Georges Normandy - Jean Lorrain
1901 - 1902
La Revue contemporaine, N° 15, 25 décembre 1901 :
La Revue contemporaine, N° 16 - 17, 25 janvier - 25 février 1902.Nous extrayons ces curieuses anecdotes sur Jean Lorrain d'un livre d'études : Eux, que M. Georges Normandy prépare en ce moment.
... Lors, l'adolescent devint, on peut dire, jaloux d'une pintade. Le plumage de la bestiole si joliment luisant au soleil l'offusquait. Fréquemment il répétait, dit-on : « Ce qu'elle fait « sa maline » celle-là » Sa haine devint telle qu'un jour, avec un plaisir qu'il n'hésiterait pas à qualifier de farouche. Il la poursuivit, la captura, la pluma complètement, avec des lenteurs exquises, et, cette opération achevée la libéra.. Puis il l'effara par des cris, la fit courir à perdre haleine devant lui, trouvant comique cette nudité de basse-cour. Son père jura... « Quel sacripant ! » ; sa maman leva les yeux et les bras au ciel... Voici donc, naissants, son affection de l'anormal facile et le premier indice de ses querelles futures avec Séverine.
... En ce temps là était proche la Fête-Dieu. Selon la coutume, les rues devaient être sillonnées par la procession eucharistique, fort belle d'ailleurs. Madame Martin Duval faisait ériger chez elle, ainsi que les dames les plus distinguées de la ville, un reposoir. Dans les jardins on avait fauché toutes les fleurs pour en orner l'autel improvisé. On avait semé de pétales les tapis disposés pour y parvenir. Mais un us particulier voulait que durant cette journée le fils de la maison fit largesse à la populace et menât quelques pauvres au cabaret ; on lui avait alloué, à cet effet, dix francs, m'a-t-on assuré. Je ne garantis pas l'exactitude de ce chiffre mais celle de l'anecdote. Or le jeune Duval eut le désir impérieux d'agir en prodigue. Entre sa mère et lui une conversation s'engagea donc qui se termina de la sorte « ... Enfin dix francs ne me suffisent pas. J'en veux vingt. » - « Mon ami, je te le répète, dix francs t'ont toujours suffi. Je ne vois pas pourquoi... » - « il me faut vingt francs. » - « Mon enfant tu auras dix francs comme d'habitude. » - « Alors tu ne veux pas me donner vingt francs ? - « Non, dix sont suff... » - « Tu ne veux pas ? » - « Non mon ami » - « Tu ne veux pas ?... deux fois ?... Non ?... C'est bien... Je vais faire un mauvais coup !... » Notre gaillard s'éloigne cambrant son torse, fier de sa crânerie, tout comme s'il se croyait déjà un dilettante du terrible et du malsain. Voilà la maman un peu inquiète d'abord, puis souriante en songeant : « Baste ! Menace d'enfant dépité ! » Mais son inquiétude renaquit et s'accrût lorsque la cuisinière accourant, hagarde, lui annonça que Monsieur monté aux combles, était entré dans la salle où l'on remisait les engins de pêche, en déclarant très haut : « Je vais faire un mauvais coup ! » et qu'il ne redescendait pas. Les escaliers furent escaladés en grande hâte et l'on trouva le jeune homme, immobile, un immense épervier prêt à être lancé, sur l'épaule : Mon ami, mon ami, que vas-tu faire ? » Lui, se redressant comme si le filet était une pourpre royale siffla, le regard noir : « Eh ! Bien !..., si tu ne me donnes pas vingt francs, quand le curé arrivera au reposoir, je lancerai l'épervier sur le dais... » Il ajouta beaucoup plus simplement : « Ça t'apprendra ! » La maman, débonnaire, donna le louis sollicité. M. Martin Duval, apprenant cela, s'exclama : Quel sacripant !... »
Je clos cette série d'anecdotes par la suivante : Notre futur narrateur de turpitudes pseudo-cosmopolites, voulait vers dix-huit ans, aller en promenade équestre, d'une part et d'autre part, sa jument ayant le poil trop long il avait fait venir le tondeur qui dévêtit à moitié l'animal sous l'œil amusé du cavalier futur. Soudain, ce dernier, voyant à deux cents mètres son père qui s'approchait dit furtivement à l'ouvrier : « Prêtez-moi votre tondeuse... Vous allez voir : je vais repasser (*) papa !... » Certain de rire l'homme donna son outil que le demandeur tint à deux mains derrière lui. M. Martin Duval venait, en effet, jeter un coup d'œil sur la tonte de la cavale. De l'air le plus innocent du monde l'éphèbe s'approcha de lui. Dès qu'il fut assez près, d'un brusque mouvement il lui enleva d'un coup la moitié de la moustache, et, involontairement sans doute, lui entama profondément la lèvre. Il est aisé d'imaginer la promptitude et la violence du courroux paternel, inutile d'ailleurs, car « le sacripant » de fils, ayant jeté la tondeuse s'était enfui très vite, éparpillant son rire au quatre coins des cieux. Le tondeur fut payé incontinent, le cheval, demi-tondu, remis à l'écurie, et ce jour-là Lorrain dût laisser captive au logis son « âme voyageuse » (une ballerine dixit).
