mercredi 24 février 2010

Le Chat Noir dans Le Nouvel Echo, Alcanter de Brahm au Chat Noir.



Dès le premier numéro du Nouvel Echo du 01 janvier 1892, dans la chronique Paris-Concert, signée Un Petit banc, il est fait mention du Chat Noir et d'Alcanter de Brahm. Les Chansons poilantes son recueil de chansons montmartroises écrites en collaboration avec Emile Straus sous le pseudonyme de Saint-Jean va bientôt paraître et, incidemment, Un Petit banc à propos du Moulin Rouge où Bob Walter, Mme Sarah Vallier chante les chansons de Xanrof et Meusy, signale le succès remporté par Alcanter au Chat Noir : « Mais à quand le tour de vogue de l'ami Alcanter dont tout le monde, cependant, à Montmartre, chez Salis senior (Cabaret du Chat Noir), sait par coeur les jolies chansons. Mais tout vient à point à qui sait attendre. » On le verra les collaborateurs du Nouvel Echo ne manquent jamais de signaler les activités de leurs confrères du journal.

Lorsque dans le numéro suivant, Saint Jean (Emile Straus), dans sa chronique A l'Orchestre, fait « un tour au Chat Noir », il regrette que les poètes nouveaux soient rares et n'omet pas de signaler les parodies de Paul Delmet dues à Alcanter.

Toujours foule dans la petite salle du Chat-Noir. Le Carnaval de Venise de Maur. Vaucaire est une agréable fantaisie. Rien de plus poétique que ce décor vénitien, effet de nuit, avec les gondoles illuminées glissant lentement au son des guitares et des vers mélodieux. Ailleurs, la revue symboliste de Maurice Donnay, moins heureuse peut-être, est une curieuse tentative à l'effet d'élever encore le genre du théâtre d'ombres. Car sous sa forme frivole le voyage du poète Terminus et de Voltaire a une haute portée philosophique. Le rire narquois de l'auteur soulève bien des mystères, flagelle bien des vices, fait entrevoir de nombreux avenirs. Le palais de la sociale est gros de menaces. Les ouvriers qui le construisent pourraient bien un jour retourner le marteau contre leur maître...

Contentons-nous d'applaudir à cette exquise fantaisie qui se déroule en des décors superbes. Rodolphe Salis, gouverneur de Naintré, fait grandement les choses. Mais quant aux poètes, ces messieurs ne sont guère prolifiques. Voilà deux ans qu'ils nous récitent les mêmes rengaines. Un peu de nouveau semblerait cependant bien indiqué, car le public finira par se lasser d'entendre toujours ressasser les mêmes vers et les mêmes chansons. Il n'y a guère à signaler que Paul Delmet qui chante délicieusement les Petits Pavés et les Petits Chagrins, dont mon vieil ami Alcanter a fait les si amusantes parodies : les Petits Pâtés et les Petits Pots-de-vin. On demande du nouveau.

La chronique Paris-Concerts du N° 4 signée Un Petit banc, n'oublie pas son rédacteur en chef Alcanter de Brahm, tout en notant la présence de « sommités » Chat noiresques tels que Goudezki, Alphonse Allais ou Georges Auriol et des autre collaborateurs du Nouvel Echo présents ce jour là.

Ravissante soirée que cette première goguette du Chat-Noir, du dimanche 31, dans le manoir de Chat-Noirville. Très influenzé le Maître, point celui des Débats, mais de céans, qui a fait, en digne huissier audiencier, les honneurs de la soirée présidée par Jules Jouy, le père des chansonniers et l'oncle d'Alcanter par la voie du sapin.

L'Enterrement et le Déluge universel ont été l'objet de hourras frénétiques. Tollés et rires maigres ont accueilli une poésie dite par M. Petit Pierre ou Pierre Petit, et qu'on croit être de Jules Simon. Succès pour Henrion et ses Capucines, Paul Delmet et sa Chanson de rien, Damas, Cavallerio rusticano de Marie Krysinska, ou la perspective Newsky, pour Melchissédes ou Melqui dit sec dans le Rossignol de Pradels, pour Jacques Ferny dans l'Alibi, enfin pour notre Alcanter, dont l' étrangeté géniale des Croque-Morts aurait dérouté l'assistance la plus hostile. Il est vrai que l'œil du Maître...

