Les pages intérieures du Matin du 17 juillet 1903, après l'article de tête de Gaston Leroux consacré en partie à l'affaire des « messes noires », poursuivent sur l'affaire Adelsward et la confrontation, chez le juge d'instruction, entre Jacques d'Adelsward et les témoins : onze enfants, tous « ont nettement accusé d'Adelsward de s'être livré, sur leurs personnes, à des actes immoraux. » Pour éviter que le délit d'incitation de mineurs à la débauche, ne se transforme en attentat à la pudeur, le baron se défend d'avoir « jamais souillés » ces enfants : « J'avoue [...] avoir donné chez moi des représentation quelque peu païennes. C'est que, voyez-vous, monsieur le juge, je suis épris de l'art grec, tout en moi est poésie. » Après les élèves du lycée Carnot, ce sont les « professionnels » qui viennent témoigner, ce qui nous permet de découvrir l'initial du nom et les pseudonymes du témoin cité dans l'article du Petit Parisien du même jour, celui qui déclarait que le baron lui aurait proposé de partir avec lui à Venise s'appellerait L., dit « Pompadour », dit « Albert de Rothschild ». Les confrontations ont continuées jusqu'à sept heure, après que le baron se fut restauré de « quelques petits gâteaux ». Ce jour-là M. de Vallès reçu la visite de Mme de Warren, qui accompagnée de son avocat Me Robinet de Cléry, venait lui confirmer que « son fils ne s'était pas enfui devant les responsabilités qu'il avait encourues ». Le Matin profite de cet article pour publier une lettre, du comte de Warren, envoyée aux journaux : «La triste publicité qui se fait sur la branche cadette de ma famille [l]'oblige à établir la profonde séparation qui existe depuis de longues années entre cette branche cadette et la branche aînée de la famille » dont il est le chef.
Le 18 juillet 1903. Dans La Presse, toujours, c'est Jules Bois qui après Huysmans vient donner des informations sur les « messe noires » :
Messes d'hier et d'aujourd'hui – Tout dégénère – L'Enfant et l'hostie
M. Jules Bois, poète qui chanta jadis, Satan et ses noces, qui nous dévoila les mystères des pays magiques, et qui nous révéla toutes les noirceurs des démoniaques [I]. M. Jules Bois passait sur le boulevard, ce matin, et, profitant d'une éclaircie, musait, le nez au vent : je l'abordai et lui parlai du cas de Jacques d'Adelsward, et de ces messes noires que ce poète décadent célébrait en si nombreuses et si jeune compagnie.
- Des messes noires... Des messes noires... me dit M. Jules Bois, on a bientôt fait parler de messes noires ; je crois bien que M. d'Adelsward se livrait à des parodies de messes noires ; car pour que la messe noire soit vraiment noire, il faut des hosties... Et on n'a pas parlé d'hosties, dans le cas du jeune d'Adelsward...
- Une hostie est donc indispensable ?
- Indispensable.
- Mais comment se la procurer ?
- On la vole. Vous n'êtes pas sans avoir vu signaler dans les journaux, de temps en temps, des vols d'hosties. Il fut un temps où l'archevêque de Lyon dut prescrire de transformer les tabernacles en coffre-forts pour éviter ces vols sacrilèges.
Pourquoi volerait-on des hosties, si ce n'était pour des messes sataniques ? Les trois quart du temps, le voleur emporte les hosties et laisse le ciboire. S'il vole ainsi des hosties, ce ne peut être que dans un but sacrilège, à moins que ce ne soit pour les vendre à des sacrilèges...L'Enfant égorgé
Jules bois étant en verve, je lui posai une autre question :
- Est-il exact, comme l'a écrit M. Huysmans, que pour célébrer une messe noire on doivent sacrifier, égorger un enfant ?
- Jadis, les démoniaques égorgeaient un enfant, l'offrant en sacrifice à Satan ; aujourd'hui, cette coutume terrible et dangereuse pour ceux qui l'employait est disparue ; on célèbre encore des messes noires, avec des hosties consacrées, et avec des enfants ; mais l'enfant n'est plus égorgé, c'est ce qui me faisait vous dire tout à l'heure que les messes noires du vingtième siècles ne sont plus que des simulacres de messes noires...Et M. Jules Bois se met à me conter des histoires épouvantables de messes noires ; ces histoires des siècles écoulés; et ce sont des descriptions de cérémonies diaboliques, sur la place de grève, en l'église du Saint-Esprit ; durant ces messes, les fidèles demandaient au Diable la mort des personnes détestées.
