vendredi 21 novembre 2008

Paul ADAM : Préface à L'ART SYMBOLISTE de Georges VANOR



Préface de Paul ADAM à Georges VANOR : L'Art Symboliste. Chez le Bibliopole Vanier, 1889.

PRÉFACE

Tant on abîma, et des plumes les plus célèbres, notre naïve conscience d'écrivains symbolistes, qu'il serait bon au public, pour le seul amour du rare et du curieux, de lire cette brochure écrite en toute sincérité de croyance par un poète lauré de louanges quasi officielles.
En effet, dès l'apparition de son oeuvre lyrique, Les Paradis, M. Georges Vanor a eu cette miraculeuse fortune de voir la presse entière, la belle presse des hauts quotidiens, lui décerner spontanément ces palmes dont elle se montre à l'ordinaire économe envers les artistes ; au risque de compenser cette parcimonie par une magnificence impériale qui dotera de renom telles histoires d'alcôves contemporaines réunies par quelque valet de lettres, telles révélations d'un caudataire politique sur certains gâteux présidentiels, ou telles hystéries d'un pornographe puéril.
Quels plus glorieusement inconnus que ces prêtres d'esthétique, Barbey d'Aurevilly, Huysmans, Verlaine, Léon Bloy, Villiers de l'Isle-Adam ? Leurs mérites plurent au subtil Jean Lorrain, mais ne surent convenir aux habituels louangeurs de Sarah Bernhardt.
Certes, l'art actuel, trop dédaigneux de tréteaux et de cymbales, sera banni désormais de la vedette. Trop nourri de sciences et de métaphysiques il ne saura plus aider la digestion du capitaliste obèse, ou animer la langueur du bain pour la fille.
Sans ces admirations lucratives, il végétera ironique et moqué avant que naissent de plus saines et de plus robustes générations d'intelligences.
Cependant Monsieur Pailleron trône.
Les lecteurs ont disparu. Jadis les nobles, grands connaisseurs d'art, bibelotiers savants, aimaient les livres. Aujourd'hui, à voir leur descendance si passionnée pour l'écurie et l'élève hippique, on évoque tristement le mot du prince de Conti, qui, devant un robuste palfrenier de son équipage disait « Voici comme nous les faisons », et montrant dans une glace son effigie gibbeuse « Voilà comme ils nous font. »
Les banquiers aiment à rire, après les sombres tragédies d'argent et les suicides d'honneur il leur faut des pitres grivois. Leurs femmes inassouvies par l'égoïsme du mari, et le rachitisme de l'amant, aiment les niaises histoires de coeur, cette pornographie il leur faut des pitres sentimentaux.
Hors la pitrerie point de succès.
Et pourtant, malgré les obstacles, des hommes peinent à parfaire des oeuvres inaltérables. Et pourtant, des fois, ces oeuvres sont remarquées.
Ainsi, encore qu'il soit hautain forgeur de vers et isolé par son essence même de toutes compromissions, M. Georges Vanor a conquis les suffrages de la chronique parisienne.
Je crois avoir découvert la raison de cet événement merveilleux et, ici, je la dirai pour la seule fin de prêter quelque réconfort aux âmes nourries d'esthétique mais dépourvues du pain de gloire et qui attendent Les Temps à la flamme inaperçue de leur génie.
Ce siècle laborieux, qui nous enfanta, est une époque de synthèse.
A qui regarde avec quelque largeur d'attention les événements intellectuels apparus depuis la grande saignée des guerres impériales, il semble de toute évidence que l'humanité moderne ramasse dans les temps passés les forces par elle émises, les restaure, les revit, en exprime l'essence et amalgame cette essence aux principes déjà acquis par l'excellence de son génie critique. Le Romantisme retrouva le décor, la magnificence et l'honneur fort galvaudé par l'analyse du XVIIIe siècle qui allait, trop au fond des choses sans se douter des Causes idéales et théoriques. Le brigandage de la Révolution et des guerres suivantes avaient amoindri la délicatesse du coeur. La Société du Directoire fut une déplorable société, mal récrépie par les soudards du Bonaparte, plus mal tenue par les faméliques dévorateurs de la Restauration, qui compensèrent. Largement le long jeûne de l'exil obligatoire. Le Romantisme réagit et créa cette brave bourgeoisie honorable, mais bornée aux moeurs étroites de protestants que promulguèrent les Guizot, les Thiers, les Girardin. On eut le parapluie chevaleresque, l'admiration de l'antique grec et des Vaudois, la croyance à la Liberté, et l'horreur de l'Inquisition.
Des bouleversements politiques secouèrent les bonnets à poils des gardes nationaux l'Empire survint avec le débraillage d'une grossière Renaissance. Les prophètes du Mal surgirent Octave Feuillet, Georges Sand, Musset, d'autres qui arborèrent une immoralité inouïe, déifiant l'Adultère et le Péché, fardant l'Ordure de sentimentalisme, parfumant la puanteur de la Chair, et la suée des accouplements. Ni dogme, ni compréhension des Forces et des Causes en cette littérature misérable et vide où s'assimila l'impureté des femmes qu'exploite encore l'ignominie des Ohnet. Elle fut l'excuse de bien des hontes. le motif de bien des indulgences coupables. Elle a fait la corruption de nos vingt ans.
Dégoûtés de ces turpitudes, rendus plus réfléchis par la défaite, les hommes de la troisième République, jansénistes austères, dirent la morale naturaliste, prêchèrent en leurs livres saints la hideur du vice, étalèrent les abjections et les chancres, hurlèrent leurs forts cris de douleur et d'effroi devant la pourriture humaine, et le ridicule des oripeaux à ses plaies.
Le pessimisme résulta art de faibles, sans vigueur pour s'indigner, sans ardeur pour combattre, propre aux larmes seules, aux larmes infantiles sur l'ondoyance de l'amante ni matée ni abandonnée, où il revient lamentable et vil.
Art sénil, dont s'éprirent encore les femelles louangées en leurs cloaques par le désarroi du mâle et la décadence de sa vertu.
Or ces étapes, chevalerie ingénue, justification facile de la chute, révolte de la dignité virile contre la bassesse des passions, retour enfin du mâle vaincu et honteux au joug de la femelle, ces étapes parcourues par la vie du siècle sont celles-là même que connaît la genèse intellectuelle de l'homme. L'adolescent de la quinzième année offre bien cette croyance à la loyauté, à la droiture infrangibles bruyamment il la manifeste, furieux au sourire sceptique des vieillards. A la première faute il s'excuse, farde le dégoût, se joue à lui-même l'hypocrisie puis la révolte de son être de conscience l'arrache aux hontes, pour un temps. Fatalement les embûches de la vie, la désuétude des plaisirs, le doute d'atteindre les buts ramène aux extases douloureuses des sexes l'ascète d'un moment. C'est l'heure triste de l'existence, l'heure de la résignation à l'opprobre, c'est l'heure où gémit maintenant le Siècle.
Car il a vécu toute la passion d'un homme et synthétisé dans ses littératures la jeunesse de la race.
A ce point d'arrêt, à la minute où l'Amant secoue encore une fois la honte au seuil abandonné de la maîtresse dernière, il regarde le Soleil de l'Avenir. S'il n'a épuisé totalement sa vigueur dans la vanité des querelles et des étreintes.
De sa méditation féconde naît instantanément la lumière qui conduira le voyageur par des sentes fleuries d'efforts efficaces. Son sang neuf chante à ses artères, il écoute ses pensées lui bruire. Le voici libre, en plein jeu de ses forces souples, de ses membres vigoureux, tout imprégné de soleil, tout plein de la grâce du Créateur.
Il sait. Il comprend. Ses douleurs passées, ses douleurs futures, il les concentrera elles seront l'huile pour la lutte, la dynamique raisonnée de ses gestes futurs, la raison de sa vie. Méprisant les sollicitations des plaisirs inutiles, il ira vers la science des choses, la contemplation des rhythmes et des causes, l'adoration du Dieu. La douleur, essence de la vie et qui faisait sa faiblesse, il en tirera sa force, il la transformera jusque l'extase, jusque l'hallucination mystique. Les féeries des entrelacs sidéraux paraderont à ses regards. se combinera par l'ampleur de sa science et la vigueur de sa pensée à l'harmonie des mondes. Il synthétisera les séries des phénomènes dans l'Idée-Une, dans Idée-Mére, dans l'OEuf générateur des Mondes, dans l'Idée Divine, dans Dieu. Il sera mystique.
Donc, après avoir résumé si exactement aux cours de ses âges, les étapes d'éducation propres à la genèse sentimentale, le Siècle prépare évidemment la période nouvelle, la période de Force, de Science consciente et de bonheur l'Epoque à venir sera mystique. Car s'il est des analogies entre les évolutions des choses, nulle de ces analogies ne saurait paraître vaine. La sagesse des Temps a toujours montré, elle montre encore le microcosme humain, symbole harmonique du macrocosme universel. Les éphémères naissent, évoluent et meurent suivant les lois essentielles qui président au développement, aux paraboles, à l'extinction des comètes.
L'Époque à venir sera mystique. Mystique et théiste.
Elle inaugurera le miracle de l'homme dédaignant la douleur, abstrait dans les rêves imaginatifs, dans l'hallucination habituelle, rendu à l'essence primitive et divine, devenu aussi créateur, créateur de ses extases et de ses Paradis.
Me voici revenu au titre de l'ouvrage qui m'occupe. Le poète y a doctement et en vers heureux noté cette éclatante manifestation du génie divin mouvant l'emblémature humaine selon la mélodie de ses desseins. Ici je ne referai pas l'éloge de l'auteur. D'autres y travaillèrent et au mieux. Ma tâche se limitera seulement à dire que l'évidence de la merveille démontrée a surpris toutes les attentions si futiles qu'elles soient d'elles-mêmes. Cela parce que la Vérité, quand elle s'irradie, échauffe impérieusement les plus aveugles de naissance ou de volonté.
L'Époque à venir sera mystique. Et le plus étonnant du miracle c'est que la science elle-même, cette fameuse science positive et matérialiste qui renia l'orthodoxie, cette science elle-même viendra humblement annoncer la découverte du principe divin apparu au fond de ses creusets, dans les artifices de ses prismes, sous l'ondoiement de ses cordes acoustiques, dans les spasmes de son éther électrique. Intuitive déjà, elle se lève, lumineuse et repentante, appelant l'expérimentation pour constater la splendeur de ses théories, mais dégagée du servilisme expérimental où l'obscurantisme la fit choir. La voici reconnaissant chaque phénomène comme modification d'un fluide unique transformé en toutes les apparences selon l'intensité de ses vibrations. Le fluide unique, Dieu, les équilibres des idoles à double sexe, l'essence génératrice, Isis et Orus, la Vierge et le Christ.
Mysticisme de la Science ! Charité du Socialisme ! Signes d'approche des Temps Évangéliques !
Tel ce que voulut dire le poète dans son livre des Paradis. Il prophétisait l'Éclat de la Vérité Prochaine. Et les hommes ont dû croire.
Or, cette littérature symboliste n'a d'autre but que de marquer les analogies miraculeuses du microcosme humain et du macrocosme universel. Enclore un dogme sous un symbole humain, dira M. Vanor, c'est là toute la doctrine de l'école neuve.
Longtemps encore peut-être l'athéisme du marchand de vins, la fumisterie philosophique d'un Renan quelconque triompheront. Sans doute, tristes prophètes de cette nouvelle terre promise, nous périrons sur la montagne avant que se soient dissipées les brumes du paysage extatique.
Qu'importe. Au moins aurons-nous eu cette gloire de l'avoir signalé par nos initiations.

PAUL ADAM.

"Le XXIe siècle sera mystique, ou religieux, ou encore spirituel". On attribue souvent cette phrase à André Malraux, les spécialistes en discutent encore...

On peut lire dans la préface qui précède : « L'époque à venir sera mystique », bien sur la prédiction de l'auteur des Demoiselles Goubert, répétée deux fois au cours de son texte, s'appliquait au XXe siècle. Le mysticisme, comme le Grand Soir ou le Paradis, serait-il toujours pour demain ?


Paul Adam sur Livrenblog : Ravachol de Paul Adam au Petit Journal, Paul ADAM par Francis Vielé-Griffin



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