lundi 8 décembre 2008

Gustave LE ROUGE en 1888. "A Coeur Perdu" de Péladan





Critique de Gustave Le Rouge publié dans la Revue Littéraire Septentrionale, N° 9 à 13 de mars à juillet 1888.

Etudes sur le roman contemporain

A Coeur Perdu, par J. Péladan


Il est difficile, par le temps qui court, de rencontrer dans le Roman une oeuvre originale au vrai sens du mot, j'entends une oeuvre qui donne au lecteur une façon neuve d'envisager la Vie Humaine et plus spécialement notre société du XIXe siècle.

M. Joséphin Péladan est des très rares qui essayent de réaliser ce désidératum ; son talent sort de cette moyenne honorable atteinte par un si grand nombre et dépassée seulement par une minorité d'intelligences d'élite. Son livre « A Coeur Perdu » - digne de ses précédentes productions : Le Vice Suprême, Curieuse, l'Initiation Sentimentale – a ce mérite, que ne saurait lui enlever aucune critique, d'être une oeuvre hautement personnelle ; c'est la création d'un penseur et d'un philosophe.

La lecture d'un pareil volume demeure lettre close pour la clientèle accoutumée des Georges Ohnet si florissants par ces temps de littérature commerciale.

Ecrit pour une élite – l'auteur déclare que son critérium est le dédain des foules - A Coeur Perdu est la troisième éthopée – tel est le nom que le romancier donne à ses études – d'un cycle immense qui, sous le titre de « La Décadence Latine », offrira l'explication de Péladan sur les grands problèmes sociaux, passionnels et moraux, qui intéressent l'humanité en général et plus particulièrement la race latine.

Quelque criticables que soient les théories philosophiques de l'éthopoète, son livre a cette rare fortune de n'être pas écrit suivant les formules contemporaines. Psychologues, Joséphin Péladan l'est de toute autre façon que Stendhal ou Paul Bourget ; philosophe, il n'a ni le scepticisme de Renan, ni le déterminisme de Zola ou de Daudet, encore moins le pessimisme de certains Décadents. Il est catholique.

Ici, entendons-nous. Le catholicisme dont il s'agit n'est pas la pure orthodoxie, le dogmatisme étroit et austère d'un Joseph de Maistre ; c'est une croyance très large et très personnelle à la Révélation primitive, une sorte de culte indépendant à la Balzac ou à la Barbey d'Aurevilly, fort éloigné, comme on le voit, d'un ultramontisme mesquin.

M. Joséphin Péladan est un mystique renforcé d'un érudit. A de très fortes études sur les langues et la philosophie de l'antiquité, il joint une connaissance approfondie des mystères du magnétisme animal et du spiritisme, ce qui ne l'empêche pas d'être aussi versé en physiologie qu'un romancier naturaliste.

En des conditions ordinaires, juger un livre d'une telle portée serait déjà tâche délicate. Or la difficulté d'un pareil labeur est grandement augmentée par la méthode de l'auteur : M. Péladan synthétise à dessein sa pensée et son style.

Néanmoins en dépit de la complication et de la concision souvent artificielles de l'oeuvre, il est facile de suivre les grandes lignes des théories de l'auteur : Nous sommes en décadence. - Pourquoi ? - Parce que Luther et Napoléon ont introduit le goût et l'habitude de la laideur et de la brutalité dans les moeurs de la race latine. « Depuis la Réforme, on a sacrifié les grands coeurs pour conserver les béguines et les cuistres. » Ce qui aussi perdu les peuples latins, - toujours d'après M. Péladan – c'est l'hypocrisie qui fait un crime de l'amour, passion qu'on doit glorifier. A Coeur Perdu est le développement de cette théorie.

Le romancier a tenté d'y dépeindre les efforts de deux êtres d'élite vers un amour d'exception qu'il nomme sororat ou androgynat. « Au vingtième siècle, dit-il, on s'apercevra peut-être du grand effort de l'auteur vers la négation sexuelle ou du moins vers la sublimation de l'amour. »

Une courte phrase de Dédicace résume d'ailleurs, beaucoup mieux que nous ne saurions le faire, la thése générale de Joséphin Péladan, thèse applicable à la Philosophie et à la Morale aussi bien qu'à la politique et à la littérature. « Théocrate à moyens occultes, je nie tout ce qui n'a pas ses racines dans le mystère et son expansion vers la charité. »

De pareilles théories, on le voit, ne sont pas neuves. Il y a beau temps qu'une foule de philosophes les ont battues en brêche à l'aide de multiples arguments. La façon même dont elles sont exposées y révèle les plus choquantes contradictions. Un exemple entre plusieurs : Comment M. Péladan concilie-t-il son esthétique aristocrate, sa haine de la laideur et de la vulgarité démocratiques avec ces vertus contemptrices des sociales distinctions, la charité et l'égalité évangélique ?

