Dans La Critique (1) N° 38, 20 septembre 1896, Willy est prit d'une flemme estivale lors de la rédaction du compte-rendu des Profondeurs de Kyamo de J.-H. Rosny, heureusement son ami Jean de Tinan (dont il ne cite pas le nom), en villégiature à Jumiège, vient de lire le livre et de lui en faire le compte-rendu dans sa correspondance. Willy, fidèle à sa réputation, n'hésite pas à emprunter quelques lignes de Tinan, pour étoffer son article. Les « petites revues » devaient avoir un lectorat très au courant des nouveautés littéraires pour s'y retrouver dans les allusions de Willy : La lettre longue à la Bien-Aimée... n'était connue que des quelques lecteurs de la revue Le Centaure, Tinan lui-même n'est encore que l'auteur de Document sur l'impuissance d'aimer (L'Art Indépendant, 1894) et Erythrée (Mercure de France, 1896), deux ouvrages qui ne connurent pas une grande diffusion et de quelques articles dans l'Idée Libre, Pan ou le Mercure de France. La silhouette de dandy de Jean-aux-impeccables-redingotes-1830 n'était alors connue que d'un cercle d'amis, c'est à ceux-là que s'adresse l'article de Willy, comme la plupart des articles publiés dans La Critique.
(1) Voir : La Critique. Une enquête sur le droit à la critique. 1896.
(1) Les Profondeurs de Kyamo (2)
Hier, comme je relisais, pour la dixième fois, l'humoristique nouvelle végétarienne que l'auteur des Profondeurs de Kyamo daigna – pourquoi ? - dédier à l'Ouvreuse du Cirque d'Eté, quelque amertume s'éleva des voluptés qui m'inondaient, et, dans les fleurs même... (Lucrèce, que me veux-tu ?... Bref, je regrettais âcrement d'avoir à torcher pour La Critique un articulet où dire tout le bien que je pensais de l'oeuvre des Rosny [I] en général, et de leur dernier livre en particulier. C'est si embêtant de faire de la copie, en vacances (3) ; ainsi, tenez, je n'ai point encore parlé des Maîtres chanteurs [II], absolument remarquables, de Brinn'Gaubast ! Ah ! La flemme, l'invincible flemme !...
Par fortune l'humoriste si jeune encore, si talentueux déjà, à qui nous devons la fameuse Lettre longue à la bien-aimée [III] et qui nous doit Penses-tu réussir ? [IV] m'envoie de Jumièges [V], quelques feuillets d'une grâce désinvolte; me renseignant sur la fréquence des orages dans la Seine-Inférieure, sur l'Eros-série de quelques ruminantes du pâturage d'Harcourt [VI] avec lesquelles il daigne correspondre, sur ses dernières lectures ; parmi celles-ci, les Profondeurs de Kyamo. Mince de veine ! Donc, je copie ce passage de sa lettre :
« Ni l'Art d'aimer où la gracieuse insolence de Catulle Mendès conseille tous les précieux mensonges, ni la grave Erotique traditionnelle de Joséphin Péladan, ni les sages réflexions de Démétrios de Sais devant l'Aphrodite fleurie des vraies perles de l'Anadyomène... ne ressemblent au « Livre d'Amour » que l'on pourrait conclure de l'oeuvre de MM. Rosny, et aujourd'hui de ce livre Les Profondeurs de Kyamo, qui résume fort bien les autres.
Dans la préface de Daniel Valgraive, MM. Rosny écrivaient à peu près ceci : « ... une morale non pas nouvelle, mais portée à une nouvelle puissance... », il me semble qu'ils ont assez bien réalisé ce programme. La morale du sacrifice, dégagée des mesquineries catholiques qui en font un ridicule marchandage, s'est élargie en le souci d'une universelle justice – ils ont fait agir une « vertu » qui ne serait ni hypocrite ni ennuyeuse, et si, pour ma part, je conçois plus facilement l'évolution de l'humanité par une élite appuyée sur l'instinct, je suis cependant séduit par la noblesse de cette solidarité de bonté dont MM. Rosny se plaisent, - avec quelle poésie puissante ! - à vouloir trouver déjà le germe dans les crânes de nos aïeux chasseurs... » [VII]
Dommage, n'est-ce-pas, que Jean-aux-impeccables-redingotes-1830 ne m'écrive pas plus souvent !
Willy(1) Réflexions sans profondeurs sur...
(2) Plon, éditeur.
