mercredi 29 octobre 2008

Albert GLATIGNY à la Brasserie par Catulle Mendès



Albert Glatigny fut une figure importante et pittoresque du Parnasse. Plus que son oeuvre, sa vie de misère et de bohême, sa figure de poète et de comédien ambulant ont fait de lui un personnage de roman, Catulle Mendès, dans La Première Maîtresse (Charpentier et Cie, 1887), le peint sous les traits de Straparole.

« Il était allé, deux ou trois fois déjà, avant sa maladie, dés son arrivée à Paris, dans ces cafés, dans ces brasseries célèbres, dont elle parlait avec mépris ; il avait vu, d'un peu loin, osant à peine prendre sur lui de s'asseoir à leurs tables, tout ces gens qu'elle dédaignait : Straparole, le comédien-rimeur, fantasque et superbe, héroïque et bouffon, improvisant des ballades et faisant ensuite, de sa bouche de satyre,grande ouverte, pareille à une sébile, des quêtes de baisers aux lèvres des belles filles [...]»

Pages 70 – 71

« Tétons-de-Bois, belle fille, entra dans la Brasserie.
- Jeune fille ! Cria Straparole, tu vas venir t'asseoir à ma table, tout de suite, en moins de temps qu'il n'en fallait à Procné, princesse emplumée, pour franchir l'Eurotas où se mirent les lauriers-roses ; et, uniquement occupée de contempler ma face pareille à celle d'un faune d'Erymanthe, charmée jusqu'à l'oubli de toute autre musique par le bruit d'invisible lyre qui chante dans ma voix, tu dédaigneras ces mortels sans génie qui nous entourent. Ils ne méritent pas que tu t'aperçoives de leur présence, étant de vils prosateurs. Mais, moi, je suis doublement digne d'être adoré par toi, déesse ! Puisque je suis poète, et cabotin. J'ai deux gloires comme un cygne a deux ailes. Je te dirais des odes qui charment et enivrent non moins qu'un vin parfumé de roses :

Assez de plaintes sérieuses
Quand le bourgogne a ruisselé,
Sang vermeil du raisin foulé
Par des bacchantes furieuses...

Ou bien, si tu préfères (tu préféreras peut-être, ange plein d'ineptie !) je te réciterai la grande tirade de M. Germont, notaire, au quatrième acte de La Famille pauvre : « C'est une chose véritablement triste pour un vieillard que toute une vie de travail et de probité recommandait à l'estime de ses concitoyens, de voir s'avilir en un moment un demi-siècle d'honorabilité, parce qu'il engendra des enfants qui mettent syr ses cheveux blancs une couronne d'infamie ! » Car, répétons-le, muses héliconiades ! Je suis une espèce de Thespis ; je tiens de Pindare, poète lyrique, et d'Aristodème, acteur de satyres, de Catullus et de Roscius ; je serais pareil à Molière s'il rimait mieux, à Shakespeare, s'il ne s'était obstiné à écrire ses drames en anglais, une langue que personne ne comprend. Je ressemble en même temps à M. de Laprade, de l'Académie française (mais j'ai plus de talent que lui !), et à M. Mélingue, de la Porte-Saint-Martin (seulement je joue les pères nobles !), et si jamais tu me fais l'honneur de me suivre, Ô Tétons-de-Bois, nymphe bien nommée, dans les salons des ambassades, où je hante communément après la fermeture des cafés de Montmartre, tu entendras parmi les murmures d'admiration qui accompagneront notre passage : Voyez ! Voyez ! Voyez ! Celui-ci c'est Straparole, c'est le mortel honoré des dieux mêmes, de qui tous les vers ont été refusés à la Revue des Deux Mondes, et qui a été sifflé à Brives-la-Gaillarde !
En parlant ainsi, debout, long, maigre, et s'allongeant encore comme ces fantoches de tréteaux dont se développent infiniment les bras, Straparole, en un débraillement magnifique de parole, de geste, d'habit, écarquillait ses yeux allumés, ouvrait toute grande sa bouche sensuelle et heureuse, où riaient les claires dents ! Un peu gris ? Point du tout ; continuellement éperdu, il ne buvait guère que de l'eau pure ; toujours l'air d'être soûl, il était sobre ; Pierre Labaris disait : « Straparole est ivre tous les matins du nectar qu'il a bu en songe » et, là, ce soir, pareil à lui-même, lyriquement fantasque, héroïque et comique, il y avait sur toute sa face osseuse et luisante de sueur, ce double épanouissement, qui fut son génie, la joie et la bonté ! [...] »
Pages 83 à 86


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