Nous n'essaierons pas d'éclaircir ce point. Nous avons à nous occuper ici d'esthétique et non de philosophie. Ayant fait connaître les doctrines de l'auteur, pour la clarté de la lecture, peut nous chault l'inexactitude ou la fausseté du livre philosophiquement parlant si, littérairement, ce livre est beau. Qu'importe l'idolâtrie d'un Phidias s'il a créé des faux dieux dont les images sont divinisées par son génie ! Il nous est bien indifférent que ce soit le paganisme ou toute autre religion qui ait inspiré à Paxitèle ses divines statues.

Nebo et Mérodack sont des intelligences de choix vouées toutes deux au salut du principe catholique ou, plus exactement, au triomphe des doctrines ésotériques des Templiers. Esprits également hauts, coeurs également fermes, une seule dissemblance existe entre eux. Merodack est absolument inaccessible à tout autre sentiment qu'au désir de voir triompher ses théories ; tandis que Nebo le platonicien, « tout en planant dans l'éther des spéculations du même vol que son ami », est encore sensible à la magie des formes parfaites. Le penseur, chez lui, n'a pu réussir à supprimer l'artiste.

Après une subtile discussion avec Merodack, Nebo se résout à essayer de l'androgynat qui, on l'a vu plus haut, serait l'annihilation du sexe en amour. Le philosophe a, pour sujet de cette expérience autant physiologique que psychologique, une jeune fille doublement rayonnante d'intelligence et de beauté, la princesse de Riazan, dont il a modelé le coeur et l'esprit d'après ses idées de rêveur platonicien et d'idéaliste suréthéré.

De ce moment, Merodack s'efface et ne reparaîtra qu'au dénouement où il jouera le rôle du deus ex machina des antiques tragédies.

Entre Nebo et la princesse, désormais seuls, et placés par leur supériorité d'intellect au-dessus de toutes les vulgarités et même de toutes les pudeurs, va se dérouler le drame intime que retrace A Coeur Perdu, tournoi sans merci entre l'Esprit glorifié mais vaincu et la Chair honnie mais victorieuse.

La princesse, sous la double excitation de son amour pour Nebo et de son jeune tempérament -virgo matura viro – force bientôt le platonicisme à dégénérer en amour charnel. Devant les provocations presque brutales de la Femme, Nebo cède chaque jour un peu plus. Chaque page du roman nous révèle quelqu'une des beautés de la princesse, jusqu'aux plus secrètes. C'est une énumération complète de toutes les sortes de caresses, un catalogue détaillé de toutes les variétés de baiser. A mesure que l'action se déroule, la princesse se dénude de plus en plus ; de plus en plus aussi le philosophe sent s'affaiblir les forces qu'il emploie à ne pas se laisser tomber dans le filet des diaboliques griseries dont l'enveloppe la princesse.

C'est en vue d'éviter, ou du moins de retarder l'accouplement terminal que Nebo a imaginé ce détaillement de la sensualité mille fois plus lascif qu'une chute rapide. Il y a là d'admirables dissertations sur les yeux, sur les seins et sur bien d'autres choses. Enfin, violé presque par la Femme, Nebo succombe. L'impudeur courtisanesque de la princesse a vaincu la froideur du philosophe.

Mais l'auteur s'est plu à donner au premier enlacement de Nebo et de la princesse un cadre étrange. Ayant compris l'impossibilité de retarder plus longtemps sa chute, le platonicien veut au moins succomber d'une façon peu commune et symboliser son amour en une bizarre cérémonie. Vétue d'une robe rouge, il adore, emmi les nuages des parfums qui montent des cassolettes, la princesse – personnalisation de l'Idéal qui va s'effondrer – trônant, toute nue sous un réseau de gemmes emblématiques. Puis il détrône la déesse à laquelle les charnels appétits on fait perdre sa divinité et, d'adorateur devenu époux, il l'entraîne vers une couche de fleurs.

Mais les longues phases de la singulière cérémonie ont enlevé sa force au Mâle et rendu le Mage impuissant. C'est le lendemain seulement que se consomme l'oeuvre de chair.