Et ce sont des descriptions de scènes effarantes auxquelles assistaient des énervés, des romanesques, des fous... C'est la messe noire de la Montespan, messe au cours de laquelle on égorge un enfant qu'on a acheté à sa mère pour un écu de cinq francs !..
Les messes noires d'aujourd'hui ne sont pas aussi ne sont pas aussi effrayantes, elles sont simplement écœurantes.
On n'y profane pas d'hosties, on n'y égorge pas d'enfant, mais on s'y livre à des pratiques que les lois punissent, M. d'Adelsward en pourra juger...
M. Jules Bois, qui vient de me parler des diaboliques messes de jadis, m'avoue n'avoir jamais vu célébrer à Paris de messes noires, mais il connaît des gens qui ne se sont pas privés de ce plaisir, et, s'il en croit leurs récits, il doit constater que tout dégénère. « Le rite de sang et de luxure, me dit-il, est devenu une amusette de poètes dépravés... Les sataniques de jadis risquaient la roue ceux d'aujourd'hui risquent simplement la correctionnelle... »
Félix Roussel, conseiller municipal, signe l'article de tête du journal Le Matin du 18 juillet, son titre : Les Détraqués. Le cas d'Adelsward lui sert de point de départ pour poser la question des délinquants irresponsables, ou « aliénés criminels ». En 1903 le dilemme est celui-ci : « [...] voyez l'embarras du juge. S'il croit être en présence de demi-fous ou d'irresponsables, il ne peut que les acquitter. Et rien ne prouve qu'il ne soit pas dangereux de laisser certains actes, je ne dis pas sans répression, mais sans aucune sanction.
Je constate donc une lacune regrettable de notre législation, qui ne connaît pas dans la circonstance, de moyen terme entre une condamnation inique et une impunité dangereuse. », le conseiller municipal propose donc, que la France comme l'Italie ou l'Allemagne se dote d'asiles afin d'accueillir les malades criminels. Félix Roussel pourtant se garde bien de plaider « par avance l'irresponsabilité du petit monsieur qui médite à cette heure, dans une cellule de la Santé, sur l'inconvénient des inversions ailleurs qu'en poésie. »
Un court article en pages intérieures nous renseigne sur la confrontation de la veille avec M. Esbach. M. Esbach est musicien, il vient témoigner que les soirées de l'avenue de Friedland n'avaient rien d'immorales, « Un jour, Jacques d'Adelsward nous a lu La Mort des amants, de Charles Baudelaire, que mimaient des figurants. Il y avait de l'encens, des fleurs. On fit de la musique. C'était merveilleux, paradisiaque, mais nullement indécent. » Mais ce témoignage contredit ceux des « professionnels » déjà entendus, ainsi que le contenu de « certaines lettres saisies à son domicile » qui « ne laissaient subsister aucun doute » sur le fait que les réunions du baron n'étaient pas toutes aussi « innocentes ».
[I] Les Noces de Sathan, 1892. Les Trois Sathans dans La Croisade N° 1, janvier 1892. Les Petites religions de Paris, 1894. Le Satanisme et la Magie, 1895. Le Monde invisible, 1902. Visions de l'Inde, 1903.
Affaire Adelsward-Fersen (1e partie)Affaire Adelsward-Fersen (2e partie)
Affaire Adelswärd-Fersen (3e partie)
Interview de J.-K. Huysmans. Affaire Adelswärd-Fersen (4e partie)
Affaire Adelswärd-Fersen (5e partie)
Affaire Adelswärd-Fersen (6e partie)
Affaire adelswärd-Fersen (7e partie)
Affaire Adelswärd-Fersen (8e partie)
Affaire Adelsward-Fersen (10e partie)
Le Canard Sauvage. Philippe. Jarry. Affaire Adelsward-Fersen (11e partie).
Alfred Jarry, Lucien Jean, Georges Roussel. Affaire Adelsward (12e partie).
Affaire Adelsward-Fersen (13e partie).
Affaire Adelsward-Fersen (14e partie).
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