mercredi 1 décembre 2010

Pierre Louÿs vend sa bibliothèque


Ainsi, à force d'insouciance, et faute d'avoir jamais pris à temps les mesures indispensables, Pierre Louÿs, se trouva bientôt dans des difficultés financières inextricables. Et sa femme en souffrit nécessairement. En vain la sage Gérard d'Houville me disait-elle :

- Si on tient à payer les notes d'épicier au jour le jour, il ne faut pas épouser un artiste. Il faut épouser l'épicier.

Dès le lendemain de la générale de l'Aphrodite, – c'était le 17 mars 1914, - Pierre Louÿs avait mesuré la vanité de son espoir d'être tiré de peine par un triomphe à la scène qui eût mis à sa disposition les capitaux que procure à tout auteur une pièce de théâtre jouée cent ou deux cent fois. Courageusement, il prit le suprême parti d'une vente des livres de son incomparable bibliothèque. Non pas tous ces livres ! Il y en avait des milliers ! Et non pas ceux qu'il aimait le mieux, mais ceux qui représentaient la valeur marchande la plus immédiate et la plus indiscutable. Il choisit ainsi sept cent cinquante volumes dont il fit un catalogue magnifique, probablement unique dans les fastes de la librairie, et prépara une vente à l'Hôtel Drouot.

Elle n'eut pas lieu.

L'avant-veille, un inconnu s'était présenté au Hameau :

- Je voudrais acquérir en bloc, mon cher maître, tous les livres que vous vendez. Bien entendu, votre prix sera le mien.

- Trouvez-vous, - fit Pierre Louÿs hésitant, - que trois cent mille francs ?... (1914. Il s'agit de francs-or).

- J'accepte. Je paie comptant, bien entendu. Mais je voudrais...

- Quoi donc ?

- Que ces livres restassent où ils sont, chez vous. Et que vous en fussiez, pour moi, jusqu'à votre mort, le bibliothécaire et le conservateur...

Cet acheteur, - un grand poète, il va de soi, - était Armand Godoy. Et j'ai revu, en 1930, chez lui, à Lausanne, les livres qu'il avait ainsi préservés des hasards sacrilèges que l'avenir devait faire courir, après la mort de Pierre Louÿs, à tout ce que recélait encore la bibliothèque du Hameau.

Ainsi fut sauvée, par la généreuse intervention d'un autre créateur, Armand Godoy, une partie importante de cette âme de Pierre Louÿs qu'étaient ses livres.








Claude Farrère : Mon ami Pierre Louÿs. Domat, 1954 (A.I. novembre 1953), in-12, 192 pages, 4 fac-similés hors texte. Avec des lettres inédites de Pierre Louÿs à Claude Farrère.

La bibliothèque d'Armand Godoy par Gaston Picard sur le site des Amateurs de Remy de Gourmont.


1 commentaire:

Olivier Verley a dit…

Bonjour, et merci pour vos articles.
C'est un vrai plaisir d'aller en balade chez vous.