Louis Lumet 1872-1923. En 1893 il publie son premier recueil de vers, Le Meilleur mire, rythmes, poème du livre "Etre". Issoudun : impr. E. Motte. iI est le fondateur de la revue L'Enclos (1), (N° 1, avril 1895 - 5e année, n° 36/37 janvier/février 1899). En 1896 il publie à la Bibliothèque de l'Association, Contre ce temps avec une préface de Jean Baffier, une couverture de F. Briffault et des dessins de Paul Brenet. En 1897, aux éditions de l'Enclos, il publie La Vie d'un, et Conversations avec Idéa. Le premier volume d'Un jeune Homme dans la société, La Fièvre paraît en 1898, chez P.V. Stock, le volume II, Le Chaos, paraîtra en 1901. En 1897, c'est en tant que fondateur du Théâtre civique, qu'à l'occasion du numéro de La Plume consacré au Naturisme, il signe un article où il explique ses motivations.
(1) Secrétaire : Louis Lumet (avril 1895 - juin 1896), rédaction : Louis Lumet et administration : J.-G. Prod'homme (novembre 1896 - mai 1897), rédaction et administration : J.-G. Prodhomme (juin 1897 - février 1899).
Du théâtre
CritiqueAvec les sports et le parlementarisme, le théâtre est une des plus importantes manifestations de la vie sociale contemporaine ; il participe à l'existence journalière comme les courses, les records et les débats des Chambres. C'est un organe qui remplit ponctuellement son rôle. De cette époque-ci, cupide et désordonnée, il aspire les sottises, la sournoise luxure, les pensées vulgaires, et il exhale, pêle-mêle, ces éléments, parmi des paroles prétentieuses et malsaines.L'entreprise théâtrales est souillée dans sa source. Un individu monte des tréteaux : quel mobile le pousse ? Que veut-il ? Gagner de l'argent. Qu'il débite des sentences à propos de l'art dramatique, qu'il proteste de la pureté de son amour, le bénéfice,voilà son but. Il sacrifiera tout afin d'y atteindre. Cette tache originelle s'étend au système entier qu'elle corrompt jusque dans ses moindres ramifications. Pas un acte qui soit libre, l'absurde tyrannie de l'argent pèse, effroyable, sur chaque acte, sur chaque parcelle d'acte.
Pénétrez un peu les angoisses, les incertitudes de l'écrivain qui combine une pièce, drame, vaudeville ou comédie. Il ne s'inquiète de son ouvrage que pour savoir s'il est conçu et exécuté d'après la mode de l'instant, il suppute les chances qui pourront le conduire à la centième. Les spectateurs se plaisent à l'adultère, au divorce, aux aventures ténébreuses, aux gaillardises, pourquoi chercherait-il d'autres motifs ? Son ingéniosité s'appliquera seulement à diversifier les péripéties, à ranimer la curiosité par un arrangement nouveau. Les mêmes thèmes se déroulèrent sur tous les théâtres, du Français à Déjazet, ils ne se distinguent que par la forme qu'il est habile d'employer envers des publics de différentes éducation, - plusieurs auteurs que l'on soupçonne de quelque art, Guiches, Brieux, Lavedan, etc., essayent de sortir des combinaisons coutumières. Je ne voudrais pas nier leur effort, mais le théâtre réaliste tel qu'ils le pratiquent ne comporte aucun intérêt. Vraiment je ne peux m'émouvoir. Leur observation est sèche, anecdotique, isolée. Ils ignorent les relations et la synthèse. Par leur méthode, ils fixent des fragments de la société, des traits de mœurs, la ligne pittoresque d'un caractère, cela, médiocrement, donne une impression heurtée et discordante. Cet art qu'ils ont dénommé de vérité et terne et faux.