Georges Normandy.
(*) Mystifier en patois cauchois.
Jean Lorrain se fâche
A la suite d'un article publié dans notre dernier numéro. M. Jean Lorrain m'adresse une amusante épître. Bien qu'elle soit conçue en termes plus ou moins polis et que certains passages de l'étude incriminée y soient interprétés d'une façon fantaisiste, je me fais un plaisir – j'ai bien hésité un peu, cependant, une demandant encore si la lettre qui suit est bien de M. Lorrain – je me fais un plaisir, dis-je, d'en insérer le texte intégral. Je souligne ce car je n'ai même pas pris la liberté de corriger les fautes de français et d'orthographe.
Emile Lante.
Jeudi 20 février 02
Monsieur,
Je reçois votre Revue et les extraits de la soit disant (?) Etude que Mr Georges Normandy a crû devoir me consacrer. Je dois vous prévenir que son article est un tissu d'idioties (!) et d'inventions (!) où n'entre même pas un fait erroné (!!!) Je n'ai jamais plumé vive de pintade, pas plus que je n'ai menacé de reposoir d'un épervier de pêche, par la bonne raison que mon père libre-penseur n'aurait jamais permis qu'on en fit un chez lui.
Inutile de vous dire qu'il en est de même pour l'histoire de la tondeuse, j'aurais été tué sur le coup, si je m'étais permis pareille chose vis-à-vis de mon père, qui était d'une violence demeurée légendaire à Fécamp.
D'ailleurs Mr Normandy avoue tenir ces détails d'une ballerine (?) ; je ne sais pas qu'on ai fait jamais fait de biographie d'hommes connus, d'après des divagations de tutu.
Il court bien assez de légendes sur Jean Lorrain, nécrophile, empoisonneur, magicien, néronien, héliogabale etc., calomnies et délices des toutes jeunes Revues (il faut bien que les enfants s'amusent) et Mr Normandy n'a qu'à puiser sur (?) les insanités en cours dans (?) l'homme de lettres sans aller mettre en cause et mon enfance et ma famille ; qu'il laisse donc les miens en paix.
J'appartiens au public comme Jean Lorrain et non pas comme Paul Duval.
Il y a quelque chose d'odieux dans cette mise en scène d'inventions où l'on voit les siens jouer des rôles ridicules (!?)
Je vais d'ailleurs prévenir Mr Normandy, que je suis bien décidé à le poursuivre devant les tribunaux s'il persiste à continuer l'Etude ridicule (!) commencée par lui.
Je compte absolument Monsieur sur votre courtoisie pour faire publier cette lettre dans le prochain numéro de votre revue, à la place même où vous avez crù devoir publier les soi-disant (?) extraits.
Jean Lorrain.
Je m'abstiens de tout commentaire. Le chef-d'œuvre qu'on vient de lire suffirait seul à classer Jean Lorrain au point de vue littéraire et mental. Ma « prétendue » étude sur sa vie en général et son œuvre en particulier paraîtra avant longtemps intégralement à Paris. Lorrain pourra, ce jour-là, satisfaire l'envie de réclame judiciaire qui le ronge. Il lui manquait de transformer les plateaux des balances symboliques en cymbales à son usage. Nous rirons, je le lui promets, car alors, je daignerai lui répondre directement et en personne.
Enfin, je demande aux lecteurs des circonstances atténuantes pour mon excellent ami M. Emile Lante. Il est esclave de sa courtoisie et c'est elle qui l'oblige à imprimer une telle lettre.
Georges Normandy.
Cette « étude » peu amène de Georges Normandy (1882-1946) sur Jean Lorrain étonne sous la plume de celui qui reste connu pour avoir été le légataire testamentaire de Lorrain, l'administrateur de son legs littéraire, et l'un de ses défenseurs les plus ardents. A à peine vingt ans Normandy, ne voit pas encore en Lorrain le grand écrivain qu'il défendra toute sa vie, bien au contraire. Au delà des anecdotes comiques peu glorieuses rapportées, sur la jeunesse d'un Paul Duval-Lorrain coléreux, capricieux et méchant farceur (1), ce sont les termes le définissant qui étonnent le plus, Normandy semble partager l'avis courant des détracteurs de l'auteur de M. de Phocas. Il parle de son « affection de l'anormal facile », dit qu' « il se croyait déjà un dilettante du terrible et du malsain », et c'est sans ambiguïté qu'il le juge comme un « narrateur de turpitudes pseudo-cosmopolites ». La réponse à la lettre de Lorrain ne laisse aucun doute sur l'animosité que Normandy nourrissait alors envers l'auteur de Monsieur de Bougrelon. Le livre promis par Normandy, Eux, ne vit, semble-t'il, pas le jour et la biographie qui devait paraître « avant longtemps » attendra 1907 et de meilleures dispositions de Normandy envers son maître pour voir le jour.
