Il se défend mieux mort que vivant.
Aujourd’hui deux opinions sur Gauguin collectées par Charles Morice (1), celle d’Alidor Delzant, avocat, collectionneur, bibliophile, auteur d’un ouvrage sur les Goncourt et légataire testamentaire des mêmes, et qui semble avoir peu de goût pour l’art moderne. Jean Dolent, romancier et critique d’art, prudent comme son ami Carrière, égale à lui-même, ce faux modeste ne « dit que de petites choses ».
M. Alidor Delzant
Sur M. Gauguin je n’ai rien de particulier à dire : je suis de ces rétrogrades qui préfèrent le talent sans le génie au génie sans le talent !
M. Jean Dolent
Je dois à Charles Morice d’avoir connu Gauguin. Devant cet homme d’une persistante volonté j’étais un peu confus, étant de ceux qui ont pu recevoir de l’Immortelle un rendez-vous auquel une femme a fait manquer (c’est ainsi qu’ils s’excusent)… et ainsi ils ne furent pas admirables, ce qui a cet avantage de ne pas donner au lecteur la sensation fâcheuse, l’humiliation, de se sentir inférieur à eux. Ils ne disent que de petites choses.
Paul Gauguin parlait de tout avec assurance ; il parlait un peu bas de [ce] qu’il entendait mal, disant n’avoir pas « de lettres », attendant peut-être de nous une objection que notre imparfaite éducation et aussi notre malice lui laissaient parfois attendre assez longtemps.
Glorieux, je le rappelle : j’ai eu un même jour à ma table : Paul Gauguin, Albert Trachsel, Odilon Redon. Je disais : « Personne n’est bête, ce qui est bête en nous est emprunté. » Voilà toute ma part. J’écoutais.
On aimait Gauguin les yeux ouverts. Il y avait deux personnes en Gauguin et j’étais avec l’une d’elles, d’accord avec Gauguin quelque fois, contre l’autre : le théoricien était abondant et imprécis, mais l’artiste au chevalet était silencieux. Il se défendait. Il se défend mieux mort que vivant.
Toulouse-Lautrec (disait devant une toile de Paul Gauguin) : - Un pied est plus joli que ça !
Il disait aussi : - Gauguin ne s’avale pas comme une pilule.
Rodin (devant un bois sculpté de Gauguin) : - C’est de la curiosité.
Carrière, affirmatif et autoritaire, il a conquis ce droit : - Gauguin est au-dessus de Burne Jones.
J’aime le portrait de Gauguin par lui-même donné à Carrière et le portrait de Gauguin par Carrière, donné à Gauguin. Cela veut dire quelque chose, je pense.
Il n’y a pas d’histoire « connue », il n’y a pas d’histoire « nouvelle » absolument : Gauguin est un créateur dans la mesure des différences. – Quelques-uns du groupe, parmi ceux qui font de l’analyse toute la semaine et de la synthèse le dimanche, se disent (indûment) rassurés : Gauguin ne me gêne point, il ne sait pas dessiner.
Et ainsi tout le monde est content.
Il est intervenu.
Paul Gauguin parlait de tout avec assurance ; il parlait un peu bas de [ce] qu’il entendait mal, disant n’avoir pas « de lettres », attendant peut-être de nous une objection que notre imparfaite éducation et aussi notre malice lui laissaient parfois attendre assez longtemps.
Glorieux, je le rappelle : j’ai eu un même jour à ma table : Paul Gauguin, Albert Trachsel, Odilon Redon. Je disais : « Personne n’est bête, ce qui est bête en nous est emprunté. » Voilà toute ma part. J’écoutais.
On aimait Gauguin les yeux ouverts. Il y avait deux personnes en Gauguin et j’étais avec l’une d’elles, d’accord avec Gauguin quelque fois, contre l’autre : le théoricien était abondant et imprécis, mais l’artiste au chevalet était silencieux. Il se défendait. Il se défend mieux mort que vivant.
Toulouse-Lautrec (disait devant une toile de Paul Gauguin) : - Un pied est plus joli que ça !
Il disait aussi : - Gauguin ne s’avale pas comme une pilule.
Rodin (devant un bois sculpté de Gauguin) : - C’est de la curiosité.
Carrière, affirmatif et autoritaire, il a conquis ce droit : - Gauguin est au-dessus de Burne Jones.
J’aime le portrait de Gauguin par lui-même donné à Carrière et le portrait de Gauguin par Carrière, donné à Gauguin. Cela veut dire quelque chose, je pense.
Il n’y a pas d’histoire « connue », il n’y a pas d’histoire « nouvelle » absolument : Gauguin est un créateur dans la mesure des différences. – Quelques-uns du groupe, parmi ceux qui font de l’analyse toute la semaine et de la synthèse le dimanche, se disent (indûment) rassurés : Gauguin ne me gêne point, il ne sait pas dessiner.
Et ainsi tout le monde est content.
Il est intervenu.
(1) Charles Morice Mercure de France, N° 167, novembre 1903
lithographie d'Eugène Carrière pour Monstres, Lemerre, 1896, de Jean Dolent
Eugène Carrière - P. Durio - Fagus - Gustave Geffroy - Charles Guérin - Antoine de Antoine de La Rochefoucauld - Camille Lemmonnier - Maximilien Luce - A. Mithouard. G. Prunier. O. Redon OPINIONS SUR GAUGUIN - Charles MORICE Fin
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