Je ne reprocherai aux acteurs ni leur vanité, ni leur amusante outrecuidance, l'habitude des applaudissements qui leur certifient de la gloire immédiate ; ainsi que les costumes, l'éclat de la rampe, les dialogues ampoulés déforment chez eux le naturel du caractère, suppriment la simplicité des manières, développent exagérément la parole et le geste. Il ne convient pas de s'arrêter sur ces défauts d'ordre qui résultent du métier : leur crime est plus grave, ils ne comprennent pas leurs destinées, j'ai vécu quelques temps parmi les gens de théâtre, j'ai étudié leur marche, j'ai écouté leurs discours, j'ai suivi leurs grimaces, et j'ai cherché leur âme: ils n'en ont pas. Ils ne sentent rien. Le personnage ne les intéresses que par l'effet des répliques et le profit personnel qu'ils pourront en tirer. Ils perçoivent les aspects extérieurs sans se mêler au sang, à la flamme ardente des héros qu'ils représentent. - Quant aux demoiselles qui réservent leur vertu pour la scène, on les louange, on les exalte, on les couronnes. La luxure les place très haut, sur un trône, presque inaccessible, afin de mieux les désirer. La plupart d'entre elles, du reste, savent qu'en s'engageant dans la carrière, elles se parent d'un simulacre d'art qui favorise leur commerce d'amour, car les loges d'actrices sont plus achalandées que les communes alcôves ; les politiciens, les financiers et de rares vertiges de l'ancienne noblesse d'épée s'en disputent la porte. Il y a quelques braves filles aussi, et deux ou trois femmes de génie.
Le théâtre a créé un singulier office, la critique dramatique. Ceux qui s'y adonnent sont de louches entremetteurs. Incapables de produire même une œuvre méprisable, ils s'érigent en juges, et ils disent à l'acheteur : « ceci est mauvais, cela est bon ». Courtiers fourbes, ils ne basent pas leurs appréciations sur la qualité propre de la marchandise, mais ils dénigrent ou ils fardent suivant leur rancune ou leur reconnaissance. Ils exhalent leurs haines, leurs jalousies, ils vengent leur dépit d'avoir été refusés par une actrice, ils flattent un protecteur, ils s'acquittent d'une dette. Par leur jactance et l'impérieuse allure de leur verbe, ils en ont fait accroire aux interprètes, aux auteurs, aux directeurs. Ils tranchent net. Ces frelons sont les maîtres. On les craint et on les subit par lâcheté, car leur influence sur la vente est nulle, et n'est-ce pas la seule chose que l'on attend d'eux ? Cette diatribe un peu sévère, ne touche pas aux écrivains consciencieux qui, dans le désordre présent, cherchent à démêler les éléments dont se formera l'art de l'avenir.Théorie.
Une représentation théâtrale est une fête religieuse où les hommes célèbrent leurs passions et leurs exploits, ils divinisent leur vie magnifiée, les aventures des ancêtres, l'existence de la citée.
C'est une communion solennelle.
Le poète palpite, ivre de toutes les forces du monde, et son verbe les révèles et les fixe en phrases qui se balancent au rythme universel. Il résume en puissance les destins, et le drame jaillit au milieu de paysages dans lesquels passent et l'Amour et la Mort. En lui, il accumule l'énergie et il doit se répandre comme le soleil sa lumière.
Le poète a pétri la nourriture sacrée, et, fervent, il la livre par sa joie, pour la joie de tous.
Des êtres très sensibles tressaillent aussitôt, ils se reconnaissent dans les personnages qu'il a formés, ils ambitionnent leur état et leur rôle, et ils prétendent ardemment à les figurer. Voilà des acteurs. Puisqu'ils désirent incarner le drame, et qu'ils se croient dignes, je veux qu'ils soient graves et pieux. Ils doivent être certains de la nécessité de leur fonction, car ils joueront comme les prêtres officient. Leur voix soulève les sentiments et les pensées, ils souffrent d'énormes émotions, ils sont les interprètes des mystères humains.
Et maintenant que la foule arrive recueillie, prête à recevoir le frisson, qu'elle se mêle à l'histoire de la race, à la nature, aux passions. Une même flamme brûle le poète, et ceux qui parlent et ceux qui écoutent. Ils communient vraiment.
N'importe quel lieu est propice pour l'accomplissement de la cérémonie, que ce soit le palais des villes tumultueuses, la grange du paisible hameau, la chambre dallée d'une ferme, ou bien encore une plaine, un chemin creux.