Rappelons que l'un des collaborateurs de La Revue contemporaine, Hector Fleischmann, dont il est question dans un billet précédent, publiera un pamphlet virulent contre Jean Lorrain : Le Massacre d'une Amazone, Quelques plagiats de M. Jean Lorrain (Genonceaux, 1904).
C'est avec Maffeo Charles Poinsot (1872-19..) que Georges Normandy signe ses premiers livres, leur collaboration semble avoir duré jusqu'en 1909, on retrouve leur signature commune notamment dans la Revue contemporaine, où paraît cette curieuse « étude » et la lettre qui la suit. Ensemble ils écriront des romans (L'Echelle, Fasquelle, 1901 – La Mortelle impuissance, roman du dilettantisme, Fasquelle, 1903 - La Faillite du rêve, roman d'un jeune homme d'aujourd'hui, Fasquelle, 1905 – Mâles, Librairie Universelle, 1906), des pièces de théâtres (Anarchistes, pièce sociale en 3 actes, Editions de la revue « Vox », 1904), des études sur la poésie (Sur les tendances de la poésie nouvelle..., Bibliothèque de la revue Forézienne, 1903), des études sur le roman (Le Roman et la vie : évolution du roman moderne, roman social, roman populaire, le romancier dans la vie, éditions de la revue « Vox », 1905) des anthologies (Les Poètes patriotiques, L. Michaud, 1909 – Les Poètes sociaux, L. Michaud, 1909), ils seront tout deux de fervents défenseurs des mouvements littéraires régionaux. En 1907, Georges Normandy, devenu légataire testamentaire de Jean Lorrain, écrira son premier livre sur Jean Lorrain, Jean Lorrain (1855-1906), son enfance, sa vie, son oeuvre..., (Bibliothèque générale d'édition), à partir de 1910, il fera paraître des inédits et des rééditions de Lorrain et écrira l'introduction à Pelléastres (A. Méricant) puis l'avertissement joint à La Jonque Dorée (Sansot, 1911), pour Des Belles et des bêtes à la Renaissance du Livre en 1918 il donnera La Légende et la vie de Jean Lorrain, il signera encore l'introduction documentaire des Lettres à ma mère (1864-1906) (éditions Excelsior, 1926). Infatigable il donne en 1927 une biographie illustrée de Jean Lorrain chez V. Rasmussen dans la collection Louis Michaud, La Vie anecdotique et pittoresque des grands écrivains, et en 1928 un Jean Lorrain intime chez Albin Michel, la même année il signe encore l'introduction au Crime des Riches publié chez Baudinière et l'année suivante chez le même éditeur l'introduction à L'Art d'aimer. Il écrit en collaboration avec José de Bérys et Noré Brunel l'adaptation théâtrale de La Maison Philibert, pièce en 4 actes publiée par A. Michel en 1932. Il préfacera encore La Ville empoisonnée. Pall-Mall, en 1936 chez Jean Crès, puis la réédition de Le Tréteau aux éditions du Livre moderne illustré en 1941, la première œuvre posthume qu'il avait publié chez Bosc en 1906, cinq mois après la mort de Lorrain.
(1) afin de voir combien ces anecdotes tranchent avec la vision idyllique de l'enfance de Lorrain décrite plus tard par Normandy, voici ce que l'on pouvait lire dans l'introduction de Georges Normandy au Crime des riches (1928) : « Jusqu'à l'adolescence, l'enfant vit indépendant des hommes qu'il ne connaît que par les caresses de sa mère et la bonhomie affectueuse de son père. Il s'appartient tout entier, il se développe sans entrave. Tout le surprend, l'amuse, l'intéresse, le charme. Il n'a pas encore sali ses illusions aux fanges sociales ; il est un être libre et conforme à la volonté de la nature. Il aime, il craint, il croit, admire. La vie changera bientôt tout cela... Paul Duval vécut plus profondément que nul autre cette existence ardente et brève. C'était, les soirs, - les soirs d'hiver surtout, alors le ciel bas effeuillait tristement d'innombrables marguerites sur la ville silencieuse, glaciale et blanche et sur la mer en pleurs brisant ses flots aux galets de la plage, - c'était l'exquise intimité a trois autour de la lampe familiale, - une impression de bien-être et de tendre bonheur que Jean Lorrain ne devait jamais cesser d'idolâtrer malgré ses vagabondages à travers le monde, une impression ineffaçable qu'il devait évoquer souvent dans ses œuvres, et aussi dans ses lettres de collégien. Car l'heure douloureuse sonna qui le vit partir pour l'internat inévitable. »
La Revue Contemporaine, Lille. 1900 - 1902.
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