jeudi 28 janvier 2010

Auguste LINERT par Rodolphe DARZENS




Auguste Linert

Auguste Linert est né dans le département de la Marne, au mois de mai 1867. Il est donc l'un des plus jeunes auteurs qui aient été joués au Théâtre Libre.
En 1885, il avait déjà fondé à Reims une première revue artistique, l'Essor littéraire, qui dura juste trois mois ! Mais ce premier échec ne découragea pas le jeune homme, et peu après on le retrouve dirigeant une nouvelle publication, la Revue champenoise (1), à la tête de laquelle il resta deux années entières, jusqu'à son entrée au régiment. Concurremment, il était président d'une de ces Société Littéraires comme il y en a beaucoup en province, société qu'il avait fondée également, l'Académie champenoise. Malheureusement il fut envoyé en garnison à 350 kilomètres des bureaux de son journal et de sa Société ; comme il lui était fort difficile de rien publier sans le visa du ministre de la guerre, un fumiste très plaisant adressa aux membres de la Société et aux abonnés de la Revue, une circulaire destinée à éliminer leur fondateur, où, entre autres griefs, étaient formulées ces accusations étonnantes :
Se séparer complètement de M. Linert à cause de ses idées et de ses principes bien connus sur l'ANTITHÈSE DES BUTS (!!!) que s'est proposée l'Académie champenoise.
Parce que M. linert veut faire de la Revue champenoise une revue fantaisiste, satirique, symbolique, etc., etc.
L'auteur de cette circulaire dont le nom mérite de passer à la postérité est un sieur Armand Bourgeois ; d'accord avec l'imprimeur il modifia le titre de la Revue qui prit le nom de Revue littéraire de Champagne et existe encore je crois, non moins que l'Académie, bergerie où brillent actuellement de vieux ratés et de jeunes nigauds.
Ce que Linert doit savoir gré aujourd'hui à M. Bourgeois de l'avoir débarrassé de l'une comme de l'autre !
Il occupe actuellement le poste le plus littéraire qu'il y ait dans un régiment : il est caporal bibliothécaire, grade qui lui laisse quelques loisirs grâce auxquels il peut se livrer à da passion pour l'art dramatique.
Une première fois, au mois d'août dernier, il adressa au directeur du Théâtre Libre, un acte en prose : Une mort. Voici un passage de la lettre que lui répondit André Antoine :
« Je ne vous dissimulerai pas que la première page de votre manuscrit m'avait un peu refroidi. Vous savez que je ne recule devant aucune hardiesse ni aucune violence lorsque je crois à de « la littérature » dans l'affaire. Je me méfiai donc de votre pièce car beaucoup d'auteurs, confondant liberté avec licence, m'envoient des ordures que je leur retourne avec la parfaite expression de mon mépris. Eh bien, monsieur, sans emballement de ma part, je vous affirme que votre acte est l'une des choses les plus curieuses, les plus intéressantes qu'il m'ait été donné de trouver parmi les manuscrits que je reçois... »
Malgré cela, André Antoine ne reçut pas Une mort. Il faut dire que la scène se passait... là où ne se passe justement pas la Fille Elisa. Mais ce n'était pas la seule raison qui fit que le directeur demande une autre pièce à M. Linert. Puisque celui-ci vient d'être joué, je puis la lui révéler : Antoine craignait qu'il y eût une part de hasard dans l'originalité de la première pièce, et il tenait à s'assurer qu'il avait réellement affaire à « quelqu'un ».
Je ne connais pas à Paris un seul autre directeur de théâtre capable de faire preuve d'autant de discernement, et c'est pour cela surtout que j'ai tenu à raconter le fait, tout à l'honneur du talent de M. Linert, du reste.
L'auteur du Conte de Noël est, me semble-t-il, un modeste et un timide, à en juger par ces lignes qu'il m'adresse :



Guère à plaindre « le pauvre petit ! » Il ne tardera pas, s'il continue ainsi, à dépasser bon nombre de confrères de la tête et je parie qu'il sera bientôt assez riche pour leur prêter ce qui leur manque assez généralement, cette monnaie si peu courante : le talent.
M. Linert ne m'en voudra donc pas si je lui dis qu'il se trompe au sujet de Veronèse : le peintre des Noces de Cana a été, pour son immortel chef-d'œuvre, traduit en justice. Il s'y défendit lui-même avec une verve qui lui valut son acquittement, mais jamais son tableau n'a pris place dans une église.
Au restez, le conte de Noël n'a pas été écrit pour la Comédie-Française, n'est-ce pas ?

Rodolphe Darzens.


(1) La Revue champenoise. organe de l'Académie champenoise. 1re-3e année. N° 1 au N° 25, Épernay, 1887-1888.

Sur Auguste Linert voir les numéros 4 et 5 de la revue L'Oeil bleu, on y trouve ses Souvenirs du Temps d'Anarchie et un article de Nicolas Leroux, Auguste Linert : dix ans de littérature (1885-1894).

Sur Livrenblog, Le Théâtre Libre Illustrée par Rodolphe Darzens :
Jean Ajalbert. Henry Fèvre interviewé. Georges Lecomte,

Portrait par Lucien Métivet.

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