vendredi 30 juillet 2010

L'Affaire Adelsward-Fersen, 10e partie.


L'Affaire Adelsward-Fersen, 10e partie

Question embarrassante :
- Cette Adèle Sward dont on parle tant, est-ce que c'est une horizontale ?
- Non !... C'est un demi-mondain.
(La Presse, 20 juillet 1903)

Félix Roussel, conseiller municipal, signe l'article de tête du journal Le Matin du 18 juillet, son titre : Les Détraqués. Le cas d'Adelsward lui sert de point de départ pour poser la question des délinquants irresponsables, ou « aliénés criminels ». En 1903 le dilemme est celui-ci : « [...] voyez l'embarras du juge. S'il croit être en présence de demi-fous ou d'irresponsables, il ne peut que les acquitter. Et rien ne prouve qu'il ne soit pas dangereux de laisser certains actes, je ne dis pas sans répression, mais sans aucune sanction.
Je constate donc une lacune regrettable de notre législation, qui ne connaît pas dans la circonstance, de moyen terme entre une condamnation inique et une impunité dangereuse. », le conseiller municipal propose donc, que la France comme l'Italie ou l'Allemagne se dote d'asiles afin d'accueillir les malades criminels. Félix Roussel pourtant se garde bien de plaider « par avance l'irresponsabilité du petit monsieur qui médite à cette heure, dans une cellule de la Santé, sur l'inconvénient des inversions ailleurs qu'en poésie. » Un court en pages intérieures nous renseigne sur la confrontation de la veille avec M. Esbach. M. Esbach est musicien, il vient témoigner que les soirées de l'avenue de Friedland n'avaient rien d'immorales, « Un jour, Jacques d'Adelsward nous a lu La Mort des amants, de Charles Baudelaire, que mimaient des figurants. Il y avait de l'encens, des fleurs. On fit de la musique. C'était merveilleux, paradisiaque, mais nullement indécent. » Mais ce témoignage contredit ceux des « professionnels » déjà entendus, ainsi que le contenu de « certaines lettres saisies à son domicile » contenu qui « ne laissaient subsister aucun doute » sur le fait que les réunions du baron n'étaient pas toutes aussi « innocentes ».

L'Aurore du 18 juillet, publie la lettre (1) par laquelle le comte de Warren « lâche » la branche cadette de la famille, et regrette que celle-ci ne témoigne en défaveur d'Hamelin de Warren qui n'est encore qu'accusé et qui ne peut se défendre. L'autre lettre émane de Mme la vicomtesse de Warren, elle y demande que soit publié un arrêt rendu par la cour de Nancy en janvier 1903, on apprend par cet arrêt que son mari, « n'a jamais rempli, vis-à-vis des fils que le tribunal avait confié à ses soins, les devoirs qu'il lui incombaient », « leur éducation a été des plus négligées et que deux d'entre eux ont été abandonnés par leur père dans un milieux, où ils ont reçu, de leur propre aveu, les pires exemples », leur mère du prendre en charge ses deux garçons et pourvoir à leur entretient matériel et « à leur direction morale ». Contrairement au journaliste de L'Aurore qui pense que ce « déballage de linge aussi sale qu'armorié », « ne sert guère la cause du gentilhomme compromis », sans doute Mme de Warren en mettant sur la place publique ses déboires familiaux pense t'elle aux circonstances atténuantes que ces faits peuvent représentés pour son fils.

L'Aurore du 19, dans la rubrique Echos, sous le titre « un scandale mondain » se fait plus virulent et réclame des éclaircissement sur le cas de Warren. Le journal affirme que depuis trois jours la justice connaît la ville d'Amérique et le nom de l'hôtel où se trouve Hamelin. « Si la justice a vraiment des comptes à demander à M. Hamelin de Warren, qu'attend-elle pour mettre celui-ci en demeure de les rendre. Si, au contraire, la parquet se trouve désarmé vis-à-vis du voyageur, pourquoi ne le dit-il pas franchement, et pourquoi ne le dit-il pas franchement, et pourquoi laisse-t-il s'accréditer cette légende d'une fuite précipitée à la suite d'une accusation infamante ? » « cela vaudrait infiniment mieux que de confier aux journalistes que M. le baron d'Adelsward a la gale ». Mais cette histoire de « gale », intéresse le même journal dans un autre article de la même page, et même en constitue la majeure partie, on y apprend tout de même que la demande de la famille d'Adelsward de faire transférer le baron dans une maison de santé à été rejetée.

