mardi 7 octobre 2008

OPINIONS SUR GAUGUIN - Charles MORICE Fin


L'article recueillant les Opinions sur Gauguin, publiées dans le Mercure de France N° 167 de novembre 1903, se termine sur cette dithyrambe de Charles Morice. A la lecture des numéros précédents, force est de constater que nombre de ses contemporains, n'avaient pas encore pris la mesure exacte du génie de Gauguin, la connaissance encore approximative de son oeuvre en était sans doute responsable en partie, seuls ses amis les plus proches (Duro, Séguin, L. Roy) et les fins connaisseurs avides d'originalités (A. de La Rochefoucauld, Fagus, Mithouard), y prévoyaient la gloire posthume du "barbare somptueux". Les autres sont bien timides, emphatiques parfois, fielleux aussi...


Il fut un maître.
Telle est, très nettement – non même sans les quelques dissonances essentielles en un si moderne concert, et précieuses pour ce qu'elles permettent de connaître chaque âme au son qu'elle rend – la conclusion de cette sorte d'enquête.
Il fut une force créatrice, émouvante et impérieuse ; un aboutissement et un recommencement. Des traditions très anciennes et très pures ont trouvé dans sa volonté très sensible, très éclairée et très active, l'instrument nécessaire de leur renaissance par des transformations fécondes. Tournant barre au flot d'une civilisation menteuse, ce hardi marin n'aura pas tenté en vain le grand voyage, - plus loin que Tahiti ! - le « Retour aux Principes » de cette Odyssée, qui eu la tragique allure d'une Iliade sanglante, le monde maintenant va profiter, maintenant que la mort a fait fait le geste de vie : car les hommes auront toujours coutume d'attendre le coup de foudre funèbre, pour se recueillir et comprendre, pour regarder, pour voir,
Tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change

(et ce vers immortel de Stéphane Mallarmé, qui l'aima, est en pleine harmonie avec la destinée de ce grand artiste) Gauguin nous apparaît à jamais, oui, le maître qu'il demeure : avec le sens prodigieux, qui fut le sien, des vastes décorations, avec son invention inépuisable, avec la vaillance qui fit de lui un héros dans sa lutte – de Jacob avec l'Ange (n'est-ce pas le sujet d'une de ses plus belle oeuvre ?) - de l'Esprit contre la Nature.
La patrie le méconnut, il y a de la honte pour beaucoup dans sa gloire assurée. N'importe. Exceptés seulement ceux-là qui, disposant de tout, on tout refusé au génie, alors que de presque rien il eût fait de l'éternité, - et j'entends désigner ici sans détour les hommes dérisoirement installés à la « direction » des beaux-arts, à la conservation des musées, - à tous largesse, même à la mère ingrate, même aux frères ennemis, largesse de la pensée et de l'oeuvre sublime !
Il est impossible de préciser dès cette heure la profondeur de l'empreinte laissée par Paul Gauguin dans l'art par l'accomplissement, dans l'âme des artistes par l'exemple et l'influence. Ce sera l'étude des longs temps. Mais, sans attendre, on tient, ici, à l'honneur d'avoir produit au jour l'affirmation de quelques-uns, qui comptent, et de ne rien laisser à répondre aux négateurs, aux détracteurs d'hier...
Une étoile fixe de plus brille au ciel de l'art français.


Charles MORICE.


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