Le drame variera selon l'importance numérique des groupes, le mode du travail, le climat et la vie journalière. Il sera divers, mais son essence partout sera la même, en cela semblable à la matière, une et de combinaisons infinies. Ici, parmi les marbres, les colonnades, la pompe de l'architecture, devant des hommes agités, anxieux, inquiets de leurs luttes, consumés de doute et d'espérance, ce sera le jeu des passions aiguës et complexes, puis la subite et forte stature d'un conquérant, le heurt des peuples, le tragique conflit des ambitions. Sur cette scène, au village, les artisans représenterons l'orgueil de l'ouvrage, la famille, les fastes de la commune. Et dans ces hameaux sonores surgis au milieu des grandes terres silencieuses, ce soir, un pâtre qu'environnent les laboureurs, les bouviers et les gens de métier, un pâtre chante la complainte de la femme qui a les fièvres et la vertu des plantes qui naissent du soleil. Ce pâtre est un poète et sa complainte un drame. Il évoque un aspect de l'humanité. - A la veillée, les femmes cassent les noix ou filent le chanvre, les hommes des bourgs sentent sourdre en eux des rêves lointains en regardant le feu, le conteur dit des batailles, il dit aux hommes sédentaires dont les pères n'ont jamais franchi les collines des histoires d'aventuriers et de marins, il dit comment jadis on faisait les socs de charrue, il dit quels étaient les préparatifs des mariages. Cette chambre est un théâtre, ces murs blanchis à la chaux sont un décor. Le conte montre de merveilleux spectacles, et les personnes de la veillée s'identifient aux récits du conteur. - Les moissons sont terminées, les éteules s'allongent comme une mer calme, ceux qui ont coupé le froment maintenant serré dans les granges remercient la terre nourricière. Ils organisent des cortèges où chacun porte ses attributs : - la faucille, les râteaux ou bien l'ensemençoir ; - les jeunes filles rouges et blondes s'ornent de fleurs et d'épis, et les cortèges comme les strophes d'un poème d'actions de grâces, parcourent les champs : - ici le blé et l'orge, ici les luzernes bonnes pour les bestiaux, ici les vignes, - et jusqu'à la nuit ils sont à la gloire de la Terre.
On croira que ces théories sont des songes fragiles d'un poète trop épris de l'harmonieuse beauté, je sais que ces songes seront.Action
Maurice Le Blond rappelait dans une récente chronique que j'ai fondé le Théâtre civique. Certes je crois qu'il ne suffit plus pour les jeunes gens de notre génération d'émettre des théories, d'écrire des poèmes, ils doivent agir. Les paroles qui n'engendrent pas d'actes sont des fleurs qui ne donnent pas de fruits. En présentant cette tentative, je disais : « Nous voulons agir et nos ambitions sont illimitées. Il faut créer une époque. Et pour cette oeuvre, nous devons aller directement vers les êtres à qui nous soufflerons une âme, une vie. Pour l'essai de nos forces, nous avons choisi les théâtres. Pour l'essai de nos forces, nous avons choisi le théâtre. Une représentation scénique serait une fête solennelle où les passions et les actes humains seraient magnifiés, agrandis, projetés vers l'infini. A certaines saisons, après les semailles, les moissons, les vendanges, on célébrerait la joie et la douleur de vivre. Afin d'arriver à ce théâtre qui demanderait l'organisation d'une société suivant les lois de la nature, nous avons formé le Théâtre civique qui préparera la réalisation de nos désirs. Ce sera donc une arme de combat ; toutefois nous ébaucherons nos rêves de beauté qui demain deviendront l'existence quotidienne. » - Nous avons donné trois représentations, à la Maison du Peuple de Montmartre, aux Mille-Colonnes de Montparnasse, au Moulin de la Vierge de Plaisance. Je n'ignore pas les méprises de nos programmes, les erreurs matérielles, les défauts de notre organisation, mais je comprends aussi l'importance de nos manifestations, mais je comprends aussi l'importance de nos manifestations, car nous avons passé de la théorie au fait. On nous a critiqués, raillés, injuriés, on nous a trahis, la Préfecture de police a interdit notre deuxième représentation, des gens s'appliquèrent à nous nuire, et quand même, sans argent, sans aide, avec notre seul foi, notre volonté, nous avons attiré la foule devant trois scènes différentes de Paris. Des hommes qui sont pénétrés de nos idées organisent des spectacles à Lyon, à Rouen, à Nîmes, à Nantes, etc, et nous, mieux instruits par l'expérience, sachant éviter les obstacles, profitant des circonstances, nous continuerons avec énergie opiniâtrement.Louis Lumet.
La Plume, N° 205, 1 novembre 1897. Numéro consacré au Naturisme.
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