On apprend dans Le Matin du 19, que le juge d'instruction a entendu le chauffeur de Jacques d'Adelsward, celui qui « presque tous les jours » conduisait le baron et parfois « son complice », Hamelin de Warren, à la porte du lycée Carnot. Il témoigne qu'ils ramenaient « deux ou trois élèves » dans la garçonnière de l'avenue de Friedland ou dans celle de l'avenue Mac-Mahon. Le docteur Socquet, médecin légiste chargé d'examiner les enfants, « n'a constaté sur aucun d'eux de traces de souillure. Par contre Jacques d'Adelsward, examiné lui aussi, a été reconnu étant atteint de deux maladies contagieuses qui nécessiteront prochainement son transfert à l'hôpital Saint-Louis, l'une est... la gale ! » Lorsque l'instruction sera plus avancé, le juge soumettra le « jeune baron » « aux appréciations de deux médecins aliénistes ». L'ex-concierge de Hamelin de Warren, comme le voisinage de Jacques d'Adelsward, affirme que les deux hommes avaient recours à des « rabatteurs », « des gens bien connu dans un certain monde où l'on se livre à la traite des blancs ». Sous le titre « Les complices de de Warren », La Presse du même jour, parle aussi de ses « rabatteurs »

La Presse du 20, pose d'abord la question de la peine encourue par les inculpés, il interroge pour cela Me Fernand Bernard, avocat à la cour d'appel et professeur de droit pénal. D'après le code pénal il s'agit tout d'abord de savoir si les victimes avaient plus ou moins de treize ans, si les enfants avaient passé l'âge de treize ans, Jacques d'Alderswald ne passerait en cour d'assises. Toutefois suivant l'article 334 du code, il reste passible de six mois à deux ans de prison et de cinquante à cinq cent francs d'amende si les victimes n'avaient pas atteint vingt et un ans, la jurisprudence veut que cet article ne soit applicable que « qu'à ceux qui excitaient habituellement à la débauche pour le plaisir des autres ». Si il est prouvé que le baron n'était le pourvoyeur de personne, alors il ne resterait que l'« outrage public » à la pudeur, qui « ne peut, en principe ; être commis que dans un lieu public ou accessible aux regards » et est alors passible de correctionnelle. Après la question du droit c'est la question médicale qui fait l'objet de la suite de l'article. Le journaliste interroge le docteur Voisin, « médecin en chef de la Salpêtrière, dont la compétence est incontestée en matière d'affections mentales. » Pour le docteur, aucun doute Adelswald-Fersen (2), est un « dégénéré », ses excentricités prouvent son déséquilibre. Un défaut d'éducation, un peu d'hérédité et voilà un dégénéré, personne à qui il « ne faut pas laisser certains livres entre les mains ». Ces « opinions » sont données « sous toute réserves ».

L'article, au comique involontaire, de H. Harduin paru le 16 juillet dans La Presse à valut à notre bonhomme quelques lettres dont il en rend-compte dans le numéro du même journal du 23. La première est signé d'un papillon flanqué des initiales J. T., pour donner un aperçu de « certains états d'âme », Harduin la reproduit. L'auteur y défend Jacques d'Adelsward, parle à son propos d'intelligence et d'affinement, il voit en lui « un évolué ». Là où Harduin, qui « doit être un parvenu » car il « choisit ses amis parmi les bons estomacs », voit de la « névrose », l'anonyme voit une « évolution cérébrale », « on ne peut empêcher qu'un évolué fasse de l'amour savant, comme un musicien fait de la musique savante ou un peintre de l'impressionnisme ». Bien que n'ayant rien contre « l'amour savant », le bonhomme Harduin, s'emporte et ne voit en ces « évolués », recrutant des mineurs, que de « de dangereux saligauds ». On se souvient que dans son premier article, Harduin se moquait de la théorie de l'audition colorée, il donne ici des extraits de la lettre d'une de ses lectrices tentant, vainement il faut bien le constater, de lui expliquer que « la coloration se fournit en allant exciter les centres nerveux de la dynamogène dans l'ordre de la couleur du spectre ». Voilà bien un dialogue de sourds.

