Les Vieux journaux n'intéressent personne.
Un bouquiniste de Charleville-Mézières, achète quelques numéros du Progrès des Ardennes, il y cherche Le Dormeur du Val de Rimbaud, car il connaît la légende qui dit que le poème de Rimbaud aurait été publié dans ce journal.
Ne trouvant aucun textes signés de l'enfant de Charleville, le bouquiniste met son lot en vente, mais les vieux journaux n'intéressent personne (1), il traîne alors son paquet de canards de foires en salons. Les chineurs, les libraires, les documentalistes, les chercheurs, les universitaires (combien de Rimbaldiens parmi eux ?), sont passés devant les pages jaunies et trouées de ces Progrès des Ardennes glissés dans une pochette plastique, sans leur accorder la moindre attention. Décidément il n'attirent pas le regard ces pauvres épaves, ils n'ont pas la renommée des revues d'avant-garde, ne se parent pas en première page de gravures destinées à finir dans une Marie-Louise, pour décorer nos murs, non, ce sont de simples vieux journaux et les vieux journaux n'intéressent personne.
Que n'a t'il lu une bonne biographie de Rimbaud ou les souvenirs de Delahaye, ce bouquiniste, il aurait alors su que Rimbaud avait envoyés des poèmes à Emile Jacoby, mais que le fondateur du Progrès des Ardennes, se refusait à publier des vers en période guerre, « ce qu'il nous faut, ce sont des articles d'actualité et ayant une utilité immédiate » lui répondit-il par l'intermédiaire d'une note dans le journal. Il aurait alors su que Rimbaud s'était choisi pour l'occasion, le pseudonyme de Jean Baudry. Il aurait même put lire dans les souvenirs de Delahaye la description de l'article de son ami, Le Rêve de Bismarck (Voir ci-dessous).
Ce qu'il y a de plus miraculeux dans cette découverte, c'est bien la « science » du découvreur, la connaissance qu'il a de la biographie de Rimbaud, dans un monde qui zappe les informations, celui-ci s'est souvenu de ses lectures, il fut le seul.
Miracle ! Il reste des lecteurs et ils se souviennent.
Depuis les spécialistes se sont penchés sur le texte, les journaux l'on reproduit. Les plus enthousiastes y voient «la plus grande découverte littéraire du siècle» (M.-E. Nabe), d'autre plus circonspects, plus lucides, « un écrit de circonstance » (J.J. Lefrère) une « découverte extraordinaire, même si ce n'est pas un grand texte de Rimbaud » (S. Murphy).
Les journalistes ne reculant devant aucun raccourcis, nous transforment du même coup Rimbaud en patriote... Ils leurs suffit que le jeune Ardennais s'en prenne à Otto von Bismarck pour le confondre avec la foule « prudhommesquement spadassine » dont il se moquera quelques temps plus tard. D'autres ont d'un coup reconnu « une prose au style si caractéristique » dans cette courte fantaisie... La palme de l'enthousiasme aveuglant le jugement, revient pourtant à Marc-Edouard Nabe, pour qui la ponctuation de ce texte préfigure celle de Céline... pas moins !
Le Rêve de Bismarck (Fantaisie) de Jean Baudry, première publication d'Arthur Rimbaud connue à ce jour, est désormais en ligne un peu partout, chacun pourra donc se faire une idée.
(1) Le collectionneur recherche surtout de l'image. Les acheteurs de vieux journaux sont souvent des maniaques, collectionneurs de « thèmes » : catastrophes, accidents, avions, vélos, ballons, bateaux, meurtres, moulins, animaux, villages natals... que sais-je encore. Les plus lettrés vont jusqu'à collectionner les textes sur les mêmes sujets. J'en ai même vue se promenant dans les salons du livre, une pancarte autour du cou annonçant qu'il recherchaient « tout » sur tel ou tel race de chien, tel ou tel village.
Bismarck est abominablement saoul. Un Bismarck autrement n'aurait été, je suppose, accueilli par personne. Donc il est « rond comme une cosse », Monsieur le Chancelier de l'Allemagne du Nord. Et il rêve, accoudé sur sa table où s'écarte une carte de France. L'oeil alourdi par l'ivresse, l'oeil clignotant du monstre suit l'index qui tourne, tourne... autour de Paris... qu'il faut prendre... s'arrête ça et là, marque des points de repère : Etampes, Soissons, Versailles, repousse d'un geste furieux des choses là-bas, sur la Loire... tourne, tourne encore... peu à peu rétrécit le cercle fatal ; puis l'homme se penche, il pose enfin sur le point voulu sa pipe de porcelaine dorée... voluptueusement il grogne... mais l'oeil se ferme, la grosse tête chenue s'incline, s'affaisse... il dort – tellement saoul !... - Tout à coup un cri, un hurlement... c'est lui qui s'éveille, le nez grésillant dans sa pipe ardente!...
Ernest Delahaye. Souvenirs familiers à propos de Rimbaud, Verlaine, et Germain Nouveau. Messein 1925.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire