mercredi 13 janvier 2010

Jean EPSTEIN : L'Auberge Rouge



L'Auberge Rouge de Jean Epstein dans Mon Ciné.


Comment étaient traités les cinéastes nouveaux par la presse cinématographique spécialisée des années 20 ? Pour s'en faire une idée je reproduis un article publié dans Mon Ciné sur L'Auberge Rouge de Jean Epstein. Le plus populaire et le moins chers des journaux consacrés au cinéma, Mon Ciné (1), présente les films en images, les stars américaines et françaises se suivent à la une du périodique. Les articles sur l'actualité cinématographique et les techniques du cinéma, encadrent des films « racontés » et illustrés par la photographie. Peu de place pour la critique cinématographique dans ce périodique, pourtant Jean Eyre dans son article sur L'Auberge Rouge, signale le caractère nouveau, étrange et curieux du film d'Epstein, il commente quelques techniques utilisées (déjà présentées dans des articles précédents) et salue les recherches photographiques du réalisateur et de son collaborateur, Raoul Aubourdier.


(1) Publié de 1922 à 1937. Voir l'article de Christophe Gauthier, Le Cinéma passé en revues.


Gina Manès (La fille de l'aubergiste).


Il n'est pas trop tard pour parler de L'Auberge Rouge, qui passe actuellement sur beaucoup d'écrans.
C'est une œuvre hardie et originale quoique alourdie de longueurs inutiles. C'est l'œuvre d'un débutant – pas tout à fait débutant, puisqu'il nous a déjà donné Pasteur.
L'Auberge Rouge révèle chez son réalisateur une personnalité puissante et étrange, faite d'un mélange de réalisme, d'idéalisme et surtout d'un besoin inné de chercher du nouveau. On discerne dans ses films, des tendances suédoises et aussi allemandes sans cependant pouvoir l'accuser de copier. Il a un genre très personnel. On sent que ce metteur en scène est un chercheur et qu'il sera dans un avenir très rapproché un de nos meilleurs animateurs.
L'Auberge Rouge contient des scènes vraiment poignantes et traitées de main de maître : le crime, ou plutôt la tentation criminelle de Prosper Magna, l'étude des coins de l'auberge, le jugement, l'exécution du condamné et la douleur de sa fiancée sur la tombe, tout cela est vraiment émouvant ; les remords de l'assassin qui entend raconter son crime, à table, chez des amis, sont remarquablement rendus par M. David Evremond, très en progrès.
M. Léon Mathot eut aussi, sous l'influence de son jeune metteur en scène, des gestes, des expressions auxquels il ne nous a guère habitués et joua la scène de la tentation avec une sincérité, une force assez rares chez lui.
Gina Manès personnifie la fille de l'aubergiste, tour à tour espiègle et accablée de douleur, avec infiniment de souplesse et de vérité.
Jaque Christiany, Pierre Hott, Robert Tourneur, Mlle Marice que nous reverrons prochainement dans un rôle plus important de Cœur Fidèle, etc, etc, complètent fort heureusement la distribution.
Mais il faut surtout signaler les recherches photographiques dues à la collaboration de Jean Epstein et de son excellent opérateur Raoul Aubourdier. Il y a notamment certaine promenade autour d'une table qui est tout à fait curieuse ; l'appareil et l'opérateur étaient montés sur un chariot que des machinistes poussaient autour de la table, ainsi que nous l'avons d'ailleurs montré sur une photo accompagnant un article paru il y a quelques semaines : Balzac à l'écran. L'appareil était placé de telle sorte qu'il surplombait la table et permettait de filmer les convives par-dessus la tête de leurs vis-à-vis ; l'effet à l'écran est des plus curieux.
Parfaitement réussi également est le fameux orage dont nous avons déjà entretenu nos lecteurs sous le titre : Comment on tourne un orage la nuit ; l'illusion est parfaite et l'on croit vraiment se trouver en face d'un orage authentique autant que terrifiant.
En résumé l'Auberge Rouge est un film curieux et qui, surtout, laisse prévoir les belles œuvres que son réalisateurs ne manquera pas de nous donner.

Jean Eyre.

Prosper Magnan taquine la fille de l'aubergiste. Au centre : le jugement. Prosper Magnan est accusé d'un crime qu'il n'a pas commis. Les juges : Anry Barat et Volbert. Un coin de l'Auberge Rouge. A droite : le joueur d'accordéon : M. Dartagnan ; assise par terre, la mendiante : Mlle Marice.


Jaque Christiany (André) et Mlle Schmit (Victorine), en haut à gauche : David Evremond (rôle de Frédéric Taillefer) dans L'Auberge Rouge. A droite : Le diner. Debout au fond : Mlle Schmit et Jaque Christiany. En bas : Mathot (Prosper Magnan) hésite devant le crime.

Réalisation : Jean Epstein. Scénario : Jean Epstein, inspiré du roman de Honoré de Balzac. Premier assistant opérateur : Roger Hubert. Photographie : Raoul Aubourdier. Production : Pathé Consortium Cinéma. 1923, noir & blanc, 1h 06.



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