mercredi 17 septembre 2008

Auguste VAILLANT (suite) - Gustave KAHN et l'anarchisme

Première partie.


Auguste VAILLANT


par

Gustave KAHN (suite)


IV



Dans tous les cas, qu'on ne s'y trompe, qu'on ne veuille pas s'y tromper, les temps sont finis de promettre et de ne pas tenir.
J'ai entendu développer assez généralement cette assertion que Me Labori avait eu tort de récuser M. de Rothschild. Celui-ci disait-on, n'eût pas voulu, n'eût pas pu condamner à mort, et sa puissance eût fait graviter vers lui l'opinion des onze autres jurés. Je me rangerais volontiers à cet avis et que signifie-t-il chez ceux qui le partagent, c'est qu'ils connaissent les responsabilités terribles qu'a amassées sur lui-même le capital et qu'elles savent que M. de Rothschild en est un des plus formidable représentants. Aux yeux de ceux qui pensent que la défense a là commis une erreur au détriment de son client, le capital, n'étant plus la machine à tout broyer, mais s'incarnant en un homme , eût été clément. Il eût craint, dans le meilleur sens du mot, d'accumuler des haines encore, contre ce qui en est si justement l'objet, car si dans les âmes basses le capital ne crée que des convoitises, dans d'autres il soulève, au spectacle de ses abus, haine et mépris. Et nul, autant que le puissant financier, n'eût été autorisé à savoir qu'on peut vouloir y toucher et détruire son règne sans être bien coupable, moralement. Puis c'eût été vraiment un spectacle antithétique et dramatique qu'ils fussent en face tous deux, en leurs positions assignées, le chef de maisons de banque et le pauvre diable exaspéré à force d'être exhérédé.
Car, encore une fois, Vaillant n'est pas un criminel de droit commun, il n'est pas l'ambitieux et le rhéteur que la presse y a voulu voir ; c'est un pauvre hère qui en a eu assez, que le sentiment de sa faiblesse etde sa misère a poussé à l'acte antisocial. Je n'ai pas l'intention de dire qu'il fit bien, mais je ne le considérerai jamais comme un assassin. Sa tentative a visé le Parlement. Le Parlement en a été indigné, et ceux qui par devoir ou subvention soutiennent le parlementarisme, et ceux-ci plus encore que les parlementaires, au moins ceux dont les noms se trouvent publiés sous le recours en grâce ; il a été dit ailleurs et bien que l'exaspération générale des conservateurs et des républicains de diverses nuances n'était pas aussi générale ni aussi successive que l'on avait bien voulu le dire. Du blâme, oui, de la fureur non pas.
Or, puisque la question se pose si pressante, que rien n'assure, bien au contraire, que Vaillant n'ait pas d'émules, que par contagion bientôt quelqu'un de ceux que les anarchistes appellent les solitaires et qui vivent à côté de leur parti, sans être connus, peut recommencer et recommencer plus tragiquement, il faut que la société entre dans la voie de réalisation de ses promesses. Quel est celui des membres du Parlement qui n'a promis à ses électeurs de soulager autant qu'il le pouvait les misères sociales ; qu'ils commencent et entraînent le gouvernement dans cette voie. Cela sera infiniment plus utile que de réprimer et de terroriser. Les réformes à faire, les réformes indiquées sont nombreuses, et ce sont des réformes promises. Tel perfectionnement à la mécanique sociale n'est pas accompli, que les républicains du gouvernement ont promis depuis longtemps. Il serait de leur devoir et de leur intérêt de tenir leurs engagements. Evidemment toutes les réformes ne peuvent pas s'exécuter immédiatement. Parmi les justes desiderata de l'idéal anarchiste, il se trouve des demandes qu'on ne pourra satisfaire qu'infiniment plus tard. Des personnes cérébralement tout à fait antimilitaristes accordent sans difficulté qu'on ne peut songer actuellement au désarmement, que c'est prudence de tenir tête aux antimilitaristes, car accorder leurs postulats serait les condamner eux-mêmes aux misères de la défaite et a d'irréparables pertes. Il est certain que confondre l'idée d'Etat avec l'idée de patrie, et vouloir désagréger la seconde parce que le premier a des droits et des devoirs d'une définition trop ancienne et abusive, est une erreur. L'Etat est un ensemble factice de lois, la patrie un phénomène presque naturel de par la langue, le caractère et les habitudes ; mais sans même se soucier encore des problèmes éloignés, autrement que d'une façon théorique, il faut s'occuper tout d'abord des problèmes les plus urgents.
Et pour les bien résoudre, peu importent les divergences de vue et de point de départ entre les libéraux. L'essentiel est de les délimiter et d'obtenir des améliorations immédiates. De ces améliorations, quelles sont les plus urgentes ? C'est ce que, dans la mesure de ses forces, cette revue cherchera à délimiter, tout en continuant à présenter des idéaux pour plus tard.

Gustave KAHN



Voir la première partie de cet article parut dans La Société Nouvelle.





Aucun commentaire: