mercredi 8 septembre 2010

J.-H. Rosny par Marcel Martinet dans L'Effort Libre.


Un article de Marcel Martinet sur J.-H. Rosny aîné dans L'Effort Libre, juillet-septembre 1913.


La Vie Artistique

Les Rafales – Dans les rues

J.-H. Rosny Aîné

(Fasquelle 1913)

Un roman de Rosny éveille assez d'émotions et d'idées pour que la critique ne puisse en être ramassée dans une note. A propos de ce livre récent, je n'essaie d'indiquer que deux aspects de son génie, mais de ceux qui doivent, ici, nous toucher du plus près.

Un point de technique : sa richesse et son agilité verbales.
D'autres écrivains, servis par une mémoire non moins remplie et non moins fidèle, disposent d'une langue aussi abondante et aussi variée ; peu ont sa souplesse. Zola était lours ; Paul Adam est fumeux ; ils rebutent parfois l'esprit, l'un par sa vulgarité, l'autre par son empressement désordonné. Le style clair et vif de Rosny ne fatigue pas.
Il est sûr qu'il n'a pas toujours eu dans sa syntaxe, alerte déjà et frémissante, autant de sécurité ni autant de certitude dans l'emploi de ses mots. Moréas, qui ne fut pas toujours un critique si raisonnable, disait à son lit de mort : « On ne naît pas classique ; on le devient » Ce terme recevait ainsi une signification vigoureuse et profonde qu'il a rarement dans les discours où on l'accommode, surtout chez les jeunes écrivains qui s'en parent. C'est de cette sorte que Rosny devient classique.
Il a discipliné, selon sa loi, une force qu'il avait. On ne discipline pas le néant et on discipline mal la faiblesse, - ce néant et cette faiblesse aujourd'hui baptisés pureté et mesure ; pureté et mesure sont des qualités de Flaubert, en ce sens que chez lui l'expression ne dépasse pas son contenu, et n'est pas dépassée par lui ; mais la langue de M. Bazin n'est pas pure, elle est le plus souvent médiocre, comme le sentiment qu'elle traduit ; la langue de M. Bordeaux n'est pas mesurée, à son ordinaire elle est nulle.
Racine n'est pas pur du fait qu'il n'a employé que trois ou quatre cent mots, mais du fait qu'il les a bien employés.
Avec un vocabulaire intarissable et une syntaxe éblouissante, un écrivain peut être mesuré : Hugo l'a été fort souvent, qui écrivait plus purement que M. Angellier et que Moréas même. On peut être un grand écrivain avec une langue pauvre, mais la pauvreté n'est pas une qualité ; c'est la richesse qui en est une. Il faut aimer Rosny d'avoir ce don impudique, et de n'en point rougir, à une époque qui s'enorgueillit des resucées troubles et fades de Stendhal, Fromentin, Barrès, etc.

Il faut aimer Rosny. Et il faut sentir et savoir qu'il est d'une autre génération que la nôtre ; il faut l'aimer comme un aîné, non comme un compagnon de lutte. On s'en aperçoit très rapidement dans ce livre, grâce peut-être au sujet qu'il traite, au milieu où il nous promène.
Il observe la vie ; avec une minutie de réaliste, avec une intuition de visionnaire, c'est-à-dire avec d'éminentes qualités de romancier épique ; et assurément non sans amitié pour ses personnages. Mais il garde son quant-à-soi. Il est observateur de ses héros, non leur camarade.
Depuis que tant d'expériences ont été tentées, en tous pays, dans l'art d'imaginer des êtres vivants, de composer et d'écrire des livres, nous connaissons les dangers de vouloir nous mêler à la vie de nos romans et (sans que jamais nous intervenions du dehors) de vouloir ressentir fraternellement les émotions qui les animent. Nous connaissons ces dangers, et cependant nous croyons qu'il faut les courir et que c'est à ce prix seulement que nous continuerons l'effort de nos aînés, à ce prix que notre oeuvre d'écrivain méritera d'être considérée en regard des autres oeuvres de l'effort contemporain.
Nous croyons que les hommes qui liront nos livres nous demanderont de retrouver dans leurs personnages et en nous-mêmes non un tableau désintéressé de l'existence, mais une transfiguration passionnée de leurs propres intérêts, de leurs appétits, de leurs joies, de leurs espérances, de leurs douleurs ; nous croyons devoir prendre parti. Nous nous trompons peut-être lourdement. Mais nous sommes sollicités par des camaraderies si entraînantes, la besogne et si émouvante et le but si beau que la partie vaut bien la peine d'être tentée.
De telles préoccupations semblent étrangères à Rosny ; il voit les hommes d'aussi près que nous les pouvons voir. Mais il n'est pas au milieux d'eux ; il est le regardant, et eux les acteurs. Et ce spectacle nourrit sa tristesse, un fatalisme qui n'a foi que dans les forces irrésistibles de l'instinct.

Marcel Martinet.

Marcel Martinet est né à Dijon en 1887, il publie son premier recueil de poèmes, Le Jeune Homme et la vie, en 1911, après avoir collaboré à de petites revues comme L'Ile Sonnante, ou Les Horizons. Il collaborera à la revue littéraire engagée, L'Effort, puis L'Effort libre de Jean-Richard Bloch, c'est dans cette dernière qu'il fera paraître son manifeste "L'Art prolétarien". En 1914 il rejoint le groupe de La Vie ouvrière de Pierre Monatte, c'est durant la guerre qu'il rencontre Trotsky et qu'il s'engage dans les mouvements pacifistes et internationalistes. En 1921 il devient directeur littéraire de L'Humanité, il encourage Henry Poulaille à écrire le Pain quotidien. Il devient directeur littéraire des éditions Rieder. Il meurt en 1944. "Il laissera Chants de l'identité un des plus poignants poèmes cosmiques panthéistes, optimistes de notre temps." André Spire.



L'Effort Libre (un numéro provenant de la bibliothèque de Guillaume Apollinaire).

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