mardi 14 octobre 2008

LES HOMMES D'AUJOURD'HUI : André GILL par F. Champsaur



« Je vous en prie, mon cher Gill, ne cambrez pas tant votre taille, ne caressez pas vos cheveux sur votre tempe droite. Ils sont bien ainsi. Ne tordez pas votre fine moustache. C'est la moustache d'un grand seigneur, du marquis de Bruyères, telle que la peignit Théophile Gautier. Faites un peu moins saillir cette hanche, accentuez un peu moins la courbe harmonieuse de cette jambe. Plus de naturel, de laisser-aller. Vous pouvez vous placer sans façons. Il n'y a là près de vous que votre ami M. Tout-le-Monde, et moi, qui ne compte pas. Asseyez-vous ici, sur cette chaise, et à califourchon, obéissez, méritez la belle de nuit, emblème de modestie, que vous donne ce bon Grévin. Il n'est pas nécessaire d'en imposer. Soyez, comme vous l'êtes dans l'intimité, tendre, profond, familier, soyez vous-même simple et primesautier. Vous êtes ainsi. Pourquoi vous changer ? Ne bougeons plus. Je commence.
André Gill, cousin par la tournure d'esprit de Denis Diderot et de Frédérick Lemaître, est, d'abord, toujours un peu l'enfant enthousiaste et rêveur d'autrefois.
Ses parents morts, il habitait, tout petit, entre sa tante et son grand-père, comme dans un nid de vieux. En dehors de cet intérieur sénile, rien n'existait. Son grand-père, M. Blanc, ainsi qu'on l'appelait, je crois, car il avait changé de nom, étant devenu pauvre, son grand-père lui acheta un jour le Don Quichotte illustré. Ce livre fut le premier de Gill, le premier qu'il aima, celui qu'il aime toujours. Le second livre de Gill fut celui de Galland : les Mille et une Nuits. L'Orient et Don Quichotte, voilà le rêve de Gill ».

Ainsi commence la notice du N° 8 des Hommes d'Aujourd'hui, que Félicien Champsaur consacre à André Gill son collaborateur et co-fondateur de cette série de monographies illustrées commencée en cette année 1878. La première des quatre pages de la première série de ces fascicules étaient généralement orné du « portrait-charge » (1) par André Gill de la personnalité choisie. Gill a laissé quelques portraits de lui-même, mais pour cette fois, le numéro s'ouvre sur un portait de Gill par son confrère Grévin. Sous le second empire, Gill connaît la gloire avec ses illustrations pour le journal La Lune (1865-1868), puis pour L'Eclipse (1868-1876), ouvertement anti-bonapartiste et républicain il s'en prendra régulièrement au futur « sire de Fiche ton camp », après le siège et la Commune (durant laquelle il fut nommé conservateur du Musée du Luxembourg), il prendra pour cible Adolphe Thiers, dont les services de la censure seront intraitable avec le caricaturiste. André Gill rêvait de posséder son propre journal, ce sera fait avec La Lune Rousse (1876-1879). Sa collaboration avec Champsaur pour les Hommes d'Aujourd'hui durera quelques années, puis André Gill hanté par l'envie de gagner de l'argent, en proie à des crises de folies, sera interné à l'asile d'aliéné de Charenton où il meure en 1885. Mais Gill ne fut pas seulement peintre et caricaturiste, chansonnier et poète il fut membre des Hydropathes et fréquentera le Chat noir, seul ou en collaboration il signera des actes en vers, il est l'auteur de La Muse à Bibi un recueil de poésie argotique, ainsi que de monologues, il écrira ses souvenirs (Vingt années de Paris, 1883, Marpon et Flammarion) (2).


(1) Le terme, d'époque, me semble plus adapté que celui de caricature pour ces portraits où ce n'est pas tant la déformation où l'accentuation des traits, que les costumes, le décor et les éléments, « la mise en scène » du personnage qui nous informent sur celui-ci, et sur l'empathie ou l'antipathie de l'auteur pour son sujet.

(2) Bertrand Tillier, en 2006, chez Champ-Vallon, rééditera ces souvenirs accompagnés de la correspondance d'André Gill sous le titre : Correspondance et mémoires d'un caricaturiste.

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