Ce passage est un de ceux où la crainte du convenu a inspiré à l'auteur les plus singulières conceptions.

Maintenant Nebo s'écartera de plus en plus de son primitif rôle d'impassible. Peu à peu la lascivité de la princesse le traîne au gouffre sans fond de la matérialité.

Nebo, conscient de sa déchéance, sent décroître sa passion tandis que celle de Paule s'exaspère. Bientôt le platonicien est en butte à des scènes de jalousies à propos de ses amours passées, à propos de son adoration pour la beauté plastique, à propos de tout et à propos de rien. Comme les exigences de cette passion qui n'est plus partagée lui pèsent trop lourdement, Nebo appelle Merodack à son secours. Le penseur inflexible en ses vouloirs, le Destin fait homme paraît, et tout change. Par son ordre, Nebo s'enfuit pour échapper à la princesse, et le feu purifie l'hôtel que les débauches charnelles ont souillé. Grâce à des procédés magnétiques sur lesquels l'auteur n'insiste pas, par mesure de prudence, assure-t-il, Paule de Riazan, dont la conscience est endormie pour plusieurs semaines, perd tout souvenirs des événements passés. Ce n'est qu'après un long temps que son guérisseur, Merodack, lui rend la mémoire.

Le dénouement laisse la princesse guérie de sa jalousie et presque de son amour, et bien résolue à devenir, par l'élévation de ses idées, la digne soeur, l'amante platonique, l'Androgyne rêvée par son cher Nebo.

Vous connaissez les dénouements habituels des romans de Charles Dickens. Il nous a peint un vice, un crime, une plaie sociale, il nous a tracé les portraits les plus effrayants de laideur morale, avec cette intensité de vie et cette virtuosité de talent qui lui sont propres; le lecteur admire la puissance documentaire de l'auteur, et, tout à coup, le dénouement espéré arrive, doux et bénin, récompensant la vertu et punissant le vice, le tout au très grand détriment de l'Art et à la plus grande allégresse des moralistes.

Sans aller aussi loin à propos de M. Péladan, il me semble qu'il a commis dans A Coeur Perdu un dénouement tout artificiel. Pourquoi la déchéance morale de Nebo est-elle empêchée à mi-chemin ?Alors que la logique aussi bien que la vraisemblance imposaient à l'artiste des scènes peut-être cruelle et pessimistes, mais à coup sûr largement palpitantes de vitalité, pourquoi donc tant de philosophie ? Mieux vaudrait plus de vérité et surtout plus de vie.

Tel qu'il est néanmoins, A Coeur Perdu rend déjà splendidement cette antique lutte de l'Idéal et du Réel, cette joute éternelle qui fut exprimée par Platon, il y a trois mille ans, par une magnifique et bien connue allégorie que je prends la liberté de citer ici une fois de plus.

Deux chevaux, l'un noir l'autre blanc, sont attelés à un char. Le noir, avec ses jarrets trapus, son épaisse encolure, sa crinière broussailleuse, son mufle aplati, est la personnification des appétits matériels ; le blanc, au contraire, svelte de jambes et bien proportionné, tourne toujours vers l'azur son col élancé ; il symbolise l'Idéal. Un si disparate attelage ne saurait aller du même pas ; le cheval noir ne cherche qu'a se vautrer dans les bas-fonds tandis que le cheval blanc hennit toujours vers le ciel. A la Raison, qui dirige le char, incombe la tâche de régler l'allure et de compenser les efforts rivaux des deux coursiers.

C'est un malheur pour le livre que l'auteur, non satisfait de la distinction et de l'originalité qu'il possède naturellement au plus haut point, ait cherché ces qualités dans le magnétisme et dans une foule de thèses plus ou moins mystiques dont l'énonciation, sous forme de digressions, embarrasse les situations les plus belles.

Quel dommage aussi, nous l'avons déjà vu, que, pour avoir essayé de tracer des types plus qu'humains, M. Péladan ait dessiné des caractères si absolument en dehors du vécu ! Car il ne faut pas se le dissimuler, le dialogue d'A Coeur Perdu est impraticable, et jamais amant et maîtresse n'ont agi ainsi que Nebo et la princesse de Riazan.

Une autre faute, à notre sens du moins, c'est l'abus du décor, de la mise en scène ; quand Nebo brûle des parfums devant la princesse nue sur un trône et lui présente un lotus, les deux amants sont très près d'être ridicules. Toute cette scène, étonnante en première lecture, peut
faire sourire en une seconde. La même observation est applicable à maint passage du livre.