Remarqué dans l'assistance : MM. Alphonse Allais, retour de Nice, si ému qu'il n'a rien pu dire ; G. Auriol, qui n'a pas l'oeil assez américain pour subtiliser les numéros du Nouvel Echo qui émergent des poches des pardessus, et à qui nous réservons une canne d'honneur ; l'excellent poète Goudezki, muet comme un sterlet ; Guéneau de Mussy fils, et père d'une bien belle barbe ; le très sympathique peintre Paul Robert, le sosie de Maupassant ; Me Bertrand, le fils du célèbre académicien qui a hérité de l'esprit de son père ainsi que d'une bien jolie cravate rouge. Enfin, parmi la rédaction, MM. Emile Straus (point d'appréciation, c'est mon directeur et la copie m'est payée) ; J. Belon, le charmant artiste, le maëstro de Sivry, et pour mémoire Rosita Rieti, madame de Rute et un cousin de Pierre Loti.


Le même Petit banc, dans le numéro suivant :

Comme toujours, charmantes de gaieté gauloise, les goguettes du Chat-Noir. A citer dans la dernière, l'excellent président Jules Jouy, dans ses Lamentations de J. Simon ; parmi nos collaborateurs : J. Belon, dans le capitaine Pamphile ; Alcanter et son Ministère naturaliste, tout d'actualité. Noté aussi Irma Perrot, qui détaille à ravir Villon, le père des goguettes, auquel Gustave Guillemet a dédié une excellente poésie. M. Paul Delmet, dans son Mendiant, dont la musique est remplie d'une enveloppante poésie et charme l'oreille. Un bravo à Rodolphe Salis, qui, avec son joli costume de l'ancienne Suisse, est capable de nous faire prendre l'Helvétie pour des lanternes.


Dans le N° 7 du 1er avril 1892, Alcanter de Brahm qui signe la Chronique Parisienne de son vrai nom Marcel Bernhardt, fait visiter le Chat Noir par Colombine, femme à barbe. Curieuse elle pense trouver là le monde étrange de la bohème artistique, poètes débraillés et hirsutes aux mœurs bizarres. Elle ne verra que gens chics et prix de Rome, et si par hasard on aperçoit au Chat Noir un misérable au teint blafard ce ne peut être qu'un simple machiniste. Moralité la bohème n'existe plus à Paris. On remarquera l'acharnement de Marcel Bernhardt/Alcanter, contre la poétesse Marie Krysinska et le clan des femmes auteurs, dont il voudrait être le « fossoyeur », d'accord en cela avec son ami Emile Straus, qui dans les colonnes du même journal ouvrit les hostilités contre la littérature féminine.

Colombine, s'étant aventurée l'autre soir sur les hauteurs de Montmartre, libre de toute première, se mit dans la tête de venir jeter un coup d'oeil au Chat Noir, pour observer les dessous de la bohème artistique et galante, comme elle le disait à ses compagnes désireuses, comme elle, de satisfaire leur espiègle curiosité. Bien cachée derrière son éventail, qui dissimulait à merveille sa barbe admirablement fournie (en effet, Colombine, ne vous déplaise, est femme à barbe), elle pénétra discrètement dans un coin de la grande salle, et observa. Je vais voir ici, pensait-elle, tout ce petit monde que l'on m'a dépeint si bizarre dans ses moeurs, ses goûts et ses amours. Quel régal pour moi, que cette bohème artistique !

Mais, première déception, le maître de l'établissement, fort digne, au port gentilhommesque, figure franche et ouverte, animée d'un regard enlaçant et sympathique au premier chef, s'approcha de Colombine avec une galanterie plus que régence et lui tourna un madrigal d'un genre à elle inconnu, et dont elle eut peine à se remettre. Colombine s'était troublée. Car le maître de l'endroit avait l'oeil fin, et vite il avait deviné l'influente personne en les mains de qui s'évanouirent tant de brillantes espérances de jeunes : « Qu'on serve en des hanaps du plus pur baccarat la cervoise que désire cette gente dame. Allons, Juvénal, vite, obéissez et soyez digne. » Juvénal, c'était le Pingard de cette nouvelle Académie, plus jeune, et qui, moins que secrétaire cependant, avait endossé le frac à palmes vertes.

