vendredi 31 juillet 2009

COLETTE GAUTHIER-VILLARS





Avant de signer "Colette Willy", puis plus simplement "Colette", Sidonie Gabrielle Colette signa quelques chroniques "Colette Gauthier-Villars", ou "Colette G.-V.", associant ainsi son nom de famille au véritable nom de son mari, qui à l'époque signait presque indifféremment "Henri Gauthier-Villars" ou "Willy". Ceci avant que ce pseudo de "Willy", devenu marque de fabrique et gage de ventes assurée pour les éditeurs, ne s'impose de lui-même à l'un et à l'autre. Il faudra encore quelques années avant que le nom de Colette se suffise à lui-même. Henri Gauthier-Villars, lui gardera son véritable patronyme pour signer des ouvrages historiques, (Le Mariage de Louis XV, Fervaal), des livres pour enfant (L'Odyssée d'un petit Cévenole, Le Petit roi de la forêt), un ouvrage sur Bizet ou des ouvrages en collaboration comme La Bayadère avec de Lucenay, ou L'Automobile enchantée avec Georges Trémisot.

Dans La Critique, N° 43, du 5 décembre 1896, Colette G.-V. signe une chronique sur la pièce de M. de Saussine (1), Omphale, jouée au Théâtre des Escholiers. Une visite de la page « bibliographie » du site du Centre d'études Colette, permettra de voir que durant l'année 1895, Collette Gauthier-Villars avait signé six chroniques musicales et dramatiques dans le journal La Cocarde, l'article de La Critique n'est pas référencé dans cette bibliographie.


(1) Comte Henri de Saussine (1859-1940). Musicien, il fait exécuter des oeuvres oubliées à l'hôtel de Créqui à Paris où fréquentent les compositeurs de l'époque, il organise des soirées littéraires où se retrouvent entre autres le ménage Gauthier-Villars, Marcel Proust ou Montesquiou. Il est l'auteur d'un opéra-bouffe, une féerie musicale, une Fantaisie sur les Chauves-Souris de Robert de Montesquiou, un « opéra de poche » provençal, de romans, de dialogues philosophiques. Voir « Les curiosités esthétiques de Robert de Montesquiou » par Antoine Bertrand.


OMPHALE (1)


Si j'en crois M. de Saussine, le désir de toute femme, unie à un être supérieur, serait d'omphaliser son Hercule. C'est le désir aussi de Josette d'Ormenont, riche autant qu'américaine. Jolie autant que riche, enviable proie que guignent les fils les plus blasonnés de France. (Faut-il croire donc que ces âmes héraldiques n'ont pas d'autre objectif que l'or adhésif américain « pour redorer eux-mêmes » leurs armoiries ?) Josette rêve pour celui qu'elle élira la gloire s'il se peut, la célébrité tout au moins. Elle veut apprivoiser un aigle – ses moyens le lui permettent – et a cru le dénicher dans l'atelier du sculpteur Westigny, riche de talent et d'avenir. Elle épouse l'Illustre de demain.Et, tout de suite, la lutte commence. Jalouse de l'Art qu'elle accuse d'accaparer tout l'amour de son mari. Josette veut mesurer sa puissance ; elle exige que Westigny lui céde son atelier pour y donner un bal. Navré, il consent. Le sanctuaire violé, la victoire obtenue semble minime à la jeune femme, son besoin de domination grandit, sa nervosité s'exacerbe, dans un accès de fureur jalouse elle s'attaque à la sculpture même, sa rivale, et, brandie contre l'oeuvre ultime de Westigny, - une Renommée – d'un maillet rageur elle la brise.Au milieu de la crise conjugale survient un soupirant évincé, Fitzgerald, qui jugeant l'instant décisif, brûle ses vaisseaux et fait lire à Josette un article où l'on éreinte bassement son époux. L'effet est inattendu : l'orgueil, l'amour, ressuscitent au coeur de la jeune femme, qui court se jeter dans les bras de Westigny et le conjure de recommencer sa statue, avec ce cri délicieusement féminin : « Je poserai pour celle-là, car il faut qu'elle soit plus belle que l'autre ! »Sans être jouée aussi bien qu'elle le méritait, la comédie de M. de Saussine, - d'un art discret et sûr, d'une écriture élégante sans mièvrerie, avec des touches mondaines dont la précision n'étonnera personne – n'a pas laissé que de trouver de bons interprètes. Westigny, c'est M. Burguet, intelligent, mais un peu rabougri tout de même, dont les déclamations ardentes ont secoué le public. Mme Marthold a composé avec une adroite bonhomie son personnage de marquise bien disante. J'aurais voulu que l'artiste chargée du rôle de Josette fût plus jolie.



Colette G.-V.



(1) Théâtre des Escholiers.


Lire : Billets de théâtre (Ballets russes, Guitry, Mistinguett…), de Colette. Édition établie par Alain et Odette Virmaux, avec Élisabeth Gilet, Le Félin éditeur, collection « Les marches du temps », 255 pages.

1 commentaire:

zeb a dit…

Les fins lecteurs de Livrenblog, s'il y en a, auront compris que j'épluche, en ce moment, la revue La Critique. Ce texte de Colette n'est pas inconnu, il est cité par Elisabeth Gilet dans le recueil d'Odette et Alain Virmaux sur les écrits de théâtre de Colette, mais le texte complet n'y est pas repris, pas plus que les textes de 1895 de la Cocarde. Il semble bien que toutes ces éditions soient faites en dépit de toute logique.