Un critique de La Wallonie – une Revue Belge – M. Albert Mockel, reproche à M. Péladan d'avoir dépeint des scènes lascives tout en faisant étalage de spiritualisme. Une telle critique nous parît inexacte. L'auteur n'a pas pêché par négligence, la contradiction est voulue. Nebo, qui est parfaitement conscient de ses fautes, expose à se sujet, une théorie particulière, explicative des lascivités de l'Ethopoème : « Les vertus qui ne sont pas des enthousiasmes rentrent dans les lâchetés et les impuissances. Pleurer ses fautes signifie pleurer ses laideurs morales consenties, et tant que le coeur se croit en voie de beauté, il n'a aucun souci du péché qu'il côtoie. »

M. Péladan est de ceux qui mettent le Beau aussi haut que le Bien, et nous trouvons que ceux-là ont grandement raison. Son catholicisme ne l'a pas empêché, chaque fois qu'il a cru écrier une belle page, de préférer l'admiration des artistes à la satisfaction des pudeurs bourgeoises. Nous savons d'ailleurs, que comme catholique, l'éthopoète de la Décadence Latine s'avoue de l'église de Balzac et de Barbey d'Aurevilly. C'est tout dire.

D'autres critiques nous paraissent mieux fondées. La complication voulue du style, la fréquence des solutions de continuité dans la trame du sujet, rendent, trop souvent, la lecture pénible. Vous diriez d'un inextricable fourré dans lequel le voyageur s'embarrasse sans espoir de s'en tirer.

Abusant de son érudition d'helléniste, M. Péladan charge son vocabulaire de néologisme tirés du grec qui donnent à certains passages une absolue incompréhensibilité. Il en arrive à écrire des phrases comme celle-ci, que nous soumettons à l'appréciation impartiale du lecteur. « Obéis à ton hymnode adorée, compagne de la gynandrie prochaine ; aux profondeurs de l'être mon halieutique descendra découvrir l'embolisme absolu de l'euthanésie momentanée et renaissante adorablement ! Chorège de tes sens, fussent-ils aplestes, je sais la durne Antspase chrysopéenne des désirs. Soit l'antiphonie soumise et je m'enivrai par anaclastie. »

Il est, parmi les Symbolistes, beaucoup de poètes qui n'ont jamais écrit de façon si obscure. Cependant, quoiqu'il emploie tous leurs procédés de style, M. Péladan n'entend pas être confondu avec ces littérateurs qu'il appelle des « histrions de la forme qui se font un visage de grimaces et une pensée au moyen de déhanchements de grammaire et de petits bonheurs du lexique. »

Pourquoi mépriser les décadents ? Il y a parmi eux des artistes convaincus, et, sans aborder ici cette très compliquée et très délicate question du décadisme, on peut dire que plusieurs de ces « histrions de la forme » sont en même temps des penseurs.

Une autre qualité qui manque souvent à M. Péladan, c'est le sens du terme propre. Pour rendre sa pensée, l'éthopoète emploie le premier mot venu, quand il ne lui prend pas fantaisie d'en forger un à sa guise. Son langage est trop voyant ; il éveille l'idée d'une peinture byzantine fulgurante d'or et de couleurs violentes juxtaposées sans nulle science de l'effet, sans naturel, sans laisser-aller et sans franchise. Ce style-là est peint, fardé, costumé et grimé pour l'impression à produire.

Pourquoi M. Péladan n'emploie-t-il pas toujours le même mode d'écrire que révèlent certaines de ses pages où il a oublié de surcharger sa prose ? Je dis surcharger, car il a, paraît-il, la méthode de composer ses livres dans la langue de tout le monde pour y plaquer ensuite à loisir des vocables empanachés et des périodes à grands fracas.

Quelle belle prose il fait pourtant, et quelle plus belle il ferait avec plus de naturel ! Il y a dans son livre, principalement dans la première partie, des poèmes en prose délicieux de rythme, des pages vraiment lyriques, des observations psychologiques d'une pénétrante subtilité, d'une clairvoyance et d'une lucidité de Voyant. Ecoutez ce que Nebo dit des yeux : « O princesse, vous avez l'oeil étrange d'un vert céruléen, de ce ton qui n'est désigné que par le vieux mot pers ; des paillettes d'or sablent de singularité votre regard. Il n'y a que trois beaux regards, le noir, qui prend la nuit des réfractions rouges et évoque au figuré un clair obscur où il y a du mystère et du sang ; le bleu; le seul vraiment féminin et qui donne l'impression d'un ciel pur et pâle ; le vert, qui appelle l'idée d'un lac ou de la mer ; c'est l'oeil le plus rare et le plus attractif. Tandis que le noir devient facilement dur et homme – ce qui suffirait à dépeindre le type espagnol, type de luxure pratique ou de plein air – et le bleu facilement fade, le vert, lui, est inquiétant sans rudesse. »

Et, au commencement du livre, la Précation de Paule, prose rythmée superbe !