Puis défilèrent successivement, avec des allures tour à tour pressées ou désoeuvrées, inquiètes ou folichonnes, pensives ou fredonnantes, quantité de personnalités qu'un habitué de l'endroit ; fort empressé, désignait à Colombine.

Mais tout à coup, comme revenant d'un songe :

- Monsieur, dit-elle à son cicérone, je croyais voir ici des gens qu'un sort fatal avait réduit aux dures nécessités matérielles, et qui venaient chercher en ces lieux quelques-unes des dernières consolations de l'humanité souffrante.

- Détrompez-vous, madame, ce temple des arts abrite parfois des gens d'une aisance rare. Ah ! L'habit ne fait pas le moine, allez ; voyez vous-même. Tenez, ce coin de droite où se tiennent quatre jeunes gens à l'aspect sévère et réfléchi, que l'on croirait être chacun un quart d'agent de change ; eh bien ! Vous avez là la pépinière artistique de Montmartre et du boulevard, ni plus ni moins que Steinlen, Willette, Belon et Lunel. Cela vous étonne, n'est-ce pas ? Et là-bas dans cette petite salle, où l'on assaisonne un plantureux souper de traits d'esprit du plus pur modernisme, ces messieurs en habit, ce sont les fournisseurs habituels du théâtre d'ombres, où tout Paris s'est rencontré. Oui, le séduisant Donnay, que vous devriez mieux connaître, madame, soit dit sans vous offenser, puisque vous avez de proches parents au Figaro. A côté de lui, Fragerolles, de Sivry, Charpentier, Vidal, des prix de Rome, pas banals pour un sequin, le joyeux chansonnier Jules Jouy, le peintre Paul Robert si élégant et si joli garçon.

Parmi ceux qui sont passés il y a un instant et qui vous ont saluée avec déférence, car ils sont bien élevés, ces messieurs que vous disiez de la bohème, vous en avez remarqué sans doute quelques-uns dont une toilette recherchée causait un moindre souci ; mais ceux-là, en général, sont des anciens, et vous n'ignorez pas que, pour eux, la plume ou le crayon sont du meilleur rapport. Les uns, comme Allais et Delcourt, chroniquent au Gil et ailleurs ; les autres se font éditer, chose de plus en plus rare ; mais, dans tout ce monde, une immense majorité de chapeaux haute-forme luisants et à bords relevés. Les bords plats sont ceux des derniers dissidents : ci, Gégout qui disserte sur la dynamite avec le major Pelez ; ci, le grand Alcanter de Brahm qui darde son monocle éclatant sur le petit clan des femmes-auteurs, présidé par madame Krynsinska, qu'il déclare être (le clan, bien entendu) la plaie de notre littérature et dont il s'est proclamé le fossoyeur. Poètes, peintres, sculpteurs, musiciens et docteurs, tous gens chics. Il y en a bien par là deux ou trois, à l'air misérable et au teint plombé, qui se sont glissés furtivement, comme de petits mandrins, dans les coulisses ; mais rassurez-vous, ce n'étaient que de simples machinistes, pauvres diables vivant au jour le jour et qui seraient, eux, réellement malheureux si un cataclysme imprévu venait changer un iota à l'ordre actuel des choses.

Vous savez tout, madame, maintenant. Quand, par hasard, vous apprendrez qu'une redingote râpée s'est adossée contre le vieux chêne des boiseries de Chatnoirville, vous pourrez dire hautement : « Celui-là était réprouvé, et ce palais n'était point sa demeure. »

Colombine ne revenait pas de son étonnement. Elle monta lentement avec ses compagnes jusqu'au cabaret du Mirliton, où là, du moins, elle espérait un peu plus de couleur locale. Mais, ô surprise ! C'était un vendredi, et les voyous qui venaient là payaient cent sous leurs bocks. Deux ou trois, il est vrai, avaient bien le physique de l'emploi ; mais un minutieux examen de leurs gestes prouvait clairement que c'étaient de simples romains.

