Sapeck

Sapeck illustre Le Rire de Coquelin Cadet

Voir le texte de Jules Jouy sur Coquelin Cadet dans L'Hydropathe sur le site Le Chat Noir, et pourquoi ne pas en profiter pour consulter les autres numéros...

Sur Coquelin voir la gazette rimée de Raoul Ponchon sur le blog de Bruno Monnier.


3 commentaires:

Raoul Ponchon a dit…

J'ajoute cette gazette :
http://raoulponchon.blogspot.com/2008/01/blog-post_12.html
Bien à vous

Anonyme a dit…

Et moi je suis allé voir d'Udine et sa meule. Quelques informations pour toi...

zeb a dit…

Ah ! Ce Préfet martime, en voilà un qui sait travailler... On attend avec hâte ces infos sur Udine et sa "meule"