Cinq jours se passent sans que les journaux consultés ne reviennent sur l'affaire Adelsward, seul Le Matin du 23 donne un articles sur les confrontations qui ont eu lieu la veille chez le juge d'instruction. Deux enfants ont été entendu, le fils du peintre R. et celui du docteur M. Ceux-ci ont déclarés avoir été invités à goûter chez le baron, qui connaissait leurs parents et n'avoir « assisté à aucun spectacle indécent ». Ceux que le journaliste appelle des « professionnels » ont eux « raconté en détail les orgies de l'avenue de Friedland ». Le juge, avant de partir en vacances et de laisser le dossier au juge André, a désigné « les docteurs Maignain directeur de Saint-Anne, Mottet et Wallon, médecins aliénistes, pour examiner l'état mental de Jacques d'Adelsward ». L'article se poursuit par de « Piquants détail », une lettre d'un journaliste qui connut Jacques d'Adelsward à Venise.

« Il y a deux ans, je me trouvais à Venise au printemps et j'étais descendu dans un hôtel, quai des Esclavons. Le soir, au dîner, je remarquai, assis seul à une table, un jeune homme assez singulier pour que j'en fisse de suite la remarque à mes compagnons de voyage. Il avait le visage poudré, les lèvres peintes et des cheveux frisés au petit fer, d'un coloris par trop surnaturel.

Le portier, interrogé, nous révéla son nom : le baron Jacques d'Adelsward. Le lendemain et les jours suivants, il nous étonna par un luxe inouï de costumes. Je me souviens, entre autres, d'un gilet en brocart d'or vraiment unique.

En me promenant sous les arcades de la Piazza, je vis au milieu de la devanture d'un libraire – le seul à peu près qui tienne à Venise les nouveautés étrangères – le premier volume du baron Jacques. Je m'étonnai de la présence de ce livre, d'une nouveauté plus que récente, puisque, ayant quitté Paris à peine depuis une semaine, je ne l'avais même pas vu annoncé. Comment se faisait-il que ce libraire fût en avance sur Paris et eût demandé un auteur encore inconnu, alors qu'il ne tenait d'habitude que les livres d'auteurs en vogue ?

Après enquête, il nous fut révélé que le baron Jacques avait apporté avec lui les premiers exemplaires sortis de chez le brocheur et les avait mis là en dépôt pour révéler aux Vénitiens quel hôte illustre ils avaient l'honneur de posséder... »

On le voit les journalistes n'ont plus grand chose à écrire sur le « baron Jacques », pour preuve l'article se termine sur le poste de cycliste-porteur pour le journal L'Action, qu'aurait tenu en 1898, Hamelin de Warren.

A suivre...

(1) Lettre déjà parue dans Le Matin du 17 et qui paraîtra aussi dans La Presse du 21.

(2) C'est la première fois que le nom composé du baron est utilisé dans les papiers que nous avons consultés.

Affaire Adelsward-Fersen (1e partie)
Affaire Adelsward-Fersen (2e partie)
Affaire Adelswärd-Fersen (3e partie)
Interview de J.-K. Huysmans. Affaire Adelswärd-Fersen (4e partie)
Affaire Adelswärd-Fersen (5e partie)
Affaire Adelswärd-Fersen (6e partie)
Affaire adelswärd-Fersen (7e partie)
Un article de Gaston Leroux. Affaire Adelswärd-Fersen (8e partie)
Interview de Jules Bois. Affaire Adelswärd-Fersen (9e partie)
Le Canard Sauvage. Philippe. Jarry. Affaire Adelsward-Fersen (11e partie).
Alfred Jarry, Lucien Jean, Georges Roussel. Affaire Adelsward (12e partie)
Affaire Adelsward-Fersen (13e partie).
Affaire Adelsward-Fersen (14e partie).

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