- Cependant, les autres jours, demanda—t-elle au patron de l'endroit, ces gens que vous chantez avec tant d'onction et de pitié, monsieur, ne viennent-ils pas vous écouter et vous applaudir ?

- Mince de tiffes, ma vieille, c'que t'es en retard, répond le cabaretier insolemment ; où c'est qu'ils chaufferaient le blafard et les cinq pelos pour casquer, mes galopins ? Dans les temps, soit, ça f'sait mon blot, mais, au jor d'aujoerd'hui, nib de blair et peau de zébi.

Là-dessus, il a entonné une chanson assez sale, sur le bois de Boulogne je crois, et tous ces gens chics, qu'on pouvait voir aux Acacias le lendemain, ont répété le refrain.

C'en était trop pour Colombine. Furieuse, elle quitta ce cabaret de désillusions, et convint alors que la bohème n'existait plus à Paris. Elle en exprima même de légers regrets ; mais elle ne pense pas une seule minute que c'était elle et trois ou quatre de ses vieux camarades du Figaro qui l'avaient tuée.

On trouve encore dans les échos du numéro 9 un entrefilet qui signale qu' « au Chat Noir Alcanter avec la Marche des Calicots et la Noce (dédiée à Jules Jouy) est rappelé 3 fois », puis plus rien sur le Chat Noir et la collaboration d'Alcanter, jusqu'aux numéros 23 où Alcanter de Brahm consacre sa Chronique Parisienne aux Cénacles et Caboulots (I. - Rive droite).

Après un rapide historique des lices chansonnières et autre goguettes, il en arrive aux Hydropathes d'Emile Goudeau, puis à Rodolphe Salis et son célébrissime Chat Noir. La lecture chroniques précédentes du Nouvel Echo, pouvait faire croire qu'Alcanter fit parti de la « troupe » du Chat Noir, en y regardant de plus près sa collaboration au cabaret semble s'être limité à participer aux « Goguettes » du dimanche, sous la direction de Jules Jouy. Dépit de ne pas avoir intégré l'équipe de chansonnier, ou fine analyse, sa chronique n'est pas tendre pour le Chat Noir et ses artistes.

[...] le quartier latin paraissant dégénérer de jour en jour.

« Or, précisément, Rodolphe Salis ouvrait alors le Chat Noir, boulevard Rochechouart. Naïvement, le bon Goudeau lui amena toute sa brillante académie, se désintéressant ainsi de tous les bénéfices possibles de l'entreprise, et avec cet inestimable noyau littéraire, Salis, l'ancien sut épater les peuples : le Chat Noir, grandissant chaque jour, s'installait quelques années après dans la pittoresque hôtellerie de la rue de Laval, aujourd'hui Victor Massé, tandis que Bruant, prenant pour son compte exclusif l'ancien local, en faisait le Mirliton, d'où émergèrent la chanson du ruisseau et le coup de la pitié, et, finalement, les bocks à cent sous du vendredi, à l'usage des pantes et des gonzesses de la haute.

Mais il en advint du Chat Noir comme de ces grands empires que leurs fondateurs songent à partager entre leurs successeurs avant leur mort.

Une innovation heureuse, les Ombres Chinoises, lancées par Caran d'Ache dans l'inoubliable Epopée, puis continuées par Fragerolles avec la délicieuse Marche à l'Etoile, si péniblement chantée, dans la suite, par Delmet, démarqueur des Erinnyes pour jeunes filles (voir les Petits Pavés) ; un journal humoristique au possible, mais que l'intromission de quelques échappés de collège fit tomber depuis dans le genre hypo-pompier ; un cabaret-musée où des vitraux et des toiles superbes de Willette côtoyaient de charmantes études de Steinlen ou de Capy, cependant que tout ce que Paris comptait de célébrités politiques, artistiques ou mondaines se pressait à l'envi ; tous ces éléments portèrent Salis au pinacle de la gloire en moins de dix années.

Et monté sur le faîte, il n'eut plus qu'à descendre.

