dimanche 3 janvier 2010

Georges LECOMTE par Rodolphe DARZENS


Georges Lecomte (1867-1958), fut journaliste, écrivain, auteur dramatique, critique d'art et essayiste. Il débute au théâtre avec La Meule (1891), puis Les Mirages (1893), au Théâtre Libre. En 1892 il publie L'Art impressionniste, d'après la collection de Durand-Ruel. Il fut directeur de l’école Estienne et président de la Société des gens de lettres en 1908. En 1924, il sera élu à l'Académie française, en 1946 il en devient le secrétaire perpétuel. Si le nom de Lecomte apparaît parfois encore aujourd'hui il le doit à ses débuts comme directeur de la revue La Cravache, dont on constatera l'importance par la qualité de ses collaborateurs, ainsi qu'à ses critiques d'art sur l'impressionnisme et le néo-impressionisme. En 1949, il publiera, chez Robert Laffont, Ma Traversée, un volume de souvenirs. C'est à l'occasion de la première de La Meule que Rodolphe Darzens lui consacre une biographie littéraire.



GEORGES LECOMTE
BIOGRAPHIE LITTÉRAIRE



Georges Lecomte, né le 9 juillet 1867 a Màcon, où il fit ses études au lycée Lamartine, se trouve être le plus jeune des auteurs que le Théâtre Libre ait joués. Cependant malgré les vingt-trois ans d'âge qu'il a seulement, l'auteur de la Meule peut compter déjà près de sept années de vie littéraire, s'étant, dès son arrivée à Paris, vieux de dix-sept ans, résolument jeté dans le journalisme politique et financier d'abord, puis, par la suite, artistique et littéraire.
De loin en loin je rencontrai ce grand garçon à l'allure franche, au regard droit, à la poignée de main nette; et, sans le connaître, je sentais qu'il ne pouvait être que sympathique. Et, puis a lire les pages que publiaient de lui certaines revues, l'idée s'imposait qu'il y avait en lui un esprit à la fois original, simple et souple, comme se trouve l'être telle lame d'acier damasquinée d'or.
Mais voici un portrait de lui finement tracé par M. Félix Fénéon, mieux certes que je ne le ferai moi même ; car Georges Lecomte et lui sont dès longtemps amicalement liés, et il y a même entre eux une parité de nature (I):
« G. Lecomte semble traiter la vie pratique en oeuvre d'art dont il serait le protagoniste, là ombrageux un peu, là hautain, là exquisement cordial : ses paroles sont l'exacte et rythmique figuration de ses idées, de ses amitiés, de ses actes ; l'espace s'illustre de gestes gracieux, le costume est sans négligences, les moustaches jaillissent dru, l'ambre du teint s'avive parfois de la belle enluminure bourguignonne ; le décor s'orne de xylographies allemandes, de deux ou trois des « Songs of stone » de Whistler, d'antiques statuettes chinoises de bois peint, d'affiches de Chéret ; les comparses, autour de lui, dont il ne laisse pas volontiers le petit nombre s'accroître, justifient, hommes, femmes, leur existence par quelque particularité de l'esprit ou du sourire. — Certes, dans ces façons-là, rien de théâtral, et seulement, par un double souci de dignité et de courtoisie, la mise en valeur, mais sans trucs, d'une âme loyale, enthousiaste et charmante. »
A Paris, tandis qu'il étudie, pendant les trois années réglementaires, le droit, Georges Lecomte débute par la publication d'articles où se manifestèrent ses opinions politiques et ses projets radicaux de réformes financières et administratives. Même il fit imprimer quelques brochures aujourd'hui absolument introuvables, ce qui navre en moi le bibliophile assoiffé le curiosités. Mais dès qu'il fut licencié en droit, Georges Lecomte abandonna cette voie : c'est vers cette époque qu'il s'était lié avec Félix Fénéon, et il aime à affirmer qu'il fût, grâce à l'influence de cette amitié, poussé vers les lettres. Il semble rependant que le « vieil homme » doive transparaître de temps à autre ne fût-ce que dans ces pages ironiques qu'il a publiées, à la Revue d'aujourd'hui sur l'idée de Patrie, aux Entretiens politiques et littéraires, sur le scandale du Capitalisme.
Cependant, dès le mois de mai 1888 et jusqu'à juillet 1889 c'est-à-dire plus d'une année (les revues de jeunes ne durent guère plus et souvent moins, n'est-ce pas, Jean Jullien, de Saunier et... moi-même ?) Georges Lecomte est rédacteur en chef d'une feuille hebdomadaire, qui, sous sa direction, devint presque exclusivement artistique et littéraire. Citerai-je quelques-uns de ses collaborateurs ? Paul Verlaine, Joris-Karl Huysmans, Léon Hennique, Paul Bourget y écrivirent côte à côte avec Félix Fénéon, Henri de Régnier, Jean Ajalbert, Paul Adam, Emile Verhaeren, Edmond Couturier ; y furent également publiés des vers inédits de Tristan Corbière, de Jules Laforgue, d'Arthur Rimbaud. Là, Georges Lecomte signa des chroniques satiriques et des études d'esthétiques « où déjà — ainsi que l'écrit justement Félix Fénéon — on pouvait remarquer qu'il documentait ses jugements avec une scrupuleuse conscience, qu'il ne se dérobait jamais, sous couleur d'un facile scepticisme, aux dangers d'une conclusion, et qu'il n'hésitait pas à aborder les questions par leur plus abrupte face. »

