jeudi 19 mars 2009

Raymond ROUSSEL au théâtre. Le scandale de Locus Solus


En janvier 1923 on pouvait lire dans la revue Le Théâtre et Comoedia illustrée, cet article sur l'adaptation théâtrale de Locus Solus, le roman de Raymond Roussel. Le roman fut ignoré à sa sortie, la pièce, elle, souleva protestations, indignations et même quelques bagarres. Grâce au scandale, Raymond Roussel devient alors célèbre. Le collaborateur, resté anonyme pour le critique de la revue, nous est connu, il s'agit de Pierre Frondaie, spécialiste de ce genre de travaux (il avait, notamment, déjà adapté La Femme et le Pantin de Pierre Louÿs).


Théâtre Antoine
LOCUS SOLUS
Pièce en trois actes et six tableaux de M. Raymond Roussel, musique de scène de M. Maurice Fouret, représentée le 7 décembre.
Distribution :
MM. Signoret, Morton, Saturnin-Fabre, Flateau, Galipaux, Mlles Zabet Capazza, Lysana et Jasmine


Connaissez-vous l' « éméraud » ? C'est le microbe de l'émeraude. Il est plat comme une feuille de papier à cigarette et pourvu de six pattes. Introduisez une colonie d'émerauds dans l'épaisseur d'une carte à jouer ; adaptez à leurs pattes mobiles un dispositif spécial : vous aurez la carte à musique, indispensable pour la récréation des tireuses de tarots. Ou bien préférez-vous le ver de terre joueur de cithare ? Ou la locomotive en baleines de corset roulant sur des rails en mou de veau ? Ce sont là les « inventions » où se divertit M. Raymond Roussel. C'est son droit. Il prétend, par surcroit, nous divertir aussi, ce qui est au moins présomptueux. De ces billevesées il a, naguère, fait un livre : Locus Solus. C'est le nom de la villa solitaire où un original, répondant au nom de Cantrel, présente à ses amis les enfantements de son génie. Du roman Locus, une pièce a été tirée, que le Théâtre Antoine a montée. Car M. Raymond Roussel est millionnaire. Il peut s'offrir, quand il lui plaît, une scène, des décors, un orchestre, des costumes somptueux, des interprètes de talent et même un anonyme collaborateur qui, lui laissant le soin de penser, lui épargne la peine d'écrire. D'ailleurs M. Emile Bertin et M. Poiret, en unissant leur fantaisie cubiste de décorateur et de couturier. M. Maurice Fouret, auteur d'une partition musicale agréablement bouffonne, MM. Signoret, Saturnin-Fabre, Morton, Galipaux, Flateau, consciencieux pantins, Mlle Zabet Capazza, qui chante à l'intérieur d'un diamant plein d'eau oxygénée, Mlles Jasmine et Lysana qui, heureusement pour elles, n'ont qu'à danser, et l'anonyme collaborateur lui-même, en introduisant çà et là une ironie de son crû, sont parvenus à faire écouter sans excessif tumulte deux actes sur trois de cette lamentable parade. Le troisième a été coupé le lendemain de la répétition générale. Pourquoi le troisième seulement ?
C'est au moment même où le Théâtre artistique de Moscou nous apporte le plus magnifique exemple d'une révolution dramatique que quelques centaines de mille francs sont gaspillés à produire Locus Solus. A moins que M. Raymond Roussel soit simplement un misanthrope cynique, qui a voulu démontrer jusqu'où la puissance souveraine de l'argent peut mépriser le public...




Raymond Roussel (20 janvier 1877 - 2 juillet 1933). Locus Solus (Lemerre, 1914) pré originale parue sous le titre Quelques heures à Bougival, dans le Gaulois du Dimanche (déc. 1913-mars 1914)


La "lente mélodie plaintive" jouée par la carte de tarot, maison-Dieu, "qui empreinte d'un grand charme nostalgique", pouvait se noter ainsi :


Raymond Roussel sur la toile : La Bibliothèque numérique de l’Université Paris 8, département hypermédia permet de suivre l'itinéraire du maître Canterel, tel qu'il est décrit dans Locus Solus, ou de choisir grâce à un plan interactif son propre parcours.

Lire : François Caradec. Raymond Roussel. Fayard, 1997. Edition largement corrigée et augmentée de la Vie de Raymond Roussel, parue chez Jean-Jacques Pauvert, dont je ne résiste pas à reproduire la couverture spychédélique.



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