Malgré l'inégalité de ce volume et les défauts que nous avons signalés, il y a là de très grandes qualités qui peuvent placer bientôt M. Péladan à la tête des écrivains contemporains.

Qu'il concède moins au pathos et au néologisme, qu'il laisse de côté le masque chaldéen qu'il met à sa pensée d'homme moderne, qu'il évite les contradictions et surtout les digressions et les mises en scène exagérées, enfin qu'il trace des caractères plus naturels, et il fera apparaître en pleine lumière le qualités éclatantes de son vivace talent, l'abondance et la nouveauté des idées, la richesse dans les coloris, la clairvoyance psychologique et les vues hautes du penseur.

Tel qu'il est, A Coeur Perdu, est une oeuvre curieuse et originale qui possède cette qualité que Balzac dit être la première d'un livre : il fait penser.

Gustave LE ROUGE.



Cette critique d'A Coeur Perdu, avec la nouvelle « Ignorance », donnée dans un billet précédant, semblent être les premiers textes littéraires de Gustave Le Rouge (1867-1938) publiés (sous toutes réserves ***). En 1888 Gustave Le Rouge a vingt-et-un ans, il est étudiant à la faculté de droit à Caen (1).

Nous ne savons pas comment Gustave Le Rouge, jeune inconnu, fut publié par la Revue Littéraire Septentrionale, tout au plus peut-on rappeler que Léon Masseron, le directeur de la revue habite Caen, où Le Rouge poursuit ses études. Ignorance, déjà, nous montrait un écrivain fort mature, se jouant de ses lecteurs en utilisant un style chantourné, chargé d'images « poétiques », pour mieux le surprendre et le faire basculer en quelques lignes d'un univers sentimental et idéaliste vers le moins romantique des épilogues. Avec la critique d'A Coeur Perdu, nous avons à faire à un roué critique, qui sait voir et montrer les forces et les faiblesses de Péladan. S'il apprécie sa hauteur de vue et son originalité, contrairement aux thuriféraires du mage (voir Albert Fleury), Le Rouge ne semble pas faire grand cas de ses théories philosophiques, il les connaît mais n'y adhère pas. Il veut seule, juger l'oeuvre littéraire, et tout en reconnaissant à « l'éthopoète » un grand talent de prosateur, il n'oublie pas de lui reprocher l'outrance idéaliste de certaines de ces scènes, proches du ridicule, et l'obscurité due à l'utilisation excessive de néologismes. Peut-être comprendrons-nous un jour, ce qui mena ce jeune homme vers la carrière de romancier populaire (littérature d'aventure, policière ou d'anticipation). Comment ce défenseur des décadents, ennemi de la « littérature commerciale », allant chercher au-delà des « formules contemporaines » (psychologie, naturalisme ou pessimisme décadent), chez ce Péladan tant décrié, une vision originale et neuve, deviendra l'auteur du Mystérieux Docteur Cornélius, salué par Blaise Cendrars comme l'oeuvre d'un poète.

(1) Voir la notice d'Henri Bordillon sur le site Les Commérages de Tybalt, rubrique Gendelettres.

Gustave Le Rouge sur Livrenblog : Le guet-apens Gustave Le Rouge dans La Croix Illustrée. Gustave le Rouge dans La Revue Littéraire Septentrionale, Ignorance. Gustave Le Rouge dans L'Art Social. I Le Christ aux outrages, tableau de M. de Groux

*** Henri Bordillon nous informe : Le premier texte littéraire publié de Gustave Le Rouge l'a été dans Les Guêpes normandes, n° du 1er mai 1888, il s'agit d'une courte nouvelle intitulée Idylle normande.

1 commentaire:

Mikaël Lugan a dit…

C'est vraiment passionnant, merci cher Zeb. Sans doute Henri Bordillon pourrait nous en dire plus. J'ignorais cette "petite revue" qui ne figure pas, me semble-t-il dans l'Essai de Bibliographie de Gourmont (autre Normand). Vous lire me console de n'avoir pas le temps d'écrire. Fort amicalement et très-fidèlement.