(3) Quand on n'est pas en vacances, ca n'est pas bien amusant non plus.
[I] J.-H. Rosny sur Livrenblog : J.-H. Rosny Revue Otrante. Vamireh, roman des temps préhistoriques de J. H. Rosny par Jules Renard. Biribi de Georges Darien par G. Albert Aurier et Rosny. Le Termite, roman de moeurs littéraire. Léon Bloy « catholique à la grosse tête » par J.-H. Rosny, "Catholique à la grosse tête" suite. A. France : Rosny/Myron vu par Rosny/Servaise. Des Pommes, des poires ? Alphonse Daudet psychologue. Rosny (J.-H.) : Les Ames perdues : Anarchie Fin de siècle.
[II] Wagner (Richard) : La Tétralogie de l'Anneau de Nibelung. Publiée par Louis-Pilate de Brinn'Gaubast et Edmond Barthélemy. E. Dentu, 1894. Long avant-propos, traduction et annotation philologique par Louis-Pilate de Brinn'Gaubast. Etude critique et commentaire musicographique d'Edmond Barthélemy. Ce livre a fait l'objet d'un article, par Georges Bans, dans le numéro précédent (N° 37 5 septembre 1896) de La Critique.
[III] Jean de Tinan : Lettre longue à la Bien-Aimée pour lui expliquer que cela n'a pas d'importance. Le Centaure, volume 1, mai 1896.
[IV] Penses-tu réussir ! de Jean de Tinan, paraîtra fin avril 1897, le texte en était connu par un cercle d'amis, voir l'article de Rachilde dans le Mercure de France daté de janvier 1897 (Jean de Tinan, Willy, petite revue de presse.). Toutefois à la date de l'article de Willy, Penses-tu réussir ! n'est pas encore fini, en effet en novembre 1896, Pierre Louÿs et Jean de Tinan signent un contrat où Tinan s'engage à terminer son roman dans les 60 jours (Cf. Jean-Paul Goujon : Jean de Tinan. Plon, 1990. pages 258/259).
[V] Jean de Tinan séjourne régulièrement à Jumiège, chez sa tante, où il retrouve sa famille et le grand parc de l'ancienne abbaye.
[VI] Le café d'Harcourt, qui avec la Taverne du Panthéon est un des quartiers généraux de Tinan et de ses amis, Lebey, Louÿs et Henri Albert. Il y donne ses rendez-vous littéraires et féminins.
[VII] « Dans une Afrique qui fait encore figure de "continent mystérieux" et dans une forêt inexplorée, Alglave, courageux savant et découvreur solitaire, fait la rencontre d'un peuple d'anthropoïdes connu jusqu'alors uniquement par ouï-dire. » Philippe Clermont : Science darwiniste et fiction spéculative : L'exemple de J.-H. Rosny aîné. (voir : l'analyse des Profondeurs de Kyamo, texte en ligne sur le site de la revue Alliage)
Jean de Tinan dans Livrenblog : Le Centaure Vol. II. Une photo de Mina Schrader, esthéte et anarchiste. Jean de Tinan, Willy, petite revue de presse. Jean de Tinan : La Princesse des Ténèbres par Jean de Chilra / Rachilde. L'Exemple de Ninon de Lenclos Amoureuse par Paul-Louis Garnier. Jean de Tinan par Paul-Louis Garnier.
2 commentaires:
Bonjour,
J'ai une question concernant la photo de l'homme au chapeau qui illustre ce message "Willy, Tinan, Rosny". Savez-vous qui est cet homme et d'où vient cette image ?
J'en connais en effet un exemplaire associée à une lettre de la correspondance entre Jean Sarment et Pierre Bissérié (publié in Correspondance à l'aube du surréalisme, Nouvelle Revue Nantaise, n°4 édition Mémo, 2004), les deux seuls membres du groupe de Nantes (où sévit le jeune Jacques Vaché avant 14) à survivre à la grande boucherie. Or, dans l'ouvrage où elle est publiée, la légende identifie cet homme comme étant Pierre Bissérié, ce dont j'ai toujours douté.
Si jamais vous avez des informations précises quand à cette photographie, je suis très intéressé de les connaître.
Merci d'avance, cordialement,
TG
Bonjour,
Il s'agit d'une photo de Jean de Tinan, prise par Pierre Louÿs. Elle provient de l'édition de "Penses tu réussir !", aux éditions du Sans Pareil, 1921, où elle figure en frontispice. Cordialement.
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