M. Paschal GROUSSET membre de la Commune
délégué aux Relations extérieures pendant la Commune, aujourd'hui député
Ce n'est pas seulement un chapitre de l'histoire de ma vie que vous me demandez, c'est tout un volume. Le volume est écrit, mais ne paraîtra qu'après ma mort. Laissons-le dormir. En peu de mots, voici mon sentiment sur le 18 mars.
Il est à peine besoin d'affirmer que deux millions d'hommes ne s'insurgent pas sans motif, - ne se battent pas pendant neuf semaines et ne laissent pas trente-cinq mille cadavres sur le pavé sans avoir de bonnes raisons.
Chez beaucoup, ces raisons étaient faites des longues souffrances qui sont la vie des sept huitième d'une nation prétendue civilisée. Chez d'autres, elles naissaient surtout des colères obsidionales, du grand effort stérilisé par l'impéritie officielle, des hontes de la capitulation et aussi de l'entente facilitée par le groupement des forces civiques. Chez tous l'idée dominante, l'idée maîtresse était la nécessité primordiale de défendre la République, directement attaquée par une Assemblée cléricale et royaliste.
La République de nos rêves n'était assurément pas celle que nous avons. Nous la voulions démocratique et sociale, et non pas ploutocratique. Nous entendions en faire l'instrument de précision de la transformation économique. République était pour nous synonyme de régénération. Au milieu des ruines fumantes de la patrie, il nous semblait nécessaire et juste de disqualifier sans retour les hommes et les institutions qui avaient amoncelé ces ruines. Il nous fallait des écoles nouvelles, une morale nouvelle et des guides nouveaux. Travail pour tous, éducation pour tous, défense nationale pour tous, confiance inébranlable dans les destinés de notre race, - tel était le mot d'ordre qui surgissait spontanément du coeur de Paris exsangue et qui s'incarnait à ses yeux dans la République.
Le siège nous avait laissé militairement organisés ; c'est pourquoi notre révolution fut à la fois militaire et civique. Les classes dirigeantes venaient de donner la mesure de leur criminelle incapacité , c'est pourquoi notre révolution fut prolétarienne et marquée le fait pivotal des temps modernes, dans l'avènement direct des travailleurs au mystère de pouvoir.
Quant à la Commune, pour nous comme pour ceux de 1792, c'était l'organisme occasionnel et provisoire qui naît aux heures de crise pour prendre en main l'évolution sociale et la conduire à terme.
Comment la lutte s'engagea et quelles en furent les péripéties, vous le savez. Grâce à la complicité de l'Allemagne, qui rendit tout exprès ses trois cent mille prisonniers à l'Assemblée de Versailles, Paris succomba sous le nombre. Mais il avait du moins, par son héroïque effort, donné à la France républicaine le temps de se ressaisir. Des engagements formels avaient du être pris par Thiers avec les délégués des grandes villes frémissantes. Quand le sang de nos rues fut lavé, il se trouva que le programme de Paris était le seul pratique.
C'est ainsi que de notre holocauste, de nos douleurs et des larmes de nos mères fut cimenté le pacte républicain.
Entre temps, la loi municipale avait été votée : sur ce point encore, Paris gardait gain de cause.
Quant à la transformation économique, pour un quart de siècle elle était ajournée. Mais qui oserait dire aujourd'hui qu'elle n'est pas restée inévitable ! La misère grandit avec le progrès mécanique ; dans cette France si belle, des milliers de bras inoccupés ; le malaise de toutes les classes se trahit par des symptômes chaque jour plus évidents. L'impuissance des vieilles formules, l'incohérence des institutions et des faits éclatent aux yeux. L'heure approche où sur cet article aussi, le programme du 18 mars va s'imposer par l'irrésistible force des choses. Cette heure sera pour nous, qui avions voulu l'avancer, celle de la justice historique.
Ombre pour ombre, Annie Le Brun (2)
Il y a 2 semaines
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