La Cravache disparue (II), Georges Lecomte collabore à l'Art moderne (de Bruxelles) aux Hommes d'aujourd'hui, à Art et Critique, à la Revue indépendante, à la Revue d'aujourdhui, à l'Art dans les deux mondes, à l'Avenir dramatique.
C'est au service de l'Art impressionniste, exaltant en particulier ce maître génial, Camille Pissaro (III), qu'il mit son talent de critique, aux jugements personnels et neufs. Les peintres japonais l'attirèrent également, cependant que d'autre part, il écrivait de nombreux comptes rendus des représentations du Théâtre Libre. C'est à la lecture de ces critiques, où toute une théorie nouvelle du théâtre s'élaborait, prenait corps, qu'Antoine eut la pensée de prier Georges Lecomte de lui donner une pièce. Pensée fructueuse qui devait donner à la scène du Théâtre Libre un succès de plus et doter l'Art dramatique d'une recrue nouvelle.
Georges Lecomte se mit à l'oeuvre ; et, autour d'une idée philosophique, édifia sa première pièce, avec une rare sûreté de main, une remarquable réalisation de la chose voulue. Il se dégage, des quatre actes de la Meule, la sensation très nette qu'aucun des détails de la pièce n'y est entré par hasard, mais qu'ils ont tous entre eux une solidarité avec l'idée centrale et première dont ils constituent l'orchestration.
Ainsi, au premier acte, l'épisode des trois paysans sur lequel se détache plus nette, plus significative, la figure de M. Rousselot, nature de fonctionnaire, inquiet, trembleur, mari trompé et père faible : épisode qui est comme l'accompagnement de l'action à un octave plus bas, en même temps que le rappel de l'adultère passé et pardonné. Ainsi, également, l'épisode des domestiques de l'hôtel, au milieu du second acte, qui semble une phrase transposée de la scène qui va avoir lieu entre Edmond et Mme Rousselot, scène ainsi préparée par cet épisode.
Le caractère de chaque personnage est en même temps tracé vivement, en profil accusé :
La mère, être passif, terre à terre, matériel, prêt à toute concession comme à toute compromission.
Jeanne, la jeune fille, élevée dans une éducation supérieure à son rang, en quête fiévreuse d'un mari. Edmond, le jeune homme moderne, pratique, sceptique, voulant jouir et « arriver ».
M. de Stellanville, le vieux beau, qui, sous des dehors d'élégance galante, cache la paillardise érotique d'un vieillard vicieux.
Chacun de ces personnages, Georges Lecomte a su, avec une rigoureuse déduction logique, les faire évoluer dans sa pièce de façon à ce qu'ils fassent corps avec elle. Absents ou présents, ils sont toujours là, ils se manifestent constamment par un rappel de phrase. C'est, ainsi par exemple, qu'aux deux actes qui se passent à Paris, M. Rousselot, resté à la Palisse, demeure toujours présent par des actes (les deux dépêches envoyées coup sur coup) qui achèvent de le définir entièrement.
C'est donc une comédie très serrée, d'une unité toute particulière et d'une écriture qui va de pair avec le talent déployé pour la construction quasi-mathématique de la pièce, que La Meule. L'oeuvre de M. Georges Lecomte a d'ailleurs obtenu le suffrage des spectateurs et, ce qui est plus rare, celui des critiques. Il n'est pas indifférent de rapprocher de ces opinions celle de l'auteur lui-même qu'il m'est agréable de pouvoir publier. La voici :

Rodolphe Darzens. Extrait du tome II du Théâtre Libre illustré, 1890.


Notes de Livrenblog :

(I) On peut lire dans une note aux Lettres de l'Ouvreuse, Voyage autour de la musique, de Willy (Vanier, 1890) [c'est moi qui souligne] : « M. Willy venait d'être qualifié de «blondulant soiriste » par M. Georges Lecomte, l'élève préféré de M. Félix-Fénéon. (Note de l'Éditeur.) »


(II) A propos de La Cravache un témoignage d'Adolphe Retté, dans un article sur Francis Vielé-Griffin (La Plume, N° 96, 15 Avril 1893) :
« cette introuvable et glorieuse collection de la Cravache à laquelle collaborèrent, à côté de Georges Lecomte directeur, Félix Fénéon, Gustave Kahn, Jean Moréas, Paul Adam, Dubus, Cousturier et le signataire de ces lignes. Ah ! cette Cravache : non mise en vente, ou si peu, ignorant l’abonnement et même les services – et dont les bureaux de rédaction étaient sis Cour des Miracles ! Nous nous souvenons d’y avoir écrit, sur un rouleau de papier à journal, un article à la gloire de Barbey d’Aurevilly cependant que M. Anatole Cerfbeer, vieillard fâcheux, narrait aux typos goguenards les habitudes intimes de M. Bourget. »

(III) C'est Georges Lecomte qui rédigera la notice pour le numéro 366 des Hommes d'Aujourd'hui consacré à Camille Pissaro et un article sur le même dans le n° 57 de La Plume du 01 septembre 1891 (numéro consacré aux "Chromo-luminaristes").




Georges Lecomte sur Livrenblog : Le chapeau de Willy par Georges Lecomte.

Rodolphe Darzens et le Théâtre Libre illustré :
Jean Ajalbert. Henry Fèvre interviewé. Auguste Linert.

Portrait par Lucien Métivet.


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