Et ce patron, si autoritaire avec son personnel d'auteurs, de dessinateurs et de musiciens, qui avait parlé en maître à Jules Jouy, à de Sivry, à cet entêté d'Auriol, et qui faisait d'endosser à ses garçons l'uniforme de M. Camille Doucet et de ses trente-neuf collègues, sentit tout à coup, il y a de cela tantôt deux ans, que la renommée et la fortune pourraient peut-être bien lui échapper. Alors, il confia à ses trois lieutenants la direction des grandes spécialités de sa maison. Jules Jouy réglementa la chanson, de Sivry la musique, et Bazouge-Rivière le dessin et les ombres. Sauf une excessive tendance vers l'exclusivisme, il n'y avait rien à dire. Les résultats parleraient bien assez. Seulement, ce changement amena quelques exécutions dans le personnel des auteurs et des artistes. Rivière ; que le succès de Fragerolles avait grisé, ne voulait plus tolérer aucun rival aux Ombres. Jamais le malheureux Lacault ne put faire passer un pauvre croquis au journal. Willette et Steinlen ne venaient plus depuis longtemps, car ils flairaient un triste lendemain. Mais ce qui fut beaucoup plus drôle, fut la disparition subite de quelques jeunes de talent, Montoja (sic pour Montoya) et Guillaumet entre autres, qui, sans doute, auraient trop facilement éclipsé le très mince mérite des Armand Masson, des Delmet et de bas-bleus du calibre de Marie Kryzinska, ce masque carnavalesque aux lueurs blafardes, qui semblait échappé des caves de quelques brasseries des Ecoles en passant par la Petite Pologne, Jules Jouy, se souciant beaucoup plus d'annoncer son manillon de trèfle que d'amuser le public, se collait dans la salle du fond avec Allais ou Charpentier (voir la Vie du Poète), et n'en bougeant plus jusqu'à une heure du matin, heure de la soupe économique du Chat Noir.

Bientôt, dans leur enthousiasme à ne laisser pénétrer personne dans leur chapelle, ils ne restèrent plus que quatre là haut, pour calmer le public qui s'impatientait ; seulement, leur répertoire ne variait pas beaucoup. C'étaient toujours les Petits Pâtés, les petits Chats bruns, puis Armand Masson, le poète au collet gris poussière des Cloches à Romes, Vincent Hyspa et son toenia, ce pauvre Trimouillat à son septième ; puis Jacques Ferny l'Alibi et les Voyages présidentiels, la seule chose vraiment amusante qu'on y eût applaudie depuis quatre ans, Meusy et Xanrof y compris, bien entendu (et la preuve, c'est que le premier court après la gloire, au Concert des Ternes, et que le second essaie en vain son impuissante rage d'écrire contre les tréteaux du père Micheau, grâce à l'acide Tarride).

Ailleurs, pièce symboliste de Donnay, resta incomprise ; le Carnaval de Venise fut un four, et le château de Naintré coûtait cher. Les bocks des goguettes du dimanche, inaugurées en janvier 1892 (un peu tard, on le voit), ne compensaient pas les frais, et les équipages de luxe ne stationnaient plus à la porte. Bruant, d'une part, et la Plume, de l'autre, minaient la maison par la base ; le temps de Boulanger, honorant le seigneur de Chat Noirville de sa visite, n'était plus. Il fallait en venir fatalement aux tournées de province. Elles durent encore, bien que nous soyons au début de décembre, époque généralement peu néfaste aux théâtres originaux. C'est dire qu'avant un an le Chat Noir sera désert et que ses tristes épaves erreront çà et là dans les rues de Montmartre, dans les cafés du boulevard, cherchant un asile contre la vieillesse prématurée, fatale conséquence de la vie des cénacles et des chapelles littéraires.

Mais l'influence du Chat Noir n'en aura pas moins été réelle sur l'esprit de la jeunesse. Des tendances satiriques ou macabres, primesautières et cocasses, une allure gouailleuse et montmartroise plus encore que parisienne, ont consacré à jamais ce local, d'où sont perpétrés les vingt ou trente cénaculets que nous verrons par la suite.


Dans la seconde partie de son article, parue dans le numéro suivant, Marcel Bernhardt/Alcanter continue par le cabaret le Mirliton d'Aristide Bruant, mais ceci est une autre histoire.




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